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INTRODUCTION

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Table des matières

Caractère particulier de cette correspondance. — Sa première publication. — Sa valeur historique et morale.

Ce qui m’a séduit et ce qui séduira, j’ose l’espérer, dans la publication de cette correspondance intime, c’est l’occasion singulière, unique, d’étudier pour ainsi dire sur le vif les impressions d’une armée en campagne.

Pour la faire naître, cette occasion, pour faire passer sous les yeux des profanes cet ensemble de lettres confidentielles, il a fallu un concours de circonstances exceptionnelles: une armée complétement isolée de la mère patrie, une flotte dispersée, une croisière ennemie des plus rigoureuses, et, on ne saurait trop le répéter, un ministère aussi peu délicat que le ministère anglais. En livrant de semblables documents à la publicité, le cabinet de Pitt se faisait peu d’honneur.

Mais laissons parler ici l’éditeur sous l’enseigne duquel s’abrita, en cette circonstance, la chancellerie de S. M. Britannique; cette introduction ne saurait avoir un meilleur exorde:

«La correspondance dont les lettres suivantes

«font partie a été interceptée à différentes

«époques par les vaisseaux de guerre

«turcs et anglais. Elle consiste en lettres officielles

«et privées, dont le contenu peut-être,

«comme celui de mille autres qui sont en divers

«temps tombées dans nos croisières, seroit

«resté secret pour le public, si les Français,

«d’abord en assignant un motif mensonger à

«cette fameuse expédition, puis en répandant

«à leur avantage les récits les plus absurdes et

«les plus extravagants, n’avoient mis le gouvernement

«dans la nécessité de détromper

«l’Europe, tremblante encore au bruit de ce

«conte oriental, en prouvant, d’après leurs

«propres papiers officiels, que ce qui a pour

«principe la fraude et la perversité doit avoir

«pour résultat la misère et le désespoir.

«La publicité une fois décidée, il a été question

«de faire dans la volumineuse correspondance

«ès mains du gouvernement un choix

«qui, sans satisfaire une oisive curiosité ou le

«goût du scandale et de l’intrigue, ne laissât

«pourtant rien a désirer sur la situation réelle

«de l’armée françai e en Egypte, sur ses vues

a et ses succès, son état de misère et de mécontentement.

«On a donc supprimé ce qui ne

«rempliroit pas un de ces objets; toutes les

«lettres particulières, à moins qu’elles n’eussent

«un rapport direct avec l’objet qu’on se

«proposoit, ont été écartées; et même celles

«de Buonaparte, si indécemment défigurées et

«commentées par les nobles champions du

«parti de l’opposition, sans être absolument

«particulières, ont été mises de côté comme

«ne contenant rien d’essentiellement intéressant

«pour le public. Nous nous flattons de

«n’avoir rien admis qui puisse faire rougir nos

«lecteurs pour nous et pour eux-mêmes.»

Malgré les airs pudiques, le ton d’aisance, affectés par l’auteur de cette protestation hâtive, on y démêle aisément et la conscience de son indélicatesse et les inquiétudes réelles causées par l’expédition d’Egypte. Tout en la qualifiant de folie, nos ennemis en ressentaient un véritable effroi. Leurs nouvellistes avaient tant de fois annoncé la mort de Bonaparte et la destruction de son armée qu’on commençait à se défier de bonnes nouvelles toujours démenties par la suite des faits. Puis, en quelques années, on avait dû assister à la réussite de tant de choses réputées insensées, impossibles!

D’autres passages trahissent les concessions que les auteurs de cette inconvenante publication étaient forcés de faire au parti de Fox, à ceux qu’ils appellent «les champions de l’opposition» et qui n’étaient en cette circonstance que les champions de la dignité nationale.

La vérité est que tous les Anglais loyaux avaient protesté au nom des convenances. Ils avaient été informés à temps. Ils savaient les éditeurs de cette correspondance disposés à la donner entière, à en dévoiler tous les détails intimes, à en imprimer toutes les indiscrétions, fussent-elles compromettantes pour l’honneur des familles. On avait déjà fait courir certains passages des lettres du général en chef et d’Eugène de Beauharnais, et il y avait eu révolte dans l’esprit public. Le Morning Chronicle avait dit nettement que de pareils commérages étaient au-dessous d’une grande nation.

De là, les réserves doucereuses et les protestations hypocrites du rédacteur de l’introduction anglaise.

La haine que cet homme voue à la France en fait d’ailleurs le plus absurde pamphlétaire. On ne saurait le juger sur les quelques lignes que nous venons de donner: le style obligé de la préface lui commande plus de généralités que de personnalités.

Mais sa rage et son envie éclatent dans les notes dont il crible toutes les lettres de nos troupiers. On se battait. alors beaucoup trop pour se piquer d’écrire. Aujourd’hui, beaucoup de simples fusiliers savent mieux tourner une lettre que certains officiers de nos bataillons républicains. Aussi, avec quelle joie notre rédacteur se pose en aristarque vis-à-vis de tous ces guerriers! Avec quelles délices il les gourmande, les condamnant tour à tour au nom de la morale, du style, de l’orthographe, de la géographie et de l’archéologie! Avec quelle joie triomphante il déclare que le jargon des Français est encore plus révoltant que leurs atrocités!

Ne parlez pas à ce terrible polémiste de cette campagne d’Egypte. Ce n’est pas une expédition sérieuse, c’est une farce, à laquelle a présidé un plan systématique de pillage et de corruption.

Nos soldats sont de robustes mendiants, des aventuriers crédules et rapaces, redoutables au Directoire, avec qui le Bonaparte s’est entendu pour les faire enterrer en Egypte et pour engraisser les vautours du grand Caire.

Quant aux membres de ce prétendu Institut d’Egypte, ce sont gens qui se donnent à eux-mêmes le titre de savants. Mais si ces êtres sans pudeur et subjugués par la crainte publient jamais une relation de l’expédition, soyez sûr que la crainte leur fera pallier tous les crimes et dissimuler tous les malheurs mérités de leurs compatriotes.

La profonde naïveté de toutes ces injures offre du reste un mérite: — celui de garantir la fidélité des textes. Car on s’évertue tant pour incriminer les mots les plus inoffensifs, qu’il n’y a pas eu évidemment altération dans la reproduction de ces lettres. Si on avait laissé à notre rédacteur la licence d’y faire les moindres interpolations, sa verve les eût facilement élevées à la hauteur des plus noires compositions d’Anne Radcliffe. — C’était un modèle en vogue alors, tout à sa portée et tout à sa convenance. — Et en voyant avec quelle libéralité le critique anglais parle de nos «plans pervers,» de nos «cruautés,» de nos «rapines,» de nos «hordes altérées de sang,» de nos «desseins conçus par le crime,» de nos «projets sanguinaires » et de ces «aventuriers téméraires, licencieux, turbulents et avares dont la cruauté inouïe est le fléau de l’Egypte après avoir été celui de l’Italie,» on sent qu’il trouve les lettres encore trop pâles à son gré. Mais sa francophobie n’est point calmée pour si peu; bien au contraire!

Ainsi, lorsque Jaubert (V. page 15) décrit le pêle-mêle pittoresque que produisait le contraste des costumes et des équipements égyptiens avec les nôtres, lorsqu’il y trouve, au point de vue artistique, une vivante image de la révolution qui va changer la face de l’Egypte, notre francophobe fronce le sourcil, et il écrit:

«Ce tableau donne une idée assez juste de

«l’esprit turbulent de cette nation. Au dehors,

«au dedans, ce sont toujours les mêmes vues,

«les mêmes espérances. Dans toutes les

«nuances bigarrées que le hasard peut leur

«présenter, ils découvrent la destruction des

«empires; et lors même qu’il ne s’agit que

«d’hommes et de chameaux mêlés confusément,

«ce désordre fortuit est à leurs yeux

«l’indice infaillible de révolutions

«prochaines.»

Je viens de faire vibrer la corde grave. Voyons maintenant la corde prophétique. Voici comment le francophobe pronostique la fin du bandit, de l’avide pirate, de l’hypocrite Cartouche nommé Buonaparte:

«Nous avouons de bonne foi que nous

«n’avons pas assez de stoïcisme pour nous refuser

«la satisfaction d’en jouir d’avance, l’Egypte

«est le dernier pays auquel Buonaparte

«insultera, le dernier qui recevra de lui le

«don dérisoire et funeste de ce qu’il nomme

«par moquerie la Liberté.

«Ici se termine sa carrière d’impiété, de

«mensonge, de pillage et de désolation:

«The sun sets on his fortunes red and bloody,

«And everlasting night begins to close him.»

«Le soleil se lève rouge et sanglant sur

«ses destinées, et déjà une éternelle nuit

«l’enveloppe de ses ombres.»

Si Savary écrit à Donzelot: «Pour Dieu! du vin, de l’eau-de-vie et du rhum!...»

Le francophobe note aussitôt:

C’est bien là le langage de l’anxiété.

Si un de ces savants vagabonds de l’expédition parle de la maladie de son cheval, de son pauvre Milord...,

Le francophobe dit gravement:

«Le nom donné à ce cheval me fait présumer qu’il est anglais, et ce n’est pas une plaisanterie bien spirituelle...»

Mais il est temps d’arrêter là cette incroyable revue. Elle peut dès à présent donner une idée des remarques faites par M. d’Yvernois sur une Correspondance qu’il qualifie par ces seuls mots:

LES CRIMES DES FRANÇAIS RACONTÉS PAR EUX-MÊMES.

Car il s’appelait d’Yvernois, cet amusant personnage. Il était Suisse d’origine et commis à la chancellerie. On lui conféra le titre de baronnet; — il ne l’avait certes pas volé.

Le bruit fait autour de cette correspondance engagea le Directoire à la faire publier à son tour d’après le texte dû aux Anglais. Le parti était bon. Seulement, on eut le tort d’adjoindre aux notes ridicules du baronnet des contre-notes signées Simon qui avaient le tort d’être écrites en la même encre. Simon s’évertue à rendre gros mot pour gros mot, il crie à son tour: «Assassins! forbans! mobs! grenouilles de la Tamise! mercenaires armés pour défendre les vils monarques! gagistes écrivant au coin d’un feu de charbon de terre!» — au lieu de faire imprimer en grosses capitales les sottises imaginées à Londres, ce qui eût suffi pour les faire tomber sous le mépris public.

Je fais grâce au lecteur d’un résumé de la campagne d’Egypte. Son histoire étonnante est connue, et c’est précisément sa célébrité qui doit faire le piquant de notre publication. On se plaît en effet à étudier sous un jour nouveau, inattendu, les événements sur lesquels de nombreuses relations ont déjà multiplié les notions premières. De l’ensemble, on descend plus volontiers aux détails, et la connaissance de ceux-ci aide à se rendre un compte plus exact de celui-là.

Ainsi doit-il en être de cette correspondance intime.

Parlerai-je maintenant de la valeur historique de ces lettres? Elle me semble médiocre pour tout ce qui regarde les questions de chiffres, enflés ou diminués au gré du caractère de chaque correspondant . Mais elle est réelle, incontestable, pour tout ce qui regarde les petits détails constituant ce que j’appellerai la physiologie de l’expédition.

Au point de vue philosophique, elle présente à l’observateur un sujet d’études multipliées. Le courage réfléchi, la forfanterie, la confiance aveugle, le dénigrement systématique, la sottise, la tendresse et la naïveté s’y trahissent tour à tour en quelques lignes caractéristiques. C’est le genre humain vu en raccourci avec la plus sûre des lunettes.

Au moment où j’achève ces douze pages un critique méticuleux me pose cette question:

«Croyez-vous que les Anglais aient publié cette correspondance intégralement?

— Non certes! ils ont choisi évidemment ce qui pouvait le plus nuire dans l’esprit public à l’expédition d’Egypte.

— Mais alors, ne pourra-t-on pas, jusqu’à un certain degré, vous adresser le même reproche?

— Je ne le crains pas, car rien ne prouve mieux la gloire de nos armes que la mise en évidence des moyens qu’on employa pour l’étouffer. Puis, à un autre point de vue, la mauvaise humeur même que fait éclater individuellement l’armée double encore la grandeur des résultats qu’elle atteint. — On y sent grandir le type de ces grognards qui ne tarderont pas à promener leur colère sur tous les champs de bataille de l’Europe.»

LORÉDAN LARCHEY.

Correspondance intime de l'armée d'Égypte

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