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Ainsi parla mon guide céleste. Son visage était beau comme le jour, ses yeux brillaient d’un lumineux éclat, sa voix semblait une musique divine. Je voyais les mondes circuler autour de nous dans l’espace et je sentais qu’une harmonie immense régit la nature.
«Maintenant, me dit Uranie en me désignant du doigt la place où notre soleil terrestre avait disparu, revenons sur la Terre. Mais regarde encore. Tu as compris que l’espace est infini. Tu vas comprendre que le temps est éternel.»
Nous traversâmes des constellations et revînmes vers le système solaire. Je vis, en effet, reparaître le Soleil sous l’aspect d’une petite étoile.
«Je vais te donner un instant, fit-elle, sinon la vision divine, du moins la vision angélique. Ton âme va sentir les vibrations éthérées qui constituent la lumière et savoir comment l’histoire de chaque monde est éternelle en Dieu. Voir, c’est savoir. Vois!»
De même qu’un microscope nous montre une fourmi de la grosseur d’un éléphant; de même que, pénétrant jusqu’aux infiniment petits, il sait rendre l’invisible visible; ainsi, à l’ordre de la Muse, ma vue acquit soudain une puissance de perception inattendue et distingua dans l’espace, à côté du Soleil qui s’éclipsa, la Terre, qui d’invisible devint visible.
Je la reconnus, et à mesure que je la regardais, son disque s’agrandissait, offrant l’aspect de la lune quelques jours avant la phase de la pleine lune. Bientôt je parvins, dans ce disque grandissant, à distinguer les principaux aspects géographiques, la tache neigeuse du pôle nord, les contours de l’Europe et de l’Asie, la mer du Nord, l’Atlantique, la Méditerranée. Plus je fixais mon attention, et mieux je voyais. Les détails devenaient de plus en plus perceptibles, comme si j’avais changé graduellement d’oculaires microtélescopiques. Je reconnus la forme géographique de la France; mais notre belle patrie me parut entièrement verte, du Rhin à l’Océan et de la Manche à la Méditerranée, comme si elle avait été couverte d’une seule et immense forêt. Je parvenais cependant à distinguer de mieux en mieux les moindres détails, car les Alpes, les Pyrénées, le Rhin, le Rhône, la Loire, étaient faciles à reconnaître.
«Fixe bien ton attention», reprit ma compagne.
En même temps qu’elle prononçait ces paroles, elle posait sur mon front l’extrémité de ses doigts allongés, comme si elle eût voulu magnétiser mon cerveau et donner à mes facultés de perception une puissance plus grande encore.
Alors je sondai, je pénétrai plus attentivement encore les détails de la vision, et j’eus devant les yeux la Gaule du temps de Jules César. C’était au temps de la guerre de l’indépendance animée par le patriotisme de Vercingétorix.
Je voyais ces aspects d’en haut, comme nous voyons les paysages lunaires au télescope, comme nous voyons une contrée de la nacelle d’un ballon; mais je reconnus la Gaule, l’Auvergne, Gergovie, le Puy de Dôme, les volcans éteints, et ma pensée se représenta facilement la scène gauloise dont une image abrégée m’arrivait.
«Nous sommes à une telle distance de la Terre, me dit Uranie, que la lumière emploie pour arriver de là jusqu’ici tout le temps qui nous sépare de l’époque de Jules César. Nous recevons seulement maintenant, ici, les rayons lumineux partis de la Terre à cette époque. Pourtant la lumière voyage dans l’espace éthéré avec la vitesse de trois cent mille kilomètres par seconde. C’est rapide, très rapide, mais ce n’est pas instantané. Les astronomes de la Terre qui observent maintenant les étoiles situées à la distance où nous sommes, ne les voient pas telles qu’elles sont actuellement, mais telles qu’elles étaient au moment où sont partis les rayons lumineux qui arrivent seulement aujourd’hui, c’est-à-dire telles qu’elles étaient il y a plus de dix-huit siècles.
«De la Terre, ajouta-t-elle, ni d’aucun point de l’espace, on ne voit jamais les astres tels qu’ils sont, mais tels qu’ils ont été. On est d’autant plus en retard sur leur histoire qu’on en est plus éloigné.
«Vous observez avec les plus grands soins au télescope des étoiles qui n’existent plus. Plusieurs même des étoiles que vous voyez à l’œil nu n’existent plus. Plusieurs des nébuleuses dont vous analysez la substance au spectroscope sont devenues des soleils. Plusieurs de vos plus belles étoiles rouges sont actuellement éteintes et mortes: en vous approchant d’elles vous ne les verriez plus!
«La lumière émanée de tous les soleils qui peuplent l’immensité, la lumière réfléchie dans l’espace par tous les mondes éclairés par ces soleils, emporte à travers le ciel infini les photographies de tous les siècles, de tous les jours, de tous les instants. En regardant un astre, vous le voyez tel qu’il était au moment où est partie la photographie que vous en recevez, de même qu’en entendant une cloche vous recevez le son après qu’il est parti, et d’autant plus longtemps après que vous en êtes plus éloigné.
«Il en résulte que l’histoire de tous les mondes voyage actuellement dans l’espace, sans jamais disparaître absolument, et que tous les événements passés sont présents dans le sein de l’infini et indestructibles.
«La durée de l’univers sera sans fin. La Terre finira, et ne sera plus un jour qu’un tombeau. Mais il y aura de nouveaux soleils et de nouvelles terres, de nouveaux printemps et de nouveaux sourires et toujours la vie fleurira dans l’univers sans bornes et sans fin.
«J’ai voulu te montrer, fit-elle après un instant de pause, j’ai voulu te montrer comment le temps est éternel. Tu avais senti l’infinité de l’espace. Tu avais compris la grandeur de l’univers. Maintenant, ton voyage céleste est accompli. Rapprochons-nous de la Terre et reviens dans ta patrie.
«Pour toi, ajouta-t-elle encore, sache que l’étude est la seule source de toute valeur intellectuelle; ne sois jamais ni pauvre ni riche; garde-toi de toute ambition comme de toute servitude; sois indépendant; l’indépendance est le plus rare des biens, et la première condition du bonheur.»
Uranie parlait de sa douce voix. Mais la commotion produite par tous ces tableaux extraordinaires avait tellement ébranlé mon cerveau que je fus pris soudain d’un grand tremblement. Un frisson me parcourut de la tête aux pieds, et c’est sans doute ce qui amena mon réveil subit, au milieu d’une vive agitation.... Hélas! ce délicieux voyage céleste était terminé.
Je cherchai Uranie et ne la trouvai plus. Un clair rayon de lune, pénétrant par la fenêtre de ma chambre, venait caresser le bord d’un rideau et semblait dessiner vaguement la forme aérienne de mon céleste guide; mais ce n’était qu’un rayon de lune.
Lorsque je revins le lendemain à l’Observatoire, ma première impulsion fut d’accourir, sous un prétexte quelconque, dans le cabinet du Directeur et de revoir la Muse charmante qui m’avait gratifié d’un tel rêve....
La pendule avait disparu!
A sa place trônait le buste, en marbre blanc, de l’illustre astronome.
Je cherchai en d’autres pièces, et, à propos de mille prétextes, jusque dans les appartements, mais elle avait bien disparu.
Pendant des jours, pendant des semaines, je cherchai, sans parvenir à la revoir ni même à savoir ce qu’elle était devenue.
J’avais un ami, un confident, à peu près du même âge que moi, quoique paraissant un peu moins jeune à cause de sa barbe naissante, mais lui aussi fortement épris de l’idéal et plus rêveur encore peut-être, le seul d’ailleurs de tout le personnel de l’Observatoire avec lequel je me sois jamais intimement lié. Il partageait mes joies et mes peines. Nous avions les mêmes goûts, les mêmes idées, les mêmes sentiments. Il avait compris et mon adolescente admiration pour une statue, et la personnification dont mon imagination l’avait animée, et ma mélancolie d’avoir ainsi subitement perdu ma chère Uranie au moment même où j’y étais le plus attaché. Il avait plus d’une fois admiré avec moi les effets de la lumière sur sa céleste physionomie, et souriant de mes extases, comme un grand frère, me taquinant même, un peu vivement parfois, sur ma tendresse pour une idole, allait jusqu’à m’appeler «Camille Pygmalion». Mais, au fond, je voyais bien qu’il l’aimait aussi.
Cet ami, qui hélas! devait être emporté quelques années plus tard en pleine fleur de jeunesse, ce bon Georges Spero, éminent esprit et grand cœur, dont le souvenir me restera éternellement cher, était alors secrétaire particulier du Directeur, et son affection si sincère me fut témoignée en cette circonstance par une attention aussi gracieuse qu’imprévue.
Un jour, en rentrant chez moi, je vis avec une stupéfaction quasi incrédule la fameuse pendule placée sur ma cheminée, là, juste devant moi!...
C’était bien elle! Mais comment était-elle là? Quel chemin avait-elle pris? D’où venait-elle?
J’appris que l’illustre auteur de la découverte de Neptune l’avait envoyée à réparer chez l’un des principaux horlogers de Paris, que celui-ci avait reçu de Chine une antique pendule astronomique du plus haut intérêt et en avait offert l’échange, lequel avait été accepté; et que Georges Spero, chargé de la transaction, avait racheté l’œuvre de Pradier pour me l’offrir en souvenir des leçons de mathématiques que je lui avais données.
Avec quelle joie je revis mon Uranie! Avec quel bonheur j’en rassasiai mes regards! Cette charmante personnification de la Muse du Ciel ne m’a jamais quitté depuis. Dans mes heures d’étude, la belle statue se tenait devant moi, semblant me rappeler le discours de la déesse, m’annoncer les destinées de l’Astronomie, me diriger dans mes adolescentes aspirations scientifiques. Depuis, des émotions plus passionnées ont pu séduire, captiver, troubler mes sens; mais je n’oublierai jamais le sentiment idéal que la Muse des étoiles m’avait inspiré, ni le voyage céleste dans lequel elle m’emporta, ni les panoramas inattendus qu’elle déploya sous mes regards, ni les vérités qu’elle me révéla sur l’étendue et la constitution de l’univers, ni le bonheur qu’elle m’a donné en assignant définitivement pour carrière à mon esprit les calmes contemplations de la nature et de la science.