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LES PREMIERS PAS D’UN SPORTSMAN.

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Table des matières

Le goût du cheval peut être donné à l’homme par certaines circonstances; tel, étant pauvre n’aurait jamais songé aux plaisirs de l’équitation; mais la fortune qu’il possède, lui fait une obligation d’avoir des équipages; ses amis chassent à courre, il vont au Bois faire admirer leurs montures de sang: ne voulant pas rester en arrière, notre heureux fortuné a fréquenté les manèges, on le voit aux steeple-chase de La Marche, et à l’occasion il causera courses et élevage, avec autant d’aplomb qu’un habitué de Tattersall, ou qu’un éleveur de Normandie. A côté de ces riches amateurs, il faut ranger l’homme de toutes conditions, chez lequel l’amour du Sport, le feu sacré sont innés.

J’ai lu dans des ouvrages non approuvés par l’archevêque de Tours, que Don Juan moutard caressait d’une main luxurieuse les appas de sa nourrice; cette peinture un peu vive et bien hasardée, montre les sentiments qui plus tard devaient en faire le coq du village. Je ne pense pas que tous les nourrissons, qui promènent leurs doigts innocents sur un sein champenois ou bourguignon, soient de futurs Lovelace: de même, tous les enfants qui aiment beaucoup aller à dada sur les genoux de leurs parents, ne seront pas par la suite d’intrépides cavaliers. La plupart verront dans le cheval un quadrupède bon pour le trait, dangereux comme monture: au plus beau champion de nos hippodromes, ils préféreront un large fauteuil, qui sera leur trône dans un cabinet d’avoué ou de notaire.

En Angleterre, toute la nation appartient de plus ou moins près au sport et à ses plaisirs. Parlez-y chien ou cheval, chasse à courre.... vous trouvez toujours des auditeurs curieux; la conversation dure longtemps, et si vous êtes tant soit peu veneur ou homme du turf, vous recueillez des anecdotes piquantes, et beaucoup de profit pour votre instruction. Un lord disait à un Français: «Notre pays est pour vous une mine inépuisable de jockeys.» Ce mot est un reproche à la France, où le goût du cheval est si peu répandu.

J’ai parlé de l’amour du sport, j’ignore si je l’avais inné ; mais plus j’ai avancé en âge, plus je l’ai senti se développer en moi, et c’est avec orgueil que j’avoue la prétention de me ranger parmi les heureux possédés de cette passion.

J’ai pris ma première leçon d’équitation sur les genoux de mon père, qui avait débuté dans la carrière militaire par la campagne de Russie. Il était colonel de cavalerie, à l’époque où ses opinions l’engagèrent à faire valoir ses droits à la retraite. J’étais bien jeune quand il mourut; je me souviens toujours de sa bonté, du plaisir avec lequel il me faisait passer du trot au galop sur une de ses jambes, me grondant, quand pour éviter une chûte, je me raccrochais à ses grosses moustaches, que malheureusement le temps n’a pas laissé blanchir. Nous passions alors l’été et une grande partie de l’automne, dans une campagne aux environs de Fontainebleau. Tous les ans, les bois environnants étaient le théâtre des exploits en vénerie de M. de Perthuis; rarement on y sonnait la retraite manquée, et j’étais toujours un des premiers curieux, pour voir de près le sanglier rapporté, dont ma bonne essayait en vain de me faire un noir croque-mitaine.

J’avais une joie fébrile, mon cœur battait plus fort, quand au matin, les joyeuses fanfares mêlées aux aboiements de la meute attiraient les villageois sur le seuil de leurs portes. Que j’admirais cet équipage si bien composé ; si bien tenu et cité à juste titre, comme un des premiers de ce temps. Alors mon père montait à cheval pour se joindre aux chasseurs, et je pleurais parce qu’il ne voulait pas me prendre en selle avec lui: il me promit une fois de m’emmener ainsi; le lendemain il se mit au lit pour ne plus se relever. Triste souvenir pour moi, trop jeune alors pour comprendre l’étendue de la perte. Ce qui frappa le plus mon imagination d’enfant dans ce moment douloureux, fut l’acte d’un chien de chasse poussant des gémissements plaintifs, en léchant les mains de mon père, sur son lit de mort. Après avoir bien pleuré, je repris les jeux où mon esprit se plaisait constamment à copier des scènes dont il me tardait d’être acteur,

Jamais je n’aurai dans mon écurie, autant de chevaux, que j’avais à cette époque, de manches à balai pour coursiers, vaillants hunters, racers distingués; jamais ils ne m’ont fait défaut. Mon équipage était nombreux; chiens en papier découpé , il est vrai; mais quelle composition: équipage pour le cerf, équipage pour le vautrait..... équipage pour l’éléphant même; car j’avais en ménagerie une collection d’animaux de vénérie des plus complètes, l’ayant étendue à tous les êtres ayant peuplé l’arche de Noë, animaux en bois, coloré de nuances incroyables. Quand, à la pointe du jour, j’allais faire le bois dans le parc, théâtre de mes hauts faits, il était facile pour moi, d’y placer dans un massif un renard ou une girafe; je faisais mes brisées, et tour à tour maître, piqueur, valet de chiens, je chevauchais toute une journée sur mes nombreuses montures. Je puis dire de ce temps que jamais je n’ai fait buisson creux; jamais je n’ai sonné la retraite manquée: Rallie-Bourgogne, Champagne-à-mort, Hallali-Saintonge peuvent-ils en raconter autant?

Je demande pardon d’entrer dans des détails aussi naïfs; on comprendra combien ils sont précieux pour moi qui, dans la vie réelle, ai senti croître toujours les goûts de mon enfance. De beaux chevaux, de beaux chiens, voilà mes rêves: la fortune ne m’a pas permis de substituer la réalité à ces fictions dans la proportion désirée; cependant les relations de voisinage et de parenté, les circonstances en un mot, m’ont mis à même d’assister à de brillants hallalis, à des steeple-chase émouvants, et d’être vainqueur dans des courses sur mes propres chevaux. Avant d’arriver à parler de choses si attrayantes, je veux abuser pour la dernière fois, de la complaisance du lecteur, en le faisant passer avec moi par La Flèche et par St-Cyr.

Le collège de La Flèche, auquel on a rendu son ancien nom de Prytanée militaire, est la meilleure institution préparatoire pour les écoles du gouvernement. On y vit militairement, sous une discipline des plus sévères; le régime salubre, les exercices gymnastiques auxquels on est astreint, sont autant d’éléments nécessaires à la santé des élèves, santé bien florissante, qui nous faisait trouver trop courts les instants passés au réfectoire. Mon éloge de cet établissement, est peut-être inférieur à l’annonce d’un marchand de soupes; toutefois mon intention est bonne, elle est l’expression de ma gratitude. J’y ai laissé de bons et aimés professeurs, je suis encore orgueilleux de leur estime; l’utilité de ce collège est incontestable, si on calcule que l’élève, fils d’ancien officier, y entrant comme boursier, peut sortir sous-lieutenant de St-Cyr, sans avoir occasionné la moindre dépense à sa famille; j’ai eu la chance de suivre cette voie.

La vie de lycéen est la même partout; petites joies, petites déceptions, pensums, pains-secs, prisons, distributions de prix, vacances et retours sur les bancs: ainsi se passèrent six années de ma jeunesse. Je remportais moins de prix dans mes classes que dans les luttes du gymnase. J’avais en troisième, un vieux professeur, vieux chasseur, souvent disposé à mettre de côté la correction d’un thème ou la traduction de Virgile, pour nous raconter quelques-uns de ses exploits: chasses au sanglier, où pendant vingt minutes l’animal furieux le forçait à rester pendu à la branche d’arbre à laquelle, en sautant de cheval, il s’était raccroché ; rivière passée à la nage pour chercher une perdrix blessée: toujours héros de ses récits, il variait ses épisodes, et me persuada le premier que la rime naturelle à chasseur, est blagueur. Néanmoins il faut expliquer un peu à l’avantage des amateurs, cette fâcheuse tendance qu’ont les profanes à répondre par un sourire moqueur, aux faits avancés par un Nemrod quelconque. L’habitant des villes, l’épicier dans sa boutique, le notaire dans son étude, le dandy musqué n’ont pas approfondi les scènes curieuses dont l’immensité des plaines et la profondeur des bois sont le théâtre. Que de faits naturels propres à faire naître le doute, car le plus souvent ils n’ont pour témoin que le silence et l’ombre; les seuls initiés sont les braconniers, les charbonniers ou les amants passionnés de Diane chasseresse. Choisissez une de ces positions, messieurs les incrédules qui pensez, parce que le conteur est armé d’un fusil, son brevet de narrateur signé par le baron de Crac. Quant à moi, depuis qu’un lièvre serré de près par un levrier, s’est tué en donnant de la tête sur mon tibia, depuis que cette contusion m’a fait garder le lit quarante-huit heures, j’ai toujours écouté avec gravité, les récits les plus aventurés. Je ne pense pas toutefois, me sauver par la foi, quand je fais la lecture de certains auteurs.

Au milieu de ces distractions de la vie scolastique, je poursuivais le but d’arriver à Saumur par l’école de Saint-Cyr: j’eus le bonheur d’être admis à ce bahut spécial, la première fois que je m’y présentai. Après mes examens, je partis puiser dans ma famille des consolations anticipées, contre les brimades dont on fait un si grand monstre, aux candidats de chaque année. Un fait qui m’arriva à cette époque, trouve sa place ici. J’avais déterré une théorie de cavalerie, dans la bibliothèque: après avoir appris mot à mot la manière de monter à cheval, de s’y tenir; je résolus de faire l’application de ma science. Une petite jument bretonne, espèce porte-choux ou porte-cerises, servait aux commissions de la maison; une vieille selle de manège oubliée dans les greniers, un bridon d’écurie et cette vaillante bique, servirent à mes premiers exploits. Je galopais, je franchissais de petits ruisseaux, et quand ma Rossinante du moment avait gravi un talus tant soit peu escarpé, fier de mes succès je promenais mes regards sur les campagnes d’alentour, malheureux de ne pas y rencontrer de spectateurs. Les illusions de l’écuyer s’évanouirent une belle nuit, au retour d’un dîner à la ville; j’avais la tête échauffée, partant plus de hardiesse: la lune dans son plein, et les chouettes criardes furent témoins de ma honte. Je piquais de deux, je rendais la main appliquant les principes de la charge, quand mon hack, effrayé par un oiseau de nuit, fit un bond de côté ; je perdis l’assiette, et...... cela ne se dit pas. Quand je revins à moi, ma pauvre monture toute tremblante, me regardait d’un œil morne, les flancs agités, digne en un mot de faire pendant au cheval du Trompette, par Horace Vernet. Un des généraux actuels prétendait que le soleil ne l’avait jamais vu tomber; «mais l’année dernière à ***,» lui dit son aide-de-camp: «Bast! c’était à l’ombre,» répondit le général. Jusqu’alors je pouvais me placer dans la même catégorie. En prose vulgaire, pas vu, pas pris, exprime ma position, car je ne parlai pas de cette chûte qui fut ma première, et dont le souvenir m’est resté, par les violents maux de tête que j’ai conservés longtemps, ne m’étant pas soigné. Cet échec ne me découragea pas, bien qu’ignorant le dicton d’un écuyer de Saumur, «il faut se casser la jambe et la clavicule pour savoir monter à cheval;» n’ayant jamais eu d’aussi grave accident, et montant parfaitement, il démentait lui-même son proverbe favori.

De cette époque aussi, datent mes débuts comme disciple de Saint-Hubert; sous la conduite d’un vieux garde-chasse j’appris le grand art de la guerre, aux dépens des animaux de nos pays. C’est le meilleur apprentissage pour tout débutant; l’homme pratique, qui fréquente la même plaine, la même forêt, connaît les ressources du gibier, ses ruses, ses fuites: commencez le métier avec lui, théorie ambulante jointe à une pratique de tous les instants. En quelques mois, vous en saurez plus que, si vous aviez compulsé et lu attentivement la bibliothèque la mieux composée sur la science des Salnove, des du Fouilloux. Jamais je ne pourrai me ranger par mon adresse, au premier rang des adroits du siècle; en tous cas, je suis assez bon tireur, pour ne pas abandonner par dégoût le fusil et le chien d’arrêt. Après une journée de chasse, j’ai toujours pensé avoir eu plus de joies, que ces destructeurs de gibier, dont on peut dire: à tout coup, ils gagnent: certainement une perdrix pelotée me causait plus de plaisir qu’à ces derniers. Par contre, je n’avais pas le soir, les honneurs de la royauté de la chasse, seule royauté contre laquelle toutes les révolutions ont échoué. Je suis heureux de voir, pendant toute une journée un petit basset, mener sans défaut un vieux capucin, je rentre sans avoir tiré un coup de fusil, un peu fatigué, avec beaucoup d’appétit, et sans être mécontent. Parlez-moi donc du feu sacré de ces chasseurs intrépides, auxquels une pluie battante, un soleil trop vif fait abandonner la partie; qui préfèrent le chemin à une terre labourée, et n’aiment que les chasses certaines, les ouvertures dans un pays giboyeux, les grandes battues. Ils ne comprennent pas les marches et les contre-marches, le travail admirable d’un bon chien dans les cantons où les cailles et les perdrix ne naissent pas sous vos pieds.

Mais je ne pense plus à Saint-Cyr, et déjà il me faut quitter cette existence libre et champêtre, pour la vie de recrue; caresser une dernière fois mon bon Fânor, troquer mon fusil léger contre la clarinette du fantassin, et mon carnier culotté contre l’as de carreau ou l’azor du troupier. A l’horizon les vexations de l’ancien, encore le tambour à cinq heures du matin! Cependant les six années passées à La Flèche m’avaient un peu aguerri, j’étais familier avec le pantalon rouge et la tunique boutonnant droit. En passant d’une cour à une autre j’avais subi les brimades du collège, j’avais brimé aussi, toujours à l’imitation de Saint-Cyr, auquel nous aspirions tous. Aussi, quelques jours après mon entrée à l’école spéciale, je n’étais pas un monsieur Bahut trop emprunté et, Melon bien appris, je me résignais à vivre dans l’amour de l’Ancien et dans la crainte de l’équidistance.

Les familles redoutent beaucoup pour leurs chers enfants, ce système vexatoire établi à Saint-Cyr; les officiers qui ont vécu sous ce régime, l’approuvent généralement. Parmi les admis, il se trouve beaucoup de jeunes gens, dont le caractère n’est pas en rapport avec leur âge: les uns ignorent les exigences de la vie sociale, les autres sont maladroitement infatués d’un nom, d’un titre; certains n’ont pas quitté le cotillon maternel. Le régime des brimades passe sur tous, il n’a pas de considérations; en assouplissant les caractères, il est le complément du règlement de l’école qui apprend à faire un lit, à cirer ses souliers..... D’ailleurs, l’année suivante, le recrue deviendra ancien; à son tour il se couchera à l’ombre du quinconce, fera cornard, fumera dans les goguenaux aux jours de pluie, et chantera la galette qu’il chaugera pour l’épaulette à la fin de l’année.

Dans l’existence du recrue, tout n’est pas couleur de rose; le soir, quand il est couché, si l’ancien lui ordonne de se servir de son pot, c’est qu’il a pratiqué au fond un trou imperceptible pouvant donner aux draps certaine humidité ! enfin le melon s’endort, il s’oublie dans ses rêves jusqu’à presser dans ses bras le canon de fusil ou le fourreau de sabre, confiés par l’ancien pour le réchauffer. Heureux melon, si dans son sommeil il n’est pas troublé par l’omelette si traîtresse, venant inverser l’ordre des facteurs d’un lit, en mettant le dormeur sur le carreau, et les matelas sur le dormeur. La lecture de tant de forfaits de la part du barbare vétéran, pourrait effrayer quelques candidats: qu’ils se rassurent, en apprenant que depuis 1850 les deux divisions (anciens et recrues) sont séparées. J’ai parlé des brimades comme étant nécessaires, je le soutiens en donnant cette preuve: parmi les nouveaux officiers sortis du bahut, ceux qui y sont restés pendant trois années, et qui ont ainsi connu les deux systèmes, regardent comme plus sage la réunion des anciens et des recrues.

Pendant la deuxième année, les mois paraissent plus courts aux St-Cyriens; les cours s’appliquent plus directement à l’art des Turenne et des Vauban, on s’y livre aux études pratiques, aux exercices pyrobalistiques, aux travaux de fortification, et l’on a pour perspective l’épaulette, cette récompense de tant d’études depuis tant d’années.

En 1854 un grand changement a été introduit, par la suppression de l’école de cavalerie pour les officiers-élèves. Ceux qui veulent sortir dans la cavalerie, sont tenus de passer à l’école une année supplémentaire pour compléter leur instruction. Plus loin, je parlerai de cette modification, dans laquelle on ne peut pas trouver grand avantage.

Pendant mon séjour à St-Cyr, j’ai été témoin d’un évènement important de l’histoire, la révolution de février. Le dimanche 20 février, les parents et les correspondants venus à la salle des visites nous avaient éclairés sur les agitations de Paris, sur le banquet de la réforme; nos études suivaient toujours leur cours, mais chacun de nous avait soit un parent soit un ami dans la garnison, aussi que d’inquiétudes, que de suppositions!

Le mercredi 23, M. Molé remplaçait M. Guizot au ministère; l’anxiété devenait de plus en plus grande parmi nous. Enfermés entre quatre murailles, nous craignions d’être trompés sur l’imminence du danger: la soirée du jeudi 24 restera dans mes souvenirs. Nous avions interrompu les habitudes du tableau de travail; il était neuf heures, et tous, dans la grande cour de Wagram, nous nous livrions aux écarts de notre imagination; quelques-uns l’oreille collée au sol; croyaient entendre le canon de Paris. Louis-Philippe fugitif vient de passer sur la route! La nouvelle donnée par un garde d’artillerie, vole de bouche en bouche, la réflexion amène le silence; les uns songent à leurs pères dont la fortune était attachée à celle du gouvernement, les autres craignent pour leur parents, victimes peut-être, à cette heure, d’un dévoûment inutile. Peu d’élèves dormirent dans cette nuit du 24 au 25. En 1830, l’école avait accompagné Charles X jusqu’à Rambouillet, qu’allait-elle faire en 1848? Le lendemain, un flot de peuple se présentait aux portes de Saint-Cyr; nous partîmes pour Paris.

A 18 ans, a-t-on une opinion? Le cœur est jeune, la tête s’échauffe, et beaucoup d’entre nous sourient maintenant à l’idée d’avoir agité leur shako, en criant vive la république, lorsque les élèves mêlés au peuple firent leur entrée dans Versailles. La grande rue était illuminée: partout des torches enflammées, des lanternes vénitiennes, des drapeaux flottans et les tambours battant la charge pour faire chorus à la Marseillaise. Ce tableau n’est pas en rapport avec le titre de ce livre; on me pardonnera d’écrire ces lignes; ceux qui ont été à Saint-Cyr en 1848 les liront, j’espère, avec plaisir.

A notre arrivée à Paris, nous n’avions qu’un but, profiter de l’enthousiasme populaire qui s’attachait à notre uniforme, pour combattre de toutes nos forces les excès habituels à toute révolution. Ils ne m’appartient pas de parler des services que nous avons pu rendre; les témoins de la conduite des Saint-Cyriens à cette époque, pourront prononcer dans ce jugement.

Je me vois portant des dépêches de l’Hôtel-de-Ville aux divers ministères, sur un cheval de municipal, mon coupe-choux au côté, fantassin de costume, cavalier par le fait. En temps ordinaire j’eusse fourni un bon sujet de caricature; dans ces temps de trouble c’était chose ordinaire. J’ai vu de bien près alors le peuple dans son triomphe, les scènes de la joie brutale, les excès de la haine aveugle, des pillards tuant leurs semblables, l’incendie du château de Neuilly; on ignorera toujours le nombre des crimes commis, des vengeances accomplies à l’ombre des mouvements politiques.

Pendant quarante-huit heures je restai aux châteaux de Versailles et de Trianon, menacés par les incendiaires de Février. Nous fûmes assez heureux pour arrêter les effets du droit de conquête sur le gibier: la douceur et la persuasion étaient nos armes, aussi eûmes-nous grande peine à faire entendre raison aux patriotes braconniers, lesquels, le parc étant propriété nationale, considéraient les lièvres et les chevreuils comme appartenant de droit aux membres de la nation. Les habitants de Versailles s’en régalèrent en proportion; sur le marché le chevreuil se vendait à plus bas prix que le veau, et la valeur d’un faisan était celle d’un poulet.

De retour à Paris, j’y fus séjourner au palais des Tuileries transformé en hospice des victimes de février. Un fait peu glorieux pour les malades de l’endroit s’y passa sous mes yeux: en parcourant les salles des malades, un ancien agent de police avait reconnu plusieurs gens habitués des cours d’assises, mais pouvait-on soupçonner des héros blessés? Quelque temps après, au milieu de la nuit, nous fûmes réveillés au poste par les cris au voleur! Les scellés des appartements qu’occupait la princesse Adélaïde avaient été brisés, plusieurs médaillons et autres objets précieux avaient été enlevés, et les voleurs s’étaient échappés par les fenêtres qui donnent sur les quais. Le lendemain on reconnut que les soins donnés aux blessés avaient produit leur effet, deux d’entr’eux ayant disparu pendant la nuit.

Entraînés au milieu des événements nous préférions cette vie active aux études de l’école, et notre joie fut grande en apprenant notre nomination au grade de sous-lieutenant.

A la sortie de Saint-Cyr, le choix d’une arme ou d’un régiment est d’une grande importance; c’est une famille choisie pour bien des années; je n’hésitai pas à demander la cavalerie. L’amour du cheval et de tout ce qui s’y rapporte me guidait dans ce choix, recherché par d’autres parce que c’est plus chic. On fait plus de bruit avec un fourreau de tôle, qu’avec le fourreau de cuir des officiers d’infanterie, le costume est plus gracieux: tout homme a des faiblesses.

Pour moi, j’étais arrivé au but si souhaité depuis longtemps; j’allais enfin monter à cheval, apprendre à connaître cet animal, et suivre les leçons d’écuyers célèbres.

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