Читать книгу Menace Principale - Джек Марс - Страница 14

CHAPITRE NEUF

Оглавление

23 h 05, Heure de l’Alaska (4 septembre)

Camp sur la Banquise de la Marine Américaine ReadyGo

À neuf kilomètres au nord de la Réserve Faunique Nationale de l’Arctique

À trois kilomètres à l’ouest de la plate-forme pétrolière Martin Frobisher

Mer de Beaufort

Océan Arctique

— Pas question, mec. Je ne peux pas faire ça.

La nuit était noire. À l’extérieur du petit dôme modulaire, le vent hurlait. Une pluie gelée tombait dehors. La visibilité se détériorait. Dans un moment, elle frôlerait le zéro.

Luke était fatigué. Il avait pris un cachet de Dexedrine quand l’avion avait atterri et un autre quelques moments auparavant, mais aucun d’eux n’avait encore fait effet.

Toute cette mission ressemblait à une erreur. Ils avaient traversé le continent à une allure folle, à une vitesse supersonique, la mission était sur le point de démarrer et, maintenant, un de ses hommes refusait d’y aller.

— Ça ne me convient pas du tout.

C’était Murphy qui parlait. Qui d’autre ?

Murphy ne voulait pas partir à l’aventure.

Le camp temporaire sur la banquise, qui correspondait en gros à une dizaine de dômes modulaires imperméables posés sur une plaque de glace flottante, avait jailli comme tant de champignons après une pluie printanière, apparemment au cours des deux heures précédentes. C’était un camp dans une série de camps semblables qui entouraient la plate-forme pétrolière à une distance confortable. S’ils avaient installé plusieurs camps ici, en périphérie, c’était au cas où les terroristes auraient été en train de les observer. Cette activité avait pour but de les empêcher de savoir d’où la contre-attaque allait venir.

À l’intérieur de chaque dôme, un trou rectangulaire avait été découpé dans la glace. Il avait environ la taille et la forme d’un cercueil. Ici, la glace mesurait entre soixante et quatre-vingt-dix centimètres d’épaisseur. Un pont constitué d’une substance synthétique semblable à du bois avait été fixé autour de chaque trou. Des lumières de plongée avaient été installées sous l’eau et donnaient au trou une couleur bleue étrange. Une nouvelle couche de glace se formait déjà à la surface de l’eau.

Luke et Ed portaient leurs combinaisons étanches en néoprène et ils étaient assis sur des chaises près du trou. Brooks Donaldson faisait la même chose. Chaque homme était préparé par deux assistants, des hommes de la marine américaine en polaire qui s’occupaient à les faire entrer dans leur équipement. Luke était assis, immobile, pendant qu’un homme montait son gilet stabilisateur autour de son torse.

— Comment vous paraît-il ? demanda l’homme.

— Gros, pour être honnête.

— Effectivement, il est gros.

Luke n’avait pas encore les mains dans ses gants. Il n’arrêtait pas de toucher la fermeture Éclair étanche qui lui traversait la poitrine. Elle était serrée et dure à tirer. Il fallait qu’elle le soit. Là-dessous, l’eau était froide. La fermeture Éclair fermait bien la combinaison. Cependant, cela signifiait qu’elle serait dure à ouvrir quand ils atteindraient la destination.

— Comment voulez-vous que j’ouvre ce truc ? dit-il.

— Grâce à l’adrénaline, dit un des assistants. Quand ça commence à chauffer, les hommes s’arrachent quasiment ces combinaisons à mains nues.

Ed rit. Il regarda Luke. Son regard indiquait qu’il ne trouvait pas ça très drôle.

— Eh ben, dit-il.

Murphy ne riait pas du tout. Il était venu ici avec eux depuis Deadhorse, mais il n’avait même pas commencé à revêtir la combinaison.

— C’est un piège mortel, Stone, dit-il. C’est comme la dernière fois.

— Tu n’as rien à me prouver, dit Luke. Ni à moi ni à qui que ce soit d’autre. Personne n’est forcé d’y aller. Ce n’est pas du tout comme la dernière fois.

La dernière fois.

C’était la fois où ils avaient été tous les deux dans la Force Delta, dans l’est de l’Afghanistan. Luke était le chef de section et il n’avait pas refusé d’obéir à un lieutenant colonel obsédé par la gloire qui avait mené tout le monde, à l’exception de Luke et de Murphy, à sa mort.

C’était vrai. Il aurait pu annuler la mission. C’étaient ses hommes et ils ne devaient aucune fidélité au lieutenant colonel. Si Luke avait dit non, la mission se serait arrêtée, mais il aurait risqué la cour martiale pour insubordination. Il aurait risqué toute sa carrière militaire, une carrière qui, assez bizarrement, avait quand même pris fin cette nuit-là.

Murphy regarda Ed.

— Pourquoi y vas-tu ?

Ed haussa les épaules.

— J’aime l’excitation.

Murphy secoua la tête.

— Regarde ce trou, mec. C’est comme si quelqu’un avait creusé ta tombe. Si on met un cercueil là-dedans, tu es prêt pour l’enterrement.

Murphy n’était pas un lâche. Luke le savait. Pendant leur période dans la Force Delta, Luke avait participé à au moins une dizaine de batailles avec lui. Il avait été avec lui à Montréal, pendant la fusillade au cours de laquelle ils avaient sauvé la vie à Lawrence Keller et fait condamner les assassins du Président David Barrett. Il s’était même bagarré à coups de poings avec Murphy sur la flamme éternelle de John F. Kennedy. Murphy était un dur.

Pourtant, Murphy ne voulait pas y aller. Luke voyait qu’il avait peur. C’était peut-être parce que Murphy n’avait pas l’entraînement pour ça. Ou alors, c’était peut-être juste parce que …

— OK, les gars, écoutez !

Un homme costaud en polaire de la Marine venait d’entrer dans le dôme. Pendant une fraction de seconde, quand il avait écarté les lourdes tentures en vinyle qui servaient de sas avec l’extérieur, le vent avait hurlé. L’homme avait le visage rouge vif à cause du froid.

— D’après ce qu’on me dit, on vous a tous briefés à Deadhorse.

L’homme s’interrompit. Il regarda le siège vide où Murphy aurait dû être assis. Alors, il regarda Murphy.

Murphy secoua la tête.

— Je n’y vais pas.

L’homme haussa les épaules.

— Comme vous voulez, mais cette opération est top-secret. Si vous n’y allez pas, vous ne pouvez pas entendre ce que je vais dire.

— Je fais partie de l’équipe civile de supervision, dit Murphy.

L’homme secoua la tête.

— Selon mes ordres, deux membres de l’équipe civile de supervision sont au centre de contrôle de Deadhorse et le reste de l’équipe est en combinaison et va avec les Marines.

Il leva ses mains vides comme pour dire : C’est tout ce que j’ai.

— Si vous n’êtes pas au centre de contrôle et si vous n’êtes pas en combinaison, je ne crois pas que vous faites partie de l’équipe.

Murphy secoua la tête et soupira.

— Et merde.

D’un mouvement des épaules, il mit une lourde parka verte par-dessus son épaisse combinaison de travail.

— Murph, dit Luke, appelle Swann et Trudy. Ils te feront monter dans un hélicoptère.

Le nouvel arrivant secoua la tête.

— Les hélicoptères n’ont pas le droit de décoller. La tempête arrive dans toute sa force. Nous ne pouvons pas nous permettre d’accidents en extérieur. La mission est assez dure comme ça.

Murphy jura à voix basse et sortit par là où l’homme venait d’entrer. Le vinyle battit dans le vent, qui hurla à nouveau. L’homme regarda Murphy partir, puis se tourna vers les trois plongeurs restants.

— Bon, dit-il. C’est une plongée sous la glace, la nuit, pendant une tempête, dans un environnement sous plafond. J’ai du mal à imaginer plus difficile, comme mission. Il y a un an, nous avons perdu deux plongeurs expérimentés dans un environnement sous glace similaire, mais c’était pendant une plongée d’entraînement en journée, il n’y avait pas de tempête et ils étaient attachés à leur base. OK ? Vous devez savoir ça.

— Est-ce qu’ils se dirigeaient vers un combat avec armes à feu ? dit Ed.

L’homme le regarda sans répondre. Il n’était pas d’humeur à plaisanter. Luke se sentait plutôt comme lui. Cette situation n’avait rien de drôle.

— Comme vous le comprenez probablement, ce n’est pas une plongée attachée. Pendant une grande partie de votre nage, la glace au-dessus de vos têtes sera gelée et compacte. Il faudra éviter d’entrer en contact avec elle. Il faudra rester cinq mètres au-dessous, puis conserver une flottabilité nulle et une bonne assiette.

Il y avait quatre engins porte-nageurs à ses pieds. En gros, c’étaient des petites torpilles électriques à batterie. Chaque plongeur devait tenir la poignée d’un véhicule d’une main et la propulsion l’emmènerait à destination beaucoup plus vite et avec beaucoup moins d’effort que s’il avait dû nager lui-même.

L’homme en saisit un dans ses deux bras.

— Qui d’entre vous a déjà utilisé un de ces appareils ?

Les trois mains se levèrent toutes.

L’homme hocha la tête.

— Bien. Normalement, nous utilisons des engins porte-nageurs sous-marins Mark 8. Chacun d’eux porte de deux à quatre hommes, mais nous n’avons pas pu les amener ici à temps et, dans cet environnement, il est difficile de les déployer. Donc, nous utiliserons ceux qu’on tient à la main. D’accord ?

Il s’interrompit, mais personne ne dit un seul mot. La situation était ce qu’elle était. Peu importait s’ils étaient d’accord ou pas.

— Regardez votre boussole. Vous irez droit vers l’est. Vous avez dix-sept autres hommes …

Il regarda à nouveau la chaise vide de Murphy.

— Vous avez seize autres hommes là-dessous. Suivez le mouvement. Ce groupe est le groupe de supervision, donc, vous resterez à l’arrière. Si vous perdez vos repères, si vous vous égarez, le chemin de retour est directement à l’ouest. Là-dessous, ce camp est aussi lumineux qu’un arbre de Noël, donc, dirigez-vous tout simplement vers les lumières.

Il leva un casque étanche, avec sa visière et son masque.

— Votre équipement de tête permet les communications radio bidirectionnelles. Bavardez le moins possible. Écoutez les chefs qui sont à l’avant. La visibilité va être basse. Vos oreilles pourront vous sauver, mais votre bouche pourra vous tuer.

Il les regarda tous d’un air sévère.

— Pas de secours aérien. Pas de secours amphibie. Ça pourrait être chaud. Gardez un œil au-dessus de vous. Quand vous verrez une ouverture, vous serez presque arrivés. Quand vous atteindrez le bord de la glace d’au-dessus, éteignez vos lampes frontales. L’idée, messieurs, est de les prendre par surprise.

L’homme leva une mitrailleuse MP5 avec un chargeur pré-installé. L’arme était emballée sous un épais film plastique translucide. Il leva un paquet de trois grenades, emballées de la même façon.

— Ces choses sont déjà protégées contre les éléments. Elles sont étanches à cent pour cent. Quand vous débarquerez, utilisez vos couteaux pour couper le plastique.

Il sourit puis secoua la tête.

— Si nécessaire, utilisez aussi vos couteaux pour vous libérer de ces combinaisons.

Luke jeta un coup d’œil à Ed. Ed fit une grimace, une drôle d’expression faciale que Luke ne l’avait jamais vu faire auparavant. On aurait dit un enfant d’école primaire quand l’instituteur proposait que la classe entonne des chants de Noël.

Les assistants qui se tenaient derrière Ed levèrent son casque, puis le laissèrent s’installer sur sa tête. Le souffle d’Ed embua la visière.

Les assistants qui se tenaient derrière Luke se préparèrent à en faire autant.

— Avez-vous des questions ? dit l’homme devant eux.

Dans quoi s’est-on fourrés ? pensa Luke.

— Bien. Dans ce cas, exécution.

* * *

Murphy était de mauvaise humeur.

— J’en ai marre de cette mission, Swann. Je n’ai jamais aimé les gars de la Marine et, maintenant, je ne les aime vraiment pas.

Ici, les communications fonctionnaient correctement malgré la tempête. Swann lui avait expliqué pourquoi, mais Murphy n’avait pas tout écouté. C’était en partie dû aux antennes intégrées à ces dômes, et aussi aux signaux satellites qui pénétraient la couverture nuageuse qui bougeait vite et les précipitations, plus le cryptage inviolable qui faisait la notoriété de Swann …

Bref.

Il attendait le décalage pendant que le signal allait de relais en relais pour que les terroristes ne puissent pas le repérer et les espionner.

Murphy en avait marre, il était irrité. Il n’était pas plongeur. Stone et Newsam n’étaient pas plongeurs, eux non plus. Les Marines bénéficiaient d’un entraînement avec des équipes de plongeurs d’élite en eau froide de Norvège et de Suède depuis plusieurs années. Entre temps, non préparée, l’EIS avait été ajoutée à cette mission comme une sorte de décoration de capot tape-à-l’œil.

Vu la façon dont ce grand gars avait regardé la chaise vide, puis Murphy, puis à nouveau la chaise, il avait de la chance qu’ils aient été dans la même équipe. Autrement, Murphy lui aurait volontiers refait le portrait avec cette chaise.

— Oui, je dois dire que je ne comprends pas, dit finalement Swann. Ici, au centre de contrôle, ce qu’on fait, c’est surtout de la poudre aux yeux. Personne ne veut que des civils supervisent cette mission. Ils veulent qu’on approuve sans discussion. Ils nous ont installés dans notre propre bureau, loin de tous les autres, avec deux ordinateurs et une machine à café.

Murphy sourit. Il imaginait les Marines endurcis et les officiers du JSOC mater Swann, le grand passionné d’informatique à lunettes dégingandé et aux cheveux longs et la jeune et jolie Trudy Wellington et penser …

Rien. À ce stade-là, les moteurs qui alimentaient le cerveau militaire typique s’arrêteraient laborieusement. Rien que la vue de Swann serait l’équivalent d’un morceau de sucre dans le réservoir à essence.

Mettez-les dans une autre pièce, à l’écart de tout le monde.

— Ces gars vont se faire tuer là-bas. J’ai essayé de le dire à Stone mais, à ce moment-là, un imbécile de Marine m’a jeté dehors parce que le briefing était top-secret.

— Où es-tu maintenant ? dit Swann.

Murphy regarda autour de lui. Il était à l’intérieur d’un dôme vide, assis sur une chaise qui, jusqu’à peu, avait dû accueillir un membre des Marines. Le trou dans la glace dégageait une lueur bleue. Il y avait un dôme de commandement quelque part aux alentours et, quand les Marines étaient partis en mission, les assistants avaient dû s’y rendre pour regarder les points sur les écrans des radars se déplacer sous la calotte glaciaire.

— Je suis en enfer, dit Murphy. Dans un enfer gelé.

Il entendit arriver la voix de Trudy. Elle était mélodieuse, comme si des doigts avaient effleuré les touches d’un piano.

— Que veux-tu faire ? dit-elle.

La réponse à cette question était assez simple. Murphy voulait disparaître. Il voulait quitter ce désert arctique, cette atrocité terroriste absurde quelle qu’elle soit, aller à Grand Cayman, prendre ses deux millions et demi de dollars en liquide et disparaître.

Toutefois, c’était plus facile à dire qu’à faire. Il allait falloir des préparations et du temps pour orchestrer une disparition comme ça. Du temps, il n’en avait pas. Don voulait encore qu’il passe six mois à Leavenworth, après quoi il lui accorderait une libération honorable. Entre temps, Wallace Speck était sous les verrous, hors de portée de Murphy, et il pouvait se mettre à dire des choses gênantes à tout moment.

Le pire, ce serait si Murphy arrivait à Leavenworth au moment même où Speck citait son nom.

Naturellement, ce n’étaient pas des choses dont Murphy pouvait parler avec Mark Swann et Trudy Wellington, mais il y en avait d’autres dont il pouvait parler. Swann et Trudy pouvaient l’aider, non pas à partir d’ici, mais à y entrer encore plus.

Stone avait tort. Murphy avait quelque chose à prouver. Il avait toujours quelque chose à prouver. Peut-être pas à Stone et peut-être pas à cet entraîneur Marine à crâne de Cro-Magnon, mais à lui-même. Cette mission l’avait vexé. Ils avaient traversé le pays tout entier à toute vitesse, mais pour quoi ? Une opération foireuse qui était foutue avant même d’avoir commencé. Qui avait organisé ça ? Bip-Bip et Coyote ? C’était l’opération de sauvetage de l’ambassade iranienne, acte deux, avec, cette fois-ci, de la glace à la place du sable.

Murphy était furieux que cette mission semble avoir été si mal et si hâtivement conçue. Que Stone ait accepté d’y aller l’irritait encore plus et, comme Newsam avait accepté lui aussi, l’irritation de Murphy crevait le plafond.

Enfin, que lui, Murphy, n’ait pas pu se résoudre à se glisser dans cette tenue de plongée confinée et à descendre dans ce trou creusé dans la glace comme une tombe ne faisait qu’accroître son humiliation. Sans parler de la façon dont cette brute sans cervelle avait regardé cette chaise …

Murphy serrait et desserrait les mains. Il avait depuis longtemps accepté que, s’il s’était enrôlé dans l’armée puis dans la Force Delta, c’était en partie pour faire quelque chose de constructif avec sa colère.

Il connaissait l’histoire de son pays. Il avait étudié la biographie des tueurs compétents et prolifiques des guerres du passé. Audie Murphy pendant la Seconde Guerre Mondiale. Bloody Bill Anderson pendant la Guerre de Sécession. Dans l’ensemble, ce qui poussait ces hommes à la violence, c’était la rage.

Il imaginait Audie Murphy à Colmar, debout seul sur un tank qui brûlait et en train de faucher des dizaines d’Allemands avec une mitrailleuse de calibre 50 tout en subissant constamment le feu de l’ennemi.

Murphy, Newsam et Stone avaient tous pris des cachets de Dexedrine avant la mission. Murphy avait été fatigué et en avait pris deux. Ils faisaient vigoureusement effet, maintenant. Il sentait son cœur commencer à battre la chamade et sa respiration s’accélérer. Il lui sembla alors que les objets présents à l’intérieur de ce dôme débordaient de détails exquis. Il réprima son envie de se lever et de faire une série de sauts en étoile.

Il pourrait tuer quelqu’un, maintenant, beaucoup de gens, et les Îles Caïmans étaient loin, hors de portée pour le moment. Stone et Newsam venaient de partir pour une version sous-marine de l’expédition Donner, une mission suicidaire dans le froid qui ne pouvait mener qu’à une catastrophe. De plus, là-bas, il y avait un groupe de terroristes qui avaient déjà tué des innocents. Les hommes qui tenaient cette plate-forme pétrolière étaient des salauds et personne ne pleurerait bien longtemps s’ils mouraient.

L’esprit de Murphy commença à s’affoler. Swann et Trudy avaient été confinés dans leur propre bureau et ce n’était pas forcément une mauvaise chose. Ils étaient tous deux des magiciens de la technologie. Si leurs communications n’avaient pas été isolées … c’était un grand « Si », mais …

— Murph ? Que veux-tu faire ?

Les yeux de Murphy tiraient des rayons laser. Ses mains pouvaient lancer des boules de feu. À présent, il était impossible à arrêter, comme il l’avait toujours été. Pendant toutes ces années de combat, c’était tout juste s’il avait eu une égratignure. C’était stupéfiant comme les choses faisaient soudain sens.

— Je veux un bateau, dit-il sans savoir qu’il allait le dire. Je veux des armes, je veux du soutien par drone et je veux qu’on m’aide à traverser la tempête pour atteindre cette plate-forme pétrolière.

Il s’interrompit. Maintenant, ses pensées progressaient si vite en l’inondant de pures images qu’il arrivait tout juste à les convertir en mots.

— Je veux participer à l’action.

* * *

Luke bondit dans le trou sombre.

Il se laissa tomber à travers une mince couche luisante de glace et arriva dans un monde sous-marin surréaliste. En un instant, l’environnement du dôme, utilitaire et presque semblable à un vestiaire, avait disparu, remplacé par ça …

La mer était bleu foncé et elle disparaissait dans le vide noir au-dessous de lui. Au-dessus de sa tête, la glace était d’un blanc bleuté extrême avec des rectangles luisants de lumière blanc vif là où se trouvaient les dômes, où les trous avaient été découpés dans la glace.

C’était un monde étranger.

Il aurait pu être un astronaute qui évoluait en apesanteur dans l’espace lointain.

Ce qu’il remarqua le plus intensément, ce fut le froid. Ce n’était pas le froid glacé que l’on ressentait quand on plongeait dans l’océan à la fin de l’automne. Ce froid ne le pénétrait pas. La combinaison étanche le protégeait parfaitement bien de l’eau glacée qui l’aurait autrement tué en quelques moments.

De ce point de vue, il n’avait pas froid, mais il sentait le froid tout autour de lui, contre l’extérieur du néoprène épais. Sa peau lui semblait froide. C’était comme si le froid avait été vivant et avait essayé de se frayer un chemin jusqu’à lui. S’il réussissait, Luke mourrait ici. C’était aussi simple que ça.

Le seul son qu’il entendait était sa propre respiration, forte dans ses oreilles. Il remarqua qu’elle était rapide et superficielle et il se concentra pour la ralentir et l’approfondir. La respiration superficielle était le début de la panique. Quand on paniquait, on perdait la tête. Dans un endroit comme celui-là, cela le tuerait.

Détends-toi.

Luke démarra son engin porte-nageur cylindrique qui ressemblait à une torpille et partit doucement vers l’avant.

Devant lui, le groupe de plongeurs avançait et leurs lampes frontales illuminaient l’obscurité en projetant des ombres inquiétantes. Luke s’attendait presque à voir un requin géant, un mégalodon préhistorique, jaillir soudain de l’obscurité pour apparaître devant eux.

Alors qu’ils s’éloignaient du camp, il remarqua que la mer bougeait, tanguait, et que l’épais plafond de glace qui se trouvait au-dessus de leurs têtes ondulait et bondissait comme une terre sous l’effet d’un puissant séisme. Avec Ed à côté de lui, ils traversaient les courants lourds et les engins porte-nageurs qu’ils avaient en main faisaient la plus grande partie du travail.

Luke se sentait bousculé, il sentait que l’eau tentait de le renverser ou de l’envoyer contre Ed, mais il accompagnait les courants et poursuivait sa route.

Il jeta un coup d’œil à Ed. Ed était bien positionné, son corps était presque horizontal, très légèrement penché en avant, la tête remontée. Luke ne voyait pas le visage d’Ed sous son casque. Cela produisait un effet aliénant. Ed aurait pu être un imposteur ou une machine.

Luke commença à entendre des murmures dans la radio du casque. Il les entendait à peine et ne comprenait pas ce que disaient les gens. Le son de son appareil respiratoire était beaucoup plus fort que la radio. Il allait être difficile de communiquer.

Il jeta un coup d’œil vers l’arrière. Les lumières qui pénétraient l’obscurité depuis le dessus disparaissaient derrière eux. Le camp était déjà loin.

Le temps devenait étrangement amnésique. Il jeta un coup d’œil à sa montre. Il avait démarré son chronomètre à mission juste avant de plonger dans l’eau. Cela faisait un peu plus de dix minutes qu’ils étaient partis.

Ils passèrent le bord de la calotte glaciaire et le plafond au-dessus d’eux devint sombre, même noir, ponctué par des blocs de glace en mouvement. À présent, tout était sombre et leur seule lumière venait de leurs lampes frontales et des lampes frontales devant eux.

Ils étaient déjà près et ça s’était passé beaucoup plus vite qu’il ne l’avait prévu.

Calme … calme.

Il passa à côté d’un petit appareil qui luisait vert dans l’obscurité. C’était une boîte en métal, à peut-être dix mètres à sa droite. Elle devait mesurer un mètre de longueur et cinquante centimètres de largeur. Il y avait des commandes de plusieurs sortes d’un côté. Comme l’appareil était assez petit et assez lointain, Luke avait failli ne pas le voir du tout.

C’était un robot et Luke savait qu’on appelait ce type d’appareil un véhicule sous-marin téléguidé ou VSMT. Il était attaché à un câble jaune épais qui partait dans l’obscurité, vers le nord. Le câble était probablement sa source primaire d’électricité. Il contenait aussi probablement les fils qui le contrôlaient et par lesquels les données s’en allaient … où ?

Il avait un gros œil rond, probablement la lentille d’une caméra.

Cet objet n’avait-il été remarqué par personne d’autre ?

Luke essaya de tourner dans cette direction, mais son élan l’emporta avant qu’il n’ait pu s’en approcher. Ed se tourna vers lui. Luke essaya de désigner le VSMT, mais il était loin derrière lui, maintenant, et la combinaison et l’équipement étaient trop encombrants.

Il fallait qu’ils fassent demi-tour, qu’ils saisissent cet appareil et au moins qu’ils l’inspectent. Dans cette mission, personne n’avait dit que l’ennemi aurait peut-être déployé des caméras téléguidées. Cet appareil envoyait des images à quelqu’un.

Il fallait qu’ils coupent ce câble.

Les murmures à l’intérieur de son casque étaient maintenant plus forts mais, d’une façon ou d’une autre, il n’arrivait toujours pas à reconnaître les mots. Une par une, les lampes frontales qui brillaient devant lui s’éteignirent et les plongèrent dans une obscurité totale.

Les premiers commandos atteignaient le littoral.

Luke jeta un dernier coup d’œil en arrière. Les lumières du camp étaient loin, comme des étoiles dans le ciel nocturne. Si on se perdait, on était censé se diriger vers elles.

Le robot vert était déjà loin derrière lui et il le regardait. À cette distance, il aurait pu n’être qu’un organisme bioluminescent vert.

Il leva le bras pour éteindre sa lampe frontale. À sa gauche, la lumière d’Ed s’éteignit.

Ce fut alors que les hurlements commencèrent.

* * *

Murphy détestait tout le monde.

Il se rendait compte que c’était vrai, il était en pleine rage et il la laissait prendre possession de lui. C’était un monde froid et malsain et il méritait rien moins que son dédain complet. Son dédain et sa haine. La haine le guidait. La haine le nourrissait et lui permettait de tenir bon. La haine le protégeait contre le danger.

Un homme ne pouvait pas tuer les minables zélés qui l’expulsaient des briefings et lui adressaient des regards moqueurs. C’était contre les règles. Il finirait en prison. Par contre, il avait le droit de tuer l’ennemi.

Il dirigeait la petite embarcation de rivière des Marines dans la tempête. Ce bateau n’était pas conçu pour résister aux eaux de l’Arctique, mais il suffirait pour une seule incursion démente en mode kamikaze.

Il était propulsé par deux grands moteurs diesel jumeaux de 440 chevaux au frein. La coque était en aluminium blindé. Les anodes étaient en mousse à alvéole à forte résistance. Ici, les remous d’eau glacée frappaient très fort la proue. Murphy faisait brutalement passer le bateau au travers de gros morceaux de glace et, à chaque fois, la coque produisait des bruits de déchirure violents. Le vent lui hurlait dans les oreilles.

Il était dans le cockpit, derrière une paroi blindée. Un lance-grenades fumigènes et une grande mitrailleuse à chaîne de calibre 50 étaient installés dans la proue, trois mètres devant lui. La mitrailleuse à chaîne pouvait déchiqueter un véhicule blindé, mais Murphy ne savait pas si elle fonctionnerait, car il faisait un froid polaire, ici, et de l’eau salée et gelée giclait partout. De plus, ce n’était pas un bateau prévu pour un seul homme : il faudrait qu’il quitte le cockpit pour accéder à l’arme.

Il circulait tous feux éteints et traversait une obscurité absolue. Il portait des lunettes de vision nocturne, mais le monde vert qu’elles lui montraient était inintéressant. Encerclé par des vagues monstrueuses, une eau noire glaciale et une écume blanche sur fond de ciel noir, il fonçait à l’aveuglette dans la fureur de la tempête.

Il glissa dans un remous et le bateau s’écrasa sur l’eau du fond comme s’il avait été dans une glissoire hydraulique pour bûches. Parfois, certains bateaux descendaient dans des remous profonds, plongeaient directement sous l’eau et on ne les revoyait jamais. Murphy le savait. Il ne voulait pas y penser.

— Swann ! hurla-t-il dans l’obscurité. Où suis-je ?

Cette embarcation était équipée d’un radar, d’un sondeur, d’un GPS, d’une radio tactique VHF et de quantités d’autres capteurs et systèmes de traitement des données, mais Murphy avait déjà beaucoup de mal à diriger le bateau, donc, il ne pouvait se soucier de toutes les données qu’il affichait. Swann était censé le suivre à la trace et repérer où il se trouvait par rapport à la plate-forme pétrolière.

Une voix crépita dans son casque-micro.

— Swann !

— Va vers le nord ! entendit-il crier la voix. Nord nord-est. Le vent te pousse vers le sud.

Murphy consulta la boussole. Il la voyait à peine. Il tourna un peu la barre vers la gauche pour mieux s’aligner sur le nord. Il n’avait aucune idée de sa direction. Si quelque chose apparaissait juste devant lui, il pourrait foncer dedans sans jamais le voir venir.

Il n’avait pas de plan. Personne ne savait qu’il venait, même pas ses propres hommes. Swann et Trudy étaient les seuls à savoir qu’il avait pris ce bateau. Ils étaient les seuls à savoir qu’il avait rapidement enfilé un gilet pare-balles avant de charger le bateau d’armes et de munitions. Ils étaient les seuls à savoir où il était alors qu’il ne le savait pas lui-même.

Et ça lui était presque égal.

Peu lui importait de quel côté il était.

Il était vide, creux.

C’était à cause de la Dexedrine et de l’adrénaline.

Il y avait des terroristes là-bas, des mauvais gars, et il était le bon gars. Il était le cow-boy et ils étaient les Indiens. Il était le flic et ils étaient les voleurs. Ils étaient le FBI et il était John Dillinger. Ils étaient Batman et il était le Joker. Il était Superman et ils étaient … les autres.

Peu importait qui était qui ou quoi.

Ils étaient les autres et il allait leur enfoncer ce bateau au fond de la gorge. S’il survivait, il survivrait. S’il mourait, il mourrait. Au combat, ça s’était toujours passé comme ça et il y avait toujours survécu. Confiance totale.

Il n’accordait pas grande importance à la vie, que ce soit la sienne ou celle des autres.

Il était mort à l’intérieur.

Ce moment, ces moments, c’était là qu’il était en vie.

— Vers l’est ! cria Swann. Droit vers l’est !

Murphy tourna doucement la barre vers la droite.

— C’est encore loin ? cria-t-il.

— Une minute !

Un frisson étrange traversa Murphy. Il avait très froid. Purée, il était quasiment congelé. Même avec sa combinaison de travail, une grosse parka, des gants épais, un chapeau et le visage couvert, il avait très froid. Ses vêtements étaient trempés. Il frissonnait, peut-être de froid, peut-être à cause de sa dernière poussée d’adrénaline.

C’était la règle du jeu. C’était comme ça.

La station était là. Il arrivait.

Il accéléra encore plus. Il scruta la pénombre. La tempête se déchaîna autour de lui. Le bateau fut bousculé de tous les côtés et il se cala les jambes en agrippant la barre.

Maintenant, il voyait tout juste des lumières devant lui et il entendait quelque chose.

Pan ! Pan ! Pan !

On lui tirait dessus.

— Ralentis ! hurla Swann. Tu vas t’échouer !

Devant Murphy, des lumières éclatantes apparurent soudain.

Il avançait vite. Trop vite. Swann avait raison. Le littoral était juste devant.

Cependant, ce bateau était conçu pour accoster sur des plages.

De toute façon, il n’y avait aucun moyen de l’arrêter. Murphy accéléra au maximum et se prépara à l’impact.

* * *

Un homme mort flottait dans l’eau, au-dessus de la tête de Luke.

Luke regardait fixement l’homme. C’était un membre des Marines entièrement équipé et il avait été abattu quand il avait essayé de sortir de l’eau. Il dérivait çà et là, tournant sur lui-même comme une algue emportée par les courants déferlants. Ses bras et ses jambes s’agitaient au hasard, comme des spaghettis trop cuits.

Il coulait vers Luke.

Du sang coulait du corps de l’homme par plusieurs trous et rougissait l’eau des alentours. Luke savait qu’il ne saignerait pas longtemps. Maintenant que la combinaison étanche de l’homme était déchirée et qu’il était exposé au froid, il allait geler très rapidement.

Une lumière blanche aveuglante tombait du dessus. Un moment auparavant, des projecteurs installés sur la terre ferme s’étaient allumés et avaient illuminé l’eau. Les Marines étaient exposés et il ne semblait pas que qui que ce soit ait encore réussi à sortir de l’eau.

Ils ne pouvaient même plus enlever leurs combinaisons étanches, ni sortir les armes de leurs poches imperméables, ni s’orienter et prendre l’initiative et encore moins mener une attaque surprise.

Les ennemis n’étaient pas du tout surpris. Ils étaient stationnés là-haut et ils tiraient dans l’eau.

Ils savaient que les Marines arrivaient. Ils avaient prévu l’assaut sous-marin. Soudain, Luke se souvint du robot à caméra intégrée, qui avait dégagé une lumière verte dans l’eau sombre.

C’était une embuscade. Ils étaient des cibles faciles.

À vingt mètres au-dessous de la surface, Luke vit des balles pénétrer l’eau glacée au-dessus de sa tête, puis perdre leur élan en approchant.

Menace Principale

Подняться наверх