Читать книгу Architecture De La Prière - Diego Maenza, Diego Maenza - Страница 11
ОглавлениеIl circule dans l’environnement, il s’évapore parfois, il s’enfuit, il s’amuse, puis il jette un œil timide, et il revient hanter à nouveau mon odorat avec son impertinente apparition. J’absorbe le parfum et je sens les muscles de mon visage s’étirer en un sourire de délectation. Je satisfais mon besoin de humer l’infiltration de l’air balsamique chargé dans mes narines. Je calme la ruée odorante en inspirant plus profondément et je me perds dans la sueur des fleurs. En ouvrant les yeux, l’apparition du visage du garçon à mes côtés me ramène à la réalité de mes odeurs routinières. Je le salue et l’air change aussitôt, l’arôme de ses joues laisse place à l’odieuse odeur hépatique de mon haleine matinale.
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Après avoir décidé que le garçon continuerait son repos, j’ai dû célébrer la messe sans son aide. À cette occasion, j’ai trouvé son absence plus tolérable. J’ai stimulé le balancement pendulaire de l’encensoir dont la fumée a marqué ma peau avec une essence de résine. Maintenant, je le vois allongé dans le fauteuil. Il dégage son nez dans un mouchoir kaki et des images variées en mouvement nous envahissent depuis l’écran. Je me dirige vers la rue en direction du marché.
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Pas une âme ne fréquente la promenade. La fraîcheur de la rivière m’apporte une odeur d’eau douce. L’effluve se mêle au simple arôme de palmiers qui ornent les bords. La circulation est limitée. L’allée m’accueille toujours avec la pestilence de la bière renversée, de l’urine incrustée dans des coins insouciants, et des poteaux tachés de puanteur. J’accélère le pas en apercevant le nom du nouvel endroit annoncé en lettres cursives capitales. Un lieu de perdition, Seigneur, et dans ma ruelle préférée.
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Le marché soulève un tourbillon de senteurs. Les légumes et les herbes, les céréales et les crustacés, les aliments transformés et les fruits étalent un large éventail de sensations qui envahissent l’odorat. Je dirige mon corps pesant vers l’étal à épices. L’émanation âcre de la cannelle, du cumin, des clous de girofle, du poivre doux m’imprègne. Je paie pour les épices avec quelques pièces qu’Isaac, le vendeur, vieux garçon au visage charnu, reçoit avec un geste de sympathie.
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Je coupe le bar en tranches épaisses. Je les plonge d’abord dans l’eau, puis, après avoir nettoyé la chair, dans le citron et le sel. Je fais rissoler et je dispose les aliments sur une assiette en porcelaine. L’arôme est fort et appétissant, à tel point que Tomás a quitté son secteur de bataille quotidien pour venir à la cuisine me surveiller avec sa langue affamée pendue à mes pieds. Cela réfute peut-être mon scepticisme quant à sa capacité olfactive. Je mouds les boules de poivre, les bâtons de cannelle, les clous de girofle et le cumin. J’ajoute du vinaigre. Une larme coule dans mes yeux alors que je jette les oignons hachés avec leur odeur de douce acidité dans la poêle. J’incorpore le poisson avec un peu de xérès. Je couvre et je laisse mijoter.
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J’implore encore une fois le pardon divin. Je suis désolé d’avoir péché en pensée, en parole, par action et par omission. Seigneur, accueille ce pécheur suppliant pour retourner sur son chemin et sauve-le.
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Ils sont là, ils dansent de joie dans la putréfaction, fascinés par la débauche. La luxure se satisfait dans la boue de la jubilation charnelle et de la concupiscence. Les plaisirs malhonnêtes sont sublimés en poissons horribles, en coquilles abyssales, en boues de limon. Des chèvres, des dromadaires, des chevaux et des oiseaux avides de jouissance cautionnent la débauche. L’espace empeste le péché, la fornication. Ils corrompent l’environnement avec une peste qui émane du côté le plus sinistre de notre être. J’arrête de contempler le tableau et je me réserve quelques minutes pour me reposer avant l’appel des cloches.
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Je m’apprête à aller à la messe. Une énorme fatigue musculaire m’écrase. Je bois deux verres d’eau qui calment le rugissement de mon foie, ou du moins c’est ce que j’imagine ou plutôt ce que je souhaite. Je mets ma soutane. Je me sens plus pur.
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Le garçon me pose une question et je reste figé sur le moment. Cela m’oblige à reculer, je suis vaincu et je finis par basculer sur le canapé. Je l’encourage à s’asseoir à côté de moi. Il accepte. Il anticipe quand même un geste pour m’avertir de sa disposition à honorer son propos. Je caresse une mèche sur son front et je la glisse derrière son oreille, à la place qui est la sienne. Je perçois son regard plein d’attentes. J’essaie de ne pas le décevoir. Je lui dis que Dieu est un être bon et miséricordieux. Je lui dis que nous ne pouvons pas le rencontrer physiquement ni l’imaginer avec un profil anatomique dont nous avons l’habitude. Mais cette invocation de la catéchèse ne satisfait pas sa curiosité. Je reste fort. Je te dis la vérité, on doit aimer Dieu et ne pas prétendre le connaître. Il me dit, avec un air de défaite et de résignation, que Dieu est compliqué. Je n’ai que la vie pour respirer. Une douce odeur de musc imprègne mon nez au moment où je décolle l es fesses de l’armoire. Je l’appelle. Il se retourne avec un regard lumineux, ce regard qui m’encourage à le saisir par les joues et à satisfaire mes pulsions. Mais je sollicite l’aide du Seigneur, lui il peut tout faire. Avec une force renouvelée, je conduis alors le garçon dans ma chambre. Je lui indique de protéger le secret. Je lui révèle que je connais Dieu. Je le lui montre.
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Dieu n’est pas petit, même s’il peut en avoir l’air à l’œil nu. Il se tient éloigné pour avoir une plus grande perspective du monde, c’est tout. Son regard, nous le savons, est omniprésent. Assis sur son trône, sa tête est couronnée d’un diadème. Le livre sacré repose sur ses jambes. Une longue cape impériale protège son dos. Je peux le voir maintenant que le père Misael me montre cette peinture particulière. L’obscurité du tableau m’insuffle la peur. Cependant, je lui résiste. À l’horizon, Dieu se trouve derrière la brume qui encapsule le ciel dans le verre concave, et je le vois. Maintenant je le connais. Et je vois son sourire.
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Je me prépare à tomber dans le sommeil avec la pestilence parfumée de sa nuque. Nous avons prié ensemble, main dans la main. Nous avons demandé à Dieu de ne jamais nous écarter de son chemin, afin de nous attirer les bonnes grâces dans ses préceptes. L’environnement est chargé de quelque chose qui m’empêche de respirer normalement. Je sens la prémonition absurde d’être sur le point de sombrer dans un cauchemar dont je ne pourrai pas me réveiller. Dehors, la pluie a commencé à frapper, très douce.
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La matinée est froide. L’averse a rafraîchi l’atmosphère. J’ai dormi sereinement, en paix avec mon esprit. L’infinie miséricorde de Dieu m’a accueilli. Cela me rassure de savoir que les cauchemars ont cessé de m’infliger leur torture nocturne pour enfin m’accorder une trêve. Mon optimisme ne suffit pas à m’apporter la certitude de les avoir vaincus. Une partie de moi pressent que je vais remporter cette bataille contre le diable. Mais une autre partie, la plus fragile, me rappelle l’ampleur de mon échec. À chaque instant, mon esprit succombe à la tentation et chaque partie de mon corps enfreint cette loi qu’exige mon âme.
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J’ai décidé de prendre un bain. J’ai ressenti une sensation de souillure sur ma peau, non seulement à cause de la puanteur de mes aisselles chargées de la nuit, mais aussi à cause de la montagne de lubricité que je porte dans mes pensées. Avant de monter à l’autel, je dois être purifié. Cela me fera du bien de me rafraîchir un peu, alors je savonne mon corps. Je rince mon âme de même avec des prières.
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La saison d’hiver approche et les signes précurseurs chatouillent l’odorat. N’importe quel mortel peut s’en rendre compte, mais surtout les êtres les mieux habilités à de telles fins. Donc, contrairement à ce que pense l’ecclésiastique, Tomas le sait mieux que quiconque. Il reconnaît la nature étrangère de l’arôme éthéré qu’exsude le sol près de l’amandier. C’est pour ça qu’il délimite fréquemment son territoire. La saison estivale, déjà terminée, fait place à l’humidité élémentaire des cycles. La géosmine émerge et inonde l’air avec son éther. Les anciens affirmaient que le pétrichor coule dans le sang des dieux, qu’il est l’essence qui infusait dans leurs veines. Aujourd’hui, c’est tout juste un arôme saisissant. De temps en temps, alors que sa qualité insaisissable persiste, il provoque un léger inconfort. Il est si difficile de se rendre compte qu’il a été, et qu’il demeure à travers les temps immémoriaux, la vraie sueur de cette terre, sa pestilence révélée. Tomás le comprend. Son nez n’est pas usé au point de voir le monde dans l’indifférence. Il connaît bien les odeurs. Il a bien compris au cours de sa longue vie de chien. C’est pourquoi il cesse d’uriner sur l’amandier. Il se tient dans une posture mystique rare, déjà vaincu par les intempéries, sur les feuilles mouillées qui forment un matelas naturel. Son odorat a souligné la condition sacrée des saisons. Maintenant, enfin, un nuage insaisissable lui donne un peu de soleil que son derme apprécie.
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Au marché, j’ai rencontré un vieil ami. Nous avons eu une conversation plaisante, mais brève.
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Mme Salomé est arrivée pendant mon absence. Elle m’explique ses difficultés pour justifier son retard. Je lui suggère d’éviter les soucis. Je comprends la situation. Je lui suggère de prendre une semaine de congé. Elle insiste pour préparer le déjeuner aujourd’hui en guise de compensation de sa future absence. Je ne me fais pas prier. Pendant que la dame cuisine, je m’enferme dans ma chambre et cherche une bouteille de vin dans la cave secrète. Je commence à boire à grandes gorgées.
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J’abandonne la bouteille à moitié vide sur la table de chevet sans aucune précaution. Le vin ingéré me procure une légère sensation de vertige que j’ai l’intention de chasser avec une tasse de café. J’implore un bain froid, mais Mme Salomé m’annonce que la nourriture est prête. Rempli de rancœur, j’ingurgite la soupe. La chaleur apaise le vide de mon estomac et l’étrange inconfort de l’amertume causée par la boisson. Je m’assieds à la table. Je regarde le garçon en train de manger et je me rends dans mon alcôve avec un désir intense de dormir.
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J’entrouvre les yeux. La première image que j’aperçois est celle du monde. Mon ivresse m’empêche de scruter les délices dégoûtants de son jardin. J’imagine le corps nu du garçon envahi par une vraie luxure puis je me rendors. Quand je me réveille, je remarque la position inhabituelle du côté droit de la planche peinte. Je suppose que quelqu’un a examiné la peinture. Mme Salomé a l’interdiction d’entrer dans l’alcôve et elle l’a toujours respecté, donc mon seul soupçon retombe sur la curiosité du garçon. Je ne suis pas contrarié, mais je n’aime pas son intrusion pour autant. C’est alors que je ressens la substance pâteuse qui a taché ses dessous pendant le sommeil.
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Aujourd’hui moins de gens sont allés à l’église qu’hier. Cependant, mes sermons furent plus longs.
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Le dernier livre de la Bible annonce un enfer plein de feu et de soufre comme une sentence pour ceux qui trahissent les normes du Seigneur. Un tourment de puanteurs, d’émanations malodorantes, serait un tourment insupportable, en particulier pour une âme étrangère aux faiblesses du corps. Je défèque lentement et avec un peu de douleur. Mon sphincter expulse le gaz congédié sous la forme d’un crissement aigu. Il empeste, mais je l’inhale en imaginant un enfer orageux méphitique saturé d’effluves fétides. Assis ici, le miasme juxtaposé à l’imagination provoque des nausées. J’entrouvre la porte et je laisse circuler un peu d’air frais pour secouer les remugles excrémentiels. L’air vicié qui a contaminé mon corps s’échappe.
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Tomás renifle ma jambe, il a sûrement perçu l’odeur de savon sur mon corps après le bain. Il commence à émettre des grognements désagréables. Il tire le tissu de mon pyjama et le déchire en l’inondant de sa bave. Mauvais chien. Maintenant je le vois s’éloigner, satisfait de sa malice. Je retire ma robe de chambre. Je me retrouve nu devant le miroir. Je ne parviens pas à réprimer l’envie de caresses vers la zone de mes testicules. Un flux électrique me secoue. Mon pénis se gonfle dans un cramoisi sombre. En réaction, je me détourne du miroir avec horreur. Je prends un autre vêtement et je m’empresse d’oublier mes désirs.
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Le Sanhédrin des sens accueille la proposition de trahir l’âme.
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Je le débarrasse de sa chemise avec une sérénité qui m’est complètement étrangère. Pourtant ce sont réellement mes mains qui dénudent son torse. Je l’allonge. J’écarte immédiatement son postérieur dressé vers mon visage qui rougit instantanément. Je lui caresse le dos qui brûlera sûrement de la fraîcheur du menthol. Ses poumons le sentent déjà, j’en suis sûr, car mes mains se rafraîchissent au fil des massages. Je contemple pour la dernière fois son cul de jeune homme dominant parfait. Je le retourne. Son visage est braqué sur moi. J’enduis ses pectoraux de menthol et je profite de l’occasion pour sentir ses tétons timides qui surgissent sans impudence. Le fort arôme d’eucalyptus me pénètre.
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Ce matin, tous deux dorment sous la rumination de la pluie qui frappe la rue. Le père Misael n’a pas rêvé du couteau, et le jeune Manuel n’a pas eu la vision de la bête. Peut-être sont-ils partis pour ne jamais revenir. Nous sommes à l’orée d’un nouveau jour. Au centre-ville, la pluie traîne toutes les odeurs de la rue du billard. L’averse nettoie le vieil arbre de l’arrière-cour. Pendant les pluies, certains ingénus assurent que Dieu pleure pour tous les péchés de l’humanité. Les larmes divines qui tombent sur le monde ne symbolisent sûrement pas l’image la plus précise. Le crépitement de l’urine qui nous imprègne façonne, lui, une image plus nette, tout comme cette substance semblable que Tomás a répandue et qui émerge maintenant de l’écorce du vieil amandier. Après tout, d’une manière ou d’une autre, le liquide qui nous baigne vient du corps immatériel de Dieu.