Читать книгу Les trois hommes en Allemagne - Джером К. Джером - Страница 6

CHAPITRE TROISIÈME

Оглавление

Table des matières

L'unique défaut de Harris. Harris et son ange gardien. Histoire d'une lanterne à bicyclette brevetée. La selle idéale. Celui qui vérifie les machines. Son œil d'aigle. Sa méthode. Sa sereine confiance en lui. Ses goûts simples et peu coûteux. Son aspect. Comment on s'en débarrasse. George prophète. La manière de se rendre désagréable par l'emploi d'une langue étrangère. George psychologue. Il propose une expérience. Sa prudence. Harris lui promet son aide, mais y met des conditions.

Harris vint me voir le lundi après-midi. Il tenait à la main un catalogue de bicyclettes.

Je lui criai de loin:

—Si vous suivez mon conseil, vous laisserez cela tranquille.

Harris répliqua:

—Qu'est-ce qu'il faut laisser tranquille?

—Cette folie nouvelle et brevetée qui doit révolutionner le monde cycliste, battre tous les records et dont vous tenez le prospectus à la main.

Il repartit:

—Hum! J'hésite. Nous aurons des montées difficiles; il est indispensable que nous ayons de bons freins.

—Je suis de votre avis: il nous faudra de bons freins; mais ce qu'il ne nous faut pas, c'en est un qui nous réserve des surprises, dont nous ne comprendrons pas le mécanisme et qui ne fonctionnera jamais au moment voulu.

—Celui-ci, affirma-t-il, est automatique.

—Inutile de me le dire, répliquai-je. Je sais par intuition exactement de quelle manière il va marcher. Aux montées il bloquera tellement que nous serons obligés de pousser les machines à la main. Une fois là-haut, l'air lui fera du bien et lui rendra subitement sa souplesse primitive. Il se mettra à réfléchir à la descente et se dira qu'il nous a beaucoup ennuyés. Il arrivera à le regretter et ensuite à être au désespoir. Il s'adressera des reproches, il se dira: «Je ne suis qu'un mauvais frein; je n'aide pas ces jeunes gens, je les gêne plutôt. Je ne suis qu'un fléau, voilà tout mon rôle.» Et sans crier gare il faussera toute la machine. Vous verrez que c'est ce que fera votre frein. Laissez-le tranquille. Vous êtes un bon garçon, mais vous avez un défaut.

—Lequel? demanda-t-il indigné.

—Vous êtes trop confiant. Il vous suffit de lire une réclame et vous avez la foi. Vous avez essayé chaque nouvelle invention que des idiots ont lancée pour le plus grand bien des cyclistes. Votre ange gardien me semble être un esprit capable et consciencieux: il a pu vous protéger jusque-là; suivez mon conseil, ne le surmenez pas. Il n'a pas dû chômer beaucoup depuis que vous faites de la bicyclette. Ne le rendez pas fou!

—Si tout le monde pensait comme vous, on ne réaliserait plus aucun progrès dans aucune branche de la science. Si jamais personne ne mettait à l'essai les inventions nouvelles, le monde finirait dans la stagnation. C'est justement par...

—Je connais tous les arguments pour, interrompis-je. Soit, je ne vous désapprouve pas entièrement: expérimentez des inventions jusqu'à l'âge de trente-cinq ans: mais après trente-cinq ans, l'homme doit penser à lui-même. Vous et moi, nous avons fait notre devoir de ce côté-là; vous spécialement. Vous avez été projeté en l'air par une lanterne à gaz brevetée.

—Je crois vraiment, objecta-t-il, que c'est arrivé par ma faute: j'aurai trop serré la vis.

—Je veux admettre que, s'il existe un moyen de maltraiter un objet, c'est bien votre manière de vous en servir: vous n'avez pas la main heureuse, vous embrouillez les choses. Vous devriez tenir compte de votre fâcheuse habitude, elle donne du poids à mon argument. Moi, je n'avais pas prêté attention à vos gestes; je me rappelle seulement que nous étions en train de pédaler tranquillement et agréablement sur la route de Whitby, tout en discutant de la guerre de Trente ans, quand votre lanterne explosa avec le bruit d'un pistolet. Le coup me fit rouler dans le fossé, et je n'oublierai jamais la tête de votre femme quand je lui conseillai de ne pas s'effrayer parce que les deux hommes qui vous portaient allaient vous monter dans votre chambre, et que le docteur serait là dans une minute et amènerait l'infirmière.

—Je regrette que vous n'ayez pas pensé à ramasser la lanterne. J'aurais bien voulu approfondir la cause de l'explosion.

—Je n'avais pas le temps de ramasser la lanterne. D'après mes calculs, il m'aurai bien fallu deux heures pour en rassembler les débris. Quant à la raison de son explosion, eh bien, le seul fait d'avoir été présentée comme la lanterne de sûreté par excellence devait déjà éveiller chez tout autre que vous l'idée d'un accident possible. Puis il y eut cette lanterne électrique...

—Celle-là éclairait vraiment bien, vous le disiez vous-même.

—Elle a merveilleusement éclairé tant que nous fûmes dans Kings Road à Brighton, ripostai-je; elle a même effrayé un cheval, mais une fois dans l'obscurité, après Kemp Town, elle s'éteignit et on vous dressa contravention parce que vous pédaliez sans lanterne. Vous vous rappelez bien que certains après-midi vous vous promeniez en plein soleil, cette lanterne brillant de tout son éclat. Quand arrivait l'heure de l'allumer, elle était naturellement fatiguée: il lui fallait du repos.

—Elle était un peu agaçante, cette lanterne-là, murmura-t-il; je m'en souviens.

—Elle m'irritait, moi; à plus forte raison vous. Ensuite il y a les selles..., poursuivis-je, car je voulais arriver à l'impressionner. Existe-t-il une selle dont vous ayez entendu parler sans avoir senti l'obligation de l'essayer?

—Selon moi, la selle parfaite n'a pas encore été trouvée.

Je lui conseillai de n'y pas rêver:

—Nous vivons dans un monde imparfait où la joie est mêlée de tristesse. Il se peut qu'il existe un monde meilleur où les selles de bicyclette sont tendues sur des arcs-en-ciel et rembourrées avec des nuages. Ici-bas il faut tâcher de s'habituer à la dure. Vous aviez acheté une selle à Birmingham: elle était divisée par le milieu et ressemblait à une paire de rognons.

—Vous voulez parler de cette selle qui était construite d'après les données anatomiques?

—Très probablement. Vous l'aviez achetée enfermée dans une boîte sur le couvercle de laquelle était représenté un squelette assis ou plutôt la partie du squelette qui sert à s'asseoir.

—C'était un dessin très correct: il vous démontrait la position véritable du...

—N'entrons pas dans ces détails; cette image m'a toujours semblé peu délicate.

—Elle était exacte au point de vue médical, insista-t-il.

—Possible, pour qui pédalait vêtu simplement de ses os; mais je le sais, car je l'ai essayée moi-même, c'était une sensation atroce pour qui est habillé de chair. Chaque fois qu'on passait sur une pierre ou dans une ornière, cette selle vous picotait; autant s'asseoir sur une langouste en colère. Vous vous en êtes servi pendant tout un mois!

—Je ne trouvais que juste de lui faire subir une épreuve loyale.

—Vous avez, en même temps, soumis votre famille à une dure épreuve. Votre femme m'a avoué que jamais depuis son entrée en ménage elle ne vous avait connu de si mauvaise humeur, si mauvais chrétien. Et puis vous vous rappelez bien cette autre selle, qui était à ressort?

—Vous voulez parler de la «Spirale».

—Je veux parler de celle qui vous projetait en l'air comme un diable dont on ouvre la boîte: il vous arrivait de retomber à la bonne place, mais quelquefois à côté. Je ne parle pas de tout cela pour évoquer de mauvais souvenirs, mais je veux vous faire comprendre que c'est folie à votre âge de vous livrer à de nouvelles expériences.

—Je voudrais bien, protesta-t-il, que vous ne revinssiez pas tout le temps sur mon âge. Un homme de trente-quatre ans!

—Un homme de combien?

Il dit:

—Si vous n'en voulez pas, n'en achetez pas. Mais si votre machine s'emballe dans une descente rapide et vous projette, George et vous, à travers le toit d'une église, ne vous en prenez qu'à vous-même.

—Je ne peux m'engager pour George, un rien le met parfois en colère. Si un accident de ce genre nous arrive, il s'irritera peut-être; mais je vous garantis que je lui expliquerai que vous n'y êtes pour rien.

—Est-il en bon état?

—Le tandem? Il se porte bien.

—L'avez-vous vérifié?

—Je ne l'ai pas vérifié, mais personne ne le vérifiera non plus. La machine est prête à marcher et on n'y touchera pas jusqu'à notre mise en route.

J'ai déjà eu à souffrir des vérifications. J'ai connu un homme à Folkestone. Je l'avais rencontré sur le turf. Il me proposa un soir de l'accompagner le lendemain dans une promenade à bicyclette et j'acceptai. Je me levai de bonne heure (il me fallut faire un effort) et je fus content de moi. Il arriva avec une demi-heure de retard, je l'attendais au jardin. La journée était magnifique.

—Quelle belle machine que la vôtre! me dit-il. Comment fonctionne-t-elle?

—Euh! répondis-je, comme la plupart des machines: assez facilement dans la matinée: un peu plus durement après le déjeuner.

Il la saisit entre la roue d'avant et la fourche et la secoua avec violence.

—Ne faites pas cela, récriminai-je, vous allez l'abîmer.

Je ne voyais en effet pas pourquoi il l'aurait secouée, elle ne lui avait rien fait. Et si vraiment, elle avait besoin d'être secouée, c'était à moi de le faire. Lui aurais-je laissé battre mon chien?

Il dit:

—Cette roue d'avant joue.

—Pas si vous ne la secouez pas.

Elle ne bougeait vraiment pas ou pas au point qu'on pût appeler cela jouer.

Il décréta alors:

—Ceci est dangereux. Avez-vous un tourne-vis?

J'aurais dû être énergique, mais j'ai cru qu'il s'y entendait véritablement. J'allai à la boîte à outils voir ce que je trouverais. Quand je revins, il était assis par terre, la roue d'avant entre les jambes. Il jouait avec, la faisait tourner entre ses doigts. Le reste de la machine était sur le gravier, à côté de lui.

—Il est arrivé quelque chose à votre roue d'avant.

—Ça en a tout l'air, n'est-ce pas? répondis-je. (Mais c'était un de ces hommes qui ne comprennent pas l'ironie.)

—Il me semble que la direction est faussée.

—Ne vous faites pas de bile à ce sujet, vous allez vous fatiguer. Remettons la roue en place et partons.

—Voyons toujours ce qu'il en est, maintenant qu'elle est démontée.

Il en parlait comme si elle s'était démontée par accident.

Et avant que j'aie pu l'en empêcher, il avait dévissé quelque chose quelque part et voilà que de petites billes roulaient sur le chemin. Il y en avait une douzaine environ.

—Attrapez-les, s'écria-t-il, attrapez-les! Il ne faut pas que nous en perdions. (Il se montrait tout inquiet à leur sujet.)

Nous rampâmes pendant une demi-heure environ et en retrouvâmes seize. Il espérait qu'on les avait toutes, car autrement cela causerait une grande gêne dans le fonctionnement de la machine. Il expliqua que c'était le point essentiel, quand on démonte une bicyclette, d'avoir soin de ne pas égarer une de ces billes et de les remettre toutes en place. Je lui promis de suivre son conseil, si jamais je démontais une bicyclette.

Je mis les billes en sûreté dans mon chapeau et mon chapeau sur une marche de la porte d'entrée. Ce ne fut pas raisonnable, je l'admets. Ce fut même stupide. Je ne suis pas d'habitude un écervelé: son influence a dû agir sur moi.

Il dit ensuite qu'il allait vérifier la chaîne, pendant qu'il y était, et incontinent se mit en besogne. J'essayai bien de l'en dissuader. Je lui répétai le conseil solennel que m'avait donné un ami expérimenté:

Les trois hommes en Allemagne

Подняться наверх