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Cette traduction est absolument littérale. On reconnaîtra aisément que le traducteur a sacrifié plus d'une fois les exigences du style moderne au scrupule de s'écarter le moins possible d'un style encore médiéval, mais alors nouveau, dolce stil nuovo, qui est un des charmes de cette oeuvre. Il s'est contenté de conserver la coupe des morceaux rimes. C'est tout ce qu'il pouvait faire, toute tentative de reproduire en vers une oeuvre poétique ne pouvant que compromettre la fidélité de la traduction, en raison des nécessités et des procédés d'une prosodie tout autre que celle du modèle. Et la pensée du Poète est toujours si nette et si concise qu'il n'a été que très rarement nécessaire d'intervertir l'ordre de leur alignement.

La seule modification que je me sois permise dans la construction générale de l'oeuvre a été de renvoyer aux Commentaires les analyses scolastiques qui accompagnent chacun des poèmes. Il m'a semblé que cette dichotomie glaciale n'était pas à sa place parmi ces lignes de grâce et d'émotion. Mais on la retrouvera fidèlement reproduite dans les commentaires se rapportante chacun des chapitres.

Le présent travail n'est pas une oeuvre d'érudition. Il a été fait sur le texte de Fraticelli et sur celui de Giuliani. Les textes qu'ont pu suivre ces savans éditeurs de la Vita nuova avaient dû subir avant eux bien des vicissitudes. Je ne sais si tous les efforts de l'érudition italienne parviendront à les rétablir dans leur pureté primitive: il y a longtemps qu'on y travaille. Un récent fascicule publié par la Società Dantesca Italiana[18] nous fournit un grand nombre d'exemples des variantes infinies qu'ont pu y introduire les erreurs, les inattentions, les fantaisies de nombreuses générations de copistes. Il m'a paru que ces variantes et ces corrections portaient surtout sur des lettres ou des syllabes, rarement sur des mots entiers, sans parler de la ponctuation qui a dû être bien souvent défectueuse. Mais il ne m'a pas semblé que les intentions de l'auteur aient eu beaucoup à en souffrir. Et ce qui doit nous intéresser ici, c'est uniquement ses sentimens, sa pensée, son imagination.

Il n'est peut-être pas un des incidens de la vie de Dante ou un des passages de sa production poétique qui n'ait été l'objet de disquisitions contradictoires portant sur la valeur des textes transmis à la postérité (les manuscrits originaux ayant rapidement disparu), ou sur les dates ou sur la succession des événemens auxquels ils font allusion. Comme tout est extraordinaire dans la vie comme dans l'oeuvre du Poète, on n'a pu parvenir à déterminer, avec quelque précision, même l'époque approximative où ces oeuvres ont été conçues, achevées, ou se sont succédé.

Et encore, l'énormité et la diversité de l'oeuvre prise dans son ensemble, comment la concilier avec une existence aussi profondément mouvementée? Il est même une époque qui semblait devoir être fermée à son activité littéraire.

Après la tributazione qui a suivi la mort de Béatrice (1290), nous voyons son existence remplie par le travail et l'étude: il consacre des années, trente mois (Il Convito), à l'étude du latin, que jusqu'alors il ne possédait qu'imparfaitement et où il devait trouver ses auteurs de prédilection, à l'assiduité aux leçons des philosophes et des théologiens. Puis son entrée officielle dans la vie publique[19], puis son Priorat[20], sa durée courte mais effective, puis les premières années de son exil et l'agitation politique à laquelle il s'associe.... Voilà, si l'on considère la vie qu'il pouvait mener, bien des sujets de stupéfaction, on pourrait dire d'une sorte de vertige.

N'ayant pas qualité pour intervenir dans les débats dont ces sujets ont été, dont ils sont encore tous les jours, l'occasion, j'ai dû m'en tenir à la tradition, plus ou moins légendaire, que j'ai pu demander aux sources les plus autorisées, et à la représentation, aussi fidèle qu'il m'a été possible, du texte, sinon officiel, du moins accepté de la Vita nuova.

Les Commentaires dont j'ai accompagné la traduction du texte concernent les interprétations de la partie symbolique et philosophique du poème, et ont en même temps pour objet de ramener à l'esprit du lecteur la propre personnalité du Poète et le tableau de son époque et de son milieu, et les images qui ont dû frapper ses yeux.

J'ai demandé à quelques-uns des historiens de l'oeuvre de l'Alighieri, à Carducci, à del Lungo, aux récentes et compendieuses publications de Leynardi et de Scherillo[21], à de nombreux articles du Giornale Dantesco, etc., des renseignemens sur les faits contemporains du poème; j'ai interrogé leurs propres opinions et leurs sentimens. Mais je m'en suis rapporté surtout à ce dont m'avait pénétré une longne communion avec la personne et avec l'oeuvre du Poète de la Divine Comédie.

Mais, en vérité, était-il indispensable d'aller plus loin et de remonter plus haut? La littérature Dantesque d'aujourd'hui s'est naturellement approprié toutes celles qui l'ont précédée, et elle les résume. Et je ne crois pas qu'il soit nécessaire, pour comprendre le Poète de la Vita nuova, de repasser par toutes les étapes qu'a parcourues l'esprit humain à l'enquête du grand Symboliste. C'est dans lui-même qu'il faut venir chercher les sources de sa sensibilité, les origines de ses raisonnemens, le sens de ses symboles.

Si l'on veut comprendre et sentir ce que la Vita nuova renferme de beautés subtiles et de charmes suggestifs, on y arrivera plus sûrement par un commerce intime avec cette grande personnalité qu'en interrogeant les autres.

NOTES:

[1] La Vita nuova est beaucoup plus familière aux Anglais. Entre 1862 et 1895 on n'en compte pas moins de quatre traductions littérales. En outre, deux éditions italiennes, avec introductions et notes en anglais, ont été publiées récemment à Londres par M. Whitehead et par M. Perini.

[2] La Divine Comédie, traduction libre, 1897. Plon et Nourrit.

[3] Dante, Il Convito, trait. ii.

[4] Les Guelfes représentaient les franchises communales, et les Gibelins les privilèges féodaux (Ozanam).

[5] Il Convito, tratt. ii, chap. XIII.

[6] WHITEHEAD. Édition italienne de la Vita nuova, London, 1893.

[7] Commentaire du ch. II.

[8] Il Convito, tratt. ii, ch. XIII.

[9] La Divine Comédie, ch. XV de l'Enfer.

[10] DEL LUNGO, Beatrice nella vita e nella poesia.

[11] LUMINI, Giornale Dantesco.

[12] Commentaire de Boccace.

[13] Voir au ch. II de la Vita nuova.

[14] Le Purgatoire de la Divine Comédie, chant XXXI.

[15] Ozanam croit que le séjour de Dante à Paris doit être reporté entre 1294 et 1299, c'est-à-dire entre la mort de Béatrice et l'accession du poète au Priorat, et que c'est à cette époque qu'eurent lieu les désordres dont il s'accuse lui-même (Oeuvres complètes, t. VI, p. 416). Ceci me paraît difficilement acceptable (Voir l'Épilogue).

[16] «Un petit oiseau, encore sans expérience, peut s'exposer deux ou trois fois aux coups du chasseur. Mais pour ceux qui ont déjà fatigué leurs ailes, c'est en vain qu'on tend les rets et qu'on lance la flèche» (chant XXXI du Purgatoire).

[17] Ce tableau, bien superficiel, ne se rapporte qu'à ce qu'on pourrait appeler la littérature courante. Il y avait déjà, dans la France d'alors, une haute littérature, celle de l'Épopée, une de nos gloires nationales, de la Satire, et ces grandes Chroniques où, Joinville et Villehardouin annonçaient les Mémoires dont nous sommes encombrés aujourd'hui.

[18] Bollettino della Società Dantesca Italiana, Firenze, décembre 1896.

[19] Il se fit admettre en 1295 dans le sixième des sept arti maggiori, celui des médecins et des apothicaires (medici e speziali). C'était une condition exigée pour l'entrée dans la vie publique.

[20] 1306.

[21] Professeur LUIGI LEYNARDI, la Psicologia dell' urte nella Divina Commedia, Torino, 1894.—MICHELE SCHERILLO, alcuni capitoli della biografia di Dante, Torino, 1896.

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