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CHAPITRE IV

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Table des matières

Myrtô se réveilla le lendemain à son heure accoutumée—c'est-à-dire de fort bonne heure—et se leva rapidement, toute reposée de la légère fatigue du voyage et charmée à la vue du gai soleil qui entrait par les deux fenêtres.

Aussitôt habillée, elle alla vers l'une d'elles et l'ouvrit. Les jardins du château s'étendaient devant elle, admirablement dessinés. Mais quels singuliers jardins c'étaient donc! Aussi loin que sa vue s'étendît, Myrtô n'y voyait pas une fleur. Les corbeilles étaient formées de feuillages d'une variété de tons inouïe, de plantes vertes superbes et rares. Dans des bassins de marbre, l'eau s'irisait et se moirait sous les rayons d'or qui la frappaient.

—Pas de fleurs! murmura Myrtô avec tristesse.

Comme sa mère, elle aimait ces délicats chefs-d'oeuvre donnés par Dieu à l'homme pour charmer son regard… Et la vue de ces jardins sans fleurs faisait descendre en elle une singulière impression de mélancolie.

Une jeune femme de chambre en costume national vint lui apporter son déjeuner. Après avoir bu rapidement le chocolat mousseux, Myrtô descendit l'immense escalier, au bas duquel elle trouva un domestique à qui elle demanda le chemin de la chapelle. Il l'accompagna, à travers de larges corridors dallés de marbre, jusqu'à une porte de chêne sculpté qu'il ouvrit en s'inclinant respectueusement.

La chapelle avait dû faire partie de bâtiments antérieurs au château actuel, car elle semblait fort ancienne. Comme elle était assombrie par des vitraux foncés, Myrtô ne vit tout d'abord que l'autel, où un vieux prêtre à la longue barbe neigeuse commençait l'Introït.

Elle s'agenouilla au hasard sur un antique banc sculpté. Quelques serviteurs, seuls, assistaient au saint Sacrifice. Devant le choeur, une rangée de fauteuils et de prie-Dieu armoriés annonçait la place habituelle de la comtesse et de ses enfants. Tout à fait en avant, se voyaient deux autres sièges d'une somptuosité sévère, surmontés de la couronne princière.

La messe terminée, Myrtô fit le tour de la chapelle, elle admira les trésors artistiques dont les princes Milcza avaient orné le petit sanctuaire. Puis, après une dernière prière, elle sortit et se trouva dans une galerie immense qui précédait immédiatement la chapelle.

La paroi de gauche était garnie d'une succession d'admirables vitraux qui répandaient sur le dallage de marbre des traînées de pourpre, d'indigo et de jaune d'or. Celle de gauche se couvrait de tableaux religieux, oeuvres de maîtres, alternant avec d'anciennes tapisseries d'une valeur inestimable… En regardant ces merveilles qui charmaient son âme d'artiste, Myrtô atteignit ainsi l'extrémité de la galerie.

Par une porte de chêne largement ouverte, elle vit un perron de marbre rouge, que balayait un domestique en tenue de travail. Au-delà s'étendait la perspective des jardins et du parc.

Elle descendit dans l'intention de voir de près ces étranges jardins et de s'approcher des serres superbes dont le dôme étincelait là-bas entre les arbres. Peut-être les fleurs s'étaient-elles réfugiées là?

Mais Myrtô fut déçue. Derrière les vitres, elle n'aperçut que des plantes vertes, les plus rares, les plus magnifiques, et des feuillages de tous les tons, depuis le pourpre intense jusqu'au vert pâle argenté.

Malgré sa désillusion, Myrtô se sentait si bien mise en train par ce gai soleil et cette brise matinale si fraîche, qu'elle résolut de faire une toute petite exploration dans le parc. Elle se mit à marcher d'un pas vif et atteignit bientôt les grands vieux arbres magnifiques qui formaient une voûte majestueuse aux allées, grandes et petites, s'entrecroisant en tous sens.

Ce parc était superbe, il devait être interminable et renfermer mille coins charmants. Seulement, chose singulière, Myrtô n'y avait pas encore aperçu une fleur. Fallait-il donc penser que cette terre se refusait à en produire?

Ah! si, voilà qu'elle en découvrait une, blottie sous les feuilles, une petite jacinthe qui semblait toute honteuse de se trouver là. Sa vue épanouit le coeur de Myrtô, et la jeune fille, se penchant, la cueillit et la glissa à son corsage.

Il fallait maintenant songer à revenir, malgré l'attrait qui l'eût poussée toujours plus avant. La jeune fille prit une petite allée presque envahie par les arbustes croissant follement, en toute liberté. Une herbe fine et rare couvrait le sol, piqué de points d'or par le soleil lorsque celui-ci réussissait à percer l'amoncellement de feuillage qui formait une voûte idéalement fraîche.

Tout à coup, Myrtô se vit au bout de l'allée, devant une prairie immense entourée de futaies. Des aboiements retentirent, deux lévriers noirs bondirent vers la jeune fille. Surprise et effrayée, elle ne put retenir un léger cri…

—Ici Hadj, Lula! dit une voix brève.

Les chiens s'arrêtèrent, et Myrtô, tournant un peu la tête, vit à quelques pas d'elle un jeune homme de taille haute et svelte, en costume de cheval, qui se tenait appuyé à l'encolure d'un magnifique alezan doré, tout frémissant sur ses jambes nerveuses. Elle rencontra deux grands yeux sombres et irrités, et devant ce regard, elle souhaita soudain rentrer sous terre.

L'inconnu souleva son chapeau, d'un geste pleine de hauteur, et détourna la tête. Myrtô rentra précipitamment sous le couvert de l'allée, elle revint sur ses pas et prit, un peu au hasard, une direction qui se trouva heureusement être la bonne, car elle atteignit bientôt les jardins et vit devant elle la masse imposante du château, doré par le soleil qui faisait étinceler les vitres des innombrables fenêtres.

Au moment où Myrtô s'en approchait, le bruit d'un galop de cheval lui fit tourner la tête. L'inconnu de tout à l'heure arrivait, en droite ligne, faisant franchir à l'alezan les obstacles représentés par les corbeilles de feuillages et les bassins de marbre. Il était incomparable cavalier, d'une extrême élégance, absolument maître de la bête superbe et fougueuse qu'il montait.

A quelques mètres du grand perron, l'animal s'arrêta net. Le jeune homme sauta légèrement à terre, jeta les rênes à un des domestiques qui se précipitaient vers lui et gravit rapidement les degrés du perron.

Terka sortait à ce moment, une ombrelle à la main. L'inconnu s'arrêta près d'elle, lui tendit la main et lui dit quelques mots. Myrtô, qui n'osait plus avancer, voyait fort bien l'expression irritée de son visage—ce visage qui avait les traits de celui du jeune magnat de l'hôtel Milcza, mais qui différait d'expression, n'en ayant conservé, semblait-il, que la fierté altière.

Terka baissait les yeux, elle semblait fort mal à l'aide en répondant à son interlocuteur. Celui-ci pénétra dans le vestibule, et la jeune fille descendit lentement les degrés.

Elle aperçut Myrtô qui s'avançait enfin.

—Vous venez du parc, petite malheureuse? dit-elle d'un air légèrement agité.

—Mais oui… Ai-je commis en cela quelque chose de répréhensible? fit

Myrtô, inquiète.

—Au fait, personne ne vous avait prévenue, vous ne pouviez pas savoir… C'est l'heure de la promenade du prince, et il veut la faire absolument solitaire. La moindre rencontre lui déplaît. Les gens de par ici le savent et s'écartent de sa route dès qu'ils entendent le galop de son cheval.

—Je regrette de n'avoir pas été prévenue. J'ai commis sans le vouloir une indiscrétion qui a sans doute vivement contrarié le prince Milcza, si j'en juge par l'expression de sa physionomie lorsque je me suis trouvée tout à l'heure devant lui, dans le parc. J'ai eu un peu peur, je l'avoue, et j'ai fui comme une petite fille.

—Oh! vous n'êtes pas la seule! Quand le prince est contrarié, il sait le montrer de telle façon que l'on souhaiterait trouver un trou de souris pour s'y nicher… Enfin cette fois, j'espère qu'il ne vous en voudra pas trop. Je lui ai expliqué que vous aviez péché par ignorance, et il a paru accepter l'excuse. Pour plus de sûreté, vous pourrez lui exprimer vous-même vos regrets, la première fois que vous le verrez… Comment trouvez-vous ces jardins, Myrtô?

—Ils seraient superbes s'il y avait des fleurs, répondit franchement

Myrtô.

Terka jeta un coup d'oeil effaré vers le vestibule où avait disparu tout à l'heure le prince Milcza.

—Ne parlez jamais de fleurs devant lui! Il les hait, on n'en voit pas une ici. Ses gardes, pour lui faire leur cour, poussent le zèle jusqu'à pourchasser les pauvres petites malheureuses qui oseraient s'épanouir dans le parc. Mais je suis de votre avis, Myrtô, ajouta-t-elle à voix basse.

Elle ouvrit son ombrelle et s'éloigna vers les jardins, d'une allure nonchalante et un peu lasse. Myrtô rentra dans le château et réussit, non sans peine, à retrouver sa chambre. Il lui faudrait quelque temps avant de s'orienter dans cette immense demeure… et peut-être plus longtemps encore pour se faire à des habitudes si étrangères pour elle, et connaître toutes les singularités du seigneur de Voraczy.

L'Exilée

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