Читать книгу Les peintres des fêtes galantes : Watteau, Lancret, Pater, Boucher - Charles Blanc - Страница 6
L’HISTOIRE DES PEINTRES.
ОглавлениеL’histoire de la peinture est inconnue, et pourtant quoi de plus charmant à raconter et à lire? Non-seulement l’existence des grands artistes est toute remplie de romans et de drames, mais elle se rattache encore par mille liens à tout ce qui nous émeut et nous captive le plus: la politique, l’amour, les actions héroïques, la physionomie des personnages fameux, les mœurs des divers peuples, leurs usages, leurs costumes. Peut-on écrire la vie de Gros, par exemple, sans rappeler les batailles de l’Empire; la vie de Léonard de Vinci, sans pénétrer à la cour de François Ier; la vie de Titien ou celle d’Albert Durer, sans faire revivre les grandes figures de Luther et de Charles-Quint? Il y a un moment où l’histoire de l’art, soulevant des tapisseries auxquelles on n’a pas encore touché, nous introduit par une porte secrète auprès de la grande histoire, et nous y fait rencontrer Holbein entre Anne de Boulen et Henri VIII, Vélasquez à côté de son ami Philippe IV, Rubens en compagnie de Marie de Médicis, et Philippe de Champagne dans les appartements de Richelieu.
Les livres d’art ont été jusqu’à ce jour des livres sans aucun charme, et par conséquent sans aucun art. Écrits pour la plupart d’un style sec et décoloré, ils ont résolu ce singulier problème de nous ennuyer en nous parlant de ce qui doit nous ravir, la beauté. Qu’est-ce donc que la peinture, si ce n’est le monde vu par son côté le plus charmant, par le côté qui intéresse l’esprit et plait aux regards? Considérée d’ailleurs en elle-même, l’HISTOIRE DES PEINTRES, si on la suit pas à pas dans chacune des personnalités qui la composent, depuis la Renaissance jusqu’à Prud’hon ou Léopold Robert, jusqu’à Reynolds ou Goya, et, si l’on veut, jusqu’à M. Ingres; cette histoire, disons-nous, a un attrait particulier, indépendant de l’affinité des tableaux avec les temps et les modèles, et cela parce que la plupart des peintres eurent une existence pleine d’intérêt, et furent comme les héros de toute sorte de romans, tantôt gracieux, tantôt pathétiques et terribles. Qu’on prenne au hasard la vie de Ribera, celles de Rembrandt, de Watteau, de Berghem: on y verra, soit un drame domestique aussi émouvant que les Martyres du peintre espagnol, soit le développement d’un caractère fantasque, rêveur et personnel, soit les mobiles émotions d’un poëte amoureux, soit un modèle de tranquille et riante philosophie. De sorte que, en dehors même de leurs sujets favoris, les peintres ont presque tous une vie intéressante, colorée, pleine d’accidents, comme cela doit naturellement arriver aux hommes faits pour sentir.
Écrire dans la langue française, la plus parlée aujourd’ hui de toutes les langues de l’Europe, l’Histoire des sept grandes écoles de peinture; réunir ainsi en un livre d’un format élégant et facile tant de documents ignorés, non traduits, épars dans les ouvrages hollandais, italiens, flamands, espagnols, anglais... n’est-ce pas rendre un service aux amateurs de tous les pays, saluer dans chaque nation ce qui l’honore, et faire admirer à chacune d’elles ce qui fait la gloire des autres?
Combien d’ouvrages coûteux, incomplets, écrits d’un style barbare, dénués de toute poésie, seront rendus inutiles par un livre qui en reproduira la substance, mais non la pesanteur, qui en rectifiera les errements, en relèvera les contradictions et les fautes, et en extraira pourtant ce qu’ils ont d’utile, à savoir: les faits incontestables, les indications précieuses, et enfin, parmi tant de jugements, ceux qui méritent d’être discutés ou conservés!
Une telle HISTOIRE DES PEINTRES s’adresse à tous les genres de lecteurs. Elle offre aux gens du monde un nouveau domaine de jouissances, un moyen d’enrichir leur conversation, de vérifier, pour ainsi dire, par l’histoire de l’art, ce qu’ils savent déjà de la littérature, des mœurs, de la géographie des nations et de leurs idées. Greuze sera la palette de Diderot; Wouwermans dira les habitudes des chasseurs; Van Dyck nous retracera les physionomies de l’Angleterre au temps du second Stuart; Raphaël nous livrera les clefs du Vatican, et saura nous initier aux secrets de la papauté, à la manière dont elle entendait s’emparer par les sens du gouvernement de l’univers. Lorsque les visiteurs seront groupés autour d’une table de salon, que pourra-t-on étaler devant leurs yeux, sous les clartés de la lampe, qui vaille l’HISTOIRE DES PEINTRES? Quel livre magnifiquement illustré, quel ouvrage de luxe pourra égaler le charme et l’importance de celui qui renfermera les œuvres les plus variées et les plus belles des grands maîtres, un album où Lawrence aura mis un de ses élégants portraits; Rembrandt, sa Ronde de nuit; Holbein, sa Danse des morts; Terburg, Netscber ou Metsu, quelque scène d’intérieur remplie de grâce, de mystère et de modestie; Joseph Vernet, une marine; Ruysdaël, un paysage; Van der Neer, un clair de lune; Greuze, une famille de frais enfants et de belles jeunes filles; Van Huysum, un bouquet de fleurs...? Et si l’on permet à l’écolier de parcourir d’une main prudente une aussi précieuse galerie, que de choses viendront se classer d’elles-mêmes dans son esprit! que d’instruction ne puisera-t-il pas dans cette Histoire de la peinture, qui n’est après tout que la peinture de l’Histoire! On conviendra facilement que tout l’esprit du monde dépensé à l’illustration de tel ou tel livre à la mode ne saurait être aussi profitable aux jeunes gens qu’un ouvrage où seront reliés, pour ainsi dire, les musées de Florence, de Dresde, d’Amsterdam, de Madrid, de l’Ermitage et du Louvre. Celui qui médite un voyage en Italie saura d’avance ce qu’il faut aller voir au Vatican; ce qui l’attend à Naples, dans la sacristie des Chartreux; à Milan, dans le musée de l’Ambrosienne; à Parme, sous la coupole de Saint-Jean.
Ainsi comprise, l’HISTOIRE DES PEINTRES sera pour les futurs voyageurs un itinéraire, et pour ceux qui ont déjà parcouru l’Europe un recueil abondant de souvenirs.
Quant aux artistes, ce livre est fait pour eux, avec l’amour de leurs ouvrages, à la gloire de leurs devanciers et d’eux-mêmes. Quand ils y auront lu le passé de leur art, si plein d’enseignements, de nobles exemples et de grandeur, ils nous auront peut-être quelque reconnaissance pour avoir ainsi popularisé le goût de la peinture, et leur avoir cherché et formé dans l’Europe entière une clientèle d’admirateurs.