Читать книгу Contes de fées tirés de Claude Perrault, de Mme D'Aulnoy et de Mme Leprince de Beaumont - Charles Perrault - Страница 13
RIQUET A LA HOUPPE.
ОглавлениеIl était une fois une reine qui accoucha d’un fils si laid et si mal fait, qu’on douta longtemps s’il avait forme humaine. Une fée, qui se trouva à sa naissance, assura qu’il aurait beaucoup d’esprit: elle ajouta même qu’il pourrait, en vertu du don qu’elle venait de lui faire, donner autant d’esprit qu’il en aurait à la personne qu’il aimerait le mieux.
Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui était bien affligée d’avoir mis au monde un si vilain marmot.
Il est vrai que cet enfant ne commença pas plutôt à parler qu’il dit mille choses, et qu’il avait dans toutes ses actions je ne sais quoi de si spirituel, qu’on en était charmé.
J’oubliais de dire qu’il vint au monde avec une petite houppe de cheveux sur la tête; ce qui fit qu’on le nomma Riquet à la Houppe: car Riquet était le nom de famille.
Au bout de sept ou huit ans, la reine d’un royaume voisin accoucha de deux filles.
La première qui vint au monde était plus belle que le jour: la reine en fut si aise qu’on appréhenda que la trop grande joie qu’elle en avait ne lui fît du mal.
La même fée qui avait assisté à la naissance du petit Riquet à la Houppe était présente; et, pour modérer la joie de la reine, elle lui déclara que cette petite princesse n’aurait point d’esprit, et qu’elle serait aussi stupide qu’elle était belle.
Cela mortifia beaucoup la reine; mais elle eut, quelques moments après, un bien plus grand chagrin: car la seconde fille dont elle accoucha se trouva extrêmement laide.
«Ne vous affligez pas tant, madame, lui dit la fée: votre fille sera récompensée d’ailleurs, elle aura tant d’esprit qu’on ne s’apercevra presque pas qu’il lui manque de la beauté.
— Dieu le veuille, répondit la reine; mais n’y aurait-il pas moyen de faire avoir un peu d’esprit à l’aînée qui est si belle?
— Je ne puis rien pour elle, madame, du côté de l’esprit, lui dit la fée, mais je puis tout du côté de la beauté, et, comme il n’y a rien que je ne veuille pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui lui plaira.»
A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crûrent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beauté de l’aînée et de l’esprit de la cadette.
Il est vrai que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissait à vue d’œil, et l’aînée devenait plus stupide de jour en jour: ou elle ne répondait rien à ce qu’on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite, qu’elle n’eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord de la cheminée sans en casser une, ni boire un verre d’eau sans en répandre la moitié sur ses habits.
Quoique la beauté soit un grand avantage dans une jeune personne, cependant la cadette l’emportait presque toujours sur son aînée dans toutes les compagnies.
D’abord on allait du côté de la plus belle, pour la voir et pour l’admirer; mais bientôt après on allait à celle qui avait le plus d’esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables; et on était étonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée n’avait plus personne auprès d’elle et que tout le monde s’était rangé autour de la cadette.
L’aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien; et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur.
La reine, toute sage qu’elle était, ne put s’empêcher de lui reprocher plusieurs fois sa bêtise: ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse.
Un jour qu’elle s’était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très-magnifiquement.
C’était le jeune prince Riquet à la Houppe, qui, étant devenu amoureux d’elle sur ses portraits qui couraient par tout le monde, avait quitté le royaume de son père pour avoir le plaisir de la voir et de lui parler.
Ravi de la rencontrer ainsi toute seule, il l’aborde avec tout le respect et la politesse imaginables. Ayant remarqué, après lui avoir fait tous les compliments ordinaires, qu’elle était fort mélancolique, il lui dit:
«Je ne comprends point, madame, comment une personne aussi belle que vous l’êtes peut être aussi triste que vous le paraissez; car, quoique je puisse me vanter d’avoir vu une infinité de belles personnes, je puis dire que je n’en ai jamais vu dont la beauté approche de la vôtre.
— Cela vous plaît à dire, monsieur, lui répondit la princesse; et elle en demeura là.
— La beauté, reprit Riquet à la Houppe, est un si grand avantage, qu’il doit tenir lieu de tout le reste; et, quand on le possède, je ne vois pas qu’il y ait rien qui puisse vous affliger beaucoup.
— J’aimerais mieux, dit la princesse, être aussi laide que vous et avoir de l’esprit, que d’avoir de la beauté comme j’en ai, et être bête autant que je le suis.
— Il n’y a rien, madame, qui marque davantage qu’on a de l’esprit que de croire n’en pas avoir; et il est de la nature de ce bien-là que plus on en a, plus on croit en manquer.
— Je ne sais pas cela, dit la princesse, mais je sais bien que je suis fort bête, et c’est de là que vient le chagrin qui me tue.
— Si ce n’est que cela, madame, qui vous afflige, je puis aisément mettre fin à votre douleur.
— Et comment ferez-vous? dit la princesse.
— J’ai le pouvoir, madame, dit Riquet à la Houppe, de donner de l’esprit autant qu’on en saurait avoir à la personne que je dois aimer le plus; et comme vous êtes, madame, cette personne, il ne tiendra qu’à vous que vous n’ayez autant d’esprit qu’on en peut avoir, pourvu que vous vouliez bien m’épouser.»
La princesse demeura tout interdite et ne répondit rien.
«Je vois, reprit Riquet à la Houppe, que cette proposition vous a fait de la peine, et je ne m’en étonne pas; mais je vous donne un an tout entier pour vous y résoudre.»
La princesse avait si peu d’esprit, et en même temps une si grande envie d’en avoir, qu’elle s’imagina que la fin de cette année ne viendrait jamais: de sorte qu’elle accepta la proposition qui lui était faite. Elle n’eut pas plutôt promis à Riquet à la Houppe qu’elle l’épouserait dans un an à pareil jour, qu’elle se sentit tout autre qu’elle n’était auparavant: elle se trouva une facilité incroyable à dire tout ce qui lui plaisait, et à le dire d’une manière fine, aisée et naturelle. Elle commença dès ce moment une conversation galante et soutenue avec Riquet à la Houppe, où elle brilla d’une telle force, que Riquet à la Houppe crut lui avoir donné plus d’esprit qu’il ne s’en était réservé pour lui-même.
Quand elle fut retournée au palais, toute la cour ne savait que penser d’un changement si subit et si extraordinaire: car autant on lui avait ouï dire d’impertinences auparavant, autant lui entendait-on dire des choses bien sensées et infiniment spirituelles.
Toute la cour en eut une joie qui ne se peut imaginer; il n’y eut que sa cadette qui n’en fut pas bien aise, parce que, n’ayant plus sur son aînée l’avantage de l’esprit, elle ne paraissait plus auprès d’elle qu’une guenon fort désagréable.
Le roi se conduisait par ses avis et allait même quelquefois tenir le conseil dans son appartement.
Le bruit de ce changement s’étant répandu, tous les jeunes princes des royaumes voisins firent leurs efforts pour s’en faire aimer, et presque tous la demandèrent en mariage; mais elle n’en trouvait point qui eût assez d’esprit, et elle les écoutait tous sans s’engager à pas un d’eux.
Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel et si bien fait, qu’elle ne put s’empêcher d’avoir de la bonne volonté pour lui.
Son père s’en étant aperçu, lui dit qu’il la faisait la maîtresse sur le choix d’un époux, et qu’elle n’avait qu’à se déclarer.
Comme plus on a d’esprit, et plus on a de peine à prendre une ferme résolution sur cette affaire, elle demanda, après avoir remercié son père, qu’il lui donnât du temps pour y penser.
Elle alla par hasard se promener dans le bois où elle avait trouvé Riquet à la Houppe, pour rêver plus commodément à ce qu’elle avait à faire.
Dans le temps qu’elle se promenait rêvant profondément, elle entendit un bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs personnes qui vont et viennent et qui agissent.
Ayant prêté l’oreille plus attentivement, elle ouït que l’un disait: «Apporte-moi cette chaudière; » l’autre: «Mets du bois dans ce feu.»
La terre s’ouvrit dans le même temps, et elle vit sous ses pieds comme une grande cuisine pleine de cuisiniers, de marmitons et de toute sorte d’officiers nécessaires pour faire un festin magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente rôtisseurs, qui allèrent se camper dans une allée du bois, autour d’une table fort longue, et qui tous, la lardoire à la main et la queue de renard sur l’oreille, se mirent à travailler en cadence, au son d’une chanson harmonieuse.
La princesse, étonnée de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travaillaient.
«C’est, madame, lui répondit le plus apparent de la bande, pour le prince Riquet à la Houppe, les noces se feront demain.»
La princesse, encore plus surprise qu’elle ne l’avait été, et se ressouvenant tout à coup qu’il y avait un an qu’à pareil jour elle avait promis d’épouser le prince Riquet à la Houppe, pensa tomber de son haut. Ce qui faisait qu’elle ne s’en souvenait pas, c’est que, quand elle fit cette promesse, elle était une bête, et qu’en prenant le nouvel esprit que le prince lui avait donné, elle avait oublié toutes ses sottises.
Elle n’eut pas fait trente pas en continuant sa promenade, que Riquet à la Houppe se présenta à elle, brave, magnifique et comme un prince qui va se marier.
«Vous me voyez, dit-il, madame, exact à tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour exécuter la vôtre, et me rendre, en me donnant la main, le plus heureux de tous les hommes.
— Je vous avouerai franchement, répondit la princesse, que je n’ai pas encore pris ma résolution là-dessus, et que je ne crois pas pouvoir jamais la prendre telle que vous la souhaitez.
— Vous m’étonnez, madame, lui dit Riquet à la Houppe.
— Je le crois, dit la princesse; et assurément, si j’avais affaire à un brutal, à un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrassée. Une princesse n’a que sa parole, me dirait-il, et il faut que vous m’épousiez, puisque vous me l’avez promis; mais comme celui à qui je parle est l’homme du monde qui a le plus d’esprit, je suis sûre qu’il entendra raison. Vous savez que, quand je n’étais qu’une bête, je ne pouvais néanmoins me résoudre à vous épouser; comment voulez vous qu’ayant l’esprit que vous m’avez donné, qui me rend encore plus difficile en gens que je n’étais, je prenne aujourd’hui une résolution que je n’ai pu prendre dans ce temps-là ? Si vous pensiez tant à m’épouser, vous avez eu grand tort de m’ôter ma bêtise et de me faire voir plus clair que je ne voyais.
— Si un homme sans esprit, répondit Riquet à la Houppe, était bien reçu, comme vous venez de le dire, à vous reprocher votre manque de parole, pourquoi voulez-vous, madame, que je n’en use pas de même dans une chose où il y va de tout le bonheur de ma vie? Est-il raisonnable que les personnes qui ont de l’esprit soient d’une pire condition que ceux qui n’en ont pas? Le pouvez-vous prétendre, vous qui en avez tant et qui avez tant souhaité d’en avoir? Mais venons au fait, s’il vous plaît. A la réserve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous déplaise? Êtes-vous malcontente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur et de mes manières?
— Nullement, répondit la princesse; j’aime en vous tout ce que vous venez de me dire.
— Si cela est ainsi, répondit Riquet à la Houppe, je vais être heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable de tous les hommes.
— Comment cela se peut-il faire? lui dit la princesse.
— Cela se fera, répondit Riquet à la Houppe, si vous m’aimez assez pour souhaiter que cela soit; et afin, madame, que vous n’en doutiez pas, sachez que la même fée qui, au jour de ma naissance, me fit le don de pouvoir rendre spirituelle la personne qui me plairait, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau-celui que vous aimerez et à qui vous voudrez bien faire cette faveur.
— Si la chose est ainsi, dit la princesse, je souhaite de tout mon cœur que vous deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable, et je vous en fais le don autant qu’il est en moi.»
La princesse n’eut pas plutôt prononcé ces paroles, que Riquet à la Houppe parut à ses yeux l’homme du monde le plus beau, le mieux fait et le Plus aimable qu’elle eût jamais vu.
Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la fée qui opérèrent, mais que l’amour seul fit cette métamorphose. Ils disent que la princesse, ayant fait réflexion sur la persévérance de son amant, sur sa discrétion et sur toutes les bonnes qualités de son âme et de son esprit, ne vit plus la difformité de son corps ni la laideur de son visage; que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d’un homme qui fait le gros dos; et qu’au lieu que jusqu’alors elle l’avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu’un certain air penché qui la charmait. Ils disent encore que ses yeux, qui étaient louches, ne lui en parurent que plus brillants; que leur déréglement passa dans son esprit pour la marque d’un violent excès d’amour; et qu’enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et d’héroïque.
Quoi qu’il en soit, la princesse lui promit sur-le-champ de l’épouser, pourvu qu’il en obtînt le consentement du roi son père.
Le roi, ayant su que sa fille avait beaucoup d’estime pour Riquet à la Houppe, qu’il connaissait d’ailleurs pour un prince très-spirituel et très-sage, le reçut avec plaisir pour son gendre.
Dès le lendemain, les noces furent faites, ainsi que Riquet à la Houppe l’avait prévu, et selon les ordres qu’il en avait donnés longtemps auparavant.
MORALITÉ.
Ce que l’on voit dans cet écrit
Est moins un conte en l’air que la vérité même;
Tout est beau dans ce que l’on aime,
Tout ce qu’on aime a de l’esprit.
AUTRE MORALITÉ.
Dans un objet où la nature
Aura mis de beaux traits, et la vive peinture
D’un teint où jamais l’art ne saurait arriver,
Tous ces dons pourront moins pour rendre un cœur sensible
Qu’un seul agrément invisible
Que l’amour y fera trouver.