Читать книгу Les monumens religieux, militaires et civils du Poitou - Charles Arnauld - Страница 4
Monumens de l’Ere celtique.
ОглавлениеDES tombes séculaires, des fragmens de roches debout, alignés, suspendus ou couchés par la main des premiers peuples, tels sont les monumens que je vais d’abord examiner. On peut affirmer sans crainte qu’ils sont l’image des choses les plus antiques; ce sont les plus anciens représentans de l’art humain; ils ont survécu à toutes les révolutions, à toutes les tempêtes; ils ont vu passer tous les siècles, tous les hommes. Quand les habitans primitifs de la Gaule voulaient rendre hommage à la mémoire des guerriers, quand ils voulaient dresser des autels pour y déposer les victimes qu’ils offraient aux dieux de leur pays, ils allaient à la roche voisine chercher des débris informes, pour les élever et les amonceler. Ces monumens, connus par les savans, sous le nom de monumens celtiques, sont très nombreux sur la terre du Poitou; on en rencontre du côté de Loudun, dans l’arrondissement des Sables-d’Olonne, on en voit plusieurs sur la butte de Château-Larcher, il en existe à Champigny-le-Sec, arrondissement de Poitiers; et ensuite près de cette ville, chef-lieu de l’ancienne circonscription poitevine, se trouve la fameuse Pierre-Levée, dont Rabelais a popularisé l’histoire.
La partie du pays des Pictons, qui porte aujourd’hui le nom de département des Deux-Sèvres, comptait, aussi elle, un grand nombre de pierres consacrées par la religion des druides; il y en avait au sein de ses forêts, non loin de ses rivières. Plusieurs ont péri, plusieurs sont restées; je vais successivement raconter leurs positions, leurs formes, les faits, les croyances qui s’y rattachent.
Dans la commune d’Amuré, non loin de ces lacs où s’agitent tant de roseaux, de fleurs et d’insectes aux brillantes couleurs, les Celtes ont déposé deux pierres qui sont dignes d’attention, elles attestent que les bords du marais furent habités dans les temps les plus reculés; elles sont curieuses, elles prouvent que des cérémonies religieuses furent accomplies par les hommes à demi sauvages, dont les barques sillonnaient les grands lacs formés par les eaux de la Sèvre. La première pierre est placée à l’orient, elle s’élève très peu au-dessus du sol, elle a 65 centimètres d’épaisseur, 4 mètres de longueur et 3 mètres 90 centimètres de largeur. La seconde est presque ronde, elle a 3 mètres 90 centimètres de longueur, sur autant de largeur.
Les pierres d’Amuré ont dû venir de loin, car il n’en existe point d’autres dans cette localité qu’on puisse leur comparer; longtemps elles ont été l’objet d’un culte presque sacré, autrefois même les âmes pieuses ne se contentaient pas de leur apporter de ferventes prières, elles leur offraient encore de petites pièces de monnaie, pour rappeler à leur crédulité de merveilleuses traditions. En effet, écoutez à la veillée du soir la grand’mère qui file et qui chante au foyer domestique, elle vous dira: Les pierres qui sont là-bas au-delà du ruisseau, dans le champ solitaire, ce sont les premiers fondemens de notre église, mais les maçons avaient beau travailler, chaque matin, leur ouvrage avait disparu; alors dans son découragement l’un d’eux jeta son marteau bien loin, en lui disant: Va-t-en chercher la place où nous pourrons travailler; le marteau s’arrêta sur l’emplacement de notre pauvre église, qu’il fut alors facile de bâtir et d’achever. Une autre tradition rapporte qu’autrefois on attacha tous les bœufs du village à ces blocs grossiers, mais leurs efforts furent impuissans et les pierres sont restées où on les voit encore.
Sur le chemin de Saint-Jouin à Thouars, sur une hauteur, vis-à-vis le village de Noizé, il existe deux autres pierres posées, dont l’une est beaucoup plus grosse que l’autre. La plus forte a son plan incliné vers l’orient, et de ce côté elle touche à terre, de l’autre elle s’élève sur deux ou trois supports si faibles, que l’on doit, comme je l’ai déjà dit, la regarder plutôt comme une pierre posée que comme un dolmen. Elle a 1 mètre d’épaisseur, 3 mètres 10 centimètres de largeur, et 4 mètres de longueur. La plus petite, qui n’a pas 2 mètres de largeur, sur 4 mètres de longueur, se soulève un peu du côté du sud; elle n’est point soutenue par des piliers, la partie inclinée s’enfonce dans le sol. Une autre pierre qui se trouve sur le chemin d’Oiron à Saint-Jouin n’a rien qui puisse attirer l’attention.
A peu de distance de l’Absie, en sortant du village de la Chapelle-Seguin, sur les bords de la Sèvre-Nantaise, dans une vallée où l’on rencontre à chaque pas d’énormes granits, que les gens du pays nomment Chirons, se trouve une pierre bien curieuse; placée tout auprès de la Morelière, cette pierre est montée sur un large rocher sombre et uni, il suffit d’un homme pour donner un léger mouvement d’oscillation à cette masse puissante, qui conserve toujours son équilibre, et revient au bout de quelques secondes, dans sa solennelle immobilité. Cette pierre branlante ou berçante a 14 mètres 15 centimètres de tour, et 2 mètres 25 centimètres de hauteur.
Près de là, dans la même commune de Largeasse, l’on rencontre un autre bloc non moins remarquable par sa forme et sa grosseur; il est situé aussi sur les bords de la Sèvre, tout près de la métairie connue sous le nom de Chevalerie. Cette pierre, qui a 20 mètres de circonférence, est haute de 4 mètres 20 centimètres; par sa base, elle ressemble à la carêne d’un vaisseau; elle ne s’appuie sur celle qui la supporte que par une partie étroite, angulaire: on dirait qu’elle va tomber et rouler dans le fond du vallon; cependant elle est ferme, immobile, et le sera sans doute longtemps encore.
Il existe dans cette contrée une singulière tradition, partout et çà et là dans les champs, dans les bois, sur le penchant des collines, sur le bord des ruisseaux, l’on remarque des pierres énormes. Autrefois, me dit mon guide, ces Chirons poussaient et croissaient; mais un jour quand tout s’arrêta, les uns étaient enfouis dans les entrailles de la terre, les autres en sortaient à demi, et d’autres enfin, parvenus à leur grosseur naturelle, sont étendus sur le sol. Dans la vallée de la Sèvre-Nantaise, c’est un spectacle imposant de voir tous ces géants de granit, groupés, amoncelés; les uns sont debout, les autres renversés; les uns se sont plongés dans les eaux du torrent, d’autres sont restés sur ses bords; les uns reposent sur la terre, d’autres sur un large plateau. Les ondes qui gémissent en passant, quelquefois les contournent, quelquefois elles ont creusé leur lit sous leurs masses pesantes.
A 8 kilomètres de là, dans la commune de la Chapelle-Saint-Laurent, l’on peut visiter un rocher très renommé connu sous le nom de Chiron de la Vierge, il a 33 ou 34 mètres de longueur sur 21 à 22 mètres de largeur. Sur ce massif qui va toujours en s’amoindrissant du côté du nord-ouest, se trouve une petite excavation que l’on nomme le Pas de la Vierge. Du côté où le roc sauvage se montre au-dessus du sol, il y a quatre ou cinq cavités, car jadis le rocher, dit-on, s’amollit à l’approche du diable poursuivant la vierge, les griffes de son ennemi s’y enfoncèrent et il ne put point monter. Par une matinée d’automne, froide, sombre et pluvieuse, après avoir mesuré ce rocher célèbre qui, dans sa plus forte épaisseur, a 1 mètre 25 centimètres, je regardais et rêvais à ces fortes croyances des temps passés, à ces hommes qui s’agenouillaient partout, quand tout-à-coup un vieux pâtre aux cheveux plats et longs s’approcha de moi, et me dit: Autrefois on venait en foule au Chiron de la Vierge, la ferveur était grande, il s’accomplissait toujours des miracles, aujourd’hui le zèle a cessé, aussi plus de miracles; tout çà depuis les bleus.
Les pélerins, qui vont à Notre-Dame-de-Pitié pour y porter leurs vœux, n’oublient jamais le Pas de la Vierge, toujours ils viennent, fervens ou crédules, s’agenouiller en passant aux pieds de son rocher grisâtre, rempli pour eux de religieux souvenirs.
Après avoir de nouveau traversé un pays couvert de granits qui gisent à l’ombre des chênes, au milieu des ajoncs, des bruyères, on arrive dans le village de Hérisson; c’est là, tout auprès d’une petite rivière murmurante et limpide, que mes regards furent frappés par une pierre branlante connue sous le nom de Merveille de Hérisson. Ce monument est composé de deux roches sombres et noires, vieilles comme le sol qui les porte; sur la première qui s’enfonce dans la terre d’un champêtre verger, s’élève la seconde dont la forme est alongée; aussi quand la main du passant lui imprime un mouvement, elle frémit, se soulève, s’abaisse et se soulève encore pour retomber ensuite dans son habituel repos. Cette pierre branlante ou berçante qui touche seulement, par son milieu, à la pierre qui la supporte, est presque ronde; elle a 4 mètres 90 centimètres de largeur, sur 2 mètres 50 centimètres de hauteur. Sa circonférence est de 16 mètres. Un enfant, de douze ans, peut la faire mouvoir avec assez de facilité. Une tradition rapporte que ce fut un mouton qui, le premier, en fit connaître la mobilité en s’y frottant.
Vainement l’on voudrait dire que les pierres branlantes ont été disposées par la main du hasard, vainement voudrait-on dire que les révolutions, qui ont si souvent bouleversé la face du globe, ont mis à découvert deux roches, disposées d’une manière si heureuse, que l’une d’elles pouvait facilement rester en équilibre et ne jamais tomber. Cette pensée ne peut être admise; en effet, ce n’est pas une seule pierre branlante que l’on peut citer, mais plusieurs; ce n’est pas seulement au milieu de la Vendée, aux bords de ses torrens, au fond de ses vallons, que l’on peut les contempler. On en compte plusieurs en France, en Angleterre, dans la sauvage Écosse.
Ces pierres branlantes frappèrent, en tous temps, les regards. Les sa vans des temps anciens, tous ceux qui s’occupèrent des choses merveilleuses, tous ceux qui songèrent à décrire les objets remarquables de ce monde, n’ont pas oublié d’en parler. Quelle fut la destination de ces pierres placées ainsi les unes au-dessus des autres: il est impossible de l’indiquer d’une manière positive; les renseignemens nous manquent? Ce passé de tant de siècles est enseveli, pour toujours, dans la tombe où repose le dernier des druides, le dernier des bardes. Cependant quelques antiquaires ont pensé que ces masses énormes étaient, chez les Celtes, les interprètes du ciel. Les druides, pour en imposer à la foule, les consultaient quelquefois; et, dans les cas difficiles, le grand-prêtre s’empressait de les pousser, pour connaître, au nombre de leurs mouvemens, la volonté des dieux.
Selon d’autres, les pierres branlantes servaient de juges. Plus d’une fois, des femmes jeunes et belles vinrent, les yeux en pleurs, frémir et trembler aux pieds de ces masses accusatrices. Celle qui était assez heureuse pour leur imprimer un léger mouvement, pouvait rentrer, la tête haute, dans la cabane de ses pères; mais si la pierre restait immobile, malheur à elle.
Maintenant je vais parler des dolmens, et commencer par celui qui se trouve placé dans la commune de Montbrun, près Thouars, et qui est connu sous le nom de Pierre-Levée d’Orbé : c’est un demi-dolmen, de 4 mètres 10 centimètres de longueur, sur 3 mètres 90 centimètres de largeur; sa table va toujours en s’inclinant vers le midi, de ce côté il repose sur le sol. Cette pierre, qui a, dans sa plus forte épaisseur, 45 centimètres, est supportée seulement par trois appuis. A côté se trouvent les débris d’un autre monument celtique; il ne représente plus qu’un amas informe de pierres qui sont les unes debout, les autres à demi couchées, en attendant qu’une destruction plus grande les fasse disparaître. Le dolmen qui existe encore, et les débris de celui qui l’avoisine, ne sont séparés que par un chemin qui traverse la plaine d’Orbé. Plus dune fois, sans doute, les voyageurs se sont reposés sur ces sombres rochers; plus d’une fois, sans doute, ils ont raconté les frivolités de la terre à ces vieux témoins qui virent tant de choses changer et passer.
Sur le chemin de Thouars à Saint-Jouin, quand on aperçoit à gauche le parc d’Oiron, et à droite, la butte Montcoué, il faut laisser la route bordée de noyers, et s’enfoncer dans la plaine, où reposent les pierres antiques dressées jadis par la main des druides. Bientôt on découvre près de soi, un curieux dolmen qui se lève majestueux et sombre, tout près des trois autres, qui par leurs médiocres dimensions, semblent former ses satellites; il a 6 mètres 30 centimètres de longueur sur 4mètres 30 centimètres de largeur, il est haut de 2 mètres 10 centimètres, aussi a-t-il fallu composer la table, qui le couvre, de deux grandes pierres, dont les surfaces bosselées et rudes sont garnies de petits trous. L’ouverture de ce remarquable dolmen est à l’orient, pour laisser au soleil qui se lève, la facilité de réchauffer de ses rayons la cendre des morts qui reposent peut-être sous la grotte soutenue par sept pierres d’inégale grosseur. Pour rendre l’édifice plus solide, entre les pierres qui lui servent d’appui, on en a placé de plus petites, il en est d’autres qui servent ensuite à consolider la table. Dans l’un des angles de la grotte factice, on remarque une espèce de réduit, maintenant encombré de pierres; à l’entrée de l’édifice repose un bloc à demi couché, apporté par le bras vigoureux des Celtes, il n’aura point trouvé de place et il sera resté comme un témoignage de la munificence de ceux à qui nous devons l’un des plus beaux dolmens de nos contrées. Près de lui, l’on en voit trois autres; l’un de 3 mètres de long sur 2 de large, est soutenu par trois ou quatre petits supports; l’autre est brisé, renversé, ses modestes débris jonchent la terre, les laboureurs se sont plu à amonceler sur ses ruines les pierres qui gênaient le soc de la charrue, qui passe et repasse aux pieds de ces vieux monumens. Le dernier, dont les dimensions sont ordinaires, 4 mètres de longueur sur 1 mètre 60 centimètres de largeur, est soutenu par quatre piliers, et placé sur une espèce de tertre composé de cailloux amoncelés. Les quatre dolmens dont nous venons de parler, forment entre eux une espèce de carré, ils sont composés de grès et de calcaire, et viennent de la butte Montcoué, c’est elle qui a fourni il n’en faut pas douter, les pierres des édifices dont nous avons raconté la forme et les dimensions. Après avoir atteint cette hauteur, après avoir parcouru du regard les rochers qui la couvrent, après avoir contemplé un vaste horizon, on descend la colline, et l’on voit, dans une vigne, vis-à-vis un bouquet d’arbres verts, un demi dolmen soutenu par deux pierres. Ce demi dolmen dont les dimensions sont médiocres, a plus d’une fois servi d’asile aux vendangeurs, et retenti de leurs joyeux refrains. Quand je le visitai à la fin de l’automne j’y trouvai çà et là des débris, des noix et des raisins.
Non loin de là, sur les bords du Thouet, à l’ombre de grands noyers, qui maintenant y remplacent les chênes druidiques, s’élève un très beau dolmen, cependant il est moins élevé que celui de la route de Thouars à Saint-Jouin. Supporté seulement par quatre pierres, il s’ouvre aux rayons du soleil levant; sa table, qui s’incline vers le couchant, a seulement dans sa plus forte épaisseur 70 centimètres, elle a 3 mètres 60 centimètres de longueur, sur 3 mètres 55 centimètres de largeur. Pour ce dolmen point de butte ni de hauteur, il est dans un champ, aux pieds de deux collines, et tout près d’une rivière, dont le bruit et les ondes ont servi peut-être au culte druidique.
A Limalonges, arrondissement de Melle, sur la route de cette ville à Civray, se trouve un autre monument des Celtes; les habitans du pays le nomment Pierre-Pèse; en effet, le poids de ce dolmen doit être énorme, car sa table a 7 mètres 30 centimètres de longueur, sur 3 mètres de largueur, l’épaisseur varie d’un mètre à 55 centimètres. La table, qui s’incline du sud-ouest vers le nord-ouest, a d’un côté 1 mètre 45 centimètres de hauteur, de l’autre, il s’élève seulement au-dessus du sol de 70 centimètres, sa forme est très curieuse, elle va toujours en s’amoindrissant; aussi peut-on la comparer par sa forme au soufflet d’un forgeron, elle est composée de cinq couches calcaires et soutenue par quatre piliers; il y en a eu réellement six, mais l’un d’eux est brisé et l’autre est trop petit. Sous l’administration du préfet Dupin, en 1808, M. Jozeau, le savant secrétaire de la Société d’Agriculture, a fait des fouilles sous la pierre de Limalonges; à quelques pieds de profondeur, il a trouvé des ossemens humains, entr’autres un humérus, une clavicule et plusieurs rotules. Tous ces débris étaient assez bien conservés, on remarqua surtout l’os d’une mâchoire inférieure, il était absolument intact, les dents n’avaient pas subi la plus légère altération. Au milieu de ces ossemens, on découvrit des armes et des instrumens, c’est-à-dire des os d’une grande dureté, très pointus, tous de grosseur différente, puis deux casse-têtes, aux tranchans aigus, dont les Celtes aimaient à s’armer dans les jours de combats. Ces deux haches sont taillées en forme de coin, l’une est en quartz commun, l’autre plus petite est en espèce de jaspe.
Au milieu, et sur le point le plus élevé d’une vaste plaine, entre la commune de Vanzais et celle de Messé, s’élève ensuite un dolmen connu dans le pays sous le nom de Pierre-Folle, sa longueur est de 3 mètres sur 1 mètre 8 décimètres de largeur, son épaisseur n’est que de 50 centimètres. La table, qui s’incline de l’ouest à l’est, était autrefois supportée de chaque côté par une seule pierre, et formait une grotte impénétrable. Aussi pour procéder aux fouilles qui ont été faites sous ce monument, comme sous celui de Limalonges, M. Jozeau a-t-il été obligé d’enlever quelque chose à l’intégrité du monument. Une fois l’un des supports renversé, les recherches ont été faciles, mais elles ont produit peu de choses; point de haches, point de flèches, seulement quelques débris humains, de petits os tombant en poussière, les autres avaient été dévorés par le temps, détrempés par des terres humides, car la plaine qui les renfermait dans son sein, est souvent inondée par les eaux des hivers.
DOLMEN DE LIMALONGES.
Après les monumens dont je viens de parler, l’antiquaire doit visiter avec soin les environs de Nanteuil, de Saint-Eanne, de la Ville-Dieu, de Bougon, d’Exoudun, de Brieuil; car tous ces lieux furent, dans les temps les plus reculés, foulés par les pas des hommes. C’est aussi dans ces contrées qu’ils prièrent et qu’ils moururent, et que l’on trouve encore aujourd’hui leurs autels et leurs tombes.
A trois kilomètres de Saint-Maixent, près du village de Nanteuil, commence la longue suite des monumens celtiques, dont l’existence resta si longtemps dans l’ombre et dans l’oubli; la première pierre que je vais décrire, a 2 mètres 10 centimètres de longueur, et 3 de largeur; d’un côté elle s’élève au-dessus du sol, de l’autre elle disparaît sous terre aux pieds d’un buisson qui l’ombrage de ses rameaux. Ce monument est placé sur un tertre peu élevé, à quelques pas de la nouvelle grande route. Tout près de là, sur les bords d’un chemin vicinal, l’on rencontre un demi-dolmen qui a 3 mètres 70 centimètres de longueur sur 2 mètres 15 centimètres de largeur. Sa plate-forme, qui s’incline vers l’est, pour s’enfoncer en terre, repose sur un épais coussin qui, du côté du nord-ouest, se soulève d’environ 50 centimètres. En laissant Nanteuil à droite, et en parcourant la plaine de la Croisanière, on arrive à un dolmen incliné, dont les dimensions sont assez remarquables; la table est soutenue par un très petit coussin; elle, aussi, s’élève vers le nord-ouest. Ce monument est placé sur un tertre qui forme un mamelon, d’où l’on plonge dans la vallée de la Sèvre, dont les prairies sont si fraîches et si belles; on voit également près de soi la riche abbaye de Saint-Maixent, au sein de laquelle vécurent autrefois les religieux de la congrégation de Saint-Maur. Debout, sur la pierre de Nanteuil, on peut donc rêver en même temps au culte des druides et aux pieux cénobites dont l’influence, jadis, a remplacé la leur. Sur la surface de ce bloc imposant, se trouve un petit enfoncement où les druides versèrent peut-être bien des fois, du lait, de la bière, ou du cidre, pour les bons génies, qui la nuit, venaient se désaltérer à ces breuvages sacrés.
A une petite distance, on rencontre une pierre posée, de calcaire siliceux, qui n’offre rien d’intéressant; après elle, tout près de l’une des grandes vallées qui creuse si profondément le pays, non loin du chemin qui conduit de Saint-Maixent à la Mothe, les habitans primitifs de la contrée ont placé, il y a bien des siècles, une pierre excessivement curieuse, pour elle point de piliers; mais à son centre s’élève un espèce de mamelon formé par une rainure évidemment tracée par la main des hommes; cette rigole qui a été faite d’une façon bien irrégulière (sa largeur varie de 25 à 40 centimètres), communique à un petit déversoir qui penche au midi comme le monument. Cette pierre ayant une forme arrondie, malgré une échancrure en forme d’angle qui la traverse d’un côté, doit être considérée comme un symbole; c’est là qu’on offrit, peut-être, en l’honneur de la lune, des libations et des victimes, dont le sang coula par la rigole que je viens d’indiquer. A côté de cette pierre mystique se trouve une petite construction qu’il est bon de signaler: c’est un mur en pierres sèches et d’appareil en feuilles de fougère; cette manière de construire, après avoir disparu dans les monumens depuis tant de siècles, se rencontre fréquemment dans les modestes murailles qui, de Saint-Maixent à la Mothe-Saint-Héray, entourent de rians enclos.
Ensuite, avant d’arriver à Saint-Eanne, il faut visiter un demi-dolmen, en calcaire siliceux, qui s’incline au sud, et s’appuie sur une seule pierre couchée à plat. Ce monument, qui touche presque à terre, n’a rien pour fixer l’attention; aussi, peut-on le laisser assez vite, pour traverser de profondes vallées, d’où viennent, il n’en faut pas douter, les pierres consacrées par la piété des Celtes. Tout près de là, vis-à-vis Saint-Eanne, on rencontre une pierre posée, dont la surface est couverte de rocailles. Cette pierre, sans support, sans appui, a été placée là pour perpétuer, sans doute, un grand souvenir, pour rappeler, peut-être, un traité de paix, un combat célèbre. Ainsi, comme on le voit, bien des faits se sont accomplis dans cette contrée; c’était le pays favori d’une grande peuplade, puisqu’on y rencontre des monumens de tous les genres, des pierres symboliques, des tombeaux, des autels.
Autrefois, vis-à-vis Saint-Eanne, il y avait un bloc horizontal de calcaire siliceux; sa forme était triangulaire; son angle le plus aigu s’inclinait vers le sud; on l’appelait Pierre - Kerelle. Enviée par un fermier avide, elle a été, il n’y a pas longtemps, profanée, enlevée; mais sa masse s’est trouvée si pesante, qu’il a fallu la laisser sur la route, dans le fond d’un fossé. Maintenant, loin de la terre qui la soutint si longtemps, elle y reste cachée par les feuilles si vertes, par les fleurs si blanches de l’aubépine. Aujourd’hui que la Pierre-Kerelle a perdu sa place, tout est fini pour sa renommée; cependant elle avait quelque importance, puisqu’elle indiquait un lieu qui fut longtemps sacré.
Sur les hauteurs de la Ville-Dieu-de-Comblé, dans un champ qui domine la vallée, apparaît un dolmen, dont la plate-forme majestueuse et sombre s’élève de plus d’un mètre au-dessus du sol. Elle a 5 mètres de longueur, 2 mètres 40 centimètres de largeur, et 70 centimètres dans sa plus forte épaisseur; elle est soutenue par cinq pierres; les autres supports ne lui touchent plus. Le dolmen de la Ville-Dieu est un monument du plus haut intérêt; par sa position, par sa forme, par sa masse, on peut le considérer comme la métropole du pays, comme l’autel où les druides ont accompli les cérémonies les plus imposantes, comme le piédestal d’où le grand-prêtre pouvait dominer la foule environnante et lui faire connaître sa volonté puissante. Ce monument a de belles proportions; puis, pour ajouter à sa grandeur, on y arrive par une avenue de pierres verticales qui lui servent de porche, ou, si l’on veut, de pérystile. Ce temple est bien grossier, bien informe; mais il est consacré par le souvenir de nos premiers pères, consacré par tous les siècles qui ont passé sur sa face mousseuse.
Ensuite, sur la route de la Ville-Dieu à Soudan, l’on doit visiter un autre monument qui, fatigué par la main des hommes ou par celle du temps, repose sur ses débris. Quelques-uns de ses soutiens sont debout, les autres sont renversés et gîsent sous la pierre supérieure qui semble les écraser de son poids énorme. Ce dolmen, connu sous le nom de Pierre-Chèvre, est dans une vigne et sur un petit tertre: il a 4 mètres de longueur sur 2 mètres 60 centimètres de largeur. Ces monumens ont été pris tout près de là, dans des escarpemens de roches, sur les bords de la rivière. La Pierre-Levée et la Pierre-Chèvre ne sont pas les seuls monumens celtiques de la contrée: le bois de la Ville-Dieu en renferme qui sont vraiment dignes d’attention. D’abord, c’est un bloc assez vaste qui, d’un côté, s’appuie sur la terre, et de l’autre s’élève sur deux petits supports; puis c’est une autre pierre qui repose près d’elle, et pour ainsi dire à ses pieds. La première, porte l’empreinte évidente du travail des hommes; elle a, du côté du levant, une échancrure en forme de fer à cheval. Pour arriver aux deux pierres que je viens d’indiquer, il y avait une petite allée tournante formée par des pierres debout. Ainsi, par les monumens de la Ville-Dieu, par le dolmen qui s’élève sur les bords du Thoué, et par l’un de ceux que l’on rencontre sur la route de Saint-Jouin à Thouars, tout près de la butte Montcoué, il est facile de voir que l’existence des voies sacrées est incontestable. Si les avenues, qui conduisaient aux autels druidiques, n’existent presque nulle part, c’est qu’elles étaient formées par des pierres d’une médiocre dimension. La culture les a renversées, détruites presque partout; cependant les dolmens qui se sont trouvés dans des lieux incultes et dans les bois, ont pu les conserver d’une manière assez complète. Le dolmen de la Ville-Dieu, placé tout près d’un long tumulus qui forme, à l’ombre des chênes, une espèce de carré assez peu élevé, mais long, était, sans doute, un autel funèbre; ses lignes ont été brisées par des fouilles qui ont fourni beaucoup de belles pierres. Les Gaulois rendaient, il n’en faut pas douter, de grands honneurs aux morts, puisqu’on trouve presque toujours des autels et des menhirs auprès de leurs monumens funéraires; ils les élevaient pour indiquer aux passans que là reposaient des cendres regrettées; ils les élevaient pour venir eux-mêmes y faire des cérémonies et des libations.
Maintenant il faut parler de Bougon, de cette mine féconde qui renferme les monumens les plus remarquables. A l’extrémité de l’une des tombelles dont je vais bientôt parler, se trouve un beau monument composé de trois pierres debout et d’une pierre horizontale. Ce dolmen fut un autel en même temps qu’un tombeau; jadis, on y a fait des fouilles, et les antiquaires des temps passés ont trouvé, dit-on, un vase, des charbons et des cendres. Après avoir laissé, pour un moment, les tumulus de Bougon, il faut traverser le village et donner quelques regards à une pauvre chapelle dont les voûtes sont enfoncées, mais dont la porte romane se distingue par des moulures brisées, des billettes, des étoiles et des pommes de pin. Le petit clocher est tout-à-fait pittoresque.
Non loin de lui, tout près d’un moulin à vent, l’on rencontre deux dolmens: l’un d’eux est encombré de pierres; il y en a dessus, dessous et à l’entrée, sa table est brisée; l’un des fragmens repose à terre.
A quelques pas de là, dans un épais buisson, il reste à visiter un autre dolmen qui semble vouloir se dérober aux regards: depuis quelques années il avait presque entièrement disparu sous les épines et les rocailles; pour le découvrir, il a fallu consulter de vieilles traditions. Un peu plus loin, dans une plaine assez vaste, mais toujours dans la commune de Bougon, les Gaulois ont érigé, jadis, un autel composé d’une pierre horizontale, soutenue par trois piliers verticaux qui pénètrent profondément dans le sol. Il y a quelques années, on a fait sous cette pierre antique, dont l’ouverture est à l’est ainsi que l’inclinaison, des fouilles qui n’ont rien produit. Cependant elles ont fait connaître que les supports pouvaient s’enfoncer en terre d’environ 1 mètre 30 centimètres. Après avoir porté des regards d’intérêt sur cet élégant dolmen, il faut entrer dans des vignes, où repose une pierre problématique. Fut-elle placée là par la main des Celtes? J’en doute; il est plus croyable qu’elle est l’œuvre du hasard et du temps.
Quand on arrive à Exoudun par la plaine, en venant de Bougon, on rencontre, à gauche, à l’entrée du village, un monument en ruine; la pierre qui le recouvrait a perdu ses supports; elle semble avoir glissé, car elle gît aux pieds de l’un de ses appuis restés debout. Le dolmen d’Exoudun a 4 mètres 40 centimètres de long sur 4 mètres de large.
Malgré la longue énumération que je viens de faire, la série des monumens celtiques n’est pas encore épuisée: pour la terminer, il faut citer la pierre d’Avon et le demi-dolmen situé dans une plaine, un peu au-delà de Brieuil, dans les environs d’un moulin à vent, et tout près du chemin qui conduit à Chenay. Ce dolmen incliné, dont la longueur est de 2 mètres 80 centimètres, se soulève, au midi, de 80 centimètres, et se compose de trois pierres verticales et d’une autre qui s’appuie sur elles. D’après les renseignemens fournis par les auteurs de l’antiquité, le demi-dolmen de Brieuil fut, sans doute, arrosé par des flots de sang; c’est du haut des autels inclinés que les Gaulois frappaient leurs victimes.
Quelle fut la destination des monumens celtiques que nous venons d’examiner, leur usage le plus spécial? D’après les recherches de plusieurs antiquaires, quelques-uns ont reçu la dépouille mortelle d’illustres guerriers; presque tous ont servi d’autels, et le sang des victimes les inonda souvent. Des fouilles ont été faites sous les dolmens; qu’ont-elles produit en France, en Angleterre? Quelquefois rien; mais quelquefois aussi des haches de silex, des flèches et des ossemens humains. D’ailleurs, les motifs et les circonstances qui firent élever les monumens de ce genre, durent souvent changer, comme semblent le prouver les formes différentes que l’on observe dans leurs constructions. En effet, en examinant de nouveau, par la pensée, les monumens que l’on peut visiter de Saint-Maixent à Brieuil, on verra qu’ils se distinguent tous par quelque différence. La table des uns est horizontale, celle des autres est inclinée; sur la surface de l’un on voit un cercle, une rigole; sur la surface de l’autre les inégalités causées par le temps; l’un est supporté par plusieurs piliers, l’autre repose sur la terre. Tout prouve que ces diverses pierres furent érigées pour des causes différentes, et virent s’accomplir des cérémonies qui durent souvent varier et changer. Ce qu’il y a de certain, c’est que les dolmens servaient, dans la Gaule, à l’accomplissement des cérémonies sacrées. C’est sur leurs tables agrestes que les druides consultaient les victimes qu’ils venaient d’immoler; c’est de là qu’ils parlaient au peuple pour le frapper et l’émouvoir. Presque tous ces monumens que nous voyons aujourd’hui en plein air, aux rayons du soleil, étaient autrefois placés à l’ombre des chênes, dans l’immense forêt qui portait le nom de Vauclair: c’est là qu’ils entendirent la grande voix des cérémonies religieuses; c’est là qu’ils virent de nombreuses assemblées; maintenant ils sont seuls.
L’érection de plusieurs dolmens remonte aux temps les plus éloignés; car les premiers autels, élevés à la divinité, furent presque partout des pierres sans travail et sans art. Il est dit dans l’Exode: «Si vous élevez un autel,
«vous ne le bâtirez point de pierres taillées, ou, si vous employez le ciseau,
«il sera souillé.» 1500 ans avant Jésus-Christ, Moïse recommandait aux Hébreux: «Lorsque vous passerez le Jourdain, vous érigerez de grandes
«pierres, vous les élèverez sur le mont Hebel et vous les enduirez de chaux;
«vous dresserez là au Seigneur, votre Dieu, un autel de pierres que le fer
«n’ait point touchées; qu’elles soient brutes et non polies; et vous offrirez
«des victimes à Dieu.» Cette loi fut religieusement suivie par Josué :
il chercha des rocs informes qu’il dressa sans les tailler. Les faits que nous venons de rappeler attestent, de la manière la plus authentique, que les peuples anciens dédaignaient les pierres façonnées; il fallait un rocher sauvage pour obtenir leur préférence et leur choix.
Longtemps les pierres grossières obtinrent aussi, parmi les Grecs, un culte sacré : au temps même des Colonis, des Phydias, au temps où les dieux de la Grèce étaient représentés par des chefs-d’œuvre, les hommes de la campagne, toujours plus crédules, portaient leurs prières et leurs hommages à des blocs informes. Aussi, quand le Christianisme vint inspirer au monde des croyances plus pures, la religion des pierres fut un obstacle immense; toujours les hommes voulaient, par habitude, retourner à elles pour les couvrir d’huile, pour les couronner de fleurs. Devenus chrétiens, ils y portaient des cierges pour continuer leurs vieilles croyances. Aussi, les prélats, assemblés en concile, s’en occupèrent souvent; en 452, ce fut, à la deuxième réunion d’Arles, l’objet de graves inquiétudes et d’un décret. Deux siècles après la lutte était grande encore: les peuples tenaient à leurs anciens souvenirs, et ils se rendaient, comme leurs pères, à des blocs séculaires pour leur porter leurs vœux et leurs offrandes. Le deuxième canon du concile de Nantes, tenu en 658, prouve surtout, d’une manière évidente, que les habitans de nos contrées ne pouvaient renoncer aux habitudes qui leur avaient été longtemps si chères. Il y est dit: «Les ministres et les évêques doivent employer tous leurs soins
«à faire extirper et consumer par le feu ces arbres consacrés au démon, à
«qui le peuple rend des hommages superstitieux, et pour lesquels il a
«tant de vénération, qu’il n’oserait en couper une branche ou un seul
«rejeton. Il y a aussi, dans des lieux abandonnés et couverts, certaines
«pierres à qui le menu peuple, trompé par les mauvais esprits, rend ses
«adorations, apporte ses vœux et ses présens: il faut les enlever toutes,
«jusqu’à leurs bases qui sont enfoncées en terre, et les jeter dans des
«endroits où les adorateurs ne puissent plus jamais les retrouver.» Deux capitulaires de Charlemagne, l’un de 789 et l’autre de 794, défendent également aux peuples d’adorer les arbres et les pierres. Dans l’un d’eux il est dit: «A l’égard des arbres, des pierres et des fontaines, où quelques
«insensés vont allumer des flambeaux et pratiquer d’autres superstitions,
«nous ordonnons que cet abus si criminel et si exécrable aux yeux de
«Dieu, soit aboli et détruit partout où il se trouvera établi.»
Néanmoins ce culte s’est conservé jusqu’à nos jours, malgré l’influence des siècles, malgré les lumières réunies par des luttes diverses; en effet, comme je l’ai déjà dit, chaque année de nombreux pélerins vont s’agenouiller au rocher connu sous le nom de Pas-de-la-Vierge. A la révolution, les vieilles femmes d’Amuré portaient leurs offrandes aux deux pierres qu’on y voit. Les cérémonies druidiques se sont également continuées longtemps dans les environs de Saint-Maixent. Au seizième siècle, les habitans de cette petite ville pratiquaient encore les plus antiques cérémonies: c’est ainsi que, la veille du mois de janvier 1579, «il y eut, dit Guillaume
«Leriche, grande congratulation au peuple plus qu’au dernier, au guy
«l’an neuf, pour un peu de pain qu’il y avait.» L’année suivante, on se lassa, sans doute, des abus commis au nom des cérémonies de la Gaule; il fut défendu de chanter et d’aller aux portes demander des étrennes, en criant: Au guy l’an neuf Le 1er janvier 1583, dit encore Leriche dans ses mémoires restés manuscrits: «D’après la défense de courir, la nuit, «pour aller demander l’au guy l’an neuf, il n’y a eu ni querelles ni «noises parmi les enfans de cette ville.»
Le culte des fontaines, ce vieux souvenir de la Gaule, exista, aussi lui, pendant plusieurs siècles, ou plutôt il existe encore, comme on peut s’en convaincre en songeant aux pélerinages qui s’accomplissent, chaque année, dans l’Ile de Magné, à la chapelle de Sainte-Macrine, près Niort. La religion des druides s’est conservée parmi nous avec une facilité d’autant plus grande, qu’elle y avait un grand nombre de monumens. Indépendamment de ceux que nous avons passés en revue, il en existait plusieurs autres dans le département des Deux-Sèvres, comme l’indiquent, d’une manière évidente, les noms de plusieurs localités. Parmi les dénominations qui rappellent les plus anciennes constructions, on peut citer celles de Pierre-Fitte, de Pierre-Mauvaise et de Pierre-Levée. Il est certain que les Gaulois avaient érigé quelque monument dans ce dernier endroit, puisqu’on y a rencontré assez souvent des haches de silex. Il y avait également quelques pierres sacrées dans les environs d’Ardin; car on a trouvé, dans cette localité, douze ou quinze haches: elles étaient en bronze, par conséquent beaucoup moins anciennes que celles en caillou.
Maintenant je reviens à Soudan, pour visiter un cimetière gaulois, nommé Carneillou par les antiquaires; il était formé par des pierres brutes, posées sur la surface du sol. Le champ funéraire de Soudan n’existe plus; les pierres ont été presque toutes détruites; cependant le souvenir en restera longtemps encore, car ce lieu conserve une désignation qui rappelle un peu sa première destination; il est connu, dans le pays, sous le nom de Cimetière du Diable. Les monumens de ce genre sont loin de remonter à une époque aussi éloignée que les buttes de terre factices connues sous le nom de tumulus: ils ont immédiatement précédé les tombeaux de l’époque gallo-romaine; c’est pourquoi l’on a trouvé quelquefois sous ces blocs des objets très précieux.
INTERIEUR DU TUMULUS DE BOUGON,
Vue prise de l’angles.
Il faut revenir encore aux tumulus, à ces monticules factices élevés pour conserver la mémoire des morts. Les monumens de ce genre se trouvent en général dans les contrées sauvages, dans les terres que le soc de la charrue n’a jamais visitées; cependant quelques-uns par leurs masses imposantes ont pu se dérober à toutes les menaces, à toutes les ruines. C’est ainsi que les tombelles de Bougon, près la Mothe-Saint-Héray, arrondissement de Melle, sont restées debout; combien il eût fallu de pénibles travaux pour les renverser et les détruire! Les monticules dans lesquels on a fait des fouilles sont situés au nord-est de Bougon; ils sont au nombre de trois. Le premier est une petite butte allongée dans laquelle on n’a rien trouvé. Le deuxième tumulus, dont la hauteur est de 6 mètres, et la circonférence d’environ 200 mètres, gît à l’ombre des rameaux d’un groupe de chênes séculaires; à ses pieds, du côté du nord-ouest, s’enfonce une petite vallée creusée probablement par les hommes dont la puissance érigea ces monumens funèbres. Près de là, se trouvent, à fleur de terre, les débris d’une allée formée par des pierres alignées: ce sont, je pense, les restes de l’avenue qui conduisait aux tombeaux; c’est, peut-être aussi, la voie sacrée parcourue par les grands-prêtres, qui venaient accomplir des cérémonies, et faire des libations en l’honneur des morts.
Le troisième tumulus, celui qui renfermait des choses si précieuses, s’élève à quelques pas de là ; il est haut de 5 mètres 40 centimètres, et sa circonférence est seulement de 150 mètres; l’amoncelement qui le forme, est beaucoup moins considérable du côté du midi que du côté du nord. Depuis quelque temps il attirait toute notre attention: aussi, de concert avec M. Baugier, je résolus de tenter la fortune et d’essayer des fouilles. Le deuxième jour, après les lentes alternatives de l’espoir et de la crainte, les ouvriers percèrent une couche de moellons amoncelés, dans laquelle nous aperçûmes une pierre énorme, longue, épaisse. Tout-à-coup la terre s’éboule; on cherche, on creuse encore; l’ouverture est prête, on s’y glisse. Partout des os, des cadavres et des vases; les uns brisés, les autres intacts; là, des piliers debout, des piliers renversés, des murailles en pierres sèches, dont quelques-unes sont écroulées, ruinées par les pluies et le temps; sous les pieds, de la terre humaine, sur la tête, un bloc énorme. Quelle construction gigantesque! que de siècles sont passés sur elle!
Enfin, revenus de notre surprise, j’examinai ce curieux tombeau qui ressemble à une grotte; il est formé par plusieurs pierres debout, deux à l’est, deux au nord, deux à l’ouest, deux au midi; et deux autres, placées vers le milieu de la caverne, la divisent en deux parties. Quelques-uns de ses supports, tous séparés par des pierres sèches, ont beaucoup souffert; autrefois on arrivait à la porte de la grotte par une allée formée par des pierres debout et des pierres horizontales. Cette grotte, qui a 7 mètres 48 centimètres de l’est à l’ouest, et 5 mètres 40 centimètres du nord au sud, est couverte par une pierre unique, de calcaire siliceux, dont l’épaisseur est de 90 centimètres. La hauteur intérieure est de 2 mètres 25 centimètres. Ce qu’il faut remarquer encore, avant de passer à l’examen des objets qu’elle renfermait, ce sont quelques lignes tracées sur l’un des piliers qui soutiennent la grotte et la séparent en deux. Ces dessins, placés dans le compartiment de droite, au haut de la pierre qui touche à la voûte, représentent peut-être une figure allégorique; mais comment débrouiller cette page si vieille, tracée par les druides, qui seuls la connaissaient, et qui enveloppaient toujours d’un silence profond leur savoir et leurs sciences.
Cette tombe sauvage, où la mort avait amoncelé tant de victimes, fut autrefois le somptueux charnier que les chefs d’une puissante peuplade élevèrent, pour servir d’asile et de repos à tous les cadavres que nous avons rencontrés sur une couche épaisse de terre grasse et noire, formée par les premiers morts déposés dans l’antique sépulcre. Cette terre humaine remonte à la plus haute antiquité ; il a fallu, pour la former réunir bien dès hommes; aussi, l’on peut dire qu’elle représente les sociétés humaines les plus éloignées de l’époque où nous vivons. Les squelettes d’hommes, qui reposaient sur elle, étaient placés tout autour de la grotte, la tête appuyée le long de ses parois. Après un examen attentif, nous avons vu que les cadavres reposaient sur des dalles de pierre, et que les jambes avaient été repliées sur le corps; les os des pieds et des mains étaient mêlés, confondus ensemble, Presque toutes les mâchoires ont des dents cariées; ainsi, les premiers habitans des Gaules avaient, comme nous, à supporter d’incroyables douleurs. Un fragment de crâne offre une assez large blessure, dont les bords sont parfaitement cicatrisés; quand on songe aux désordres qui durent en résulter, il est facile de voir que la chirurgie des temps les plus reculés n’était pas impuissante, et qu’elle avait des moyens efficaces pour détruire les inflammations du cerveau, pour réparer les fractures les plus graves.
Un habile médecin, avec la sagacité et l’érudition qui le distinguent, a comparé tous les os; il à établi les rapports qui existent entre eux et le squelette entier. Pour arriver à ce but, il a mesuré tous les fémurs, tibia, péronés, humérus, cubitus et radius trouvés dans le sépulcre de Bougon, d’où il résulte que les Celtes de nos contrées avaient, terme moyen, 5 pieds 2 pouces. Ainsi se trouvent détruites, quant à notre pays, les suppositions par lesquelles, on voulait prouver que les hommes avaient autrefois une taille gigantesque.
Sur les têtes du pays de Bougon, dit M. Sauzé, le nez a toujours de belles proportions, les pommettes sont peu saillantes, et les dents sont implantées perpendiculairement sur les mâchoires; d’après la manière dont les incisives sont placées, il est visible que le menton était plus rentrant que saillant. Le cervelet était très petit; les lobes postérieurs et moyens du cerveau étaient bien développés; ces derniers présentent toujours un renflement considérable à la partie latérale inférieure. Ce sont, surtout, les lobes antérieurs qui fournissent le caractère le mieux dessiné ; le front n’est pas fuyant, surbaissé ; il est assez élevé, au contraire, mais il est rétréci latéralement et très étroit.
Parmi les fragmens humains se sont trouvés les os d’un enfant, et près de lui, ceux d’un chien, son ami, le compagnon de ses jeux, de ses premiers plaisirs; car les Celtes avaient pour habitude d’inhumer avec eux les objets qu’ils avaient aimés, tous les animaux qui leur avaient été chers. Cette coutume provenait des croyances inspirées par leurs prêtres, qui regardaient seulement la mort comme un passage; en sortant de ce monde, ils croyaient partir pour une autre patrie, dans laquelle ils devaient retrouver leurs forêts antiques, leurs fontaines sacrées; aussi voulaient-ils emporter, au jour du grand départ, des chiens de chasse, des vases, des instrumens, des armes, des chevaux de bataille. Le dogme d’un autre monde était si profondément empreint dans les idées celtiques, que, plus d’une fois, les hommes de la Gaule se prêtèrent de l’argent, avec la seule condition de le remettre dans cet autre monde qu’ils allaient habiter.
Les vases que l’on avait placés ça et là, tout près des cadavres, dont l’un gisait, à l’entrée de la grotte, sur une grosse pierre, sont tous de forme très variée. Il y en a quatre parfaitement conservés; l’un d’eux ressemble à une petite gamelle de 10 centimètres de hauteur sur 15 de largeur; il est, à l’intérieur, légèrement coloré de rouge; la pâte en est très noire, et l’on voit, à sa surface, deux petites cavités laissées par l’empreinte des doigts. Un autre pot, de même forme et de même grandeur, est couvert, sur toutes ses surfaces, d’une couleur de rouille, dont les tons sont assez vigoureux. Ce vase, qui est, d’un côté, légèrement ébréché, est composé d’une terre qui semble moins grossière; aussi la cuisson en est plus achevée. Le plus beau de tous est le numéro 6, qui ressemble à une large gourde, dont on aurait coupé la portion supérieure; dans sa partie sphérique, ses flancs se soulèvent beaucoup plus, pour s’abaisser ensuite simultanément du côté de la base et de l’orifice. Le numéro 4? dont l’ouverture est très prononcée, va toujours en diminuant du côté de la partie inférieure; dans le haut il est entouré de deux lignes, tracées sans doute par la pointe de quelque instrument en os. Le numéro 3 se distingue par des formes plus élégantes dans les contours; le bourrelet, qui lui reste, est percé d’un trou horizontal, ce qui fait supposer qu’il fût suspendu, et servît à contenir des parfums. Le Musée de Niort renferme, en outre, un vase très élevé, qui va toujours en s’élargissant du côté de l’orifice; il a 25 centimètres de hauteur sur 19 de largeur: c’est le numéro 2.
Le curieux gobelet, numéro 1er, qui fut, je le pense, plongé bien des fois dans les fontaines de la Sèvre, n’est pas plus large en haut qu’en bas; son diamètre est de 9 centimètres, sa hauteur de 11; au lieu d’anse, il a deux cavités pour y placer les doigts, afin d’empêcher à la coupe, qui servit peut-être aux libations funèbres, de glisser et de tomber. Parmi les fragmens il faut remarquer celui qui ressemble à nos pots à fleur. Depuis sa base jusqu’à son orifice, il va toujours en s’élargissant; sa hauteur est de 15 centimètres, et son diamètre le plus grand a la même dimension; il a, de l’un et de l’autre côté, une proéminence qui semble annoncer le commencement des anses. Un autre vase rappelle par sa forme l’enfance de l’art; ses flancs sont peu prononcés; il est tout de côté, chargé d’une épaisse couche de chaux, et sur ses bords s’élèvent des stalactites: s’il avait des anses, il ressemblerait à ces pots domestiques, dans lesquels on fait chauffer l’eau ou cuire les légumes; il a 15 centimètres de largeur sur 17 de hauteur. Parmi les débris de quelques vases, il ne reste que des fragmens qui sont couverts de petites bandes, et qui forment des intervalles remplis par des points. La poterie parée de quelques ornemens était la plus précieuse, et, en général, fort petite; elle servait à recevoir des aromates, des parfums, de la verveine odorante, qui jouaient un rôle dans les cérémonies celtiques.
POTERIE du TUMULUS de BOUGON.
ARMES, USTENSILES, INSTRUMENTS ET ORNEMENS,
trouvés dans le Cumulus de Bougou.
Près du collet de deux autres débris, on voit un bourrelet, percé de haut en bas d’un petit trou circulaire, par où l’on devait passer une corde ou tout autre lien, qui servait à le suspendre. Il ne faut pas oublier, non plus, un petit fragment qui ressemble aux restes d’une assiette, et dont les bords se distinguent par des moulures et des points: la terre de tous ces vases a été recueillie et préparée sans soins; aussi de petits cailloux se montrent à tout instant dans les cassures, qui sont si peu cuites qu’elles retournent en poussière après un léger frottement. Aucun de ces vases n’a subi les apprêts du tour qu’on ne connaissait point encore; ils ont été faits à la main, et unis par des instrumens grossiers; aussi les facettes sont loin d’être toujours bien lisses.
Après cette précieuse poterie, le tumulus de Bougon renfermait deux haches en silex (numéros 11 et 12). Pour s’en former une idée exacte, il faut songer à un coin qui finit, d’un côté, par une pointe arrondie, et de l’autre par un tranchant en forme de courbe. Leur fini n’a rien de remarquable; ni l’une ni l’autre n’a reçu les derniers soins de ces mains patientes qui donnaient à ces pierres des contours si polis; on y voit même plusieurs inégalités et la place des fortes écailles enlevées par les coups du marteau. Les haches de la Gaule ressemblent parfaitement aux casse-têtes de l’Amérique: aussi ce sont eux qui, les premiers, ont fait penser aux antiquaires que des cailloux, tranchans par un bout et pointus par l’autre, avaient servi dans les premiers combats livrés sur la terre des Gaules. Dans ces temps primitifs, les instrumens étaient si peu variés, que l’on peut supposer facilement que les haches de silex furent employées non seulement dans un jour de bataille, mais encore dans toutes les occasions où l’on avait besoin de couper ou de trancher.
Parmi les objets rencontrés dans nos fouilles, il faut citer l’instrument, numéro 13: d’un côté, il s’aplatit en forme de hache, et de l’autre il s’arrondit absolument comme un marteau d’aujourd’hui; dans la partie supérieure, il est percé d’un trou par où passait le manche, à l’aide duquel on pouvait s’en servir. La perfection de cet instrument, son élégance, si je puis me servir de cette expression, le tranchant qui se trouve à l’une de ses extrémités, l’espèce de masse que l’on aperçoit à l’autre, me font croire qu’il fût autrefois un instrument sacré. La massue servait à frapper les victimes, le tranchant à diviser ses restes: alors on devrait croire que, dans la tombelle de Bougon, reposait un grand-prêtre qui conservait avec lui le marteau sacré, à l’aide duquel il devait, dans une autre vie, immoler de nouvelles victimes, Les haches de Bougon avaient, à n’en pas douter, leurs manches; sans cela, elles n’auraient pu être utiles à cette vie nouvelle dans laquelle les Celtes étaient censés les reprendre. Si les tumulus, si les dolmens, où l’on a découvert des instrumens de ce genre, ne renferment jamais de manches, c’est qu’ils ont été détruits par le temps.
Parmi les richesses découvertes à Bougon, il faut remarquer des instrumens en os, terminés en pointe; l’extrémité opposée est arrondie pour appuyer dans la paume de la main, sans la blesser (numéros 8 et 9); les autres sont aussi ronds à l’une de leurs extrémités, de l’autre ils sont aplatis et tranchans (numéro 10): ils sont au nombre de 12 ou 13. Un autre instrument, également en os et long de près de 33 centimètres, est très mince et très grêle. Il faut citer encore une dent d’ours, percée d’un trou à sa naissance, et qui servit, sans doute, de pendant d’oreille; plusieurs dents de sanglier qui prouvent, peut-être, que des chasseurs furent enterrés dans la tombe que nous examinons. Avant de passer aux instrumens de silex, il faut mentionner aussi deux grains en nacre, et un os inconnu percé d’un petit trou circulaire.
Dans le nombre des instrumens de silex, trouvés à Bougon, l’un d’eux ressemble à une scie (voir le numéro 4): ses deux tranchans sont garnis de petites dents; les autres (numéros 1 et 2) sont des couteaux unis et plats d’un côté ; la pointe est émoussée, mais les tranchans sont très aigus; leur forme est elliptique, et, sur leurs revers garnis chacun d’une nervure, sont deux plans inclinés. Après ces couteaux, il existe plusieurs petits fragmens de silex qui furent tous employés par les Celtes, mais dont il est impossible d’indiquer l’usage particulier; leurs formes sont très diverses: les uns sont triangulaires, les autres allongés; tous sont tranchans (numéros 3, 5, 6 et 7).
Il faut distinguer ensuite un collier, composé de plusieurs coquilles apportées sur les rives de la Gaule par les flots de l’Océan. Ce collier prouve que, pour paraître dignement dans l’autre monde, il fallait apporter avec soi non seulement des vases et des armes, mais encore des parures. Il faut remarquer aussi que les coquilles du collier n’ont point été percées par un instrument; les trous ont été faits par le frottement, ce qui atteste l’époque éloignée à laquelle il remonte (numéro 15). Le tumulus de Bougon renfermait un autre collier (numéro 16), dont les grains sont formés par des anneaux d’une poterie très molle; ils sont au nombre de 10 ou 12.
Rien ne manquait aux Celtes ensevelis dans la tombelle de Bougon, puisqu’on y a trouvé l’oursin fossile, cet œuf si célèbre, nommé par les Romains Anguinum. La rencontre de cet amulette prouve, d’une manière évidente, que les anciens habitans de la Gaule croyaient continuer dans l’autre monde les contestations commencées dans celui-ci, puisqu’ils emportaient le puissant protecteur qui, selon leurs croyances, faisait gagner les procès de celui qui pouvait le porter avec lui.
Ainsi, dans la grotte funèbre, reposaient ensemble, sur un pavé formé de plusieurs dalles assez bien unies et posées à la surface du sol environnant, de la terre humaine, des cadavres, des instrumens de pierre, des vases de forme différente, des couteaux de silex, des parures en terre, et en coquillages; pas une médaille, pas le plus petit fragment de bronze ou de fer. Tout prouve que cette construction sépulcrale remonte aux temps les plus anciens. Si de là nous arrivons aux jours des incursions, au temps où les Gaulois, armés de fortes épées, parcouraient le monde, que d’années! que de siècles ont dû passer et passer! Il est donc évident que l’époque, où fut élevé le monticule de Bougon, est si enfoncée dans la nuit des temps, qu’il est impossible de la fixer.
La découverte de ce tumulus est d’autant plus importante, qu’elle fait connaître non seulement les arts, les instrumens de toute une époque, mais encore une nombreuse peuplade et le profond respect qu’elle portait à la cendre des morts. Il est donc certain maintenant que le pays de Bougon fût, jadis, occupé par une nation puissante; il est certain que ceux qui la composaient, croyaient à une autre vie. L’on peut dire ensuite: «L’état non
«civilisé de ces hommes ne les sauvait point de cruelles souffrances fleur
«taille n’était pas plus élevée que la nôtre; ils avaient des vases grossiers,
«des haches de cailloux, mais d’habiles médecins pour guérir leurs
«blessures; ils possédaient assez de force, de patience ou d’adresse, pour
«élever une masse gigantesque comme la pierre qui forme la voûte de leur
«tombeau.» Si par la pensée on se reporte aux jours de la construction, si l’on voit toute une nation traînant, élevant ces pierres énormes avec d’incroyables efforts, une invincible persévérance; si l’on se représente les druides visitant ces monumens, ces buttes, ces cavernes; si l’on songe que ces lieux étaient, jadis, placés dans l’immensité des bois, à l’ombre des vieux chênes, dont les vastes rameaux se balançaient dans les airs et dominaient ces champs funèbres; si l’on pense que les premiers habitans de nos contrées venaient y déposer leurs compagnons détruits, et leur porter avec un soin religieux des vases, des instrumens, des parfums, la hache des sacrifices, un chien fidèle, on éprouve, malgré soi, de vives émotions.
Il existe, en outre, beaucoup d’autres tumulus dans les environs de Bougon, de la Mothe et de la Ville-Dieu; il y a aussi dans d’autres parties du département quelques monticules qui sont peut-être des tombeaux celtiques.