Читать книгу La femme française dans les temps modernes - Clarisse Bader - Страница 9
ОглавлениеCertes, ce n'était qu'à un petit nombre de connaissances que s'appliquait cette méthode. Mais, selon l'esprit du XVIIe siècle, mieux valait peu savoir et bien savoir que de posséder superficiellement un plus grand nombre de connaissances. Aussi, quelque restreint que fût le programme de Fénelon, nous dirons, avec Mgr Dupanloup, que exquis bon sens, qui est l'âme du XVIIe siècle, pouvait souvent remplacer l'enseignement des livres, et qu'une instruction très élémentaire pouvait suffire alors qu'elle s'appuyait sur la base solide de la raison51. Ce bon sens était un guide sûr, à l'aide duquel les femmes devaient juger sainement aussi bien des oeuvres de l'esprit que des choses de la vie.
Note 51: (retour) Mgr Dupanloup, Lettres sur l'éducation des filles.
Avec une forte instruction religieuse, très justement éloignée toutefois des controverses théologiques, Fénelon ne prescrit donc à la jeune fille que bien peu de connaissances: lire distinctement et naturellement, écrire avec correction, parler avec pureté, savoir les quatre règles de l'arithmétique pour faire les comptes de la maison, être initiée aux choses de la vie rurale, aux droits et aux devoirs seigneuriaux, apprendre les éléments du droit autant que ceux-ci se rapportent à la condition de la femme, mais éviter cependant de faire servir ces connaissances à une humeur processive. Après ces études qui, pour lui, sont fondamentales et dont la dernière manque à nos programmes actuels, Fénelon permet qu'on laisse lire aux jeunes filles des livres profanes dont la solidité les dégoûtera de la creuse lecture des romans: «Donnez-leur donc des histoires grecque et romaine; elles y verront des prodiges de courage et de désintéressement. Ne leur laissez pas ignorer l'histoire de France, qui a aussi ses beautés; mêlez-y celle des pays voisins, et les relations des pays éloignés judicieusement écrites. Tout cela sert à agrandir l'esprit et à élever l'âme à de grands sentiments, pourvu qu'on évite la vanité et l'affectation52.»
Note 52: (retour) Fénelon, Éducation des filles, XII.
C'est avec les mêmes précautions que le vénérable auteur souhaite que le latin, la langue des offices de l'Église, remplace dans l'instruction des jeunes filles l'italien et l'espagnol qui y figuraient alors, ces deux idiomes dont l'étude entraîne la lecture d'ouvrages passionnés, et qui, ne fût-ce qu'au point de vue littéraire, ne sauraient égaler la vigoureuse beauté du latin.
«Je leur permettrais aussi, mais avec un grand choix, la lecture des ouvrages d'éloquence et de poésie, si je croyais qu'elles en eussent le goût, et que leur jugement fût assez solide pour se borner au véritable usage de ces choses; mais je craindrais d'ébranler trop les imaginations vives, et je voudrais en tout cela, une exacte sobriété: tout ce qui peut faire sentir l'amour, plus il est adouci et enveloppé, plus il me paraît dangereux.
«La musique et la peinture ont besoin des mêmes précautions53.»
Note 53: (retour) Id., l. c.
Fénelon souhaitait que, dans l'éducation de la jeune fille, l'inspiration chrétienne animât la poésie, la musique, et particulièrement l'alliance de ces deux arts, le chant. Mais cette bienfaisante inspiration lui semblait bien difficile à rencontrer à une époque où la poésie et la musique s'unissaient pour célébrer l'amour. Nous verrons comment Racine allait réaliser le voeu de Fénelon.
Avec ce sentiment du beau qui faisait désirer à Fénelon que, pour leur parure, les jeunes filles prissent pour modèle la noble simplicité des statues grecques, il veut qu'elles étudient le dessin, la peinture, ne fût-ce que pour exécuter leurs travaux manuels avec un art plus délicat et pour faire régner dans certains arts industriels le goût qui y manque trop souvent.
Tout est solide dans cette instruction. Nous n'y trouvons qu'un seul défaut: une trop grande méfiance à l'endroit des oeuvres littéraires. En éliminant tout ce qui, dans ces ouvres, enflamme les passions, il reste encore assez de pages où l'on peut montrer à la jeune fille la sublime alliance du beau et du bien. L'émotion même que font naître les grands sentiments est sans péril lorsqu'elle est réglée par cette haute raison que cultivaient dans leurs disciples les deux nobles éducateurs du XVIIe siècle. Ils leur avaient appris à juger trop sainement des choses de l'esprit pour que des sentiments exaltés leur donnassent le dégoût de la vie réelle.
Bien que Mme de Maintenon élevât justement au-dessus de la forme littéraire l'utilité du fond, elle ne négligeait pas chez les élèves de Saint-Cyr l'élégante pureté de l'expression. Elle leur enseignait elle-même ce style épistolaire où elle excellait, ce style naturel qui, dans sa brièveté, se borne «à expliquer clairement et simplement ce que l'on pense.» Elle composa pour ces jeunes personnes des Proverbes, des Conversations qui, tout en exerçant leur jugement, les initiaient aux grâces de la causerie française. Elle fit plus. Après avoir entendu l'une des «détestables» ouvres dramatiques que Mme de Brinon, première supérieure de Saint-Cyr, composait pour ses élèves, «elle la pria de n'en plus faire jouer de semblables, et de prendre plutôt quelque belle pièce de Corneille ou de Racine choisissant seulement celle où il y aurait le moins d'amour.» Cinna fut représenté par les demoiselles de Saint-Cyr. Je m'étonne que l'on n'ait point préféré Polyeucte à Cinna. Ne semble-t-il pas que le choix de cette dernière pièce ait été une flatterie ingénieuse à l'endroit du nouvel Auguste?
Andromaque suivit Cinna sur le théâtre de Saint-Cyr. Après la représentation, Mme de Maintenon écrivit à Racine: «Nos petites filles viennent de jouer votre Andromaque, et l'ont si bien jouée qu'elles ne la joueront de leur vie, ni aucune autre de vos pièces.» Elle lui demanda alors de composer «quelque espèce de poème moral ou historique dont l'amour fût entièrement banni, et dans lequel il ne crût pas que sa réputation fût intéressée, parce que la pièce resterait ensevelie à Saint-Cyr, ajoutant qu'il lui importait peu que cet ouvrage fût contre les règles, pourvu qu'il contribuât aux vues qu'elle avait de divertir les demoiselles de Saint-Cyr en les instruisant54.»
Note 54: (retour) Mme de Caylus, citée par L. Racine, Mémoires.
De ce désir de Mme de Maintenon naquirent successivement Esther, Athalie, ces oeuvres dans lesquelles on ne saurait dire que la réputation de Racine ne fût pas «intéressée», et qui, certes, ne devaient pas demeurer «ensevelies à Saint-Cyr.» Ainsi, c'est pour l'éducation des femmes qu'ont été écrites ces pages où l'harmonieux génie de Racine s'élève à une incomparable grandeur en traduisant la pensée biblique; ces pages immortelles qui comptent parmi les gloires les plus pures de la France et qui témoigneraient au besoin que la foi a toujours été la meilleure inspiration de la poésie.
Les tragédies jouées à Saint-Cyr durent charmer Fénelon qui avait désiré que l'on exerçât les enfants à représenter, entre eux les scènes les plus touchantes de la Bible. Et la musique se joignant à la poésie dans les choeurs d'Esther et d'Athalie, c'était là encore répondre au voeu du maître qui avait si vivement souhaité que la musique et la poésie, ces arts «que l'Esprit de Dieu même a consacrés», fussent rappelées à une mission éducatrice qui était leur mission primitive: «exciter dans l'âme des sentiments vifs et sublimes pour la vertu55.»
Note 55: (retour) Fénelon, Éducation des filles, ch. XII.
On sait quel éclat eurent les représentations d'Esther: Louis XIV présidant à l'admission des invités, en dressant lui-même la liste; et le jour des représentations, le grand souverain se tenant près de la porte, levant sa canne pour former une barrière et ne laissant entrer que les personnes dont les noms figuraient sur la liste qu'il tenait dans sa main royale. On sait aussi l'enthousiasme avec lequel Esther fut accueillie et le charme touchant qu'ajoutaient à cette oeuvre déjà si émouvante, les jeunes filles qui l'interprétaient, ces enfants de la noblesse pauvre, qui vivaient loin de leurs familles, ces jeunes et tendres fleurs transplantées comme les compagnes d'Esther56. Le grand Condé pleura à ce spectacle comme il avait pleuré dans son héroïque jeunesse en entendant Auguste pardonner à Cinna.
Note 56: (retour) Louis Racine, Mémoires. Les représentations d'Esther eurent lieu en 1689. La même année, Racine composa pour les demoiselles de Saint-Cyr quatre cantiques inspirés de l'Écriture sainte. Plusieurs fois le roi se les fit chanter par ces jeunes personnes.—Racine et Boileau avaient revu, au point de vue du style, les constitutions de Saint-Cyr. (Note de M. Lavallée dans son édition des Oeuvres de Mme de Maintenon.)
Racine avait dirigé lui-même les répétitions de sa pièce. Quel maître que celui-là! Combien ce grand chrétien devait faire pénétrer dans les jeunes âmes les sublimes enseignements de son oeuvre: le courage religieux qui fait braver la mort à une femme jeune et timide, la confiance dans cette justice souveraine qui, à son heure, abaisse l'orgueilleux et fait triompher l'innocent persécuté! Quel maître aussi dans l'art de bien dire que le merveilleux poète qui initiait ses élèves aux délicatesses de son style enchanteur! Mme de Maintenon avait réellement atteint le but qu'elle poursuivait par ces représentations: remplir de belles pensées l'esprit des jeunes filles, les habituer à un pur langage et aussi à ce maintien noble et gracieux qui est essentiel à la dignité de la femme, et que Mme de Maintenon enseignait aux demoiselles de Saint-Cyr avec toutes les bienséances du monde.
Mais l'éclat de ces représentations eut des suites fâcheuses qui compromirent jusqu'à la cause de l'instruction des femmes. Lorsque, l'hiver suivant, Racine présenta Athalie à Mme de Maintenon, des avis donnés tantôt par des personnes bien intentionnées, tantôt par des rivaux du poète, firent comprendre à la fondatrice de Saint-Cyr le danger qu'il y avait à produire de jeunes filles sur un théâtre et devant la cour. Athalie ne fut donc représentée que devant le roi et Mme de Maintenon, dans une chambre sans décors et par les jeunes personnes revêtues de leurs uniformes de pension.
Si la réforme s'était arrêtée là, nous n'y aurions vu aucun inconvénient. Mais Mme de Maintenon crut s'apercevoir que depuis les représentations d'Esther les demoiselles de Saint-Cyr n'étaient plus les mêmes. L'orgueil et les folles vanités du monde avaient pénétré avec les applaudissements de la cour dans ce pieux asile. Il n'était pas jusqu'à cette faculté de raisonner que Mme de Maintenon avait développée dans ses élèves, qui ne contribuât à en faire des pédantes. Elles n'avaient aussi que trop imité ce ton de raillerie qui, chez Mme de Maintenon, demeurait dans les limites d'un aimable enjouement, mais qui, chez ces jeunes filles hautaines, devenait aisément de l'impertinence.
Mme de Maintenon écrit à Mme de Fontaines, maîtresse générale des classes: «La peine que j'ai sur les filles de Saint-Cyr ne se peut réparer que par le temps et par un changement entier de l'éducation que nous leur avons donnée jusqu'à cette heure; il est bien juste que j'en souffre, puisque j'y ai contribué plus que personne, et je serai bien heureuse si Dieu ne m'en punit pas plus sévèrement. Mon orgueil s'est répandu par toute la maison, et le fond en est si grand qu'il l'emporte même par-dessus mes bonnes intentions. Dieu sait que j'ai voulu établir la vertu à Saint-Cyr, mais j'ai bâti sur le sable. N'ayant point ce qui seul peut faire un fondement solide, j'ai voulu que les filles eussent de l'esprit, qu'on élevât leur coeur, qu'on formât leur raison; j'ai réussi à ce dessein: elles ont de l'esprit et s'en servent contre nous; elles ont le coeur élevé, et sont plus fières et plus hautaines qu'il ne conviendrait de l'être aux plus grandes princesses; à parler même selon le monde, nous avons formé leur raison, et fait des discoureuses, présomptueuses, curieuses, hardies. C'est ainsi que l'on réussit quand le désir d'exceller nous fait agir. Une éducation simple et chrétienne aurait fait de bonnes filles dont nous aurions fait de bonnes femmes et de bonnes religieuses, et nous avons fait de beaux esprits que nous-mêmes, qui les avons formés, ne pouvons souffrir; voilà notre mal, et auquel j'ai plus de part que personne57.»
Note 57: (retour) Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens, 26. 20 septembre 1691.
Mais pour remédier au mal, Mme de Maintenon perd cette mesure qui est le trait distinctif de son caractère. S'imaginant que c'est l'instruction qui enfle le coeur de ses élèves, elle supprime, dans le programme d'études l'histoire romaine, l'histoire universelle. L'histoire de France même trouve à peine grâce à ses yeux, et encore à la condition de n'être qu'une suite chronologique des souverains. Les demoiselles de Saint-Cyr ne seront plus guère occupées que par les travaux à l'aiguille et par des instructions sur les devoirs de l'état auquel leur condition les destine. Peu de lectures, si ce n'est dans quelques ouvrages de piété; mais ici encore Mme de Maintenon veille à ce que ces lectures puissent former le jugement et régler les moeurs, en même temps qu'elles donneront à la piété un solide aliment.
Enfin Mme de Maintenon laisse échapper cette parole que rediront si souvent les adversaires de l'instruction des filles: «Les femmes ne savent jamais rien qu'à demi, et le peu qu'elles savent les rend communément fières, dédaigneuses, causeuses, et dégoûtées des choses solides58.»
Note 58: (retour) Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens, 84. Instruction aux religieuses de Saint-Louis. Juin 1696.
Mme de Maintenon aurait pu se dire que, dans un certain ordre de connaissances, les femmes peuvent acquérir plus que cette demi-instruction qui en fait des pédantes. Elle aurait pu se dire aussi que ce qui avait enorgueilli les demoiselles de Saint-Cyr, ce n'était pas leur instruction, c'était la parade qu'on leur avait fait faire de leurs talents.
Du reste cette réforme était trop exagérée pour qu'elle fût longtemps appliquée. Selon Mme du Pérou, dame de Saint-Louis, Mme de Maintenon n'avait voulu que déraciner le «fond d'orgueil» de Saint-Cyr, pour établir ensuite un juste milieu dans les études. La correspondance et les instructions de la fondatrice semblent prouver qu'il en fut ainsi. Les tragédies, les Proverbes, les Conversations, ne figurent plus au premier rang, mais sont réservés comme récompense du travail après les devoirs de lecture et d'écriture. L'histoire n'est plus négligée, à en juger par une leçon d'histoire contemporaine que Mme de Maintenon octogénaire envoie à la classe bleue.
A Paris, dans la maison de l'Enfant-Jésus, trente jeunes filles nobles étaient élevées d'après le modèle de l'Institut de Saint-Louis59. Mme de la Viefville, abbesse de Gomerfontaine, et Mme de la Mairie, prieure de Bisy, voulurent aussi employer cette méthode dans leurs couvents. Mais ceux-ci admettant des filles de bourgeois et de vignerons, la fondatrice de Saint-Cyr rappela à Mme de la Viefville et à Mme de la Mairie, que si les mêmes principes moraux et religieux doivent être donnés aux jeunes filles de condition inférieure, il n'en est pas ainsi de l'éducation sociale et intellectuelle. Elle les engage donc à proscrire de l'éducation donnée à ces enfants, tout ce qui pourrait exalter leur imagination et leur faire rêver une autre vie que la modeste existence à laquelle elles sont appelées. L'instruction professionnelle, voilà ce qu'elle recommande pour ces jeunes personnes avec l'enseignement de la lecture, de l'écriture, du calcul.
Note 59: (retour) Par une touchante association, c'est dans cette même maison, que huit cents femmes venaient chercher des secours et du travail. Cette maison, située dans la rue de Sèvres, est aujourd'hui occupée par l'hôpital de l'Enfant-Jésus. Sous sa nouvelle destination de charité, elle a gardé son ancien nom. Guilhermy, Inscriptions de la France, t. I, CCCLXXXVI.
Mme de Maintenon se rencontrait encore avec Fénelon dans ce principe, qu'il faut élever les filles pour la condition où elles doivent être placées, pour le lieu même qu'elles doivent habiter. C'est la véritable éducation professionnelle, sage, prudente, et qui, au lieu de faire mépriser aux jeunes filles l'état où elles sont nées, les rend dignes d'y faire honneur un jour60.
Note 60: (retour) Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens; Fénelon, De l'éducation des filles, ch. XII.
L'instruction professionnelle existait donc au XVIIe siècle et même à une époque antérieure. Henri Il avait créé à Paris, à l'hôpital de la Trinité, rue Saint-Denis, une fabrique de tapisserie de haute et basse lisse, fabrique qui avait pour jeunes ouvriers les orphelins recueillis dans cette maison. Il y avait parmi eux trente jeunes filles qui étaient ainsi initiées et exercées à notre vieil art national61.
Note 61: (retour) Guilhermy, Inscriptions de la France, t. I, ccclxxvi et note 2. Paul Lacroix (Bibliophile Jacob), les Arts au moyen âge et à l'époque de la Renaissance.
Au XVIIe siècle, Mme de Miramion fonde la maison de la Sainte-Enfance où des religieuses forment de petites orphelines au travail qui fait vivre, à la foi qui soutient l'ouvrière. Elle fonde aussi un atelier où les enfants apprennent, avec les ouvrages manuels, la lecture, l'écriture, le catéchisme. Du reste, les travaux de couture étaient enseignés aux jeunes filles dans ces petites écoles dont Mme de Miramion grossit considérablement le nombre, et auxquelles elle prépara, elle aussi, de dignes maîtresses dans ces saintes filles que le peuple reconnaissant nomma les Miramionnes62.
Note 62: (retour) Mme de Miramion fonda plus de cent écoles. Bonneau-Avenant, Madame de Miramion.
L'instruction primaire poursuivait, en effet, son cours, et elle continuait de faire une large part à l'instruction gratuite. Au XVIe siècle elle avait pris un développement extraordinaire que les guerres de religion vinrent ralentir, mais qui continua pendant les deux siècles suivants. L'Église donnait à ce mouvement une énergique impulsion. Les archevêques de Bordeaux rappellent dans tous leurs statuts la nécessité de l'instruction populaire, et l'un d'eux, Mgr de Rohan, demande à ses curés de se procurer tous des maîtres et des maîtresses d'école. En 1682, l'évêque de Coutances exhorte les pasteurs des paroisses à faire instruire les filles par quelque pieuse femme qui se dévouera «à un si saint emploi.» Pour lui la mission de l'institutrice est, on le voit, un sacerdoce. En 1696, les curés de Chartres supplient leur évêque de leur donner des maîtres et des maîtresses d'école pour moraliser le peuple par l'instruction gratuite: l'ignorance leur semble la source principale du vice63.
Note 63: (retour) Allain, l'Instruction primaire avant la Révolution. 1881.
Des inscriptions du XVIIe et du XVIIIe siècles nous montrent d'humbles curés de campagne fondant ou soutenant, dans leurs paroisses, des écoles de filles aussi bien que des écoles de garçons64. Ces inscriptions attestent aussi que de généreuses chrétiennes prirent part aux fondations scolaires, justement regardées comme des oeuvres pies65. Dans le traité de l'Éducation des filles, Fénelon demande que l'on apprenne aux futures châtelaines le moyen d'établir de petites écoles dans leurs villages66.
Note 64: (retour) Guilhermy, Inscriptions de la France, t. III. DCCCLXXXIV (Fontenay-sur-Bois); DCCCCXCVII (Genevilliers), etc.
Note 65: (retour) Ibid., t. III, DCCCLXXXII, DCCCCXIV, etc.
Note 66: (retour) Fénelon, Éducation des filles, ch. XII.
Il serait trop long de citer tous les efforts de l'Église pour répandre dans les plus humbles rangs de la société la lumière intellectuelle dont elle est le foyer. Mais comment ne pas nommer quelques-unes des communautés religieuses qui se dévouèrent à l'instruction du peuple? Dès la fin du XVIe siècle, une femme admirable, Mlle de Sainte-Beuve, fonde la communauté des Ursulines de France qui donnent l'instruction gratuite. Elles enseignent à leurs élèves la lecture, l'écriture, l'orthographe, le calcul67. En 1668, elles avaient 310 de ces pépinières qui, d'après la pensée fondamentale de l'institut, devaient préparer par l'enfant, par la jeune fille, la régénération de la famille et de la société68.
Note 67: (retour) Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens, 270. Instruction aux demoiselles de la classe verte, mai 1714.—De curieux mémoires récemment publiés, ajoutent une preuve de plus à la solide instruction et au dévouement des Ursulines. Nous trouvons dans ces pages le nom d'une fille des Godefroy, Louise-Catherine, en religion soeur Catherine de l'Assomption, qui, à l'étude des saintes lettres, joignait celle du latin, de la poésie, de l'arithmétique, et qui consacrait surtout son zèle aux élèves les moins avancées. Les savants Godefroy. Mémoires d'une famille pendant les XVIe, XVII, et XVIIIe siècles, par M. le marquis de Godefroy-Ménilglaise. Paris, 1873.
Note 68: (retour) Voir plus haut, pages 33, 34.
En 1789, parmi les autres communautés qui donnaient aux enfants l'instruction primaire, les Filles de la Charité avaient 500 maisons: les Soeurs d'Ernemont, 106 avec 11,660 élèves; les Soeurs d'Évron recevaient dans leurs 89 établissements 3,000 élèves69.
Note 69: (retour) Chiffres recueillis par M. de Resbecq et cités par M. Allain, l'Instruction primaire avant la Révolution.—La communauté de Sainte-Marguerite ou de Notre-Dame-des-Vertus, et les Dames de la Trinité instruisaient les filles du faubourg Saint-Antoine. Guilhermy. Inscriptions de la France, t. I, CX-CXL.
«Il y a ordinairement dans chaque paroisse deux écoles de charité, une pour les garçons et l'autre pour les filles,» dit en 1769 un Traité du gouvernement temporel et spirituel des paroisses70.
Note 70: (retour) Allain, étude citée. Sur les écoles de filles avant 1789, voir le récent ouvrage de M. Albert Duruy, l'Instruction publique et la Révolution.
En chassant les religieux instituteurs de la jeunesse, en spoliant les petites écoles, la Révolution allait plonger le peuple dans les ténèbres de l'ignorance. Et la Révolution accuse de ces ténèbres ceux qui avaient allumé et fait rayonner depuis tant de siècles le flambeau qu'elle-même a éteint!
Si l'enseignement primaire avait poursuivi son cours au XVIIIe siècle, nous ne saurions en dire autant de l'instruction donnée aux femmes du monde. Quelque restreintes que fussent au XVIIe siècle les connaissances que possédaient les disciples de Fénelon et de Mme de Maintenon, la sûreté et la délicatesse de leur jugement pouvaient, nous l'avons rappelé, suppléer en elles à l'étendue de l'instruction. Mais ce fond solide, si rare même alors, manqua de plus en plus. La frivolité seule domine au XVIIIe siècle. A cette époque la femme a la pire des ignorances: celle qui veut décider de tout, en philosophie, en politique, en religion. Telle grande dame qui n'a lu jusqu'alors que dans ses Heures, se trouve, en une seule leçon, une philosophe sans le savoir71.
Note 71: (retour) Taine, Les Origines de la France contemporaine. L'ancien régime.
Les femmes les plus frivoles se passionnent pour la science. Vers 1782, c'est une mode. On a dans son cabinet «un dictionnaire d'histoire naturelle, des traités de physique et de chimie. Une femme ne se fait plus peindre en déesse sur un nuage, mais dans un laboratoire, assise parmi des équerres et des télescopes72. Les femmes du monde assistent aux expériences scientifiques, elles suivent des cours de sciences physiques et naturelles. En 1786, elles obtiennent la permission d'assister aux cours du collège de France. A une séance publique de l'Académie des Inscriptions, elles «applaudissent des dissertations sur le boeuf Apis, sur le rapport des langues égyptienne, phénicienne et grecque...» Rien ne les rebute. Plusieurs manient la lancette et même le scalpel; la marquise de Voyer voit disséquer, et la jeune comtesse de Coigny dissèque de ses propres mains73.»
Note 72: (retour) Id., Id.
Note 73: (retour) Id., Id.
Il y avait là certainement quelques tendances louables. Nous ne pouvons, par exemple, qu'applaudir à la décision qui permit aux femmes de suivre les cours du Collège de France. Mais dans toutes les démonstrations que provoqua chez la femme l'engouement de la science, il y a quelque chose qui sent la parvenue. Elle exhibe ses richesses avec un étalage qui en rappelle la date trop fraîche. En dépit de Molière et de Boileau, la pédante a survécu, et avec la pédante, le préjugé contre une sage instruction des filles.
Dans l'épître dédicatoire d'Alzire, adressée à Mme du Chatelet, Voltaire, ayant à louer l'instruction de cette femme malheureusement plus savante que vertueuse, citait des exemples contemporains qui lui faisaient croire que son siècle ne partageait plus les préjugés que Molière et Boileau avaient répandus contre l'instruction des femmes. Mais Voltaire flattait son siècle, et à part quelques exceptions, la jeune fille du XVIIIe siècle était élevée en poupée mondaine. «Une fillette de six ans est serrée dans un corps de baleine; son vaste panier soutient une robe couverte de guirlandes; elle porte sur la tête un savant échafaudage de faux cheveux, de coussins et de noeuds, rattaché par des épingles, couronné par des plumes, et tellement haut, que souvent «le menton est à mi-chemin des pieds;» parfois on lui met du rouge. C'est une dame en miniature; elle le sait, elle est toute à son rôle, sans effort ni gêne, à force d'habitude; l'enseignement unique et perpétuel est celui du maintien74.»
Note 74: (retour) Taine, ouvrage cité.
Un écrivain du XVIIIe siècle, Mercier, nous dira: «Le maître de danse, dans l'éducation d'une jeune demoiselle, a le pas sur le maître à lire, et sur celui même qui doit lui inspirer la crainte de Dieu et l'amour de ses devoirs futurs75.»
Note 75: (retour) Mercier, Tableau de Paris, 1783. T. VIII, ch. CDX. Petites filles, Marmots.
Les quelques notions de catéchisme que la jeune fille perdait bientôt d'ailleurs dans le courant philosophique du siècle, n'occupaient, en effet, qu'un rôle bien secondaire, je ne dirai pas dans l'éducation, ce serait profaner ce mot, mais dans le dressage de la jeune fille. Tout y était sacrifié à l'enseignement du maintien. Lorsque, par une mesure d'économie, le cardinal de Fleury décide Louis XV à faire élever ses filles à l'abbaye de Fontevrault où, trop souvent, gâtées en filles de roi, elles n'ont guère d'autre règle que celle de leurs fantaisies, l'une des princesses, Mme Louise de France, ne connaît pas encore, à douze ans, toutes les lettres de son alphabet. Un seul professeur d'art d'agrément a suivi ses royales élèves à Fontevrault; c'est encore le maître à danser76!
Note 76: (retour) Mme Campan, Mémoires sur la vie de Marie-Antoinette.
Huit jours avant son mariage, la future duchesse de Doudeauville, Mlle de Montmirail, âgée de quinze ans, est mise dans un coin de la salle à manger, avec une robe de pénitence, pour avoir mal fait sa révérence à son entrée dans le salon d'une mère aussi sévère que fantasque77!
Note 77: (retour) Vie de Mme de la Rochefoucauld, duchesse de Doudeauville.
Mais empruntons encore à Mercier quelques traits relatifs à cette éducation qui, «dès la plus tendre enfance...imprègne, pour ainsi dire, l'âme des femmes de vanité et de légèreté.» Pour la petite fille, «la marchande de modes et la couturière sont des êtres dont elle évalue l'importance, avant d'entendre parler de l'existence du laboureur qui la nourrit, et du tisserand qui l'habille. Avant d'apprendre qu'il y aura des objets qu'elle devra respecter, elle sait qu'il ne s'agit que d'être jolie, et que tout le monde l'encensera. On lui parle de beauté avant de l'entretenir de sagesse. L'art de plaire et la première leçon de coquetterie sont inspirés avant l'idée de pudeur et de décence, dont un jour elle aura bien de la peine à appliquer le vernis factice sur cette première couche d'illusion.
«Qu'on daigne regarder avec réflexion ces marionnettes que l'on voit dans nos promenades, préluder aux sottises et aux erreurs du reste de leur vie. Le petit monsieur, en habit de tissu, et la petite demoiselle, coiffée sur le modèle des grandes dames, copiant, sous les auspices d'une bonne imbécile, les originaux de ce qu'ils seront un jour. Toutes les grimaces et toutes les affectations du petit maître sont rassemblées chez le petit monsieur. Il est applaudi, caressé, admiré en proportion des contorsions qu'il saisit. La petite demoiselle reçoit un compliment à chaque minauderie dont son petit individu s'avise; et si son adresse prématurée lui donne quelque ascendant sur le petit mari, on en augure, avec un étonnement stupide, le rôle intéressant qu'elle jouera dans la société78.»
Note 78: (retour) Mercier, l. c.
La petite fille grandit dans l'ennui et l'oisiveté sous ce toit paternel qui souvent n'abrite pour elle ni caresses ni sourire. Le matin, quand la mère est à sa toilette, la petite fille vient cérémonieusement lui baiser la main; elle voit encore ses parents aux heures des repas79.
Note 79: (retour) Vie de Mme de la Rochefoucauld, duchesse de Doudeauville; Taine, les Origines de la France contemporaine. L'ancien régime.
La mère aime-t-elle sa fille ou du moins croit-elle l'aimer, la garde-t-elle dans sa chambre, cette chambre est, comme au XVIIe siècle, une prison où l'enfant, privée de tout mouvement, est tour à tour encensée ou grondée; «toujours ou relâchement dangereux ou sévérité mal entendue; jamais rien selon la raison. Voilà comment on ruine le corps et le coeur de la jeunesse80.»
Note 80: (retour) Rousseau, Émile, V.
Devant cette jeune fille condamnée au rôle d'automate, Rousseau, l'ennemi, des couvents, se prend à regretter ces maisons où l'enfant peut se livrer à ses joyeux ébats, sauter et courir.
Rousseau parlait ainsi dans le livre par lequel il crut pouvoir réformer l'éducation, aussi bien celle des femmes que celle des hommes.
Au milieu de ses folles utopies, Rousseau établit néanmoins dans l'Émile un principe que feraient bien de méditer les émancipateurs actuels de la femme: c'est qu'il faut élever chaque sexe selon sa nature, et ne pas faire de la femme un homme, pas même un honnête homme! Il faut simplement en faire une honnête femme; «Elles n'ont point de collèges! s'écrie-t-il. Grand malheur! Eh! plût à Dieu qu'il n'y en eût point pour les garçons81!» Je n'achève la phrase de Rousseau que pour compléter la citation, mais non pour l'approuver jusqu'au bout. Il est certain que la vie de collège est aussi nécessaire à l'homme, pour le préparer à la vie publique, qu'elle serait funeste à la femme qui est destinée à l'existence du foyer.
Note 81: (retour) Rousseau, l. c.
Rousseau dit que l'éducation doit préparer une femme qui comprenne son mari, une mère qui sache élever ses enfants. Ce sont là de sages préceptes que nous trouvions dans les siècles précédents, mais que le faux jugement de Rousseau applique fort mal, comme d'habitude. C'est que, au lieu de reconnaître l'existence du péché originel, le philosophe admet la bonté absolue de la nature humaine. Tous les instincts de cette nature sont bons; il n'y a qu'à les développer. La ruse est l'instinct naturel de la femme: c'est cette ruse qu'il faut laisser croître. La grande science de la femme sera d'étudier le coeur de l'homme pour chercher adroitement à plaire. Cette étude est la seule que Rousseau encourage chez la jeune fille. Il lui permet d'ailleurs d'apprendre sans maître tout ce qu'elle voudra, pourvu que ses connaissances se bornent à des arts d'agrément qui la rendront plus capable de plaire à son mari. C'est en vain que Rousseau a prêché la réforme de l'éducation; ses belles théories n'aboutissent qu'à l'éducation du XVIIIe siècle: l'art de plaire82.
Note 82: (retour) Taine, ouvrage cité.
Aucune réforme sérieuse n'était possible avec le système d'un philosophe qui enlevait à l'éducation de la femme comme à celle de l'homme la seule base solide: l'éducation religieuse. Rousseau, qui trouvait qu'il n'est peut-être pas temps encore qu'à dix-huit ans, l'homme apprenne qu'il a une âme, Rousseau permet cependant que l'on instruise plus tôt la femme des vérités religieuses. Il est vrai que c'est par un motif assez irrespectueux pour l'intelligence féminine: Jean-Jacques trouve que si, pour apprendre les vérités religieuses à la femme, on attend qu'elle puisse les comprendre, elle ne les saura jamais. Peu importe donc que ce soit plus tôt ou plus tard.
La religion de Rousseau, cette religion dont le Vicaire savoyard est l'éloquent apôtre, est fort élastique: c'est la religion naturelle. Il est vrai qu'au temps où nous vivons, il faut savoir gré à Jean-Jacques de n'avoir biffé ni l'existence de Dieu ni l'immortalité de l'âme.
Impuissantes—heureusement—à passer dans la vie réelle, les rêveries éducatrices de Rousseau rappellent cependant aux mères qu'elles ont des filles. Elles ont maintenant le goût de la sensiblerie maternelle. Mais, incapable de comprendre que cette enfant représente pour elle un devoir, la mère ne voit en elle qu'un plaisir. On initie la petite fille aux grâces du parler élégant. On fait de cette enfant, qui y est déjà si bien préparée, une petite comédienne de salon. Elle reçoit pour maîtres des acteurs célèbres; elle joue dans les proverbes, dans les comédies, dans les tragédies. Rousseau n'avait sans doute pas prévu tous ces résultats, mais n'en avait-il pas préconisé le principe: l'art de plaire?
Une disciple de Rousseau, Mlle Phlipon, la future Mme Roland, parut donner un fondement plus solide à l'éducation des femmes quand elle écrivit un discours sur cette question proposée par l'Académie de Besançon: Comment l'éducation des femmes pourrait contribuer à rendre les hommes meilleurs. Suivant la méthode de Rousseau, la jeune philosophe juge que pour répondre à cette question il faut suivre les indications de la nature. Cette méthode lui fait découvrir que c'est par la sensibilité que les femmes améliorent les hommes et leur donnent le bonheur: c'est donc la sensibilité qu'il faut développer et diriger en elles par une instruction qui éclaire leur jugement. Développer la sensibilité, c'est-à-dire le foyer le plus ardent et le plus dangereux qui soit dans le coeur de la femme! En vain, Mlle Phlipon prétend-elle régler la marche du feu. Oui, avant l'incendie, on peut et l'on doit diriger la flamme; mais quand tout brûle, est-ce possible? Allumer l'incendie et se croire la faculté de se rendre maître du feu, quelle utopie!
Telle est l'éducation par laquelle l'élève de Rousseau prépare l'épouse et la mère éducatrice. Tout ici, même l'exercice de la réflexion, doit concourir à rendre la femme plus aimante et plus aimable. N'est-ce pas encore; avec une plus généreuse inspiration, le système de Rousseau: l'art de plaire? Aussi, bien que Mlle Phlipon accorde à l'instruction des femmes une place que l'Emile ne lui avait pas attribuée, ses conclusions ne s'écartent guère de celles de son maître. Non plus que Rousseau d'ailleurs, elle ne sait leur donner une valeur pratique. Elle avoue elle-même à la fin de son discours qu'elle est «plus prompte à saisir les principes» qu'elle n'est «habile à détailler les préceptes 83.»
Note 83: (retour) M. Faugère a fait rechercher le manuscrit du discours de Mme Roland, dans les archives de l'Académie de Besançon. Il a publié ce travail inédit dans son édition des Mémoires de Mme Roland. 1864.
Ce n'est pas dans la prédominance absolue de la sensibilité, c'est dans l'harmonie du coeur et de la raison qu'est le secret de la véritable éducation, mais il n'appartient pas à la philosophie naturelle, de livrer ce secret.
Tandis que les philosophes dissertaient sur l'éducation, tandis que des mères mondaines s'essayaient à appliquer les théories de Rousseau, quelques familles, bien rares il est vrai, continuaient de chercher les traditions éducatrices à leur véritable source: le christianisme. J'aime à remarquer ces traditions dans la postérité du chancelier d'Aguesseau. Un esprit supérieur avait toujours distingué les femmes de cette famille. La femme et la soeur du chancelier nous apparaîtront plus tard. Sa fille aînée, la future comtesse de Chastellux, reçut chez les dames de Sainte-Marie de la rue Saint Jacques, une solide instruction. Rentrée dans sa famille, elle se livra d'elle-même à de fortes études. Son père l'y encourageait: «J'espère, lui écrivait-il, que vous humilierez par vos réponses la vanité de vos frères, qui croient être d'habiles gens, et que vous leur ferez voir que la science peut être le partage des filles comme des hommes.» Ce serait là un avis un peu téméraire s'il ne trouvait son correctif dans cette autre phrase: «Ce que je trouve de beau en vous, ma chère fille, c'est que vous ne dédaignez pas de descendre du haut de votre érudition, pour vous abaisser à faire tourner un rouet.» Plus tard, le chancelier s'intéressait à la prédilection que sa petite-fille, Mlle Henriette de Fresnes, avait pour l'histoire ancienne et particulièrement pour ce qui concernait l'Égypte. Il se plaisait au style de cette jeune personne, mais il la félicitait aussi de garder le goût des occupations ménagères: «Je suis ravi de voir que vous savez pâtisser aussi bien qu'écrire, et que vous cherchez de bonne heure à imiter les moeurs des femmes et des filles des patriarches. Vous me permettrez cependant de préférer toujours les ouvrages de votre esprit à ceux de vos doigts84.»
Note 84: (retour) D'Aguesseau, Lettres inédites. A Mlle d'Aguesseau, 13 octobre 1712; à Mlle Henriette de Fresnes, 4 janvier et 27 février 1745; et dans le même ouvrage, Essai sur la vie de Mme la comtesse de Chastellux, par Mme la marquise de la Tournelle, sa fille.
Mlle Henriette de Fresnes. qui devint la duchesse d'Ayen, trouvait donc, dans les traditions de sa famille, une plus sûre méthode d'éducation que celle de l'Émile. Elle l'applique avec la sollicitude maternelle la plus éclairée. En élevant ses cinq filles, la duchesse fortifie leur jugement, fait planer leurs âmes au-dessus des intérêts terrestres, et leur apprend qu'il faut tout sacrifier à la vertu. Elle lit avec ses filles les pages les plus éloquentes des anciens et des modernes, ainsi que les plus belles oeuvres de la poésie. Elle forme elle-même ces admirables mères qui, à travers la tourmente de la Révolution, gardent ses enseignements pour les transmettre à notre siècle: Mme de La Fayette, Mme de Montagu; Mme de Montagu qui disait à ses filles que «la vérité ne nous est pas donnée seulement pour orner notre esprit, mais pour être pratiquée85.» Belle définition qui résume tout ce que la vieille éducation française nous a donné de meilleur.
Note 85: (retour) Anne-Paule-Dominique de Noailles, marquise de Montagu.
Du XVIe au XVIIIe siècles, quelles jeunes filles produira d'une part l'éducation mondaine, de l'autre l'éducation domestique?
Au XVIe siècle, la première de ces éducations nous offre, dans son expression typique, la fille d'honneur attachée à une reine ou à une princesse. Elle figure dans les ballets, elle assiste aux tournois; ou, bien, à cheval, la plume au vent, elle escorte avec ses compagnes la litière d'une royale voyageuse. Elle porte gaiement la vie, la mort même; et, vaillante, elle fait de sa tendresse le prix de la valeur guerrière. Mais, dans l'escadron volant de Catherine de Médicis, elle met à moins haut prix son amour, et sert l'astucieuse politique de la reine pour séduire les hommes qu'il faut gagner86.
Note 86: (retour) Brantôme, les deux livres des Dames; Marguerite de Valois, reine de France et de Navarre, Mémoires.
La légèreté des filles d'honneur pouvait aller jusqu'à la plus effroyable immoralité. Brantôme nous en donne des preuves suffisantes. Ne nous montre-t-il pas de ces jeunes filles buvant dans une coupe où un prince a fait graver les scènes les plus immorales! Si quelques-unes de ces jeunes filles détournent les yeux, d'autres regardent effrontément, échangent tout haut d'ignobles réflexions, et osent même étudier les infâmes leçons qui leur sont présentées87!
Note 87: (retour) Brantôme, Second livre des Dames.
Sous Louis XIV, la dépravation, pour être moins éhontée, n'en existe pas moins parmi les filles d'honneur. Elles sont exposées ou s'exposent elles-mêmes aux hommages outrageants. La maréchale de Navailles est obligée de faire murer l'escalier qui mène le jeune roi chez les filles d'honneur.
Mais dans les familles demeurées patriarcales, d'autres habitudes préparent dans la jeune fille la gardienne du foyer. Au sein de l'austère retraite où la protège l'honneur domestique, elle verra dans la vie, non cette fête perpétuelle que rêvent les filles de la cour, mais une rude épreuve à laquelle elle doit préparer son âme.
Dans les familles même qui ne prennent de la cour que l'élégance et qui en repoussent la corruption, la jeune fille conserve cette grâce suave et chaste, cette dignité et cette simplicité, cette douceur et cette force morale que lui avait donnée le moyen âge. Il s'y joint même quelque chose de plus dans ce milieu d'une distinction souveraine. Quand, aux attraits de la vierge chrétienne, venaient s'unir les dons exquis de l'intelligence, le charme des nobles manières et du gracieux parler, on avait dans son expression la plus accomplie le type de la jeune fille française.
Au XVIe siècle et au commencement du XVIIe, les luttes du temps font souvent prédominer chez la jeune fille la force sur la douceur. Corneille dut peindre d'après nature ces adorables furies qui, tout entières à la vengeance d'un père, immolent à cette vengeance leurs plus tendres sentiments, et sacrifient à un faux point d'honneur les lois de la miséricorde, celles de la justice même. Mais, à côté de ces natures ardentes, le doux type de la jeune fille subsiste toujours, et des temps plus calmes permettront de le voir plus souvent dans sa paisible sérénité. Racine l'avait sous les yeux en dessinant Iphigénie. Molière le respecta généralement dans ses comédies. Nobles ou bourgeoises, la plupart de ses jeunes filles, gracieuses et modestes comme Iphigénie, ont comme celle-ci la tendresse filiale, le respect de la volonté paternelle, la force des généreuses renonciations. Sans doute le poète comique ne leur demande pas d'immoler leur vie,—ce n'était pas son rôle,—mais elles savent sacrifier leurs sentiments les plus chers au souvenir d'un père, au repos d'un fiancé. Nous retrouverons encore cette touchante figure de la jeune fille française dans la société artificielle du XVIIIe siècle, cette société, tour à tour, et même à la fois, sentimentale et spirituellement légère; et Bernardin de Saint-Pierre immortalisera dans sa Virginie ce type de la tendresse, du dévouement et de la céleste pureté qui, devant une mort soudaine et terrible, fait refuser à la jeune fille le salut qui l'alarme dans les plus intimes délicatesses de sa pudeur.
Et si nous passons dans la vie réelle, que de ravissantes figures depuis ces jeunes filles du XVIe siècle qui allient les plus humbles devoirs domestiques au culte des lettres, jusqu'à ces nobles créatures du XVIIe et du XVIIIe siècles, Louise de la Fayette, Marthe du Vigean, Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé, anges de la terre qui s'envolent vers les saintes régions du cloître sans que leurs blanches ailes aient reçu la moindre poussière terrestre! Et, au milieu de la tourmente révolutionnaire, que de touchantes physionomies encore, depuis cette Jeune Captive dont André Chénier recueillit, dans sa poésie enchanteresse, les mélancoliques regrets et les invincibles espoirs88; jusqu'à Madame Élisabeth de France et ses glorieuses émules qui, devant l'échafaud, immolent avec un sublime courage ces mêmes regrets, ces mêmes espoirs, et prouvent que le pays de Jeanne d'Arc n'a pas cessé d'enfanter des vierges-martyres!
Note 88: (retour) Bien que l'héroïne de ce poëme, Mlle de Coigny, n'ait pas gardé dans la suite de sa vie le charme que nous a révélé André Chénier, elle est toujours restée, comme l'a dit M. Caro, la jeune fille immortalisée par le poète, la Jeune captive. Caro, la Fin du XVIIIe siècle.
Sans doute, comme nous l'avons remarqué, les tendresses du foyer seront souvent comprimées pour la jeune fille. Mais ces tendresses déborderont plus d'une fois. On verra des Antigones soutenir leurs parents infirmes89. L'amour filial, l'amour fraternel auront leurs héroïnes, comme la généreuse soeur de François Ier captif, comme la duchesse de Sully pendant la Fronde, Mlle de Sombreuil et Mlle Cazotte pendant la Révolution.
Note 89: (retour) Mme la baronne d'Oberkirch, Mémoires; les savants Godefroy. Mémoires d'une famille, etc.
Mme de Miramion, qui n'avait que neuf ans lorsqu'elle perdit sa mère, en devint malade de chagrin; et toute sa vie, sa figure, de même que son esprit, garda la mélancolique impression de ce souvenir. Dès le jeune âge où elle fut privée de sa mère, elle devait regretter de ne l'avoir pas assez aimée90.
Note 90: (retour) Récit de la vie de Mme de Miramion, écrit par elle-même, d'après l'ordre de son directeur, M. Jolly, 1677. Bonneau-Avenant, Mme de Miramion.
«En aimant ma mère, j'ai appris à aimer la vertu, dira dans une maladie mortelle Mme de Rastignac, fille de la duchesse de Doudeauville. J'ai toujours cru entendre la voix de Dieu quand elle me parlait, et en lui obéissant, c'est sa volonté que j'ai cru faire.»
Les terreurs de la mort agitent la jeune femme: «Restez avec moi», dit-elle à l'admirable mère qui a inspiré un tel éloge. «Restez avec moi; près de vous je n'ai jamais rien redouté.» Comme l'enfant bercé par sa mère, la malade s'endormait en sentant veiller sur elle cette tendre sollicitude. Mais la mort est là et va saisir sa proie. «Je remercie Dieu en mourant de n'avoir pas eu dans le cours de ma vie une seule pensée que je ne vous aie fait connaître», dit Mme de Rastignac à sa mère.
Elle va recevoir les sacrements: «Ce sera pour ce soir,» dit-elle au saint prêtre qui l'assiste: «Je désire épargner ce spectacle à la sensibilité de mes parents, mais j'ai prié ma mère de s'y trouver, il lui en coûterait trop de s'éloigner; d'ailleurs, j'ai besoin de sa présence; elle est mon ange, elle est ma vie, je croirai n'avoir rien fait de bien sans elle; je dois à ses soins la prolongation de mes jours, et mon salut à ses vertus91.»
Note 91: (retour) Vie de Mme de la Rochefoucauld, duchesse de Doudeauville. Cette scène se passe en 1802; mais nous l'avons rattachée à l'ancienne France, qui forma Mme de Rastignac.
Aux premiers temps de sa maladie, elle avait pressenti sa fin prochaine. Jeune, charmante, adorée, elle disait: «Je suis résignée à tout ce que Dieu voudra, mais je conviens qu'il m'en coûterait de quitter la vie.—Cela est simple, lui répondit-on, à vingt et un ans, avec tous les avantages qui assurent le bonheur.—Non, reprit-elle en riant, ce ne sont pas là des biens, vous ne m'entendez pas.—Mais vous êtes épouse et mère!—Ah! je le sens plus vivement que jamais!... et je suis fille92!»
Note 92: (retour) Même ouvrage.
«Et je suis fille!» Ce fut avec un déchirant accent que la malade prononça ces paroles qui révélaient que, pour cette angélique créature, l'amour filial avait été le sentiment dominant de sa vie.
Toutefois le sévère principe romain de l'autorité paternelle l'emportait généralement sur l'amour dans les foyers de la vieille France. La tâche de la jeune fille était particulièrement lourde dans les familles nobles réduites à la pauvreté. Les filles du logis tenaient souvent lieu de servantes. A la ville, elles font le marché; elles travaillent dans un grenier. A la campagne, elles respirent du moins le grand air des champs, mais elles joignent aux travaux du ménage les occupations de la vie rurale. Il en est qui ont à surveiller «quelques dindons, quelques poules, une vache, encore trop heureuses d'avoir à en garder», dit Mme de Maintenon qui, elle aussi, des sabots aux pieds, une gaule à la main, avait gardé les dindons d'une tante riche cependant, mais avare93.
Note 93: (retour) Mme de Maintenon, Conseils et instructions aux demoiselles de Saint-Cyr pour leur conduite dans le monde, édition de M. Lavallée. Instructions de 1706 et de 1707. Mme de Staal de Launay nous montre aussi ses deux futures belles-filles tenant le ménage paternel. V. ses Mémoires.
Une lettre écrite en 1671 et qui nous fait pénétrer dans une gentilhommière normande, nous initie à la rude existence que menaient les filles de la maison:
...Nous avons esté les mieux receus du monde tant de M. mon oncle que de Mme ma tante et de tous mes cousins et cousines... ils sont au nombre de neuf. L'aisné est un garçon... après suivent quatre filles... l'aisnée su nomme Nanette, 17 à 18 ans, de taille dégagée, assez grande, passablement belle, fort adrette; elle fait avec sa cadette suivante tout l'ouvrage de la maison; encore dirigent-elles le manoir de la Fretelaye à demi-lieue de là. Cette cadette, Manon, âgée de 15 ans, trop grosse pour sa taille, est belle et a bonne grâce, mais gagneroit à ne pas être tant exposée au soleil en faisant tout le ménage de la maison. La troisième, Margot, n'est ni belle ni bonne (13 à 14 ans), la quatrième, Cathos (dix ans), assez bonne petite fille, presque sourde, a des yeux de cochon, un nez fort camard, un teint tout taché de brands de Judas. Suivent deux frères: Jean-Baptiste, agé de huit ans, gros garçon qui aura quelque jour bonne mine et promet quelque chose; François, agé de sept ans, promettant moins et méchant comme un petit démon, sec comme un hareng soret... Vient après eux une fille de cinq ans, nommée Madelon, qui ne sçait pas que nous soyons partis, car elle en mourrait de déplaisir. Le dernier, Pierrot, petit démon, a deux ans et sept mois, tette encore, et donne à sa mère, luy seul, plus de peyne que tous les autres... Pour leurs habits, ils sont assez propres et honnestes suivant que l'on se vestit dans le pays... les deux filles ont des robes d'estamine de Lude avec des jupes de serge de Londres fort propre94...
Note 94: (retour) Lettre de Denis III Godefroy, 3 octobre 1671. Les savants Godefroy. Mémoires d'une famille, etc.
Au milieu de cette nombreuse famille, de ces enfants volontaires, on se représente ce qu'était l'existence des jeunes ménagères! La vie active qu'elles menaient nous semble au demeurant plus heureuse que la vie comprimée qui était le partage des jeunes filles riches.
Sous l'humble toit paternel la fille du gentilhomme pauvre était protégée par ces fermes principes qui, dans leur rigueur même, sauvegardaient sa dignité. Mais que de déceptions, que d'amères tristesses pour la jeune fille qui, élevée dans un milieu aristocratique, tombait dans la misère sans être entourée d'une famille! Est-il rien de plus navrant que la détresse de Mlle de Launay, cette pauvre fille qui, réduite à la domesticité, subit les humiliations de son nouvel état devant les hommes même qui l'ont entourée d'hommages, et essuie jusqu'aux insultants mépris des autres caméristes qui n'ont ni son instruction, ni ses talents, et qui se vengent de cette infériorité en se moquant de son inaptitude à leur métier95? Et que dire des malheureuses enfants qui, bien plus à plaindre encore que Mlle de Launay, sont livrées par un père ou par une mère qui exploite leur honneur96?
Note 95: (retour) Mme de Staal de Launay, Mémoires.
Note 96: (retour) Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens; Mme Campan, Souvenirs, portraits, anecdotes.
Quant aux filles de familles riches, quel sort les attendait?
Bien qu'au XVIe siècle le droit romain ait triomphé du droit germain, le droit d'aînesse échappe à cette influence, et généralement aussi, les filles sont, comme les cadets, sacrifiées à l'aîné de leurs frères, et ne reçoivent qu'une dot97. Néanmoins, cette dot paraît encore trop lourde à bien des familles qui se débarrasseront de cette charge au moyen du couvent. C'est avec une généreuse indignation que Bourdaloue flétrira le crime de ces parents qui, forçant les vocations, osent jeter à Dieu des coeurs qu'il n'a pas lui-même appelés: L'établissement de cette fille coûterait; sans autre motif, c'est assez pour la dévouer à la religion. Mais elle n'est pas appelée à ce genre de vie: il faut bien qu'elle le soit, puisqu'il n'y a point d'autre parti à prendre pour elle. Mais Dieu ne la veut pas dans cet état: il faut supposer qu'il l'y veut, et faire comme s'il l'y voulait. Mais elle n'a nulle marque de vocation: c'en est une assez grande que la conjoncture présente des affaires et la nécessité. Mais elle avoue elle-même qu'elle n'a pas cette grâce d'attrait: cette grâce lui viendra avec le temps, et lorsqu'elle sera dans un lieu propre à la recevoir. Cependant on conduit cette victime dans le temple, les pieds et les mains liés, je veux dire dans la disposition d'une volonté contrainte, la bouche muette par la crainte et le respect d'un père qu'elle a toujours honoré. Au milieu d'une cérémonie brillante pour les spectateurs qui y assistent, mais funèbre pour la personne qui en est le sujet, on la présente au prêtre et l'on en fait un sacrifice qui, bien loin de glorifier Dieu et de lui plaire, devient exécrable à ses yeux et provoque sa vengeance.
Note 97: (retour) J'ai longuement étudié la situation de la femme devant le droit romain et le droit germain dans mon ouvrage: la Femme française au moyen âge, actuellement sous presse.
Ah! Chrétiens, quelle abomination! Et faut-il s'étonner, après cela, si des familles entières sont frappées de la malédiction divine? Non, non, disait Salvien, par une sainte ironie, nous ne sommes plus au temps d'Abraham, où les sacrifices des enfants par les pères étaient rares. Rien maintenant de plus commun que les imitateurs de ce grand patriarche. On le surpasse même tous les jours: car, au lieu d'attendre comme lui l'ordre du ciel, on le prévient... Mais bientôt corrigeant sa pensée: Je me trompe, mes frères, reprenait-il; ces pères meurtriers ne sont rien moins que les imitateurs d'Abraham; car ce saint homme voulut sacrifier son fils à Dieu: mais ils ne sacrifient leurs enfants qu'à leur propre fortune, et qu'à leur avare cupidité98...
Note 98: (retour) Bourdaloue, Sermon pour le premier dimanche après l'Épiphanie. Sur les devoirs des pères par rapport à la vocation de leurs enfants.
La Bruyère n'est pas moins énergique: «Une mère, je ne dis pas qui cède et qui se rend à la vocation de sa fille, mais qui la fait religieuse, se charge d'une âme avec la sienne, en répond à Dieu même, en est la caution: afin qu'une telle mère ne se perde pas, il faut que sa fille se sauve99.»
Note 99: (retour) La Bruyère, XIV, De quelques usages. Dans l'alinéa suivant le moraliste parle d'une jeune fille que son père, joueur ruiné, fait religieuse, et qui n'a d'autre vocation «que le jeu de son père.» Mme de Maintenon et la duchesse de Liancourt s'élèvent aussi contre les vocations forcées. Mme de Maintenon, Lettres et Entretiens, 60. Instruction aux demoiselles de la classe bleue, janvier 1695; la duchesse de Liancourt, Règlement donné par une dame de haute qualité à M*** (Mlle de la Roche-Guyon), sa petite fille, pour sa conduite et celle de sa maison. Avec un mitre règlement que cette dame avait dressé pour elle-même. Paris, 1718. (Sans nom d'auteur.)
Si les parents ne mettent pas leurs filles au couvent, ils pourront les empêcher de se marier, dussent-ils, comme le fit le duc de la Rochefoucauld, les laisser végéter dans un coin séparé de la demeure paternelle, et réduire même l'une d'elles à épouser secrètement un ancien domestique de la maison, devenu un courtisan célèbre100.
Note 100: (retour) Saint-Simon, Mémoires, éd. de M. Chérnel, t. II, ch. XXXVII; VI, XXIII.
Ces abus n'existaient pas dans les familles où régnait l'esprit chrétien. Mère de neuf filles, la maréchale de Noailles né voulut forcer la vocation d'aucune d'elles. Une seule reçut l'appel divin et y répondit101.
Note 101: (retour) E. Bertin, les Mariages dans l'ancienne société française.
Dans ces pieuses familles, les filles sont dotées par leur père, soit de son vivant, soit par disposition testamentaire. On en voit même qui, conformément au droit romain, reçoivent du testament paternel une part égale à celle de leurs frères. Tel exemple nous est offert dans la famille des Godefroy. Nous voyons aussi dans cette famille une fille tendrement dévouée à ses parents et qui reçoit de sa mère «en avancement d'hoirie deux rentes au capital de 10,400 livres.» Son père lui avait déjà légué «hors part,» divers domaines; et cependant elle avait des frères102.
Note 102: (retour) Les savants Godefroy. Mémoires d'une famille, etc.