Читать книгу Adèle - Charles Nodier - Страница 3
AVERTISSEMENT.
ОглавлениеNous sommes loin de l’époque où le lecteur désiroit dans les romans ces développemens habilement ménagés, qui augmentent l’intérêt d’une action de toutes les circonstances qui la préparent; ces détails de mœurs et de caractères, qui rendent présentes à l’esprit les choses et les personnes; l’attrait extraordinaire et piquant des combinaisons libres de l’imagination, concilié à force d’art avec la vraisemblance de l’histoire. La génération actuelle, impatiente de sensations fortes et variées, se soucieroit peu de trouver dans les productions de l’esprit cette heureuse mesure, cette exquise bienséance de composition, ce fini si pur et si délicat de style, qui distingent les inimitables romanciers de la France et de l’Angleterre, les Lesage et les Fielding, les Rousseau et les Richardson. L’âme ne se déplace guère de sa situation habituelle que pour changer l’ordre de ses émotions, pour en renouveler l’espèce, pour s’en distraire par des émotions plus puissantes; et il est certain que les émotions purement sociales de notre siècle ont dû nous rendre extrêmement difficiles sur les émotions romanesques. Maintenant, si notre curiosité, blasée par une incroyable variété de tableaux qu’elle n’a point cherchés, se décide à chercher quelque chose hors de la sphère des idées positives, il est naturel qu’elle s’attache moins aux faits qu’aux passions, aux circonstances matérielles d’un récit, qu’au sentiment indéfini qu’il fera naître, aux aventures vraies ou fausses d’un personnage indifférent, qu’à je ne sais quelles idéalités qui, sans constituer un caractère particulier, correspondent plus ou moins avec les besoins, les affections, les illusions du grand nombre, dans les âges malheureux de la société. Cet ordre d’idées est ce qu’on appelle depuis quelque temps le vague en littérature, et il résulte d’un grand vague dans la morale dont la littérature est l’expression écrite. Voilà ce que j’avois à dire pour justifier le genre de cette Nouvelle, où l’on ne trouvera que des caractères indiqués, que des faits aperçus, que le cadre défectueux d’un ouvrage plus que médiocre, que je n’avois ni le temps, ni le talent, ni la force de faire meilleur.
Comme c’est mon héros qui parle avec toutes ses erreurs et toutes ses passions, je demande seulement au lecteur la permission de parler de lui. Gaston n’appartient plus à l’âge des illusions. Son cœur n’est pas fatigué, mais il est exercé par l’expérience. L’habitude des chagrins l’a rendu sombre et timide. L’habitude des méprises l’a rendu défiant. Il est comme tous les hommes qui ont beaucoup souffert. Il craint des émotions nouvelles, parce qu’il n’a jamais gagné au changement, mais il en éprouvera nécessairement, parce qu’il y a des âmes qui en ont besoin et qui en cherchent en dépit d’elles-mêmes. Sa sensibilité s’est refroidie à défaut d’alimens. Il la croit éteinte. Son style même sera plus simple, plus négligé qu’a l’ordinaire. La poésie des expressions se décolore avec la poésie des sentimens. Cependant la première étincelle qui viendra ranimer ce volcan fera jaillir de son sein des éclairs plus menaçans qu’autrefois. Ce ne sera plus une suite non interrompue d’idées et d’actions véhémentes, une manière continuellement violente d’être et de sentir. Ce seront des mouvemens rares, mais impétueux et terribles, qui toutefois n’aboutiront jamais au mal absolu, exception distinctive et certaine en faveur des passions qui prennent leur source dans une organisation élevée. Je ne me défendrai pas d’avoir affectionné ce caractère, et je ne dirai pas les raisons particulières qui m’ont décidé à le peindre sous plusieurs aspects différens. L’intérêt que j’y prenois malgré moi n’excuseroit pas la multiplicité de mes essais. Pour avoir vécu dans un ordre de sensations heureusement peu commun, on n’a pas acquis le privilége de faire de mauvais romans.
Celui-ci exige une justification plus spéciale. Avec un cœur droit, mais très-exalté, Gaston n’a pu se défendre de l’influence de l’esprit de paradoxe qui a présidé à l’éducation toute entière des dernières générations. Cet esprit se développe en raison de la situation de Gaston, quand le bonheur de sa vie vient à dépendre d’une règle de convenance sociale, et qu’il sent la possibilité de justifier à ses propres yeux une faute par un sophisme. Il n’y a rien à conclure d’un roman, et surtout des opinions d’un personnage de roman, qui n’est pas donné pour éminemment raisonnable, contre des bienséances publiques dont la raison des siècles a reconnu l’importance. Ce n’est pas moi, d’ailleurs, qu’on accusera d’être uni d’intention aux hommes qui déclament contre certaines conséquences par aversion pour tous les principes, et qui ne combattent, dans le fantôme de la noblesse actuelle, que l’existence encore positive de la monarchie. Il faut avouer que ce genre d’agression n’auroit jamais été plus déplacé.
Je n’ai plus qu’un mot à dire. Il importe fort peu au public que j’aie fait tel ou tel roman, mais il m’importe infiniment de n’avoir fait que les miens. Puisque mon nom, auquel je ne croyois pas tant de crédit, a pu devenir, pour quelques libraires, un objet de spéculation, je saisis cette occasion de déclarer que ce dernier ouvrage est avec Jean Sbogar, Thérèse Aubert, et les volumes publiés chez M. GIDE, sous le titre de Romans, Nouvelles et Mélanges, tout ce que j’ai fait en ce genre. Ces foibles écrits ne méritent certainement pas mieux d’être avoués que ceux qu’on a trouvé bon de m’attribuer, ou qu’on m’attribuera dans la suite, mais ils sont de moi.