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Charles Barbara
L'Assassinat du Pont-rouge
Chapitre 6. Son portrait en pied
ОглавлениеIl prit en cet endroit un ton plus décidé.
« Tu es convaincu, toi, fit-il, que nous naissons avec le sentiment du bien et du mal, qu'il est un Dieu, une Providence ; tu es la proie, en un mot, de toutes ces inepties hyperphysiques à l'aide desquelles on exploite les niais. Que ne puis-je t'arracher de désastreuses illusions et te soustraire du nombre des dupes ! Regarde-moi ! c'est ma jouissance et mon orgueil : outre que je suis une négation vivante, agissante et prospère de ces croyances et de ces préjugés, fut-il jamais exemple plus éclatant du triomphe de l'ignominie habile sur ce qu'on appelle honnêteté, droiture, vertu ?… »
Il s'arrêta d'un air interrogeant, et continua bientôt avec une animation croissante :
« Tu m'as dit quelquefois que j'étais meilleur que je ne me faisais. C'est me connaître mal. Je ne suis pas un fanfaron de vices, non, certes ; aussi peux-tu me croire quand j'affirme que, si mauvaise que soit ma réputation, je vaux encore mille fois moins qu'elle. En passant la revue de tous ces actes qualifiés crimes par les hommes, je serais en peine d'en trouver un que je n'ai pas commis. Mon orgueil et mon égoïsme sont sans bornes ; je sacrifierais, à l'occasion, le monde entier à la moindre de mes fantaisies. J'ai été beaucoup aimé, et je n'ai jamais aimé personne. Pendant nombre d'années, je n'ai vécu que de dettes. J'en faisais d'autant plus volontiers que je ne pensais pas pouvoir les payer jamais. J'ai puisé sans scrupule dans la bourse de mes amis, et je ne puis pas dire que je me sois jamais employé efficacement pour aucun d'eux. J'ai fait plus : je les ai diffamés dès qu'ils ne pouvaient plus ou ne voulaient plus me rendre service. Enfin, non content d'exploiter, de duper sciemment tous les gens que j'ai trouvés sur mon chemin, je me suis complu dans les plus ignobles débauches, je me suis roulé complaisamment dans la fange. Je n'ai pas même reculé devant l'infamie de vivre aux dépens de plusieurs femmes… »
En cet instant, sous l'empire d'une exaltation à chaque instant plus vive, il se leva et arpenta son cabinet à grands pas.
« L'idée de Dieu, poursuivit-il, n'a pas une seule fois été émise devant moi, que je n'aie sur-le-champ proféré un blasphème : je l'ai maudit, défié ; ce Dieu ; j'eusse voulu croire à son existence, afin d'être convaincu qu'il entendait ces blasphèmes et ces provocations ; j'ai souhaité de revenir au temps où l'on vendait son âme… Regarde-moi ! »
Debout devant Max, les bras croisés sur la poitrine, le visage livide, les traits contractés, l'impudence sur le front, Clément faisait peur à voir. Il ajouta :
« Moi, pétri d'iniquités, gâté jusqu'à la moelle, chargé de souillures ; moi, dont chaque molécule est un vice ; moi, plus criminel que pas un de ceux qu'on livre aux bourreaux et qu'on jette dans les prisons, il m'a suffi de prendre un rôle ignoble, de simuler des sentiments que j'exècre, de consentir à être plus infâme que je n'étais, pour passer de la misère à l'aisance, pour conquérir la sécurité, pour être heureux !… »
Destroy exprimait des doutes en branlant la tête d'un air plein de tristesse.
« Je pourrai être soumis aux douleurs physiques, dit encore Clément ; quant aux douleurs morales, je n'en veux point avoir, et je n'en aurai point. Je serai heureux ! moi, le plus indigne des hommes au point de vue social, pendant que toi, pauvre Maximilien, aussi honnête que je le suis peu, tu vis et vivras misérable, déchiré de mille supplices, humilié, insulté et calomnié par des gens de mon espèce. »
Ce qui était contradictoire, il disait : Je serai heureux ! de la manière dont on dit : Ah ! que je souffre ! Max ne lui en fit pas moins remarquer que son bonheur d'aujourd'hui, fût-il réel et profond, ne lui permettait d'aucune façon de préjuger celui de l'avenir.
« Ce que je tiens, s'écria Clément, il n'est pas de puissance humaine qui puisse faire que je m'en dessaisisse. Quant aux idées qui prétendraient me troubler intérieurement, j'en connais trop bien la source artificielle pour manquer jamais de la force de les fouler aux pieds. Craindrais-je les hommes ? Rien n'est plus facile que de leur en imposer. Je mentirai effrontément en leur présence, je me montrerai à eux tel qu'ils veulent que je sois, et j'aurai leur considération.