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COMMENCEMENT D'AMITIÉ
ОглавлениеChristine était venue passer sa journée chez sa cousine Gabrielle; elles travaillaient toutes deux avec ardeur, pour habiller une poupée que Mme de Cémiane, mère de Gabrielle et tante de Christine, venait de lui donner: elles avaient taillé une chemise et un jupon, lorsqu'un domestique entra. «Mesdemoiselles, Mme de Cémiane vous demande au jardin, sur la terrasse couverte».
GABRIELLE
—Faut-il y aller tout de suite? Y a-t-il quelqu'un?
LE DOMESTIQUE
—De suite, mademoiselle; il y a un monsieur avec madame.
GABRIELLE
—Allons, Christine, viens.
CHRISTINE
—C'est ennuyeux! je ne pourrai pas habiller ma poupée, qui est nue et qui a froid.
GABRIELLE
—Que veux-tu! il faut bien aller joindre maman, puisqu'elle nous fait demander.
CHRISTINE
—Moi, seule à la maison, je ne pourrai pas l'habiller; je ne sais pas travailler. Mon Dieu! que je suis malheureuse de ne savoir rien faire.
GABRIELLE
—Pourquoi ne demanderais-tu pas à ta bonne de lui faire une robe?
CHRISTINE
—Ma bonne ne voudra pas: elle ne fait jamais rien pour m'amuser.
GABRIELLE
—Comment faire, alors?... Si je t'en faisais une?
—Toi, tu pourrais? dit Christine, en relevant la tête et en souriant.
GABRIELLE
—Je crois que oui; j'essayerai toujours.
CHRISTINE
—Tout de suite?
GABRIELLE
—Non, pas tout de suite, puisque maman nous attend pour promener; mais quand nous serons revenues, nous travaillerons à ta robe.
CHRISTINE
—Mais, en attendant, ma pauvre fille a froid.
GABRIELLE
—Je vais l'envelopper dans ce vieux petit manteau tu vas voir; donne-la moi.
Gabrielle prend la poupée, l'enveloppe de son mieux et la met dans un fauteuil.
GABRIELLE
—Là! elle est très bien! Viens, à présent; maman nous attend. Dépêchons-nous.
Christine embrasse Gabrielle, qui l'entraîne hors de la chambre; elles arrivent en courant à une allée couverte où se promenait leur maman avec un monsieur et un petit garçon qui était un peu en arrière. Gabrielle et Christine le regardent avec surprise. Il était un peu plus grand qu'elles, gros, d'une tournure singulière; sa figure était jolie, ses yeux doux et intelligents, il avait une physionomie très agréable, mais l'air craintif et embarrassé.
Christine s'approche, lui prend la main:
—Viens, mon petit, jouer avec nous; veux-tu?
L'enfant ne répond pas; il regarde d'un air timide Gabrielle et Christine.
—Est-ce que tu es sourd, mon petit? demanda Gabrielle amicalement.
—Non, répondit l'enfant à voix basse.
GABRIELLE
—Et pourquoi ne parles-tu pas? Pourquoi ne viens-ru pas avec nous?
L'ENFANT
—Parce que j'ai peur que vous ne vous moquiez de moi comme les autres.
GABRIELLE
—Nous moquer de toi? Et pourquoi cela? Pourquoi les autres se moquent-ils de toi?
—Vous ne voyez donc pas! dit le petit garçon en relevant la tête et les regardant avec surprise.
GABRIELLE
—Je te vois, mais je ne comprends pas pourquoi on se moque de toi. Et toi, Christine, vois-ru quelque chose?
CHRISTINE
—Non, pas moi; je ne vois rien.
—Alors, vous voudrez bien m'embrasser et jouer avec moi? dit le petit garçon en souriant et en hésitant encore.
—Certainement, s'écrièrent les deux cousines en l'embrassant de tout leur coeur.
Le petit garçon semblait si heureux, que Gabrielle et Christine se sentirent aussi toutes joyeuses. Au moment où ils s'embrassaient tous les trois, la maman et le monsieur se retournèrent. Ce dernier poussa une exclamation joyeuse.
—Ah! les bonnes petites filles! Ce sont les vôtres, madame? Elles veulent bien embrasser mon pauvre François! Pauvre enfant! il en a l'air tout heureux!
MADAME DE CÉMIANE
—Pourquoi donc paraissez-vous surpris que ma fille et ma nièce accueillent bien votre petit François! Je m'étonnerais du contraire.
M. DE NANCÉ
—Je serais bien heureux, madame, que tout le monde pensât comme vous; mais l'infirmité de mon pauvre enfant le rend si timide! Il est si habitué à se voir l'objet des railleries et de l'aversion de tous les enfants, qu'il doit être heureux de se voir fêté et embrassé par vos bonnes et charmantes petites filles.
—Pauvre enfant! dit Mme de Cémiane en le regardant avec attendrissement.
Les enfants s'étaient rapprochés. Gabrielle et Christine tenaient chacune une main du petit garçon qu'elles faisaient courir, et qui riait de tout son coeur de cette course forcée.
GABRIELLE
—Maman, le petit garçon nous a dit qu'on se moquait de lui et que personne ne voulait l'embrasser. Pourquoi? il est très bon et très gentil.
Mme de Cémiane ne répondit pas; le petit François la regardait avec anxiété; M. de Nancé soupirait et se taisait également.
CHRISTINE:
—Monsieur, pourquoi se moque-t-on du petit garçon?
M. DE NANCÉ
Parce que le bon Dieu a permis qu'il fût bossu à la suite d'une chute, mes enfants; et il y a des gens assez méchants pour se moquer des bossus, ce qui est très mal.
GABRIELLE
Certainement, c'est très mal; ce n'est pas sa faute s'il est bossu, il est très bien tout de même.
—Où donc est-il bossu? Je ne vois pas, dit Christine en tournant autour de François.
Le pauvre François était rouge et inquiet pendant cette inspection de Christine.
«Mon Dieu! mon Dieu! pensait-il, si elle voit ma bosse, elle fera comme les autres, elle se moquera de moi!»
Mme de Cémiane était embarrassée pour faire finir Christine sans que M. de Nancé s'en aperçût: Gabrielle commençait aussi à examiner le dos de François, lorsque Christine s'écria:
«Voilà! voilà! je vois! C'est là, sur le dos! Vois-tu Gabrielle?»
GABRIELLE
—Oui, je vois; mais ce n'est rien du tout. Pauvre garçon! tu croyais que nous nous moquerions de toi? Ce serait bien méchant! Tu n'as plus peur, n'est-ce pas? Comment t'appelles-tu? Où est ta maman?
FRANÇOIS
—Je m'appelle François; maman est morte, je ne l'ai jamais vue: et voilà papa avec votre maman.
CHRISTINE
—Comment, c'est ce monsieur qui est ton papa?
M. DE NANCÉ
—Pourquoi cela vous étonne-t-il, ma bonne petite?
CHRISTINE
—Parce que vous êtes très grand et lui est si petit, vous êtes maigre et lui est si gras.
MADAME DE CÉMIANE
—Quelle bêtise tu dis, Christine! Est-ce qu'un enfant est jamais grand comme son papa? Si vous alliez vous amuser avec François, ce serait mieux que de rester ici à dire des niaiseries.
M. DE NANCÉ
—Laissez-moi vous embrasser, mes bonnes petites filles; je vous remercie de tout mon coeur d'être bonnes pour mon pauvre petit François.
M. de Nancé embrassa à plusieurs reprises Gabrielle et Christine, et il alla rejoindre Mme de Cémiane. Les enfants, de leur côté, entrèrent dans le bois pour ramasser des fraises.
CHRISTINE
—Tiens, François, viens par ici: voici une bonne place; regarde, que de fraises! Prends. prends tout.
FRANÇOIS
—Merci, ma petite amie. Comment vous appelez-vous toutes deux?
GABRIELLE
—Je m'appelle Gabrielle.
CHRISTINE
—Et moi, Christine.
FRANÇOIS
—Quel âge avez-vous?
GABRIELLE
—Moi j'ai sept ans, et Christine, qui est ma cousine, a six ans. Et toi, quel âge as-tu?
—Moi... j'ai... déjà dix ans, répondit François en rougissant.
GABRIELLE
—C'est beaucoup, dix ans! C'est plus que Bernard.
FRANÇOIS
—Qui est Bernard?
GABRIELLE
—C'est mon frère. Il est très bon. Je l'aime beaucoup, Il n'est pas ici à présent; il prend une leçon chez M. le curé.
FRANÇOIS
—Ah! moi aussi je dois aller prendre une leçon chez le curé, tout pres d'ici, à Druny.
GABRIELLE
—C'est comme Bernard; il y va aussi à Druny. Tu es donc près de Druny.
FRANÇOIS
—Tout près! Il faut dix minutes pour aller de chez nous chez le curé.
GABRIELLE
—Pourquoi n'es-tu jamais venu nous voir?
FRANÇOIS
Parce que je ne demeurais pas ici; papa était en Italie pour ma santé; les médecins disaient que je deviendrais droit et grand en Italie; et, au contraire, je suis plus bossu qu'avant, ce qui me chagrine beaucoup.
GABRIELLE
—Ecoute, François, ne pense pas à cela; je t'assure que tu es très gentil; n'est-ce pas Christine?
CHRISTINE
—Je l'aime beaucoup, il a l'air si bon!
Toutes deux embrassèrent François qui riait et qui avait l'air heureux; et tous les trois se mirent à cueillir des fraises. Gabrielle et Christine eurent toujours soin de désigner les meilleures places à François pour qu'il se fatiguât moins à chercher. Au bout d'un quart d'heure, ils avaient rempli un petit panier que Gabrielle tenait à son bras.
«A présent nous allons manger, dit Gabrielle en s'essuyant le front. Il fait chaud, cela nous rafraîchira. Tiens, François, assois-toi là, sous le sapin, près de Moi, et toi, Christine, mets-toi de l'autre côté; c'est François qui va partager.»
FRANÇOIS
—Et dans quoi les mettrons-nous? nous n'avons pas d'assiettes.
GABRIELLE
—Nous allons en avoir tout à l'heure. Que chacun prenne une grande feuille de châtaigner; en voici trois.
Chacun prit sa feuille, et François commença le partage; les petites filles le regardaient faire. Quand il eut fini:
«C'est très mal partagé, dît Gabrielle; tu nous as presque tout donné; et il t'en reste à peine.»
—-Tiens, mon bon petit, en voici des miennes, dit Christine en versant une part de ses fraises dans la feuille de François.
—-Et en voilà des miennes, dit Gabrielle en faisant comme Christine.
FRANÇOIS
—C'est trop, beaucoup trop, mes bonnes amies.
GABRIELLE
—Du tout, c'est très bien: mangeons.
FRANÇOIS
—Comme vous êtes bonnes! Quand je suis avec d'autres enfants, ils prennent tout et ne m'en laissent presque pas.