Читать книгу La Locomotion. Histoire des chars, carrosses, omnibus et voitures de tous genres - Daniel Ramée - Страница 5
Histoire des Voitures dans l’Antiquité.
ОглавлениеDans notre société moderne, tout le monde fait indistinctement usage d’une infinité de choses sans s’inquiéter de leur origine et de leur histoire; on ne se soucie guère davantage des conséquences désastreuses que peut produire leur emploi désordonné et arbitraire. Au fond, on les regarde comme trop insignifiantes en elles-mêmes, pour tenir aucun compte des conséquences matérielles qu’elles font naître. Il y a cependant des choses agréables à l’homme et passées dans les faits accomplis, qui, mal employées ou utilisées sans mesure, occasionnent indirectement des perturbations sociales dont les causes sont imperceptibles pour les esprits superficiels, et auxquelles on assigne une toute autre et fausse origine. Au nombre de ces choses, il faut ranger le véhicule, l’ustensile de transport pour l’homme, la voiture en général, et le carrosse de luxe en particulier. Nous allons en esquisser l’origine, l’histoire, les transformations et la variété : le lecteur n’aura plus qu’à en tirer lui-même un enseignement utile.
En jetant les yeux sur la nature au sein de laquelle nous vivons, nous voyons que toutes les plantes et tous les minéraux restent immobiles à leur place. Tous les êtres du règne animal, au contraire, se meuvent: ils marchent, volent, nagent ou rampent. L’homme seul, le plus parfait et le plus intelligent d’entre eux, le seul qui progresse et qui soit doué de la mémoire la plus étendue et la plus merveilleuse, sait se faire porter et traîner. Lui seul combat sur l’éléphant, le cheval, le chameau et le mulet ou tout autre quadrupède quelconque. Il s’élance sur ses ennemis et les attaque, soit monté sur un des animaux que nous venons de nommer, soit debout sur un char traîné par eux. A l’aide des animaux il parcourt la terre sans se fatiguer. Il combat aussi sur mer dans des maisons ou voitures fortifiées nommées vaisseaux, et qui flottent sur l’eau. C’est encore sur des vaisseaux que l’homme franchit sans fatigues les mers et les océans. Ces différents moyens de transport sont merveilleux dans leurs détails et admirables dans leur ensemble. L’homme sait encore prendre ses plaisirs monté sur un des animaux qu’il a eu la patience et le talent de dompter et de dresser. Il chasse sur un cheval qu’il dirige avec habileté, ou sur un éléphant qu’il a su élever à divers usages.
De nos jours, toutes les espèces de locomotion, sur terre et sur eau, ont été portées à un rare degré de perfection. A l’aide de la vapeur, l’homme a surpassé la rapidité du vol de l’oiseau dans les airs et la vitesse du poisson dans les fleuves; il ne lui manque plus qu’à résoudre le problème de la locomotion aérienne: la science l’y conduira infailliblement avec le temps, puisqu’elle lui a bien fait découvrir l’électricité.
Ce qui est remarquable, c’est que quels que soient les progrès qu’ait faits la science archéologique au XIXe siècle, il ne lui a pas encore été permis de percer les ténèbres qui enveloppent toujours l’origine de la plupart des inventions les plus vulgaires comme les plus utiles à la société. Au moyen de monuments historiques de divers genres, la science moderne a déjà pu faire reculer de quelques milliers d’années l’histoire de la civilisation de certains peuples de l’Asie et de l’Afrique, comme par exemple des Assyriens et des Égyptiens. Il est prouvé qu’il y a eu d’anciennes et de puissantes civilisations qui ont été détruites et oubliées à tel point, que les historiens de l’antiquité occidentale en mentionnent à peine le souvenir. Ce que l’on a longtemps pris pour l’enfance d’une société n’était, au contraire, que les débris et les échos expirants d’une civilisation antérieure. En remontant aux origines de la race blanche, à laquelle appartiennent les peuples qui se sont distingués par une histoire et une religion rationnelle et vraiment possible et utile, en remontant à ces origines au moyen des ouvrages en langue sanscrite, qui est la plus ancienne connue, il est hors de doute que nos ancêtres ne combattaient leurs ennemis que montés sur des chars, traînés par des chevaux, usage qui s’est perpétué pendant un temps immémorial chez les Indiens, les Assyriens, les Égyptiens, les Perses, les Grecs, les Scythes, les Cimbres, les Celtes et les Galls. Mais voilà aussi tout ce que nous saurons de cette primitive locomotion.
Nous ne nommerons ici, que pour mémoire, le soc primitif destiné à préparer la terre pour recevoir l’ensemencement du grain qu’ensuite le soleil doit fructifier. Conduit au moyen d’un levier et traîné d’abord par des hommes, la charrue ne fut pas longtemps sans recevoir une addition très-utile, et qui consistait en deux petites roues facilitant le labour ainsi que le transport de l’instrument. Plus tard, les hommes qui traînaient la charrue furent remplacés par des bœufs; de là, la reconnaissance rendue par presque tous les peuples aux taureaux sacrés. Et cela était juste et bien. Cependant, les charrues à roues n’étaient en aucune manière un véhicule, une voiture de transport: les roues ne facilitaient que l’opération laborieuse du soc.
Un moyen de transport pour les choses, sans constituer de voiture, est donné par le rouleau, qui est très-ancien, et dont on se sert encore de nos jours en tous pays, pour transporter en plaine les plus lourds fardeaux. C’est l’instrument de transport le plus simple comme le plus primitif. Mais il est lent et ne peut s’employer que sur une surface unie, solide et résistante.
Ensuite fut inventé le traîneau ou claie, moyen de transport primitif, simple, glissant facilement sur tous les terrains et pouvant servir même dans les pays de montagnes. Mais il s’est, à coup sûr, passé bien du temps avant qu’on s’avisât d’y adapter une sorte de galets pour en faciliter et en accélérer le mouvement.
Si l’agriculture a donné lieu à l’invention de la charrue, qui aide essentiellement à donner du grain beau et en abondance, elle a aussi donné naissance à la charrette à deux roues ainsi qu’au chariot à quatres roues, destinés à transporter le blé fauché dans les bâtiments élevés pour le conserver. C’est donc d’abord à l’agriculture qu’on est redevable de l’invention du véhicule pour le transport des objets, et cette voilure agraire, très-simple et très-rustique à l’origine, a servi de type pour le carrosse le plus compliqué, le plus riche et le plus élégant. Si le carrosse de luxe peut être saisi et vendu par le créancier, il n’en était pas de même de la charrue, des charrettes et, en général, des instruments aratoires. La charrue et la charrette ne pouvaient être saisies, même pour deniers royaux ou publics. Ce privilége, introduit en faveur de l’agriculture, avait déjà lieu chez les peuples de l’antiquité, et surtout chez les Romains. Il fut adopté dans le droit français et confirmé par plusieurs ordonnances de Charles VIII, François 1er (1540), Charles IX (1571), Henri IV (1595), Louis XIV (1667). Une ordonnance de 1360, de Philippe VI de Valois, défendait de donner en gage aux Juifs, les socs, cou très et ferrements des charrues:
Nous ne parlerons non plus, que pour mémoire, des équipages des divinités helléniques, dont on ne trouve de traces que dans les poëmes d’Homère et dans les monuments plastiques de l’antiquité. Ces divinités ne datent que de la seconde phase théologique des Grecs et sont de création dorienne: Homère n’en est que le vulgarisateur. Jupiter, Neptune, Pluton, Apollon et Mars avaient des chars; Junon en avait un aussi qu’elle montait avec Minerve. La description qu’en donne l’auteur de l’Iliade sert à nous éclairer sur la disposition des chars aux Xe et XIe siècles en Grèce, avant l’ère vulgaire. Le cinquième chant est surtout curieux sous ce rapport. — Déméter et Cora sont aussi assises dans des chars, ainsi que l’Aurore, Amphitrite et les Néréides. Eschyle le fait savoir dans son Prométhée. Aphrodite est montée sur un char en forme de coquille, et traînée par des tourterelles. Hermès l’est par des bœufs, et Thor, le dieu du Nord, des Scandinaves et des Germains, a attelé des boucs à son char. Dans la religion indienne, Indras, le dominateur du firmament, est monté sur un éléphant.
Il faut distinguer deux sortes de voitures, celles d’utilité qui sont destinées à transporter des matériaux et des marchandises, et celles d’agrément qui ne servent uniquement qu’à transporter les hommes. La voiture pour le transport des marchandises est d’une très-haute antiquité ; elle remonte à l’origine du commerce qui doit lui-même sa naissance aux premières sociétés des hommes. La seconde espèce est relativement moderne, en tant qu’utilisée par un nombre considérable de particuliers.
Les principales voitures des anciens étaient les chariots, les chars et les litières. Les chariots, sans compter les usages de la vie civile, servaient principalement à la guerre, et alors ils étaient armés de faux et autres instruments tranchants, placés à l’extrémité des timons, aux rayons et aux jantes des roues et à l’extrémité de leurs essieux. Les chars servaient, aux anciens, à la guerre pour porter les généraux et les principaux officiers; dans les cérémonies sacrées, pour porter les images des dieux, ou bien, dans les jeux, pour disputer le prix de la course. Mais les anciens n’avaient absolument pas coutume, du moins pour les particuliers, de se servir de voitures pour se transporter d’un lieu à un autre, se servant toujours de chevaux, ou bien préférant aller à pied. La voiture n’était donc qu’au service de la souveraineté. Nous verrons plus tard par quelques exemples que lorsqu’on permettait, par exception et privilége, à des particuliers de se servir de voiture dans certaines circonstances, le public en montrait son mécontentement par des murmures non dissimulés. Dans l’antiquité, il y avait parmi les masses beaucoup plus d’esprit d’ordre, d’esprit de justice et de convenance que chez nous, en Europe, dans les temps modernes. Ensuite, quelques rares priviléges n’étaient accordés qu’à ceux qui les avaient mérités par l’élévation de leur caractère et de leur conduite, ou par quelque fait éclatant. Un simple particulier ne pouvait pas, à cause de sa richesse, fronder l’opinion publique et devenir le premier à établir des modes et des usages pouvant troubler l’ordre, la tranquillité et la morale universelle. Il y a bien des choses matérielles dans notre ordre social moderne qui amènent des perturbations parmi les nations européennes, et qui sont inconnues aux nations païennes et contemporaines, et qui l’étaient également des anciens. Cela s’appelle le progrès dans quelques vocabulaires.
L’histoire de presque tous les peuples nous apprend que le chariot de l’agriculteur et du commerçant, comme le char du guerrier et du prince pontife, ont été en usage dans les temps les plus reculés.
Le pharaon hyksos ou arabe, qui régnait sur la Basse-Égypte du temps que le juif Joseph fut son ministre, envoya des chariots au devant de Jacob lorsqu’il se rendait de Judée en Égypte. Le même pharaon fit monter Joseph dans le char ou chariot qui était le second après le sien. Nous savons en dehors du récit de la Genèse, et cela par les monuments de sculpture, que le char était fort ancien chez les Égyptiens, peuple guerrier, peuple d’agriculteurs et d’industriels, qui habitait une vallée étendue où le char devait être utile, et primitivement d’un emploi facile et commode.
Mais depuis le règne de Sésostris ou Rhamsès III le Grand, qui régnait au milieu du XVIe siècle avant l’ère vulgaire, l’Égypte fut entrecoupée de canaux pour l’irrigation des champs; et depuis ce pharaon, dit Hérodote, ce pays devint impraticable pour les voitures. En Égypte, le roi et le guerrier seuls se servaient du char qui était toujours à deux roues et à deux chevaux, jamais à quatre.
Dans la plupart des provinces de la Grèce, l’usage de la voiture ou chariot et du char était très-restreint, parce que ces provinces sont presque toutes très-accidentées et très-montagneuses. Nous trouvons le char de combat et le char religieux dans les temps reculés de la Grèce. Ce char ou biga était composé d’une caisse ouverte par derrière, fixée sur un essieu auquel étaient adaptés deux forts galets, disques ou tympans, pleins et sans rayons, et plus tard, deux roues légères à moyeux, rayons et jantes. Le timon tenait soit à la caisse, soit à l’essieu. Ce char était traîné par deux chevaux. Les rois et les princes seuls combattaient dans ce véhicule qui était ou en bois ou en fer. Les guerriers y montaient au nombre de deux, et prenaient avec eux souvent une troisième personne, un valet, qui conduisait les chevaux. Il y avait à Oncheste , ville de la Béotie, des courses à chars, dont les chevaux terminaient la distance à parcourir, librement, sans conducteurs. On doit placer l’origine de ces courses dans le XIXe siècle avant l’ère vulgaire. Le char à deux chevaux était très-ancien en Grèce, où il subsista toujours, quoique vers le XVIe siècle avant l’ère vulgaire, un autre attelage lui ait fait concurrence. Avec la monarchie en Grèce, finit aussi l’usage des guerriers de combattre sur des chars. Dans les temps héroïques, au sein des Pélasges, sous les autochthones, ou tribus franches de tout mélange d’étrangers, lors de l’ancienne royauté scientifique, pendant l’âge d’or de la Grèce, enfin, Erechthée, roi d’Athènes, introduisit dans l’Attique l’usage du char nommé quadrige, en se montrant lui-même à la fête des Panathénées, consacrée à Minerve, monté sur un char attelé de quatre chevaux de front.
Parmi les personnages historiques grecs, Agamemnon, roi de Mycènes, avait des chars de guerre et de luxe; Eurymédon, nom de son conducteur, de son cocher de corps, comme on aurait dit du temps de Louis XIII, et qui avait son tombeau à Mycènes, que Pausanias a pu voir, est devenu un personnage célèbre.
Aux Hyacinthies, fêtes en l’honneur de Déméter et non d’Apollon, comme on le prétend souvent, célébrées à Amyclée dans le mois d’Hécatombéus (ou septembre), on voyait les jeunes filles de Lacédémone se promener au milieu de la foule dans des voitures richement et particulièrement ornées pour la circonstance. Ces chars, nommés canathres, leur servaient aussi dans la pompe du cortége qui avait lieu pour se rendre au temple d’Hélène à Thérapné, non loin de Sparte, auprès de la plaine de l’Eurotas.
En l’année 408 avant l’ère vulgaire, l’Éléen Évagoras vainquit à la course du char à deux chevaux, et c’était la première fois que cette espèce de véhicule entrait dans la lice. Plus d’un siècle auparavant, en 516, Cléosthène d’Épidamne fut vainqueur à la course du char à quatre chevaux. De tous ceux qui ont eu des haras chez les Grecs, il fut le premier qu’on ait honoré d’une statue à Olympie.
Dans l’antiquité, dans les beaux temps de l’antiquité, avant la ruine de la croyance religieuse et des institutions sociales primitives, les particuliers ne se servaient que très-rarement, et seulement dans des cas extraordinaires, de voitures et de chars. L’histoire ne nous les montre en usage que pour les cérémonies religieuses et le transport des princes, des vieillards, des malades et des blessés. Hérodote raconte que les Argiens célébraient une fête en l’honneur de Junon. Il fallait absolument que la prêtresse Cydippe se rendît au temple sur un char traîné par une couple de boeufs; comme le temps de la cérémonie pressait et qu’il ne permettait pas à Cléobis et Biton, fils de Cydippe, d’aller chercher leurs bœufs, qui n’étaient point encore revenus des champs, ils se mirent eux-mêmes sous le joug, et, tirant le char sur lequel leur mère était montée, ils le conduisirent ainsi quarante-cinq stades (plus de huit kilomètres) jusqu’au temple de la déesse. Après cette action, dont toute l’assemblée fut témoin, ils terminèrent leurs jours de la manière la plus heureuse, et la Divinité fit voir, par cet événement, qu’il est plus avantageux à l’homme de mourir que de vivre. Les Argiens, assemblés autour de ces deux jeunes gens, louaient leur bon naturel, et les Argiennes félicitaient la prêtresse d’avoir de tels enfants. Celle-ci, comblée de joie, de l’action et des louanges qu’on lui donnait, debout aux pieds de la statue, pria la déesse d’accorder à ses deux fils le plus grand bonheur que pût obtenir un mortel. Cette prière finie, après le sacrifice et le festin ordinaire dans ces sortes de fêtes, les deux jeunes gens s’étant endormis dans le temple même, ne se réveillèrent plus, et terminèrent ainsi leur vie .
Quant au char à quatre roues, nous apprenons par Pline l’Ancien, qu’il fut inventé parles Phrygiens . Il faut donc qu’il soit très-ancien.
Il était d’usage à Athènes que la mariée fût reconuite chez elle en voiture le soir de ses noces. Une loi de Solon ordonnait que toute femme honnête ne devait sortir la nuit de chez elle qu’en voiture et éclairée par une torche. Après la guerre contre les Perses, la Béotie, Sicyone et la Sicile étaient réputées pour la bonté et la beauté de la fabrication des chars et des voitures. Dès l’année 500 avant l’ère vulgaire, on attela des mules aux chars qu’on faisait courir dans les jeux publics. Pendant là seconde ou troisième journée des Thesmophories, fêtes consacrées à Déméter appelée Cérès dans la langue latine, on voyait dans Athènes un cortège, dans lequel les femmes, pieds nus, suivaient un char orné d’un vaste panier qui contenait des symboles de divers genres, et ce char était conduit ensuite au Thesmophorion. Au commencement du Ve siècle avant l’ère vulgaire, Thémistocle traversa un matin Athènes en voiture accompagné de plusieurs hétaires. Ce grand capitaine avait-il une biga à lui appartenant, ou y avait-il dans la capitale de l’Attique des voilures de louage comme il y en avait à Rome, ainsi que nous le verrons plus tard? C’est ce qu’on ne sait pas.
Chez les Romains, moins difficiles sur leurs relations avec les étrangers, il y avait une foule de voitures imitées de celles des peuples qu’ils vainquirent ou des nations avec lesquelles ils tombèrent en contact. Rome et une partie de l’Italie n’étaient point exclusives comme l’étaient les villes et les provinces de la Grèce, jalouses de conserver leur nationalité absolue, leur morale et leur honneur. La société grecque était sortie et s’était développée de son propre fond: l’essence en était bonne et belle. Il n’en était point ainsi de Rome, ramassis de vingt peuples différents, dont quelques-uns étaient très-dépravés, ceux surtout d’origine phénicienne, juive et arabe. Les Romains empruntèrent pour leurs mœurs et leurs usages une infinité de choses aux Étrusques, aux Grecs de la Grèce propre et à ceux de l’Asie-Mineure. Ils empruntèrent aux Égyptiens grécisés, aux Gaulois, aux Celtes, aux Belges et aux Bretons de la Grande-Bretagne. Ils subirent aussi sans le savoir l’influence des Carthaginois et de tous les traficants juifs et phéniciens établis dans la presque totalité des villes bordant la Méditerranée, et qu’ils durent nécessairement englober dans leurs interminables conquêtes. Par leurs bonnes qualités, les importations descendues du Nord balancèrent pendant quelque temps les mauvaises innovations venues de l’Orient et du Midi.
C’est particulièrement chez les Romains, dans l’antiquité, que les voitures arrivèrent à un usage très-étendu, à une grande variété, et enfin à une prodigieuse richesse. Leurs jeux publics, leurs cérémonies civiles et religieuses, leurs triomphes et une infinité d’autres fêtes les poussaient à les diversifier et à y attacher un grand luxe.
Les Étrusques, peuple grec, d’origine pélasge, enseignèrent l’usage du char à deux chevaux aux Romains. Les chars étrusques étaient à deux roues et en fer ou en bronze. L’invention des chariots et des voitures à quatre roues et de l’attelage à deux chevaux, est attribuée aux Phrygiens par les anciens comme nous l’avons dit. De là, elle passa à Rome au moyen des relations commerciales. L’emploi du char de combat qui se maintint pendant une longue suite de siècles chez les Grecs, ne fut que de courte durée dans la péninsule Italique. Il était aussi antipathique à la démocratie qu’il était compromettant pour l’oligarchie dure et hautaine du patriciat romain. On le conserva donc pour d’autres usages.
Le plus ancien véhicule des Romains, est la voiture appelée arcera, nommée dans les douze tables, elle était couverte et destinée aux malades et aux personnes faibles ou impotentes. Les Romains connaissaient aussi la litière: elle ne fut importée à Rome qu’après les guerres puniques, et lorsqu’ils eurent conquis l’Asie. D’abord d’une grande simplicité, les litières devinrent très-élégantes et très-richement ornées. Pendant les guerres civiles aucunes lois ne furent faites contre elles; mais César donna des ordonnances pour les rendre plus simples et moins riches, et pour limiter leur emploi.
Une invention postérieure à l’arcera, est le véhicule nommé carpentum, dont on a des représentations sur des monnaies. C’était une boîte à deux roues surmontée d’une couverture cylindrique, composée quelquefois d’étoffes précieuses. Par son orgueil prodigieux, par son égoïsme et son arbitraire odieux, par des lois astucieuses faites par lui, l’oligarque patricien de Rome amena un tel désordre dans la société de l’empire, que de temps en temps, le législateur fut obligé de promulguer des lois somptuaires, afin de ramener un peu d’ordre dans la société qu’il voyait tomber en poussière et s’en aller avec rapidité vers un abîme qui devait l’engloutir. Sur la fin de la République on était loin des temps de la première guerre punique, où l’on permit pour la première fois depuis la fondation de l’État, à un citoyen romain, L. Métellus, de se servir d’une voiture pour se rendre au Sénat. Cette insigne faveur lui fut accordée en témoignage de reconnaissance nationale pour avoir sauvé d’un incendie le palladium du temple de Vesta. Mais il avait sauvé l’image de Minerve aux dépens de sa vue: il resta aveugle pour toujours.
La carruca ou carrocha était une voiture romaine inventée du temps de l’empire. Elle avait quatre roues: la boîte était placée à une certaine élévation sur un train, composé de quatre montants fixés à l’aplomb des essieux et reliés entre eux par des traverses horizontales. C’était la voiture de ville, la voiture de gala dans laquelle se montraient les grands dignitaires; en dehors de leur charge officielle elle était découverte. C’est le nom de cette voiture qui, pour une certaine espèce des nôtres, est passé dans les langues modernes. On dit carrosse en français, carrozza en italien, carriage en anglais, caroca en espagnol. Suétone rapporte que Néron traînait avec lui dans ses voyages un millier de carrosses. Sous Aurélien, il fut permis aux simples particuliers d’enrichir leurs carrosses d’ornements en argent, tandis qu’auparavant on n’y voyait que du cuivre et de l’ivoire. Héliogabale avait des voitures ornées de pierres précieuses et d’agréments en or. Il méprisait les véhicules enrichis d’ornements en argent, en ivoire et en cuivre, rapporte Lampride. La carruca romaine n’avait que deux places, sur le siége de derrière. Le cocher était assis sur le devant et plus bas que les maîtres. Quelquefois aussi, il allait à pied à côté des chevaux. La carruca était traînée par deux chevaux ou deux mulets. Le cocher des gens riches portait des vêtements splendides: d’habitude on lui voyait un manteau rouge jeté sur l’épaule.
Le carpentum était la riche voiture à quatre roues, couverte, à deux ou à quatre chevaux de front. Le carpentum des dames était également couvert, mais il était seulement à deux roues et à deux chevaux. Les sacerdotes se rendaient au Capitole en carpentum, parce que cette voiture étant fermée, ils pouvaient prendre avec eux les ustensiles sacrés destinés au culte et qui devaient être dérobés aux yeux du public. Mais dans les bas temps de l’empire, les femmes se servaient aussi du carpentum à quatre roues. Messaline, par exemple, femme de Claude, fut la première qui monta dans un carpentum pour aller au Capitole. Elle ne descendit même pas de voiture au pied du grand escalier qui y conduisait. Car jusqu’alors flamines et laïcs avaient l’habitude de monter au Capitole à pied. Comme chez les Grecs, la mariée était conduite chez elle dans un carpentum. Mais en Grèce cette sorte de voiture était appelée apène; on y attelait quelquefois quatre chevaux ou quatre mulets comme le rapporte Homère. L’apène est la voiture des temps aristocratiques qui suivirent l’abolition de la tyrannie ou monarchie des temps héroïques. Pendant le trajet, le nouvel époux jetait des noix aux passants. Cet usage s’est conservé dans les temps modernes. Anciennement en France, le marié offrait non des noix, mais des dragées. Aujourd’hui, il n’en donne qu’à ses amis intimes, et de nos jours, cet usage se perd de plus en plus et n’a lieu qu’au baptême des enfants.
Le cisium romain est représenté par notre cabriolet moderne. Mais il n’était point suspendu, le siége seul l’était au moyen de courroies en cuir fixées à la boîte. Au rebours des biga, on montait par devant dans le cisium; on n’y était point non plus debout, mais assis. Le cisium avait un timon et deux chevaux.
Il y avait déjà très-anciennement dans l’empire romain une sorte de poste pour les voyageurs. Cette poste était tenue par des particuliers, espèce de voiturins comme il en existe encore aujourd’hui en Italie, mais que les chemins de fer et les diligences font de plus en plus disparaître. Ils tenaient à la disposition des voyageurs des voitures légères, parmi lesquelles on remarque surtout le cisium avec lequel on voyageait rapidement. Le cisium était très-ancien: on le voit représenté sur des vases étrusques. Ce fut sans aucun doute avec un voiturin qu’Horace accomplit le voyage de Rome à Brindes, par Capoue et Bénévent, dans la trente-septième année de l’ère vulgaire, et qu’il décrit dans la Ve satire du livre 1er.
D’après ce que rapporte Suétone, César faisait cent cinquante kilomètres par jour dans une voiture de louage ou cisium. Plutarque dit que César voyageait avec une telle rapidité dans la voiture de louage, qu’ayant quitté Rome il arriva le huitième jour dans les Gaules, sur les bords du Rhône.
Les postes publiques jusqu’à Auguste étaient médiocres dans leur service, qui comptait au nombre des corvées, et n’étaient point, à ce qu’il paraît, d’administration nationale. Après sa campagne contre les Perses, Auguste reconnut la bonne et utile organisation de leurs postes, et si cet empereur n’en a pas été le fondateur dans son empire, il en fut au moins le restaurateur. C’est dans le cisium à deux places où l’on pouvait mettre son bagage, que les courriers impériaux couraient la poste jusqu’aux limites de l’empire. Le moyen-âge a anéanti les postes publiques qui ne furent rétablies qu’à la fin du XVe siècle, lors de la Renaissance.
Dans la vente du mobilier de l’empereur Commode, sous le règne de Pertinax, on voyait des voitures d’une nouvelle invention, et dans lesquelles un mécanisme assez compliqué, mais fort ingénieux, qui s’appliquait aux roues et aux siéges, permettait, en les tournant, ou de se mettre à l’abri du soleil, ou de se ménager à propos un air frais; d’autres mesuraient seules le chemin parcouru, indiquaient les heures, et étaient accommodées aux plaisirs du prince .
Le contenu de ce passage rappelle le chapitre IX (ou XIV) du Xe livre de l’Architecture de Vitruve, intitulé : «Par quel moyen on peut savoir, en allant en voiture, ou en bateau, combien on a fait de chemin. » Passons maintenant, dit-il, à une autre invention qui peut être de quelque utilité, et qui est une des choses des plus ingénieuses que nous tenions des anciens. Il s’agit du moyen de savoir combien on a fait de milles étant en voiture ou allant sur l’eau. Les roues du carrosse doivent avoir quatre pieds de diamètre, afin qu’ayant fait une marque sur la roue à l’endroit où elle commence à rouler sur la terre, on soit assuré qu’elle aura parcouru un espace d’environ douze pieds et demi, quand, après avoir roulé, elle sera revenue à cette même marque par laquelle elle a commencé. Au moyeu de la roue, il faut attacher fermement un tympan qui ait une petite dent qui excède sa circonférence, et placer dans le corps du carrosse une boîte qui soit aussi fermement arrêtée, et qui renferme un autre tympan, mais un tympan mobile, placé verticalement et traversé d’un essieu. Ce tympan doit être également divisé en quatre cents dents, qui se rapportent à la petite dent du premier tympan. Il faut de plus que ce second tympan ait sur le côté une petite dent qui s’avance au delà de celles qui sont à sa circonférence. Il faut encore un troisième tympan placé de champ, divisé en autant de dents que le second, et enfermé dans une autre boîte, en sorte que ses dents se rapportent à la petite dent qui est sur le côté du second tympan. Dans ce troisième tympan, on fera autant de trous à peu près que le carrosse peut faire de milles par jour, et on mettra dans chaque trou, un petit caillou rond, qui pourra tomber lorsqu’il sera arrivé au droit d’un autre trou fait à la boîte, dans laquelle ce dernier tympan sera enfermé comme dans un étui; et ce caillou coulera par un canal dans un vaisseau d’airain placé au fond du carrosse. Cela étant ainsi, lorsque la roue du carrosse emportera avec soi le premier tympan dont la petite dent pousse à chaque tour une dent du second, il arrivera que 400 tours du premier tympan feront faire un tour au second, et que la petite dent qu’il a sur le côté ne fera avancer le troisième tympan que d’une dent. Ainsi le premier tympan en 400 tours n’en faisant faire qu’un au second, on aura fait 5,000 pieds, qui sont mille pas, quand le second tympan aura achevé son tour. Le bruit que fera chaque caillou en tombant avertira que l’on a fait un mille; et chaque jour l’on saura par le nombre des cailloux, qui se trouveront au fond du vase, combien on aura fait de milles.»
L’emploi des voitures a été beaucoup plus fréquent à Rome qu’en Grèce. La royauté étrusque en avait fait une belle ville qui fut pavée de bonne heure. Les voies stratégiques de l’Italie rendaient les voitures utiles et les communications faciles. En l’année 321 avant l’ère vulgaire, le censeur Appius Claudius construisit la voie qui porte encore son nom aujourd’hui, et qui conduit de Rome à Capoue. C’est la première grande route qui ait été établie dans l’empire romain. Quant à l’éclairage des rues de Rome, il est certain que les principales l’étaient seules, comme dans d’autres grandes villes de l’antiquité. Il y avait des sortes de lanternes aux environs des grands monuments publics et dans les rues les plus fréquentées. La licence des mœurs romaines favorisait l’emploi des voitures, et surtout des voitures pendant la nuit.
Lorsque dans Rome les richesses des particuliers et surtout celles des patriciens pouvaient être dissipées arbitrairement, le luxe s’éleva avec un débordement effréné. Alors aussi tous eurent des voilures, non-seulement commodes, mais encore enrichies de matières précieuses et chères, malgré les lois somptuaires qu’on fit de temps en temps pour arrêter cet abus qui devint si général, que l’empereur Alexandre Sévère (de 222 à 235 de l’ère vulgaire) ne pouvant y remédier, abrogea ces mêmes lois et permit à chacun d’avoir des voitures de telle richesse que bon lui semblerait. Antonin le Pieux qui régna de 138 à 161, avait, au rapport de J. Capitolin, déjà mis une extrême attention à modérer l’usage des voitures. Marc-Aurèle défendit d’entrer à cheval ou en voiture dans les villes.
La grande population de Rome, la vie de plaisirs de ses habitants ainsi que leur amour-propre et enfin le grand nombre de fortunes médiocres, rendirent des voitures de louage nécessaires. Et il y en avait effectivement beaucoup. C’est ce que prouvent une quantité de passages des auteurs romains. Ce n’est pas dans une de ces voitures de louage que se jeta Messaline avec trois personnes, lorsqu’elle se crut perdue, pour prendre la route d’Ostie où était son mari, comme le disent quelques historiens modernes, mais sur un des chariots qui servaient à enlever les immondices des jardins.
Suétone rapporte que Caligula, séduit par l’appât du gain, se fit apporter de Rome dans les Gaules, tout le mobilier de l’ancienne cour, et qu’il mit en réquisition, pour le transport de ces objets, toutes les voitures de louage et tous les chevaux de meunier; de sorte que le pain manqua souvent à Rome, et que la plupart des plaideurs, ne pouvant venir à l’assignation, encoururent, comme absents, la déchéance.
Lorsque les chrétiens eurent enfin gagné l’amitié d’un empereur, ils n’eurent rien de plus pressé que de s’emparer de toutes les choses temporelles. Un passage d’Ammien Marcellin blâme fortement l’empereur Constantin de permettre aussi souvent qu’il le faisait la réunion des prêtres chrétiens en synode, parce que cela apportait un grand préjudice aux postes. Des essaims d’évêques se rendaient aux frais du trésor public, et cela de tous les points du monde connu, au lieu de convocation indiqué, et dans ce but, ils disposaient de tous les chevaux et de toutes les voitures de poste. En 360 de l’ère des chrétiens, Constantin convoqua un synode à Rimini, auquel se rendirent plus de quatre cents prélats de l’Église d’Occident; ils venaient des provinces les plus éloignées: de toutes les parties de l’Italie, de l’Illyrie, de l’Afrique, de l’Espagne, des Gaules et de la Grande-Bretagne. Afin de leur faciliter le voyage, l’empereur avait donné des ordres pour qu’on mît à leur disposition tout ce qui pouvait le rendre moins pénible et moins fatigant: voitures, provisions, etc., etc.; et peu ne s’en fallut que toutes ces mesures ne ruinassent de fond en comble le service des postes de l’Empire. Quoique l’empereur fît indemniser les propriétaires des voitures et des chevaux, la perte de ces derniers fut très-sensible pendant un certain temps.
Il est tout naturel que la voiture de l’empire d’Occident soit passée dans l’empire d’Orient. Par le Code théodosien il est non-seulement permis de faire usage des carrosses, mais il est expressément enjoint aux hauts fonctionnaires de s’en servir, comme marque distinctive de leur rang et de leur emploi . Le génie de l’antiquité avait disparu de la société comme on le voit par cet exemple; l’homme n’était plus rien par son mérite personnel ou par la haute fonction qu’il remplissait dans l’État et que conférait le talent, la capacité et la vertu. Pour en imposer aux masses, il fallait des colifichets, de la pompe extérieure, l’occupation des yeux, qui n’est rien par elle-même. Le christianisme avait continué cette disposition de l’esprit des nations, si profondément inculquée chez elles par l’action et l’influence des races d’origine arabe.
Chez les Gaulois, toute voiture ayant au lieu d’une boite, un panier d’osier, était appelée benna; ils employaient ce véhicule pour charrier toutes espèces d’objets et transporter les personnes en temps de paix; pendant la guerre, il servait au transport des bagages et des armes. En Alsace et dans plusieurs contrées de la Suisse, la voiture en osier à deux roues se nomme bennenkarte, et le panier ou caisse en osier placé sur le train, s’appelle benne. Ce nom vient de binnen ou binden. Le mot latin vannus, le van, et le mot français vanne, se rapprochent du mot allemand binden, qui est un verbe et qui signifie lier, entrelacer, natter. Les mots français banne, banneton, indiquent un panier en vannerie: on appelle banneaux les paniers que portent les bêtes de somme. La voiture en osier est appelée benna par le paysan italien. La benna gauloise était à deux ou à quatre roues, petites ou grandes: cette voiture était ouverte ou couverte. La voiture d’osier est très-ancienne. Chez les Grecs elle se nommait plecta, canathra chez les Spartiates. La benna des Gaulois était la sirpea des Romains.
L’essedum romain, voiture de combat à deux roues, était en usage chez les Bretons et les Belges; les Romains l’imitèrent. Dans la langue gaël, le mot ess signifie une voiture, un vaisseau: les Phéniciens qui commercèrent sur les côtes d’Angleterre, emportèrent le mot ess chez eux mais en le changeant: ils en firent hasseda, hassedan, qui, en phénicien el en hébreu, veut dire voilure. Plus tard les Grecs en ont fait essedon. En breton ess est employé pour désigner une voilure; seat en anglais signifie siége. L’essedum ne servait pas seulement à la guerre, mais encore en temps de paix pour les voyages ainsi que pour les besoins de l’agriculture. La caisse était circulaire par derrière; on y montait par devant, comme dans un cabriolet. L’essedum breton était attelé de deux chevaux, et conduit en temps de guerre par un cocher, tandis que le guerrier s’y tenait debout pour combattre.
Alésia, aujourd’hui Sainte-Reine et Élise en Bourgogne, était réputée pour l’excellence et la beauté de la fabrication des essèdes. Les Biluriges ou habitants du Berry faisaient un grand commerce d’ornements en cuivre battu pour les voitures; ils les doraient au feu. C’est aussi dans le Berry que l’on fabriquait les plus riches harnais, les plus beaux jougs, comme en général tout ce qui appartenait aux voilures, a la carrosserie et à la sellerie, comme on dit aujourd’hui. Le luxe des voitures devint tellement extravagant en Italie et surtout à Rome, qu’on vit un jour un essède en argent exposé en vente dans la rue Sigillaria, et qui se distinguait à tel point par sa surprenante richesse, que Claude, alors censeur, fit disparaître cette voiture en l’achetant et en la payant. Il la fit démolir publiquement, afin de mettre un frein à ce luxe si pernicieux pour une société.
Le pilentum était la voiture de ville ouverte, dont se servaient les matrones romaines; elle n’était jamais utilisée par les hommes. Elle avait deux ou quatre roues; le ciel était soutenu par quatre légers montants en cuivre doré, en argent, en ivoire ou en bois étranger, richement ciselé ou sculpté. Le pilentum ne donnait place qu’à deux personnes: sa boîte était carrée et plus longue que large. Cette voiture était aussi celle des Vestales. Il n’était point permis aux jeunes filles romaines de monter en voiture, elles traversaient les rues avec un voile sur la tête, ou bien encore elles étaient transportées dans des litières fermées. Il était défendu aux hétaires et aux femmes d’une conduite équivoque de se servir soit de la voiture, soit de la litière. Cette loi était sage, juste et morale. Elle mettait les femmes honnêtes à l’abri d’être prises pour ce qu’elles n’étaient pas. Aujourd’hui, dans notre civilisation si vantée, c’est la plus grande hétaire et la plus méprisable qui roule en tous lieux et à toute heure de la nuit et du jour, dans la voiture la plus belle, la plus riche et la plus commode. Dans notre époque si vantée des progrès et des lumières, c’est le plus souvent le génie et l’homme de bien qui sont condamnés à marcher dans la boue, tandis que la bêtise et le vice roulent en carrosse et les éclaboussent en passant. Quand la société aura secoué les mauvaises croyances que lui a léguées le moyen-âge, quand elle sera rentrée dans un ordre normal, on ne verra plus l’anomalie que nous avons indiquée il y a un instant, et comme dans l’antiquité des beaux temps de la Grèce et de Rome, les malhonnêtes gens et les femmes perdues n’iront plus qu’à pied.
Toute voiture destinée à promener l’image des dieux dans les cérémonies publiques, avait le nom de Thensa. Elle avait seulement deux roues et était composée d’une caisse assez haute, richement ornée, sur laquelle s’élevaient soit des pilastres ou colonnes, soit des caryatides qui supportaient un ciel, souvent imité de la toiture des temples grecs ou romains, avec l’entablement, la corniche et les frontons. De ces derniers il y en avait un devant et un autre derrière la thensa. La thensa hiératique était traînée ou par des chevaux blancs, ou par des bœufs blancs, ou par des mules blanches: quelquefois par des éléphants. Dans certains cas ce char religieux était aussi traîné par des hommes; mais il n’était jamais monté par eux, On ne devait y voir que la représentation des dieux.
Dans le cortége du couronnement de Ptolémée Philadelphe (il régnait de l’année 284 à 246 avant l’ère vulgaire) roi d’Égypte, l’on voyait un char à quatre roues, de quatre mètres de largeur, de six mètres 50 de longueur et traîné par soixante hommes. Sur cette thensa était placée une statue de quatre mètres d’élévation, représentant Nysa, la nourrice de Bacchus; au moyen d’un mécanisme elle se levait et s’asseyait et versait du lait dans une coupe d’or. Le char était couvert et à ses quatre angles il y avait quatre lampes en or. Athénée donne une description détaillée de ce char dans le Ve livre de son banquet.
Héliogabale plaçait l’image de son dieu sur un char orné d’or et de pierres précieuses quand il le conduisait de son temple situé dans la ville, au faubourg. Le char était traîné par un attelage de six chevaux blancs, très-forts et irréprochables, couverts de dorures et d’ornements de plusieurs couleurs. Le char ne devait jamais être monté par aucun mortel; c’est pour cela que les guides étaient placées dans les mains du dieu comme si c’était lui qui dirigeait lui-même le char. Antoninus courait en avant du char, à reculons, en ayant le regard fixé sur le dieu et il arrêtait les chevaux par la bride. C’est ainsi qu’il parcourait toute l’étendue du chemin les yeux fixés sur la face du dieu. Mais pour qu’il ne pût pas faire de faux pas ni glisser en allant ainsi à reculons, le sol était saupoudré de poudre d’or, et de chaque côté, se tenait une rangée d’hommes destinés à veiller à la sûreté du cortège .
Dans les pays catholiques, on porte dans les processions l’image de Jésus, de la Vierge ou de quelque saint fameux; ordinairement cette image est placée sous un ciel supporté par quatre montants. Le tout est porté par des hommes ou des femmes. Cet usage est une réminiscence des cérémonies romaines où paraissaient les thensa.
Il y avait chez certaines peuplades germaniques un char dédié à Herta, le terre mère, et couvert d’un voile: il renfermait une représentation de la divinité. Le prêtre seul avait le droit de toucher ce voile. Ce char était traîné par des génisses, il rentre dans la catégorie des thensa.
Les Scythes n’avaient ni villes ni forteresses, dit Hérodote. Ils traînaient avec eux leurs maisons; ils n’en avaient point d’autres que leurs chariots. C’étaient des nomades; on retrouve encore aujourd’hui ces voitures-maisons, kibitki, chez toutes les tribus nomades de la Russie d’Asie et souvent même de la Russie d’Europe. Ces nomades servent d’escorte aux grandes caravanes. Le plus ordinairement, ces chariots étaient tirés par des bœufs.
Les chars de course des Grecs et des Romains étaient de petites voitures à deux roues dont la caisse ne pouvait contenir qu’une seule personne. On y montait par derrière: elles étaient attelées de deux ou de quatre chevaux. Ces chars étaient si légers qu’un homme pouvait les porter sur ses épaules. On reconnaissait à la couleur de la jaquette du conducteur et des bandelettes qui entouraient les jambes des chevaux, à quelle faction appartenait le char.
Parmi les chars funèbres dont l’antiquité nous a transmis la description, celui qui transporta les restes mortels d’Alexandre, de Babylone en Égypte, est sans contredit le plus splendide. Une voûte d’or, ornée de pierres précieuses disposées en écailles, en formait le sommet: cette voûte avait huit coudées de large et douze de long (quatre mètres de large et six de long). Sur le comble, et au-dessus de toute l’œuvre était placé un trône d’or de figure carrée, orné de mufles d’animaux fantastiques (bouc-cerf), qui tenaient des agrafes d’or de deux palmes (0m,150) de diamètre, auxquelles on voyait suspendues des couronnes triomphales, tressées en guirlandes de diverses couleurs, qui charmaient la vue. Sur le dos de la voûte était étendu un filet à larges mailles, qui portait de grandes sonnettes, dont le bruit se faisait entendre de loin à tous ceux qui venaient au-devant du convoi; à chacun des quatre angles de ce toit voûté, s’élevait une Victoire d’or ailée, portant des trophées; la voûte et tout ce qui en dépendait reposait sur un péristyle composé de colonnes à chapiteaux ioniques. En dedans de ce péristyle on remarquait également un réseau d’or, dont les fils avaient l’épaisseur du doigt, auquel étaient attachés quatre tableaux chargés de figures, et de la même dimension que les murailles du péristyle.
Le premier de ces tableaux était un bas-relief représentant un char orné de ciselures, sur lequel était assis Alexandre, tenant en ses mains un sceptre magnifique. Autour du roi était rangée et sous les armes, sa maison militaire, composée de Macédoniens et de Perses, portant des piques terminées par une pomme d’or; en avant marchaient ses écuyers.
Sur le second tableau on avait figuré, comme faisant suite à la maison militaire, des éléphants équipés en guerre, montés chacun par deux conducteurs, un Indien en tête et un Macédonien, l’un et l’autre revêtus de leurs armes ordinaires.
Sur le troisième se déployait un escadron de cavalerie, imitant, pour se ranger en bataille, les évolutions d’une manœuvre militaire.
Enfin le quatrième représentait des vaisseaux de guerre équipés et disposés pour un combat naval.
On observait en outre à l’entrée de la voûte des figures dorées de lions, dont les regards menaçants étaient tournés vers ceux qui auraient voulu pénétrer dans l’intérieur. Au milieu de l’intervalle qui séparait chaque colonne s’élevait une acanthe d’or dont les feuilles montaient lentement jusqu’au chapiteau de ces colonnes. Sur le dos de la voûte et au milieu du toit qu’elle formait, était étendu à découvert un tapis de pourpre chargé d’une couronne d’olivier en or, d’une immense grandeur; les rayons du soleil tombaient sur cette couronne et produisaient en s’y réfléchissant, l’éclat d’une lumière brillante, continellement en mouvement, qui, vue d’une certaine distance, faisait sur les yeux l’effet d’un éclair traversant le ciel. Le train sur lequel reposait la voûte et tout le monument était porté sur deux essieux que mettaient en mouvement quatre roues à la persienne, dont le moyeux et les raies étaient dorés, mais dont les jantes, qui touchaient le sol, étaient garnies en fer; chaque saillie des essieux portait un mufle de lion mordant le fer d’une lance. Au milieu de la longueur du char, et placé au-dessous du centre de la voûte, était un mouvement de genou d’une mécanique très-artistement conçue, destinée à maintenir constamment tout le système de la voûte dans une position immobile à travers les secousses et les cahots de la route. Quatre timons étaient attachés bout à bout au train, et à chaque timon quatre jougs, deux à droite, deux à gauche, recevaient chacun quatre mules; de manière que le nombre des mules attelées était de soixante-quatre, choisies parmi les plus hautes et les plus vigoureuses que l’on put trouver. Tous ces animaux portaient des couronnes d’or; à chaque côté de leurs mâchoires était suspendue une sonnette d’or, et leur cou était orné d’un collier en pierres précieuses.
Deux années avaient été employées à faire exécuter ce grand ouvrage, ajoute Diodore de Sicile auquel nous avons emprunté la description qu’on vient de lire .
La litière que Pollux compte au nombre des véhicules, est très-ancienne. On la trouve dans les temps les plus reculés en Orient et en Asie. Elle était portée par deux, quatre, six ou huit hommes. On y attelait aussi deux chevaux. On la faisait porter quelquefois par un chameau ou un éléphant. La litière ne fut connue à Rome qu’après les guerres puniques, et lorsque les Romains eurent fait des conquêtes en Asie. Les premières litières romaines étaient très-simples et découvertes. Avec la décadence des mœurs elles devinrent très-riches et on les ferma. Nous avons déjà parlé des lois que César rendit contre leur usage immodéré et leur luxe. L’emploi des litières était interdit aux hommes et aux affranchis qui n’avaient point atteint leur quarantième année.
La basterne etait une grande chaise à porteurs, portée par deux mules ou deux bœufs. On se servait aussi quelquefois de deux chevaux. La basterne contenait seulement deux personnes, placées vis-à-vis l’une de l’autre. Pour la porter on prenait des chevaux allant l’amble. On évitait par là les secousses.
On sait par le rapport de Tite-Live que le char était en usage sous la monarchie romaine. Tullie fit passer les roues du sien sur le corps de son père. Ce fut sur un char qu’un Lucumon étrusque, Tarquin, fils de Démarate, et sa femme Tanaquil firent leur entrée à Rome. Tullus Hostilius fit déchirer Mettus Fuffétius, dictateur des Albains, entre deux chars attelés de quatre chevaux. Camille vainqueur des Véiens en 396 avant l’ère vulgaire, célébra son triomphe en parcourant les principales rues de Rome sur un char magnifique attelé de quatre chevaux blancs. Jamais aucun général n’osa en faire autant avant et après lui. Le peuple en manifesta son mécontentement, il n’aimait pas l’orgueil. Un semblable attelage était respecté, sacré et uniquement consacré au roi et au père des dieux. La magnificence deployée par Camille fut regardée comme une innovation blâmable.
Quand Pompée après la conquête d’Afrique célébra son triomphe en l’année 81 avant l’ère vulgaire, il fit son entrée à Rome sur un char de triomphe traîné par des éléphants. Ce fut en l’année 282 avant l’ère vulgaire, dans la guerre avec Pyrrhus que l’Italie vit les premiers éléphants, et comme ils apparurent la première fois en Lucanie, les Romains les nommèrent bœufs de Lucanie. Sept ans plus tard, en 275, des éléphants servirent à orner un triomphe célébré à Rome. En 252 cette ville en vit beaucoup dans ses murs et que le pontife L. Métellus captura en Sicile sur les Carthaginois. Ils traversèrent au nombre de 142 le détroit de Messine, sur des radeaux construits avec des madriers et des tonneaux.
Les premiers éléphants connus de l’Occident furent ceux au nombre de quinze, pris avec leurs cornacs par Alexandre à la bataille d’Arbelles. Ce prince en ramena trois cents autres de l’Indus sur l’Euphrate; après sa mort ils tombèrent en héritage à ses successeurs. On les fit émigrer en Syrie, chez les Séleucides, en Égypte chez les Ptolémées et enfin en Grèce chez les Macédoniens de ceux-ci ils passèrent en Épire par Pyrrhus et par son intermédiaire chez les Romains et les Siciliens. Là, ils furent adoptés pour la guerre par les Carthaginois qui ayant appris de quelle grande utilité ces animaux étaient dans les campagnes militaires, se servirent de ceux de la Mauritanie pour effrayer les Romains en Ibérie et en Italie. Le passage des Alpes par Annibal avec 37 éléphants au printemps de 218, est un des faits les plus remarquables de l’histoire de la guerre.
Les Romains abusèrent de l’emploi des éléphants d’Afrique dans les combats du cirque depuis Jules César jusqu’à l’empereur Gordien. Ils en détruisirent la race africaine ou de l’Atlas qui ne pouvait se renouveler et se maintenir faute de secours de l’Asie et principalement de l’Inde.
L’empereur Firmus s’amusait à dresser des éléphants, il montait des hippopotames et assis sur d’énormes autruches, il semblait voler avec elles . Héliogabale avait des voitures couvertes de pierres précieuses et d’or, ne faisant aucun cas de celles qui étaient garnies d’argent, d’ivoire ou d’airain. Il attelait parfois à un char deux, trois et quatre femmes des plus belles, ayant le sein découvert, et par lesquelles il se faisait traîner. Mais le plus souvent il était nu, ainsi que ces femmes. Cet empereur n’étant encore que particulier, ne se mettait jamais en route avec moins de soixante chariots. Empereur, il se faisait suivre de six cents voitures, alléguant que le roi des Perses voyageait avec dix mille chameaux et Néron avec cinq cents carrosses .
Aurélien (il régnait de 270 à 275) donna aux particuliers la faculté d’avoir des voitures ornées d’argent, tandis qu’avant lui elles n’étaient garnies que d’airain et d’ivoire .
Quoique la Grèce fût plus rapprochée de l’Orient que le reste de l’Italie et bien plus tôt en contact avec ses habitants, on n’y vit jamais le législateur obligé de venir poser un frein à la folie des citoyens en promulguant des lois somptuaires, destinées à limiter le luxe et l’ostentation et obvier aux perturbations qu’ils apportent toujours tôt ou tard dans la société. C’est que le peuple grec avait d’abord une théologie vraie d’où dérivait le principe de l’ordre. Elle doua les Grecs de cet esprit de justice, de ce sentiment de convenance que nous voyons dominer chez eux en toutes choses; elle leur inculqua le beau dans l’âme, la dignité personnelle, la noblesse de caractère et des actions. Ensuite ils ne sentaient que les besoins véritables, naturels, et ne connaissaient pas les besoins artificiels, imaginaires et exagérés, la vie de plaisir par les yeux uniquement. Ils n’aimaient que les grandes fêtes périodiques et nationales auxquelles participaient tous les citoyens et où les créations de l’intelligence jouaient véritablement le seul et unique rôle. Les Grecs descendaient de la plus belle race d’hommes, de celle qui glorifiait le culte du beau et de la raison.
Il n’en était point ainsi des Romains, nation composée d’un amalgame hétéroclite de races diverses, Grecs, Étrusques, Carthaginois, Phéniciens et Arabes, dont les trois dernières étaient sensuelles et perverses. Le Romain était orgueilleux, vain, bavard, cruel et sanguinaire, et se nourrissait principalement de porc. Il n’aimait pas à se donner en spectacle, et depuis que les jeux des gladiateurs, si parfaitement adaptés au caractère rude et brutal du peuple romain, eurent pris naissance dans l’année (263 avant l’ère vulgaire) où commença la première guerre punique, l’on voit bientôt à Rome des luttes sanglantes dans le cirque et des combats d’animaux devenir l’unique plaisir, la seule préoccupation populaire. Les idées et les sentiments grossiers des habitants maritimes d’essence sémitique arabe de la Méditerranée s’étaient insensiblement introduits par toutes sortes de moyens dans l’esprit et le caractère des Romains. Le désordre, qui seul enfante le luxe dans certaines classes, mit l’amour des richesses et l’oisiveté à l’ordre du jour dans l’empire romain. Le faste y fut porté au plus extrême degré. La religion qui n’était plus qu’une affaire de bienséance ou de convenance, ne commandait aucunes limites. Le législateur crut alors que des lois somptuaires arrêteraient le mal; mais elles ne le guérirent pas. En l’année 219 avant l’ère vulgaire, parut la loi Métilia ; en 214, la loi Appia qui défendait aux femmes d’avoir plus d’une demi-once d’or, de porter des vêtements de diverses couleurs, et ce qui nous intéresse plus particulièrement, de faire usage de voitures à Rome ou dans d’autres villes, ou à un mille de leur enceinte, sauf le cas de sacrifices publics . Mais à peine vingt années s’étaient-elles écoulées, qu’on en demanda l’abrogation. Cette loi et la longue et sérieuse discussion que souleva son abolition en 195, prouve avec quelle force le luxe et la corruption qui en est la suite et l’inévitable conséquence, faisaient alors irruption dans Rome. C’est ce que montrent d’ailleurs encore les lois somptuaires portées à cette époque: entre autres la loi Cincia (204), la loi contre les bacchanales (186), la loi Orchia (183), la loi Fannia (161), etc., etc., et encore toutes celles dont parle Aulu Celle dans les Nuits attiques, II, 24.
Pl. 2.
L’usage de la voiture est très-ancien en Chine; il y est indigène et ne peut en aucune manière avoir été emprunté à l’Europe. On roulait déjà en voiture en Chine dans le temps où nos pays de l’Occident étaient encore couverts de forêts et où peut-être même ils n’étaient point habités par les hommes.