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A M. PAUL DALLOZ

Avez-vous parfois éprouvé les accès d’une maladie qui hantait fort les honnêtes gens du XVIIIe siècle? Elle a ce caractère particulier: elle fait souffrir non pas celui qui en est atteint, mais ses voisins. Du reste, elle n’a pas de nom, elle est incurable, et elle n’a jamais fait mourir qui que ce soit, bien que M. de Lauraguais l’ait accusée d’intentions cruelles à son égard. Bonne et proprette petite personne de maladie, un peu sèche, un peu barbouillée de tabac à la rose, elle a disparu avec les derniers cadogans, en compagnie de Zéphyr, de Flore, de Pomone, de la Blonde Cèrès et de la Cruelle Atropos. Elle avait pour effet morbide de forcer les patients à réciter des vers latins.

Je n’en ai jamais dit de mal, je n’ai chargé aucun personnage de la tourner en ridicule, j’ignore pourquoi elle vient me harceler en ce moment. Mais il est bien vrai que je serai extrêmement chagriné jusqu’à ce que je vous aie dit ceci:

Quod si me lyricis vatibus inseres,

Sublimi feriam sidera vertice.

Cela était adressé à Mécène,–saluez–par Horace –je salue.–Le joli français de l’Ancien Régime l’eût traduit, en l’ornant de mille grâces flatteuses et de mille gentillesses à votre adresse. Notre dur français vulcanisé d’aujourd’hui me force à vous interpréter tout sèchement ces deux vers, en vous disant: Je vous dédie ce roman; si vous le trouvez bon, j’en serai heureux; si vous le trouvez excellent, j’en serai fier.

En tout cas, je vous le dédie d’un cœur affectueux, mon ami. Voilà bientôt vingt ans que nous avons, pour la première fois, causé de ces humaniores litteræ,–un léger retour de maladie–de ces belles œuvres qu’on projette et qui paraissent conçues pour porter notre nom aux quatre coins de la postérité.

Ce que je voulais dès lors, ce que je veux encore faire aujourd’hui, vous le savez. Vous m’avez encouragé, vous m’avez aidé, et je vous offre ce roman parce qu’il approche un peu plus près du type que j’ai rêvé.

Je crois que le roman historique est et restera l’œuvre caractéristique, la conquête du XIXe siècle. La chère poésie s’en est allée; elle a encore quelques prêtres, point de fidèles. Le roman a occupé tout le terrain de l’imagination, et surtout ce genre de roman qui, tout en caressant l’idéal, satisfait l’aspiration puissante de notre époque vers la science et l’érudition.

Curieux et anxieux comme il l’est, notre temps court à toutes les nouveautés que lui offrent le romantisme, le réalisme, le naturalisme. Divisée comme elle l’est aussi en deux parties, l’une qui suit la Révolution, l’autre qui réagit contre elle, notre société fait autant de succès aux romans religieux de Mme Craven qu’aux romans naturalistes de M. de Goncourt. Mais le XIXe siècle revient toujours au roman historique, à ces premières amours de sa belle et vigoureuse jeunesse.

Il n’a plus pour lui cet ardent enthousiasme des premières années de la passion, mais c’est l’œuvre favorite, celle qu’on n’abandonne jamais entièrement, qui vit toujours à côté de nous, auprès de laquelle l’on cherche à la fois les caresses de l’imagination et les pures jouissances de l’intelligence.

C’est à cette œuvre que j’ai voulu donner la grande part de ma vie, en sachant bien toutefois que c’est une œuvre longue à préparer, difficile à parfaire.

Car si le premier devoir d’un roman, c’est d’être un roman, c’est-à-dire une œuvre d’imagination, le premier devoir d’un travail historique c’est d’être l’histoire, c’est-à-dire une œuvre démérité. Et il semble que l’imagination et la vérité ne sont pas faites pour s’entendre.

Il faut donc commencer, de toute nécessité, par être beaucoup plus érudit que s’il s’agissait d’un ouvrage d’histoire pure,–et puisque les dédicaces sont faites pour donner aux pauvres auteurs l’occasion de chanter décemment leurs propres louanges, j’avouerai que j’ai fait l’Histoire de la Révolution du9Thermidor avec le travail qui m’avait servi à préparer mon roman de Thermidor.

Le travail du savant achevé, il faut trouver le drame, un drame assez flexible pour suivre les incidents dans la voie rigoureuse et étroite tracée par la chronique; assez inflexible toutefois pour dominer les personnages, les mettre en mouvement dans le sens voulu par les passions.

Subir toutes les gênes et paraître libre en toutes ses allures; instruire avec autant d’autorité et de sincérité qu’en un livre d’érudition, et pourtant entraîner le lecteur, qui cherche surtout le développement des caractères, la lectrice, qui s’attache au jeu de la passion; voilà la difficulté, mais voilà aussi le but.

Tous deux sont grands et l’un compense l’autre. Comment ne pas aspirer à cette puissance qui ne crée pas seulement l’homme comme dans le roman de caractère, mais qui encore ressuscite le passé! N’est-ce pas d’ailleurs le roman historique qui se rapproche le plus de ce type qui doit tourmenter tous les romanciers du XIXe siècle et qui sera le chef-d’œuvre de notre art moderne; je songe à ce roman typique qui saura unir l’analyse psychologique, produit des sociétés aristocratiques, au récit d’aventures, cher à la société démocratique.

J’ai bien entrevu tout cela; hélas! comme Moïse entrevoyait la Terre-Promise. Je sais que j’en suis loin encore. Pourtant il me semble, je le répète, que l’œuvre présente se rapproche un peu plus du type rêvé.

C’est pour cela que je vous le dédie: Si placeo, tuum est. Vous le voyez, j’ai tellement pratiqué le XVIIIe siècle que j’ai gagné sa maladie. J’ai voulu, en effet, le restituer dans la vérité, dans l’intensité de sa vie, de telle sorte que les lecteurs bienveillants pussent croire que j ai vécu en1792; de telle sorte que si un homme d’alors ressuscitait il pût affirmer à ces lecteurs bienveillants qu’ils ne se trompent pas.

CH. D’HÉRICAULT.

Mars1879.

Le premier amour de Lord Saint-Albans (en 1792)

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