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Discours sur la mort du Chapelier, avec son testament et tombeau. Ensemble les regrets de sa mère et les adieux par lui faicts aux regiments et les bien-faits par trois ferailliers. Avec la lettre escrite à sa mère.

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Table des matières

A Paris, chez la veuve du Carroy, rue des Carmes, à la Trinité.

S. D. In-8.[32]

Premier que sortir de la ville de Paris, lieu de ma naissance, où toute ma generation est presente et vit journellement, je dis adieu, avec autant de regrets que faire se peut. Je me transportois de çà, de là, envers parents et amis, frères, sœurs, me precipitant d'un dernier adieu à ma très chère mère, laquelle, voyant ainsi mon depart, sembloit me vouloir suivre, se desesperant, et à chaudes larmes lavoit les traits de ma face, mouillant ma blonde chevelure; mais, ayant eu commandement de mon capitaine, il me la falut quitter et me desrober de sa presence. Comme je fus au Bourg la Reine, on voulut faire halte; mais le sergeant dit: Avançons! En cest avance nous cheminons jusqu'à Lonjumeau, qui pour lors estoit un dimanche. Ce fut là la demeure de deux jours, où les soldats prenoient mille plaisirs à se jouer avec femmes et filles, devisant les uns avec les autres; bref, il falut passer outre, et, quand nous fusmes à Montlehery, me mettant à regarder de tous costez, où nous vismes un petit bois, puis deux grandes pleines et quelque petite montagne, moy, emerveillé de voir la terre ainsi faitte, je commence à dire: Dieu a bien travaillé[33], et, demandant à mon sergeant si il faloit passer les montaignes et si il y avoit encore bien loing où il faloit aller, le sergeant dit que de dix jours, voire de quinze, je ne nous arresterions point, et qu'il y avoit bien d'autre passage à faire. Moy, qui n'avois jamais passé Sainct-Clou ou Vaugirard, je luy dis: Or, donné-moy mon congé; car je me doutois de ce qui m'est advenu. Le capitaine qui pour lors estoit, entendant la parole, se retourne, et dit au sergeant: Que l'on le mette sur le derrière de la charrette; puis estant au cartier, nous sçaurons quel gens d'arme il est. A l'instant le sergeant me donne quatre ou cinq grands coups au travers du dos et des fesses avec sa halebarde, que je fus contraint de cheminer[34]. Tant cheminasmes que nous arrivons devant la Rochelle, à un bourg appelé Nestray, où nous fismes monstre; puis l'on nous donne nos logis. Advint qu'il falloit travailler à la digue, qui est un grand malheur pour moy. A cause que je n'avois plus d'argent, je me prins à faire comme les autres, tant que j'y travaille quelque quinze jours ou davantage. A la fin du temps, j'apperceus trois bons compagnons crieurs de fers vieux drappeau, lesquels me firent cognoissance, tant qu'il fallut aller boire. Tant fismes grillades, que pas un de nous quatre n'avoit pas le soul: tellement qu'il falut reprendre l'habit de misère comme auparavant, retournant trouver le maistre entrepreneur, qui nous met en besogne comme auparavant, où nous fusmes quatre jours ensemble comme vrays camarades.

Mais, ô très grand malheur! la fortune perverse

Me fit en un matin mettre à la renverse

Par l'esclat d'un boulet, qui d'un très rude effort

Me persa rudement tout le travers du corps;

Et, me sentant navré, tombant dessus la terre,

Je crie: A mon secours quelque frère de guerre!

Mais chacun, me voyant, de moy n'ose approcher,

Se disans l'un à l'autre: Ce coup-là est bien cher!

Vaut mieux ne rien gaigner que de perdre la vie;

D'aller estre blessé, pour moy, je n'ay d'envie.

Las! je perdois mon sang à faute de secours;

Mais ces trois ferailliers sont arrivez tout court,

Ayant ouy le bruit que j'estois sur la terre,

M'apportèrent du linge et quelque peu à boire,

Puis bandèrent mes playes, me prenant souz les bras,

Me menèrent au cartier, me couchant sur un drap,

Tousjours me consolant, me faisant des prières,

Qu'il faloit avoir soin de Jesus et sa mère.

Alors plusieurs soldats commencent à s'assembler

A l'entour de mon lict, ne pouvant plus parler,

Regrettant dans mon cœur la douleur que ma mère

Possederoit de moy sçachant ce vitupère[35]. De deuil elle mourra, puis, la mort s'approchant, Luy ravira l'esprit de son bras rougissant. Le parler me venant, je dis avec grand peine Un adieu très piteux à mon cher capitaine, Aussi à mes amis qui m'avoient assisté Parmy mes grands tourments et ma necessité; Un adieu je leur dis, pleurant à chaude larme, Ayant un grand regret d'ainsi quitter mon ame, Dont me falloit quitter le meilleur de mon zèle. Pour les grandes rigueurs de ceux de La Rochelle.

Testament.

Premier que de mourir en presence du monde,

Faut que je boive un coup, puis que la mort feconde

Veut ravir mon esprit, et que mon testament

Se face devant tous à l'œil du regiment.

Je donne mon mousquet, fourchette[36] et bandollière, Mesche, bales et poudre, au sergeant la Rivière; Mon argentine espée et mon cher baudrier, Pour recompense, c'est pour ces trois ferailliers; Je donne mon manteau, mon bonnet et jartières, Pour ce que j'ay ces jours eu de la Boisselière[37]; Mon pourpoint de satin, mes chausses de velours, Cela est reservé pour les droicts du tambour; Mes souliers, mes chemises, mes bas, aussi mon sac, Sont pour le bon service que j'ay de mon goujac[38]; Pour l'argent de mes monstres, c'est pour m'ensevelir; Mon chapeau et panache, c'est pour payer mon lict. A Dieu je rends mon ame et mon corps à la terre. Priez Jesus pour moy, vous tous, frères de guerre, Et je prieray pour vous, estant en paradis, Que vous soyez vainqueur contre les ennemis, Afin qu'estant venus du destin avancé, Vous direz tous pour moy: Requiescat in pace.

Epitaphe au tombeau.

Cy gist souz ce tombeau le plus vaillant soldat

Qui ce soit à jamais cogneu dans le combat,

Et le plus asseuré qui fut dans les armées,

Ne redoutant le feu, ny soufre, ny fumée:

Son travail l'a fait voir, aussi sa hardiesse;

Mais le fatal destin l'a mis à la renverse.

Il sera de memoire, tant sur la terre et l'onde,

Pour avoir esté né le favory du monde.

L'adieu des trois ferailleurs et leur retour à Paris.

Après que le corps du chappelier fut mis en terre et que son service fut dit, les trois ferailliers trouvèrent une excuse pour avoir leur congé pour s'en venir à Paris, craignant d'avoir un tel benefice comme le defunct chappelier: ce qui fut en grand diligence; et, sortant du cartier, ce n'estoit qu'adieux, qu'accollades et un extresme regret de se voir separer les uns des autres. Tant cheminèrent les trois ferailliers qu'ils vindrent à Paris, et, sçachant le logis du defunct chappelier, ils s'en vont droit chez sa mère, auquel il luy firent une grande reverence, et elle tout de mesme, les recevant assez honnestement, les voyant habillez en soldats, esperant avoir quelque bonne nouvelle de son fils; puis, après tous ses regards, ces bons compagnons luy commencèrent à dire: Madame, ne soyez point en courroux si nous vous apportons icy de piteuses nouvelles du cartier de la Rochelle, où estoit votre fils.

C'est que, premier que de partir et prendre nostre congé, nous avons sans reproche aydé à enterrer votre fils, duquel en voilà le certificat. Vous verrez comme il est mort et comme il a esté en sa maladie, et les regrets de pardeçà.

—Mes amis, je suis grandement aize de vostre retour et des nouvelles; mais, helas! j'ay la mort au cœur de vous entendre ainsi parler. Je n'ay, il y a quinze jours et davantage, fait autre chose que songer et ravasser, tant nuict que jour, dix mille fantaisies. Je me doutois de quelque malheur. Messieurs, s'il vous plaist de demeurer, j'envoyeray querir une fois de vin pour la peine, et bien grand mercy!—Il n'y a pas de quoy, dirent les ferailliers. Vostre serviteur, Madame.

Les regrets et soupirs de la mère du Chappelier.

Helas! que feray-je, mes amis? Me voilà perdue! j'ay perdu tout mon support! Où iray-je? que deviendray-je? je suis toute seule. Encore si je t'eusse veu mourir, mon pauvre enfant, je n'en serois tant faschée. Je t'avois bien dit que tu ne reviendrois jamais. Helas! je me meurs! je n'ay plus de reconfort de personne; on ne tiendra plus de conte de moy. Je n'avois que toy, mon cher enfant! Mon Dieu! que feray-je? Ayez pitié de moy, mes bons amis! Tellement, les voisins sont accourus, luy disant: Qu'avez-vous, ma voisine, ma mie? Quelqu'un vous a-il frappée?

—Helas! je suis bien frappée, car je n'ay plus d'enfant! Il est mort, mes amis. Tenez, voilà la lettre qu'on me vient d'aporter tout presentement. Trois honnestes hommes, qui m'ont apporté cela, m'ont dict qu'ils l'avoient aydé à le porter en terre. Pensez-vous quel crève-cœur j'ay, pensez-vous, de l'avoir nourry et eslevé si grand, pensant, après son père, en avoir sur la fin de mes jours quelque soulagement! Et je n'ay plus personne! me voilà toute seule! Qu'est-ce qu'on dira de moy? On tiendra plus de conte d'un chien que de moy, à present.—Non fera, non fera, ma voisine; il y a long temps que je vous cognoissons; ne vous tourmentez point, cela vous feroit mourir. C'est un homme mort: il en meurt bien d'autres.

—C'est mon... c'est mon... Il en meurt bien d'autres qui n'en peuvent mais; ces diables de Rochelois, ils ne s'en soucyent point de tuer le pauvre monde. Que ne sont-ils tretous pendus, ou qu'il me rende la ville! Faut-il tant faire mourir de braves hommes? Si j'en tenois quelqu'un, il payeroit la mort de mon enfant.

La lettre envoyée à la mère du Chappelier par son fils premier que mourir.

Ma très chère et très grande amie ma mère, ces paroles icy ne vous seront guères agreables: car, depuis le temps de mon depart, je n'ay pas eu le soing de vous escrire seulement un seul mot, d'autant que la peine où j'estois arresté m'a si bien desobligé, le contentement de votre presence, où la memoire les oublie; vous pourrez pourtant prendre ce petit mot aussi bien en gré comme si mille fois vous eussiez eu de mes nouvelles; et si les pretentions de la mort ne me fussent point apparues devant mes yeux, je n'eus pas negligé de vous faire sçavoir mon bon portement: car en bref l'ennuy commençoit à me chatouiller de si près que j'esperois bien vous faire part de ma presence; mais la fortune, si cruelle, n'a pas eue la patience de pouvoir me transporter vers vous, car la mort m'a plustot aymé prendre et me mettre dans ses liens que de vous faire voir que je ne seray desormais qu'un ombre pour estre criant où Dieu me menera. Du camp de la Rochelle.



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