Читать книгу L'oeuvre du comte de Mirabeau - Comte Honoré-Gabriel de Riqueti de Mirabeau - Страница 11
L’ISCHA
ОглавлениеMarie Schurmann a proposé ce problême: L’étude des lettres convient-elle à une femme?
Schurmann soutient l’affirmative, veut que la femme n’excepte aucune science, pas même la théologie, et prétend que le beau sexe doit embrasser la science universelle, parce que l’étude donne une sagesse qu’on n’achète point par les secours dangereux de l’expérience; et que lors même qu’il en coûteroît quelque chose à l’innocence, il seroit à propos de passer pardessus de certaines réserves, en faveur de cette prudence précoce, qui d’ailleurs se trouvera fécondée par l’étude, dont les méditations affoiblissent ou redressent les penchans vicieux, et diminuent le danger des occasions.
L’éducation des femmes est si négligée chez tous les peuples, même chez ceux qui passent pour les plus policés, qu’il est bien étonnant qu’on en compte un aussi grand nombre de célèbres par leur érudition et leurs ouvrages. Depuis le livre des femmes illustres de Boccace, jusqu’aux énormes in-4o du minime Hilarion Coste, nous avons en ce genre un grand nombre de nomenclatures; et Wolf a donné un catalogue des femmes célèbres, à la suite des fragmens des illustres Grecques, qui ont écrit en prose27. Les Juifs, les Grecs, les Romains, tous les peuples de l’Europe moderne ont eu des femmes savantes.
Il est donc étonnant que divers préjugés contre la perfectibilité des femmes se soient établis sur le prétendu rapport de l’excellence de l’homme sur la femme. Plus on approfondit ce fait si singulier (car il l’est infiniment que l’objet de l’adoration des hommes soit par-tout leur esclave), plus on remarque qu’il est principalement fondé sur le droit du plus fort, l’influence des systèmes politiques, et sur-tout celle des religions; car le christianisme est la seule qui conserve à la femme, d’une manière nette et précise, tous les droits de l’égalité.
Je n’ai nulle envie de recommencer les discussions que Pozzo a peu galamment appelées paradoxes dans son ouvrage intitulé: La femme meilleure que l’homme. Mais il est si naturel, quand on considere le prix de ce don du ciel qu’on appelle la beauté, de se pénétrer de cette vive et touchante image, qu’on en devient bientôt enthousiaste: et lorsqu’on lit ensuite les livres saints, on n’est plus étonné que la femme soit le complément des œuvres de Dieu; qu’il ne l’ait produite qu’après tout ce qui existe; comme s’il avoit voulu annoncer qu’il alloit clore son ouvrage sublime par le chef-d’œuvre de la création. C’est dans ce point de vue, plus religieux que philosophique peut-être, que je veux considérer la femme.
Ce n’est pas avec impétuosité que l’univers a été créé. Il a été fait à plusieurs fois, afin que son merveilleux ensemble prouvât que si la volonté seule du grand Être étoit la règle, il étoit le Maître de la matière, du temps, de l’action et de l’entreprise. L’éternel Géomètre agit sans nécessité, comme sans besoin; il n’est jamais ni contraint, ni embarrassé. On voit, pendant les six espaces de la création, qu’il tourne, façonne, meut la matiere sans peine, sans efforts; et quand une chose dépend d’une autre, quand, par exemple, la naissance et l’accroissement des plantes dépendent de la chaleur du soleil, ce n’est que pour indiquer la liaison de toutes les parties de l’univers, et développer sa sagesse par ce merveilleux enchaînement.
Mais tout ce qu’enseigne la Bible sur la création de l’univers n’est rien en comparaison de ce qu’elle dit sur la production du premier être raisonnable. Jusqu’ici tout a été fait à commandement; mais quand il s’agit de créer l’homme, le système change, et le langage avec lui. Ce n’est plus cette parole impérieuse et subite; c’est une parole plus réfléchie et plus douce, quoique moins efficace; Dieu tient un conseil en lui-même, comme pour faire voir qu’il va produire un ouvrage qui surpassera tout ce qu’il a créé jusqu’alors. Faisons l’homme, dit-il. Il est évident que Dieu parle à lui-même. C’est une chose inouïe dans toute la Bible, qu’aucun autre que Dieu ait parlé de lui-même en nombre pluriel: Faisons. Dans toute l’écriture, Dieu ne parle ainsi que deux ou trois fois; et ce langage extraordinaire ne commence à paroître que lorsqu’il s’agit de l’homme.
Cette création faite, il se passe un temps considérable avant que ce nouvel être, à double sexe, reçoive le souffe de vie; ce n’est qu’à la septième époque. Adam a existé longtemps dans l’état de pure nature, et n’ayant que l’instinct des animaux; mais quand le souffle lui fut inspiré, Adam se trouvant le roi de la terre, il usa de sa raison, et nomma toutes choses.
Voilà donc deux créations bien distinctes: celle de l’homme, celle de son esprit; et c’est ici seulement que paroît la femme. Elle n’est pas créée du néant comme tout ce qui a précédé; elle sort de ce qui existoit de plus parfait; il ne restoit plus rien à créer; Dieu extrait d’Adam le plus pur de son essence, pour embellir la terre de l’être le plus parfait qui eut encore paru; de celui qui complétoit l’œuvre sublime de la création.
Le mot dont le législateur hébreu se sert pour exprimer cet être, revient à virago28, que le François ne peut pas traduire, que le mot femme n’exprime point, et qui ne peut se sentir que par l’idée de puissance de l’homme. Car vir signifie homme, et ago j’agis. Autrefois on disoit vira29, et non virago. Mais les Septante ont prétendu que par le mot vira le sens de l’hébreu n’étoit pas rendu, ils ont ajouté ago30.
Je ne m’étonne donc point que Schurmann relève autant la condition du beau sexe, et s’indigne contre les sectes qui la dépriment. La parabole dont l’écriture se sert en formant la femme de la côte d’Adam, n’a d’autre objet que celui de montrer que cette nouvelle créature ne fera qu’un avec la personne de son mari, qu’elle est son âme et son tout. La tyrannie du sexe fort a pu seule altérer ces notions d’égalité.
Ces notions furent bien distinctes dans le paganisme, puisque les anciens associèrent les deux sexes à la divinité: voilà ce qui est bien constaté indépendamment de tout système sur la mythologie. Si les païens mettoient l’homme dès le moment de sa naissance sous la garde de la puissance, de la fortune, de l’amour et de la nécessité, car c’est là ce que veulent dire Dynamis, Tyché, Eros et Ananché, ce n’étoit probablement qu’une allégorie ingénieuse pour exprimer notre condition: car nous passons notre vie à commander, à obéir, à désirer et à poursuivre. Autrement, c’eût été confier l’homme à des guides bien extravagans; car la puissance est la mère des injustices, la fortune celle des caprices; la nécessité produit les forfaits, et l’amour est rarement d’accord avec la raison.
Mais quelque enveloppés que puissent être les dogmes du paganisme, il n’y a point de doutes sur la réalité du culte des divinités principales, et celui de Junon, femme et sœur du maître des dieux, fut un des plus universels et des plus révérés. Cette épithete de femme et de sœur montre assez sa toute-puissance: celle qui donne les loix peut les enfreindre. Ce secret célèbre et non moins commode de recouvrer sa virginité en se baignant dans la fontaine Canathus au Péloponese, étoit une preuve des plus frappantes de ce pouvoir qui légitime tout chez les dieux, comme chez les hommes. Le tableau des vengeances de Junon, exposé sans cesse sur les théâtres, propageoit la terreur qu’inspiroit cette formidable déesse. L’Europe, l’Asie, l’Afrique, les peuples barbares31 comme les policés, l’honorèrent et la craignirent à l’envi. On la regardoit comme une reine ambitieuse, fière, jalouse, partageant le gouvernement du monde avec son époux, assistant à tous ses conseils, et redoutée de lui-même.
Un hommage si universel qui n’est pas sans doute le plus flatteur que l’on ait rendu à la beauté faite pour séduire et non pour effrayer, prouve du moins que dans les idées des premiers hommes le trône du monde fut partagé entre les deux sexes32. Un écrivain illustre, du siècle passé, a été plus loin; il n’a pas fait difficulté de dire que cette prééminence de Junon sur les autres dieux étoit la véritable force d’où provenoient les excès d’adoration où des chrétiens sont tombés envers la sainte Vierge. Erasme lui-même a prétendu que la coutume de saluer la Vierge en chaire, après l’exorde du sermon, venoit des anciens. En général, les hommes cherchent à joindre aux idées spirituelles du culte, des idées sensibles qui les flattent, et qui bientôt après étouffent les premières. Ils rapportent, et sont bien forcés de rapporter tout à leurs idées; puisqu’ils ne peuvent saisir qu’en raison de ces idées; or ils savent qu’en tout pays on ne tire de la boue et de l’affection des rois rien autre chose que ce qu’ont résolu leurs ministres; ils croient Dieu bon, mais mené, et envisagent la cour céleste sur le modèle des autres. De là le culte de la Vierge bien plus approprié à l’esprit humain que celui du grand Être; aussi inexplicable qu’incompréhensible.
Aussi lorsque le peuple d’Éphese eut appris que les pères du concile avoient décidé que l’on pourroit appeler la Vierge Sainte, il fut transporté de joie. Dès-lors on rendit à la Mère de Dieu des hommages singuliers; toutes les aumônes furent pour elle, et J.-C. n’eut plus d’offrandes. Cette ferveur n’a jamais cessé entièrement. Il y a en France trente-trois cathédrales dédiées à la Vierge, et trois métropolitaines. Louis XIII lui consacra sa personne, sa famille, son royaume. A la naissance de Louis XIV il envoya le poids de l’enfant en or à Notre-Dame de Lorette, qu’on peut, sans impiété, croire s’être très-peu mêlée de la grossesse d’Anne d’Autriche.
Quelque chose de plus singulier que tout cela, c’est que dans le second siècle de l’église, on fit le Saint-Esprit du sexe féminin. En effet, rouats touach, qui en hébreu veut dire esprit, est féminin, et ceux qui furent de ce sentiment s’appelèrent les Eliésaïtes.
Sans donner aucun prix à cette opinion erronée, je remarquerai que les Juifs n’ont jamais eu d’idées du mystère de la Trinité. Les apôtres mêmes ont été fortement persuadés du dogme de l’unité de Dieu sans modifications; ce n’est que dans les derniers momens que J.-C. leur a révélé ce mystère. Or, quand Dieu a voulu envoyer sur la terre l’une des trois personnes de la Trinité, il pouvoit l’envoyer sans l’incarner; il pouvoit envoyer la personne du Père, ou du Saint-Esprit, comme du Fils; il pouvoit l’incarner dans un homme comme dans une fille. Le choix divin semble une sorte de préférence ou d’attention pour la femme. J.-C. a eu une mère, il n’a point eu de père. La première personne à qui il parla fut la Samaritaine; la première à laquelle il se montra après sa résurrection fut Marie-Madeleine, etc. (I). Enfin, le Sauveur a toujours eu pour les femmes une prédilection bien honorable à leur sexe.
Mais l’hommage vraiment flatteur pour lui, l’invention vraiment utile pour les sociétés, seroit que l’on trouvât les moyens les plus propres à rendre la beauté, la récompense de la vertu, à l’en animer elle-même, pour que tous les hommes fussent excités à faire le bien de leurs frères, et par les plaisirs de l’âme et par ceux des sens, pour que toutes les facultés dont l’Être suprême a doué notre espèce, concourussent à nous faire aimer les justes et bienfaisantes loix. Il n’est pas absolument impossible d’arriver un jour à ce but, si vivement désiré par le patriotisme, par la sagesse, par la raison; mais Dieu, combien nous en sommes loin encore!