Читать книгу L'Espion - Juan Moisés De La Serna, Dr. Juan Moisés De La Serna, Paul Valent - Страница 7
CHAPITRE 1. La Mémoire
ОглавлениеLe silence s’était déjà approprié de toutes les chambres au point que, parfois, j’avais du mal à rester là-bas où autant de choses s’étaient passées, tant de choses en famille.
Au début, j’allumait la télé ou la radio juste pour avoir des voix à écouter partout dans la maison. Ça me faisait du bien, mais après… C’était tellement ridicule ! Je me mentais à moi même ! Je faisais semblant d’avoir quelqu’un à mes côtés, mais il n’y avait plus personne.
La joie, la tristesse et le chagrin remplissaient tous les coins du foyer, ce foyer dont ma femme se donnait beaucoup de mal pour le garder en ordre et propre.
Petit à petit je commençai à fermer toutes ces chambres que je n’utilisais plus, ou celles qui m’apportaient autant de souvenirs à chaque fois que je les voyais. Des souvenirs qui étaient d’habitude très heureux, et qui, en même temps, me provoquaient une souffrance horrible, parfois par nostalgie, et d’autres fois parce que j’étais sûr qu’ils ne se répéteraient jamais. Tout ce que je vécus ne resterait que dans ma mémoire, le temps qu’elle durerait.
Malgré les fois que j’avais proposé à ma femme de déménager, parfois pour des raisons de travail et d’autres fois au moment de notre retraite, elle insistait sur le fait que sa place restait là où elle avait créé toutes ses mémoires, là où elle avait vu ses enfants grandir. Elle disait qu’elle connaissait tout le monde, tous les voisins et qu’elle se sentait à l’aise là-bas.
Pour des raisons qui m’échappent, elle préférait son statu quo, comme elle le disait d’habitudeet qui voulait dire: pas de changements à la maison et pas de changements dans les tableaux et les photos. A chaque fois que je lui demandais pourquoi, elle ne répondait que «c’est bien comme ça».
Nous avions toujours eu des problèmes pour aller en vacances, même à notre âge, que nos enfants étaient déjà partis dans d’autres villes pour travailler et que nous étions seuls. Mais à chaque fois, elle attendait que les enfants nous visitaient ou me donnait des excuses pour rentrer à la maison dans deux ou trois jours.
Mais comment allaient-ils apparaître du jour au lendemain? S’il y en avait certains qui habitaient dans d’autres continents et, avec celui qui habitait près de nous, on ne se parlait plus depuis la grande dispute qu’on eut.
Je le regrette toujours. Pas seulement car il s’agissait d’une dispute totalement inutile, mais surtout par les graves implications qu’elle eut pour notre relation. Dès ce moment, ma femme ne me regarda plus pareil. Et je savais que j’avais raison et pas mon fils, mais elle, en tant que mère, ne comprenait pas mon manque de support au moment dont il en avait le plus besoin.
Pour moi, le plus difficile fut de la perdre. Je ne peut plus respirer quand ce moment traverse mon esprit. Après toutes ces années de vie en commun, y compris quand on se disputait, il existait un profond respect et un profond amour entre nous deux.
Les dernières années de sa vie, on dirait presque que nous étions séparés, à défaut de meilleur terme. On s’aimait, on se respectait, mais chacun faisait sa vie sans prévenir l’autre. Tout au contraire qu’au début de notre relation, quand nous voulions tout faire ensemble et partager autant de moments que possible.
C’était l’habitude, peut-être, mais on ne se voyait que pour prendre le petit-déjeuner et le dîner. Elle organisait des activités différentes chaque après-midi: elle voyait ses amies, ou visitait la famille, ou… Moi, d’autre part, j’adorais rester tranquillement à la maison entre mes annotations et mes calculs. Je ne me rendait même pas compte qu’elle était sortie mais… après son décès…
Tout était différent. J’avais maintenant beaucoup plus de temps pour moi, il n’y avait personne pour me dire que je passais trop de temps à faire ceci ou cela, plus personne pour me rappeler que je devais arrêter et me reposer, plus personne… Tout ce que je croyais d’être si important et dont je consacrait la plupart du temps, n’avait plus de sens.
Petit à petit la maison devint un mausolée. Je ne sais pas pourquoi! Mais au cours des années, elle avait rempli chaque mur avec des photos de ses enfants et de ses grands-enfants. Ces photos que nous recevions de temps en temps quand il y avait un nouveau-né ou une certaine festivité.
Du coup, je ne reconnais plus les personnes dans les photos. Et pas à cause de ma presbytie! J’ai mes lunettes pour voir tout en détaille! Mais c’est que les têtes ne me disent plus rien.
Combien de fois je me suis arrêté sur un photo pour en parler avec ma femme du bonheur qu’ils montrent, de l’envie de les revoir bientôt… Maintenant, par contre, les photos sont là, figées dans le temps, comme si elles appartenaient à une autre vie dont je ne fait plus partie.
J’imagine pas mon passé sans elle. Chaque endroit que nous visitâmes, chaque fête à la quelle nous allâmes. Elle était là. Dans toutes ces photos, c’était nous deux. Mais en ce moment, sauf elle, j’ai du mal à reconnaître le reste… En outre, je n’ai plus personne à qui demander sur les photos ou à qui en parler.
Maintenant elles font partie du mur comme du papier peint. Je ne les regarde plus, car ce sont des inconnus qui, à un moment donné, partageaient ma vie. Néanmoins, aujourd’hui je n’ai plus le sentiment qu’ils soient éloignés parce que, de fait, je ne les ressens plus.
Quand je marche dans le couloir, il y a des fois que je regarde les photos. Je vois des endroits et des personnes complètement inconnues et c’est intéressant, à chaque fois je cherche de deviner qui sont ou ce qu’ils font, mais jamais je n’y arriveà me rappeler!
Parfois, la femme de ménage qui vient nettoyer un peu la maison me demandait à propos de mes grands-enfants et je lui montrais les photos. Mais je ne sais plus où se trouvent toutes ces photos ni le nombre de grands-enfants que j’ai.
Je n’ai même pas trop envie de parler, je n’ai rien à raconter, mes mémoires son douloureuses. Ce n’est pas que j’aie peu vécu ou que j’aie eu peu d’expériences, au contraire, mes les souvenirs les plus importants pour moi sont justement ceux de mes grands amours et, malheureusement, elles ne sont plus là.
Je me souviens de mon premier amour comme si c’était hier. Elle travaillait dans un relais routier à la sortie du village, à côté de la station-service.
Je mettais toujours le minimum d’essence nécessaire pour rouler et revenir le lendemain. De cette façon, j’avais une excuse pour entrer au bar prendre mon petit-déjeuner.
Au début je ne l’avais pas remarquée, elle venait d’arriver au village, ou peut-être elle était de passage. Son sourire doux et ses cheveux foncés et bouclés me rendirent dingue! Je ne savais pas si elle m’avait aussi repéré, habituée à écouter tout genre d’éloges des clients qui venaient prendre un verre. Mais apparemment mon insistance donna des résultats. Après quelques mois de passer par là-bas au quotidien, un jour me dit-elle:
–Voilà! Dites-moi, qu’est-ce que vous voulezen réalité ?
–Oh, aujourd’hui j’aimerais «Le Spécial Maison» ! Je répondis.
–Je le dis sérieusement! Nous avons plein de clients et vous êtes le seul à venir tous les jours, qu’il fasse froid ou chaud, même quand la station-service est fermée! Alors, qu’est-ce que vous voulez?
Étonné, je restai sans savoir quoi dire et, faisant de nécessité vertu j’arrivai à prononcer :
–Toi!
–Comment? demanda-t-elle stupéfiée.
– Si, pendant tous ces jours, toutes ces semaines et tous ces mois, c’est toi que j’ai voulu ! C’est pourquoi je viens te voir. Un jour sans toi c’est comme un jour sans soleil!
Elle s’enfuit en cuisine, désorientée par ces mots apparemment et, quelques instants plus tard, elle rentra et me dit:
– Je pars! C’est mon dernier jour de travail! J’étais là pour faire un peu d’argent avant de continuer mon parcours. Vous avez été très gentil pendant tout ce temps, merci beaucoup.
–Mais… Je viens de vous déclarer ma flamme.
–Je sais, c’était des très jolis mots, mais c’est trop tard. Si j’avais su avant, nous aurions pu profiter du temps, mais là… c’est trop tard – Ceci dit, elle fit demi-tour et continua à travailler.
Malgré l’aspect délicieux de tout ce que j’avais devant moi, je ne pouvais rien avaler. Je restai pendant cinq minutes de plus et je partis presque en courant. Je ne pouvait pas y croire! J’étais déjà habitué à la voir tous les jours, à voir son beau sourire et ses cheveux noirs et, là… elle m’abandonnait!
Je pensai à parler avec son patron pour lui dire d’augmenter son salaire. Je pensai même à payer la différence du salaire à son patron. Je pensai à parler avec elle pour lui demander de ne pas partir… Je pensai… Le lendemain, quand je rentrai au bar convaincu d’avoir subi un cauchemar, elle n’était pas là, ni le lendemain, ni le jour après celui-là… Au moment donné, je compris que je n’allais plus la revoir, je sus que mon grand amour était sorti de ma vie et jamais je ne rencontrerai personne comme elle, car elle était unique.
Ces souvenirs me font du mal… J’arrive toujours à me rappeler de ses cheveux et de son sourire, surtout de ses cheveux. Je les adorais, c’est comme si je la voyais en ce moment, comme si c’était hier qu’elle les repoussait de son visage quand cette petite mèche maligne lui échappait et elle la mettait avec ses doigts derrière l’oreille.
Bien qu’il s’agisse d’un amour sans retour, je ne l’ai jamais oublié. Elle fut mon premier amour.
Je n’ai aucune photo d’elle. J’en ai beaucoup par tout dans la maison, mais aucune de cette époque de ma vie.
Je n’ai non plus d’amis, de voisins ou de connaissances. Ils sont tous décédés ou partis dans des maisons de retraites.
Ce quartier n’est plus ce qu’il était auparavant. Maintenant, tout le monde est pressé, les gens ne tondent pas la pelouse le matin, ni ne jouent avec les enfants le week-end. Parfois, c’est bizarre d’être ici. Tout est tellement différent!
Je connais chaque maison, chaque arbre… mais les gens? Ils sont tous des complètes inconnus et je ne me sens pas à l’aise dans la rue malgré les sourires de toutes ces personnes qui me disent bonjour quand on se croise.
Les années passent et le temps laisse sa trace dans ma santé. Malheureusement, il est en train de m’enlever ce que j’avais de plus précieux: ma mémoire. Le reste, toutes mes possessions, je m’enfiche si elles sont couvertes en poussière! Mais pas mes souvenirs qui se dissipent lentement comme le brouillard du matin, pas toutes mes expériences, l’une après l’autre.
Quelqu’un me recommanda un jour d’écrire un livre, à mon âge! Ben oui, car c’est du gâteau, quoi! D’autres, aussi, me proposèrent de faire un documentaire de ma vie, mais je ne vois pas trop l’idée.
Je pourrais raconter tellement d’histoires, mais je n’ai pas la force de m’en souvenir, et encore moins devant les caméras avec tous ces inconnus qui m’écouteraient.
A chaque fois que je me rappelle d’un événement je ressens l’enthousiasme de vivre à nouveau ce moment-là mais après, quand tout est fini et je me rends compte qu’il ne s’agissait que d’une mémoire, une profonde tristesse m’envahit et je vois que c’est du passé, quelque chose qui fut relégué à un autre temps et qui est presque oublié.
Je ne sais pas pourquoi, je n’arrive pas à me rappeler de ce que je viens de manger, mais chaque jour je me souviens plus clairement de ma jeunesse et de mon enfance, des aventures vécues quand j’étais petit et des meilleurs moments du lycée.
Il y a une telle quantité de personnes avec qui je parlai et partageai des moments, tant de personnes que j’aimai et qui m’aimèrent. Ma famille, mes copains et mes connaissances qui partagèrent avec moi son affection et sa chaleur. Où se trouvent-ils maintenant?
J’imagine qu’ils auront vécu leur propre vie, qu’ils seront en train de profiter de ses enfants ou même de ses grands-enfants, là où ils se trouvent. J’ai tellement besoin de ne pas être seul!
Le pire est la nuit. Au moment d’aller me coucher tous ces souvenirs m’envahissent, toutes ces expériences vécues à la maison, les expériences d’un vieil homme, on dirait! Une énorme quantité de moments qui eurent lieu jour après jour, tout au long de ma vie! Je me mets à y réfléchir, une idée entraîne une autre en me troublant le sommeil pendant des heures jusqu’à ce que je suis épuisé et je tombe raide mort.
D’autres fois, je n’arrive pas à dormir à cause des maux de mon âges. Quand ce n’est pas l’un, c’est l’autre! Si je ne bouge pas pendant quelques minutes, j’ai mal au genou, ou j’ai mal au dos… Et ça continue jusqu’à ce que je m’endors.
Mais, bien entendu, mon réveil continue à sonner à six heures du matin, comme toujours depuis mes débuts au travail, quand j’étais beaucoup plus jeune.
D’après ma chère épouse, l’une des « manies » que je n’abandonnai jamais, y compris après prendre ma retraite et me libérer de mes obligations, c’est me lever avant l’aube.
Il s’agit probablement de la force de l’habitude ou, peut-être, c’est justement que j’aime bien planifier le matin. En tout cas, bien qu’elle essaya toujours de me convaincre, et avec ou sans soleil, je continuai à me lever à la même heure.
Tous les jours, immédiatement après me lever, je cherchais un endroit ouvert pour faire mes exercices, mes étirements et travailler un peu ma flexibilité. Juste pour m’étirer un peu avant de me laver le visage à l’eau froide.
« Le secret pour avoir une peau sans rides c’est l’eau froide tous les matins!» C’est ce que j’avais entendu dire à un acteur très âgé qui se vantait d’avoir la peau lisse.
A mon âge, je ne le fais pas pour des raisons d’esthétique ou pour ma peau, mais tout simplement pour m’éveiller. J’en avait vraiment besoin avant, quand je devais me préparer pour aller au travail et commencer la journée, mais là… Parfois je regards ma tête devant le miroir du lavabo et je me demande, «qu’est-ce que je fais maintenant?»
Je me lave encore le visage ayant l’espoir de trouver quelque chose à faire, mais rien… Je regarde ce miroir qui me renvoie une tête presque inconnue, des rides qui n’étaient pas là et qui couvrent totalement mon visage maintenant. Je vois aussi les mains…
Je ne suis pas sûr du sentiment que les autres ressentiront à l’heure de vieillir, mais pour moi cela n’a pas été agréable. Voir mes rêves et mes espoirs fondre dans le temps.
J’ai beaucoup accompli dans ma vie, mais ça sert à quoi? Qui va se rappeler de moi, de mon travail, de mes efforts? A quoi sert tout ce temps, ces milliers d’heures consacrées?
Peut-être au moment donné il y aura quelqu’un qui pourra se souvenir de moi, c’est vrai. Mais au-delà de ma famille ou de quelques amis, personne n’a montré aucun intérêt à ce que j’ai fait.
Oui, je sais, il y en a pire! Ma vie fut assez bonne, je travaillai toujours en ce que je voulais, mais en ce moment il n’y a que les souvenirs qui restent… et parfois même pas.
Il y avait des fois dont je me rendais au bureau juste pour regarder les centaines de vieux dossiers remplis de documents. Je m’asseyais, j’ouvrais l’un des dossiers et je le révisais afin d’évoquer les projets passés.
Tant de notes écrites avec du vrai enthousiasme… Je pensais que tout cela pourrait justement «faire la différence», comme le disent les jeunes d’aujourd’hui. Cependant, tout tomba dans l’oubli.
Les années s’écoulèrent et le sentiment de fierté que je ressentais au début devint une étrange sensation de curiosité. Je regardais les piles de dossiers sans savoir ce qu’ils contenaient ou quels sujets se traitaient dedans. Je les ouvrais pour découvrir sur quels sujets ils portaient et l’angoisse me prenait totalement. Bien sûr, ces documents étaient à moi, mais quand est-ce que je les avais écrits? Quand s’était tout passé?
Je reconnaissais mon écriture, au moins j’en étais sûr de quelque chose. Et elle était présente par tout dans les centaines de cahiers et de rapports distribués par la chambre, mais je ne reconnaissais à peine d’autres détails du temps investi dans ce travail.
C’était là que je commençai à me rendre compte de ce qui se passait. Je étais en train de perdre ma bonne mémoire et je n’arrivais même pas à identifier ce que j’écrivis un jour.
Mes papiers ne m’appartenaient plus, c’étaient des documents d’un inconnu qui écrivait comme moi. J’étais incapable de trouver du sens entre tous ces dossier.
Souvent, cela me rendait tellement furieux que je jetais tout par terre…. J’essayais de l’éviter mais… je ressentais une exaspération si profonde que j’arrivais à penser que ma vie n’avait à rien servi.
Plus tard, quand j’étais plus calme, je rangeais chaque document et, sans savoir pourquoi, je cherchais de les mettre à sa place, mais je ne me souvenais pas des contenus. Je ne pouvait que les classer par la date écrite à droite, dans la partie haute du manuscrit et, bien qu’il s’agisse d’une tâche extrêmement fatigante, je ne m’arrêtait pas jusqu’à ce que le puzzle soit résolu. Bien entendu, je n’arrivais non plus à respecter complètement l’ordre chronologique, mais au moins je réussissais à les classer par années.
De temps en temps, je m’assois devant la télé, allumée ou éteinte, et j’essaie de me rappeler de certains moments passés. Des moments où on ne racontait pas les vrais évènements au grand public pour éviter une alarme sociale, et j’imagine leur vie, à l’écart du péril qui les menaçait.
Ils étaient tous trop occupés pour se rendre compte du travail derrière son bien-être.
Je me souviens toujours de la première fois que j’entendis parler à ce propos. J’ai un don pour les nombres qui m’a toujours permis de me démarquer du reste, mais pendant mon service militaire, à un moment où personne ne le réaliserait, mon capitaine se rendit compte et m’offrit une promotion.
Je lui serai toujours reconnaissant de cette décision, car c’est lui qui m’offrit l’opportunité de rendre un grand service à ma nation et de sauver des nombreuses vies d’une mort certainement douloureuse.
–Vous avez un don! me dit le capitaine ce jour-là.
–Plutôt qu’un don, je pense qu’il s’agit d’un cadeau, répondis-je.
–Un cadeau? Il me demanda surpris.
–Oui, un cadeau du Créateur.
Le capitaine réfléchit, confus, pendant quelques instant et me dit:
– Ben, quoi qu’il en soit! Vous ferez un meilleur service en Pennsylvanie. Là-bas vous serez instruit pour des grandes choses.
–Mais… qu’est-ce que je vais dire à mes parents? Je répondis étonné et confus par ses mots.
–Ne vous inquiétez pas! L’armée s’en occupera de votre famille pendant que vous serez loin. Ce n’est pas ce que vous vouliez?
–Si, en effet, nous venons d’arriver ici et c’est une nouvelle langue pour eux. Nous avons quelques amis qui nous aident autant qu’ils peuvent, mais ils n’ont pas encore trouvé un travail.
–Pas de souci! Ils recevront la paie chaque mois ponctuellement! Mais vous devez aussi vous acquitter de vos obligations.
–Bien sûr, je ferai mon mieux! Je ne vous décevrai pas! Par contre, pourquoi la Pennsylvanie?
– Vous le saurez au moment donné. Je peux seulement vous dire: Allez faire que vos parents soient fiersde vous!
Celles-là furent les derniers mots – ou ordres, je ne suis pas très sûr!– qu’il me donna, puisque le lendemain deux soldats arrivèrent dans ma baraque pendant que je dormais entouré du reste du peloton, et me firent sortir de la base ou je passais mon instruction, pour m’emmener vers un avenir incertain.
Mais comment c’est bizarre! Je peux presque mâcher le sable levé par le jeep tout au long du chemin qui nous menait à la nouvelle base militaire.
C’était un jour particulièrement chaud, mais cela ne pourrait jamais dissiper l’émotion de découvrir finalement comment je pourrais utiliser mon don.
Après trois ans d’entraînement, je suis convaincu que je devais le savoir, mais l’écoulement du temps efface tout ce qu’il veut sans nous prévenir.
Quoique les noms les plus familiers soient disparus de ma mémoire, il y a longtemps j’élaborai une méthode par laquelle je notai tous les noms, les dates et les évènements importants dans ma vie et, de temps en temps, je prends une feuille blanche et j’essaie d’écrire une liste avec tout ce dont je me rappelle encore.
C’était un jeu d’enfants! Au moins au début… Comment allais-je oublier le nom de mes grands-enfants? Ou la date de mon mariage! Mais au fil du temps, dans mon désespoir, cette feuille que j’essayais de remplir restait de plus en plus vide, jusqu’au jour où j’oubliai même où je l’avais mis et, avec elle, j’oubliai toutes les dates, les noms et les évènements dont je croyais impossibles d’oublier.
Je me rappelle du jour où on acheta le grille-pain qui est en cuisine. On s’était beaucoup disputé à cause de la couleur. Elle préférait le jaune citron et moi, l’argenté.
A la fin c’est moi qui cédai, comme toujours. Mais c’est normal car dans toutes nos disputes –pour les appeler ainsi– étaient causées par des questions sans importance, alors pourquoi pas céder? Peu importait la couleur du grille-pain!
Elle se sentait à l’aise comme ça, quand elle organisait tout à sa façon. Je n’étais pas du tout convaincu par ces couleurs criards, mais elle disait toujours «Ça va beaucoup égayer l’atmosphère!»
Maintenant, par contre, je ne me souviens plus du moment ou il tomba en panne… comment s’était-il cassé? Ou pourquoi je ne l’utilise plus? Peu importe, ce n’est que des bricoles! Comme toutes les autres que je retrouve par tout dans la maison. Je ne sais même pas à quoi servent…
Quand j’ouvre les tiroirs je trouve vraiment tout genre de trucs, des casseroles ici, des outils de travail par là, des boîtes vides dans l’autre… Mais quel entassement de trucs inutiles!
Dans l’un des tiroirs je trouvai une boîte à outils qui m’appartenait, à moi, qui jamais ne touchai une ampoule! Qu’est-ce que j’allais faire en ce moment avec cela? Après quelques instants d’y réfléchir et d’essayer de me rappeler si on l’avait jamais utilisée, tout simplement je fermai le tiroir.
Elle me manque tellement, ma femme! Si au moins je savais où elle est… Au ciel, bien entendu! Mais comment c’est loin, le ciel!
Il est tout à fait clair qu’elle est l’une des personnes qui méritent vraiment se reposer. Elle était toujours prête à aider tout le monde dans tout ce qu’il fallait, sans la moindre lamentation et toujours avec un sourire.
En fait, elle ne se plaignait jamais du temps qu’elle passait toute seule lorsque j’étais coincé au bureau ou quand je partais en voyage de travail pendant des semaines.
A mon retour, elle m’attendait avec son grand sourire et, bien qu’elle savait que je ne pouvais rien lui raconter, elle me demandait avec sa voix chaude comment s’était tout passé.
Parfois, lorsque je me lève et après m’avoir lavé et avoir fait mes exercices, je m’assieds à table dans la salle à manger et j’attends… et j’attends… et à peine je me rends compte qu’elle n’est pas là pour m’apporter le petit déjeuner, une peine insupportable m’arrive et je n’ai plus envie d’aller le préparer.
D’ailleurs je n’aimai jamais trop être en cuisine. Je n’aime pas cuisiner. Seul quand il le fallait je donnais un coup de main et je faisais mon mieux, par exemple, pendant ces fête où il y avait plein de monde et ma femme ne pouvait pas s’en sortir.
Je préférais mettre la table et m’occuper de la vaisselle après manger, ou aller faire les courses s’il le fallait, mais rien d’autre.
En échange, dès qu’elle était partie et même si je traitais par tous les moyens de ne pas entrer dans «son territoire», j’avais l’impression de passer tout mon temps là-bas maintenant.
C’est vrai que je n’avais pas réalisé du travail qu’entraînait la cuisine, toute ces heures qu’il faut investir et, en plus, sachant qu’elle ne touchera plus ces objets qui ne l’appartenaient qu’à elle.
Beaucoup d’autres fois, je restais tout simplement en silence… en attendant d’entendre du bruit ou des rumeurs en cuisine comme ceux qu’elle faisait pendant qu’elle préparait à manger le soir, ou l’écouter chanter pendant qu’elle arrosait les plantes… mais qu’est-ce que je fais là? Je ne sais pas, mais elle me manque trop, ça c’est sûr!
Après prendre ma retraite, je restai en contact avec mes anciens collègues parce que je voulais me tenir à la page sur tout ce qui échappait à mon contrôle, mais en dépit des efforts et des heures passées à étudier tout au long de ma vie, on dirait que le temps ne s’apitoya pas de moi.
En réalité la liste de personnes avec qui je parle est de plus en plus petite, car certaines sont parties loin et d’autres, simplement, ne veulent rien entendre à propos des affaires du gouvernement.
Il y a aussi d’autres qui ne sont plus dans ce monde, et je remercie la vie de m’avoir offert un autre jour, mais il fait longtemps que je ne tiens plus les comptes des jours. D’ailleurs si je ne portais pas mon bloc-notes avec moi tout le temps, je ne connaîtrais même pas le jour de mon anniversaire.
J’écrivis les données les plus importants de ma vie dans ce petit cahier: mon nom, mon adresse, ma date de naissance, mes commissions à faire pendant la journée, les personnes à appeler si j’ai besoin de quelque chose…
Curieusement, cette dernière liste est de plus en plus réduite, certains numéros sont déjà barrés. J’imagine qu’ils auront changé de numéro ou qu’ils seront décédés…
Mes mémoires! Combien de fois m’auront-ils proposé de les écrire pour signaler ce que je vécus, pour raconter mon histoire aux générations à venir et qu’elles puisent tirer leurs propres conclusions. Bien entendu je ne pouvais pas le faire! Je signai une foule de contrats et de politiques de confidentialité dans lesquelles je prêtais serment de silence absolu sur tous les aspects de mon travail.
Si je révélais l’un seul des secrets militaires dont j’avais connaissance, ce serait comme signer mon arrêt de mort.
Je sais, cela peut sembler un peut radicale, mais il s’agit tout à fait de la vérité. J’avais déjà vu tous ces enthousiastes qui voulaient se lever, faire entendre sa voix et crier les secrets du gouvernement sur tous les toits. Je vis même des journalistes qui étaient prêts à tout publier à l’une des journaux… Après, ils disparurent tous du jour au lendemain, aussi simple que cela.
Parfois dans des accidents de voiture ou au baignoire à la maison… Bien sûr, il s’agissait toujours des «raisons officielles» des disparitions, deux ou trois jours avant la publication des informations afin d’enlever ces personnes de sa place.
C’est quelque chose qu’on apprit dès le premier jour: On ne plaisante pas avec le gouvernement! Ils sont au courant de tout ce qu’il se passe et les fuites son absolument interdites. Même quand il y en a certaines, c’est par sa main, parce que rien ne touche la surface sans être autorisé. Pendant tout ce temps, je ne pus que fermer la bouche et détourner le regard, faire comme si tout se passait normalement, comme si l’on n’avait pas d’autres choix pour notre société, quand ce n’est pas le cas.
Je essayai de compiler mes propres documents pour tenir des registres d’activité, mais il ne fut jamais possible. Le moment que j’abandonnai l’armée, comme par hasard, ils confisquai tous mes effets et je n’eus droit qu’à prendre mes habits. Après tous les informations que j’avais recueilli et dans ma position, avec une maison propre dès que j’arrivai dans l’armée, maintenant je n’avais qu’une petite valise et le numéro de compte où je recevrais ma retraite pour le reste de ma vie.
Après cela, je passai des mois dans mon bureau en cherchant à me rappeler de tout ce savoir, de toutes les données et tentant de les enregistrer pour créer mes propres archives, une tâche exténuante qui me donna le seul résultat d’avoir un bureau enterré sous les dossiers et pour rien… Lorsque j’entrais dans cette chambre je me sentais fier de mon travail, d’être capable de recueillir un telle quantité d’informations et de la classifier, mais à ce moment, je ne vois que des piliers de dossier. Après lire le titre écrit sûr chaque dossier je pense qu’il doit porter sur quelque chose d’important, mais ça fait longtemps que je perdis toute curiosité à ces propos.
Je dirais qu’il ne s’agit que de vieux documents et de situations passées dont tout le monde s’enfiche, des secrets du gouvernement qui tombèrent dans l’oubli. L’énorme quantité de vies qui ne sauront jamais qu’elles furent sauvées, tout le travail pour y réussir et toutes les situations qui pourraient être passées et dont le monde ne connaît rien.
« Un changement dans l’histoire » c’est les mots du commandant qui nous donna notre première mission. Je venais de finir mon instruction après un entraînement impitoyable et, contrairement à ce que j’avais imaginé, il ne s’agissait pas d’une activité physique, mais intellectuelle. Dès le premier jour, je devais assister au cours de langues et de mathématiques et, peu après, je commençai mes cours particuliers dans un domaine dont je n’avais jamais entendu parler: la cryptographie.
C’est un art, pour ainsi dire, c’est la capacité de cacher des messages à la vue comme déjà le faisaient les anciens grecs et qui consiste à faire des variations sur un texte, bien dans la position des lettre ou dans une lettre en particulier, pour envoyer un message et que personne d’autre que le destinataire puisse le déchiffrer sans le code.
La machine Enigma était tout ce que nous étudiions pendant toutes nos leçons parce qu’elle était le sommet du développement mathématique pour la codification de messages. Au début, je la trouvais un peu trop compliqué, mais après recevoir les explications des processus mathématiques simples et reliés, tout devint beaucoup plus facile à comprendre. Il faut seulement rendre un message difficile à lire, au moins pour les ennemis, parce que pour le destinataire le message devrait être simple et très clair. Je lis autant de messages codifiés que parfois je me voyais dans mes rêves à les déchiffrer. Les nombres et les secrets, qui pourrait penser qu’il existait une relation si étroite entre eux?
Lorsque je commençai mon travail, je me sentais si enthousiaste que j’essayai de créer mes propres codes de décryptage. En même temps que nous déchiffrions des messages qu’on avait capté, on nous demandait aussi de créer des nouveaux systèmes. Au début ces messages étaient seulement un test et ils contenaient des phrases du genre « Très bien! » ou « Tu as beaucoup amélioré! » , mais plus tard, nous commençâmes a décoder des vrais messages utilisés auparavant pour communiquer une position ou le nom d’une base militaire ou d’une mission.
Ensuite nous commençâmes à travailler avec des messages de «nos ennemis » , comme on les appelait, même si nous ne savions pas qui les envoyait. Il s’agissait des messages captés que nous devions déchiffrer sans la moindre possibilité d’erreur. Voilà pourquoi les langues étaient si importantes. A différence du reste des messages, ceux-ci n’étaient pas écrits en anglais, alors la première chose à faire était d’identifier la langue d’origine pour pouvoir décrypter le message après.
Quelques langues étaient assez faciles à identifier, comme le français ou l’allemand, parce qu’ils ont des accents très caractéristiques qui permettent de les reconnaître toute de suite, mais il y en avait d’autres, comme celles de l’Est de l’Europe, qui étaient vraiment compliquées à identifier. Même si nous arrivions à identifier les origines régionales, l’influence du russe rendait la différence entre les caractères bien plus dure pour découvrir à quel pays du Rideau de Fer nous devions faire face.
Apparemment nos ennemis avait les mêmes ordres que nous de tout compliquer au maximum. Si nous arrivions à déchiffrer un code, le suivant était toujours beaucoup plus compliqué en termes mathématiques. Cependant, tous nos efforts valait bien la peine puisque arrivions à arrêter des espions, à capter des transactions qui portaient sur des données volées ou même à empêcher certaines attaques à petite échelle. Mais ce n’était que des vétilles dans notre registre des succès.
Au fur et à mesure que nous avançâmes dans notre travail, le nombre descendait parce que nous étions affectés dans d’autres villes du pays en tant que spécialistes d’intelligence pour collaborer avec les différentes agences du gouvernement. Bien que nous nous ayons écrit souvent pour partager notre progrès, le travail devint davantage solitaire, ou plutôt, plus numérique dès que les machines du début devinrent des ordinateurs d’une importance vitale pour notre travail.
Il ne fallait plus réaliser des grands calculs pour trouver les valeurs de remplacement, il suffisait d’introduire les paramètres dans la machine pour qu’elles aient fait le travail pour nous. Bien sûr, c’était essentiel d’introduire les paramètres corrects pour avoir un bon fonctionnement des machines et c’était là que notre travail devenait plus dangereux. Dans d’autres métiers cela ne supposait que le retard dans la sortie d’un avion, ou la perte d’un courrier, mais dans le notre cela posait le problème de perdre l’avantage sur nos ennemis et l’opportunité de savoir ce qu’ils pensaient ou comment ils allaient agir.
Évidemment on comptait sur l’ignorance de la population. C’est vrai que les médias parlaient de la tension entre les nations et qu’il y avait des personnes qui étaient conscientes des politiques développées de l’autre côté du Rideau de Fer, mais personne ne connaissait la guerre d’intelligence qu’on menait chaque jour.
Au début les tâches étaient assez simples: bien nous traduisions les messages, ou bien nous ne les traduisions pas. C’est à dire, lorsque nous traduisions un message, il acquérait une signification spécifique et nous arrivions à le lire mais, si nous n’avions pas le code, c’était impossible de connaître le vrai contenu du message, alors il fallait recommencer à essayer tous les codes jusqu’à trouver du sens.
« A 11h à l’ambassade », « Sous la sculpture de… », « On est toujours dans le sud, près des frontières… »
Parfois il s’agissait tout simplement de petits fragments de texte, de petites instructions très spécifiques adressées à quelqu’un qui devait agir et, dans la plupart de cas, nous ne savions pas qu’est-ce qu’ils voulaient vraiment dire. Notre mission portait seulement sur la traduction des messages. Ensuite, c’était l’armée qui prenait les mesures pertinentes après connaître l’émetteur et le contenu du message, et ce n’était pas à nous de juger leurs décisions.
Les situations les plus difficiles arrivaient quand un message pourrait avoir plusieurs significations et il nous pris du temps de nous rendre compte parce que nous suivions toujours la même stratégie: décoder et envoyer. La hiérarchie militaire commença à se plaindre et à nous dire à chaque fois que « nous n’avions pas mis dans le mille ». Nous n’arrivions pas à comprendre ce qui se passait. Nous avions déchiffré et trouvé le message comme toujours: « Derrière le troisième arbre », « A 11h dans notre endroit ».
Les contenus étaient les mêmes de tous les jours et nous avions bien fait le décryptage, mais nos patrons n’étaient pas contents. C’est la vie, parfois on pense que nous sommes en train de faire notre mieux et que cela suffira et, tout d’un coup, la situation change du jour au lendemain.
Je me souviens encore de mon déplacement en Espagne. Je connaissais la langue et quelques traditions de la population, mais guère davantage. J’avais toujours pensé que si jamais ils me faisaient changer de poste, ils m’auraient envoyé à Washington, ou s’il s’agissait de l’étranger je pourrais être réassigné à Londres ou à Paris, mais Madrid? Qu’est-ce que j’allais faire à Madrid? C’est décision ne faisait qu’élargir ma curiosité pour découvrir ce que j’allais faire en tant que mathématicien spécialisé en cryptage et décryptage de messages.
J’essayais de travailler tout ce que je pouvait, faisant de mon mieux, mais les chefs continuaient à rejeter mes résultats. Ce n’était pas que j’échouais ou que je ne travaillais pas bien, mais ils me disaient qu’ils étaient arrivés au moment indiqué ou à l’endroit établi, et qu’il n’y avait personne, pas d’espions et pas de troupes. J’étais étonné et la pression augmentait à chaque fois.
Ah, l’Espagne! Quel pays! Il changea complètement ma façon de vivre. Au début je ne parlais avec personne et à peine je ne sortais de l’ambassade, qui était ma zone de confort. Lorsque je ne connaissais personne, je préférais d’y rester et de lire quelque chose. Cependant, peu après, les autres employées commencèrent à m’inviter à des fêtes et je ne pouvais pas dire non parce que je faisais partie du personnel.
Je n’adorais pas les fêtes, et encore moins le bruit des espagnols avec ces chants et ses danses que je ne comprenais pas et qui me semblaient si bizarres. J’essayais de comprendre les paroles pendant que je voyais tous ces mouvements des danseuses, mais je n’arrivais pas à trouver du sens à tout cela. Quelques mois après mon arrivée, je reçus l’ordre de me présenter auprès du commandement, une institution militaire espagnole. Je ne savais pas ce qu’ils voulaient, mais comme on le sait déjà, il faut toujours suivre les ordres sans y réfléchir!
Dès le moment que je mis les pieds dedans, je fus arrêté, ils confisquèrent toutes mes affaires et me laissèrent dans une cellule pendant des heures.
–Vous avez choisi le pire des moments pour sortir de votre ambassade! Me dit le capitaine, la première personne avec qui je pus parler.
–Excusez-moi? Je demandai étonné.
–Votre pays se trouve en état de guerre! Il me dit.
–En état de guerre? Mais qu’est-ce que vous dites? J’étais complètement surpris et je pensais de mal comprendre.
–Et en tant que militaire, vous êtes interdit de sortir dans la rue! Continua-t-il.
–Mais je n’étais pas dans la rue… je venais vers cet endroit.
–Quoi qu’il en soit, vous êtes un envahisseur de notre pays et, par conséquent, vous êtes arrêté.
–Moi, un envahisseur?! Avec mon cartable et mon chapeau? Je ne comprenais rien de tout ce qu’il se passait. Je pensais que je ne comprenais pas correctement les mots que j’entendais même si j’avais déjà mis la langue à l’épreuve dans plusieurs occasions.
–Ça suffit de plaisanter! Tout le monde est suspect jusqu’à preuve du contraire. Vous êtes en attente de passer devant la cour martiale.
–Mais de quoi vous en parlez? J’avais reçu l’ordre de me présenter ici au commandement.
–Reçu? Qui vous a envoyé ces ordres? Demanda-t-il très sérieux.
–Mm… Les ordres venaient de Washington.
–Montrez-les-moi! Il m’exigea avec impatience.
–Je ne les ai pas sur moi! Je suivais seulement ce qu’ils m’ont demandé, ils ne m’ont jamais dit que je devais apporter des documents.
–Ouais… pareil que les autres! Vous ne savez jamais ce que vous faites, vous ne suivez que des ordres! Vous n’êtes pas le premier espion que nous avons mis derrière les barreaux.
–Un espion? Je demandai encore stupéfié. Il venait de m’appeler «un espion», je ne pouvais pas y croire, il s’agissait vraiment d’un malentendu !
–Mais bien sûr! Ou pensez-vous qu’on vient de vous enfermer pour admirer la beauté de l’intérieur de nos bâtiments? Vous allez rester ici jusqu’au moment où notre gouvernement aura pris une décision. Priez pour que votre gouvernement veuille bien collaborer avec nous, sinon…
–Sinon…? Je demandai effrayé para la gravité de ses mots et ses intentions de me laisser là-bas.
–D’autres personnes comme vous ont passé du temps dans cette même cellule. Pas tous sont rentrés à la maison… il y en avait certains que nous avons pu utiliser comme monnaie d’échange, mais d’autres…
Je reconnaît d’être très effrayé à l’époque, mais parlons des monnaies, qu’est-ce que j’ai fait avec les miennes? Je dois passer acheter une baguette et je ne sais plus ce que j’ai fait avec mon argent. Il ne doit pas être trop loin… peut-être en cuisine? Normalement, on met le pain en cuisine.
Après avoir regardé partout dans la maison et après avoir levé tous les objets et avoir regardé dans tous les tiroirs, je me suis dit: «Il sera donc sur la table de la salle à manger, parce que c’est là-bas qu’on mange le pain. » J’entrai dans la salle à manger et je cherchai partout encore une fois. J’était un peu frustré, mais je pensai que ce n’était pas important et je m’assis sur mon fauteuil à côté de la porte vitrée pour regarder le jardin.
Combien de fois j’aurai pas mangé parce que j’ai oublié où j’avais mis mon argent, et c’est vrai que je le notais toujours sur mon petit cahier, celui que je portais tout le temps avec moi, mais souvent j’oublié aussi de le regarder.
Ce problème de mémoire ne fait qu’empirer… et c’est à moi! Moi, qui avais cette merveilleuse mémoire par images et qui étais capable de voir un message qu’une seule fois et de le retenir et le traduire plus vite qu’un ordinateur. Ma mémoire, qui m’avait permis d’enregistrer chaque rapport après toutes ces années de travail pour créer mon propre casier personnel.
Ma mémoire, s’il existe quelque chose dont je pouvais me vanter c’est d’avoir une très bonne mémoire, travaillé tous les jours à travers la lecture et les études parce que, bien qu’on se rend pas compte, les langues ont besoin d’un entraînement continue pour ne pas les perdre.
Elle est énorme, la quantité de temps que j’ai investi à l’étude des langues que je connais, ou que je connaissais, est-ce que je les connais encore? De toute façon, les langues sont une des choses que, curieusement, je comprends encore. Quand je regarde les chaînes internationales à la télé je suis les émissions sans problème! C’est justement ce qu’on dit du vélo, peu importe le temps qu’on passe sans s’entraîner, on ne l’oublie jamais.
En plus, les langues m’ont beaucoup aidé à évoluer professionnellement et a découvrir, même si cela peut sembler bizarre, plus de secrets que beaucoup de présidents, parce qu’ils ne voulaient que de résultats et c’était nous, en fait, qui savions ce qu’il fallait faire à chaque fois.
Mon travail en tant que mathématicien évolua au cours du temps. Je passai de traduire les messages des autres à créer des modèles de cryptage pour les miens. Il ne s’agissait plus de chiffrer deux ou trois mots pour les agents, mais d’obtenir une sécurité maximale pour tous les documents du gouvernement, de façon que si une filtration avait lieu, la lecture du document dérobé devait être impossible pour nos ennemis.
C’est comme ça que j’arrivai au département d’intelligence. Je ne m’y attendais pas. Il est vrai que je travaillais avant pour un bureau qui leur appartenait, mais maintenant je commençai à apprendre tous les secrets. Pour tous ces affaires que le gouvernement veut cacher ou essaie de dénier, c’était moi le premier à les lire et à les codifier. Un système à l’intérieur du propre système, une codification exclusive pour les documents et les messages «ultrasecrets», comme on aimait les appeler. Ces messages devaient être absolument illisibles, ce qui rendait le travail exténuant et beaucoup plus exigeant.
Il ne s’agissait plus de trouver des positions des ennemis, ou des avancées ou de trouver leurs agents de terrain. Maintenant il s’agissait des données les plus intimes et des détails les plus tactiques à propos des personnes les plus importantes du régime ennemi, à propos de ses membres de la famille, de ses amants ou de ses maîtresses… c’était une immense quantité d’informations essentielles que personne ne devait avoir dans ses mains sans autorisation.
Au début, cela n’était que des curiosités, comme ses magazines qui racontent des potins sur la vie des autres, mais petit à petit je commençai à m’intéresser à ces affaires. Pas à cause des personnes ou de leurs rapports, mais à cause des sujets qu’ils cachaient au public. Et oui, il était clair comme de l’eau de roche que je ne pourrais jamais parler à ces propos, parce que je risquais ma vie.
Il ne me traversa jamais l’esprit de raconter quelque chose à propos de ces documents, même en dépit de la gravité des événements où après, quand je regardais le journal télévisé, j’écoutais des absurdités et des excuses telles que: un accident chimique, un incendie qui apparaît sans cause spécifique, un avion qui tombe sans une explication raisonnable…
Cependant, les gens restaient tous tranquilles avec ce genre de justifications, s’ils y réfléchissaient un peu, ils se rendraient compte que cela n’était pas des nouvelles informations, mais plutôt d’une désinformation à l’échelle nationale. On inventait tellement d’histoires rocambolesques pour cacher les opérations du gouvernement ou des attaques ratées, mais s’il les arrivait quelquefois d’y penser, les gens comprendraient comment tout était bizarre.
Peut-être ils préfèrent seulement fermer les yeux et ne pas poser d’autres questions pour se sentir plus à l’aise et en sécurité, parfois j’entendais parler du bonheur de l’ignorance pour faire référence à ces personnes qui ne connaissent pas ce qui se passe autour d’elles, et ce fait leur donne une fausse sensation de bonheur.
Il y eût des centaines d’interventions dans le territoire américain qui sont fini de la même façon: cible neutralisé.
Au début je ne savais pas ce que cette expression voulait dire, mais après je vis que c’était évident que «neutralisé» voulait dire «éliminé», parce qu’une fois qu’on voyait ces mots dans un rapport, il n’y avait plus de nouvelles de cet agent. On classifiait tous les espions et on recevait des rapport périodiques à propos de leurs activités, les personnes avec qui ils parlaient, etc., jusqu’au moment où ils étaient neutralisés. Ensuite, plus rien.
Parfois, lorsque je reçois le journal sur mon porche, je me demande si tout ce que je lis sera la vérité. Il y a des nouvelles qui semblent absolument fausses, comme si c’était la faute au gouvernement. Même s’il fait quelque temps que je pris ma retraite, j’en suis sûr que le gouvernement aura continué à travailler au bénéfice de la patrie, ou comme mon supérieur de l’académie aimait nous dire: «La liberté n’est pas un cadeau qu’on reçoit de plein droit, il faut la prendre par la force».
Au moment de ma retraite, je découpais les nouvelles les plus bêtes des journaux (une plateforme pétrolière qui avait coulé à cause d’un tsunami, une explosion de gaz dans une région de l’Alaska…), tous ces informations sans rapports évidents, qui ne faisaient pas de sens, et j’essayais de deviner la vérité des événements. Lorsque je travaillait, je ne devais pas jouer au devinettes parce que je connaissais les faits, qui avait fait telle ou telle chose, combien de morts il y avait et comment nous allions tout justifier. Bien que les informations publiées aient été complètement absurdes, personne ne se posait de questions, même pas les familles des victimes, qui respiraient tranquilles avec les versions officielles, sans plus y réfléchir.
Quelques mois après, j’avais déjà une telle quantité de coupures et une idée si lointaine de ce qui se passait en réalité, que je décidai d’abandonner le travail. Il était impossible d’apprendre la vérité et de savoir si ces nouvelles étaient reliées en quelque sorte. En échange, quand je lis maintenant les journaux et je me croise avec l’une des nouvelles absurdes, je souris et je pense: Qu’est-ce qu’ils auront fait cette fois-ci?
Je dois admettre que je trouvai quelques aspects un peu bizarre dans toute cette histoire des espions… Je comprends qu’il était nécessaire d’avoir nos ennemis sous notre contrôle, mais je pense que parfois les menaces n’étaient pas tout à fait réelles et, de fait, c’était notre gouvernement qui essayait de «faire monter la température» pour avoir une réaction de la part des ennemis.
Je ne vois pas trop le sens de perdre la paix et la stabilité d’une période de calme, mais apparemment quelqu’un dans la haute hiérarchie devait s’ennuyer et profitait du moment pour embêter les ennemis et leur faire réagir. Il y a plein d’histoires et beaucoup d’entre elles ne portent pas sur un heureux dénouement, voilà pourquoi je me pose des questions sur les vrais propos qui se cachent derrière. C’est clair que les commerçants d’armes sont toujours très intéressés aux guerres du gouvernement et à qu’il soit toujours vigilant, qu’elles soient peu importantes ou très graves. Néanmoins, de l’autre côté nous avions aussi tous les militaires, dont l’existence n’aurait pas de sens dans un pays pacifique, et tous les politiciens qui construisent leurs discours sur la base du patriotisme et sur la lutte contre les ennemis. Qu’est-ce qu’ils feraient sans guerres? Comment pourraient-ils justifier toutes leurs dépenses?
Tous avaient le même objectif: maintenir un haut niveau d’action et d’intervention contre les ennemis, même si les ennemis changent au cours des années. Les nations alliées devenaient des cibles stratégiques, d’autres ennemis apparaissaient et, paradoxalement, les ennemis typiques de toute une vie devenaient des alliés essentiels dans une région spécifique.
En dépit d’avoir toutes les informations, je n’arrivais pas à résoudre toute l’équation ni ne comprenais les mouvements impliqués. Beaucoup de détails m’échappaient même si j’avais plus d’informations que certains généraux du gouvernement.
Toutefois, si l’on regardait toute la situation comme un échiquier, mon rôle avait évolué d’un simple pion à devenir une tour qui protégeait les secrets du gouvernement loin des pièces centrales, celles qui prennent en réalité toutes les décisions. Ah! Maintenant que nous parlons des échecs, je ne sais pas comment je peux continuer à jouer tous les jours avec mon problème de mémoire.
Je fus obligé à apprendre à jouer. Au début il me semblait un peu particulier, mais il m’aidait beaucoup à maintenir l’agilité mentale et à travailler avec les mathématiques. Cependant, peu après je n’avais plus d’adversaires parce que le reste perdait tout le temps et ils ne voulaient plus jouer avec moi, alors je dus apprendre à jouer tout seul. Je me trouvais face à un échiquier complètement pour moi et cela posait le problème de connaître les stratégies de l’autre couleur quand je changeait de position et m’obligeait à chercher des nouvelles stratégies pour repousser mes propres attaques. Enfin, les parties pourraient être interminables et je pouvais passer des jour à essayer de gagner.
Désolé, allons aux faits. Il était davantage difficile de suivre les parties d’échecs avec mon problème de mémoire parce que, à chaque fois que je me levais pour faire un truc, j’oubliais la couleur avec laquelle j’étais en train de jouer. C’est pourquoi je commençai à écrire des notes du genre «C’est le tour des blanches» avant de me lever, mais après j’oubliais même d’écrire ces notes et quand je regardais l’échiquier pour deviner ce qu’il fallait faire après, il me semblait aussi très difficile de penser aux mouvements.
C’était si étrange! Je me vantais avant de pouvoir visualiser toute la partie avant de la commencer, j’étais même capable de pronostiquer le mouvement avec lequel j’allais gagner la partie et maintenant, par contre, je n’arrivais pas à me concentrer pour savoir quoi faire. Il est justement de cette manière que le jeu des échecs est devenu une autre des bricoles que j’ai à la maison et qui après être utiles pendant des années, maintenant elles ne servent qu’à décorer la maison. Plein de ses objets sont cachés dans des tiroirs pour déblayer le terrain, mais je ne sais plus qu’est-ce qu’il y a dedans. Parfois je passe mon temps à ouvrir les tiroirs pour voir ce que je peux trouver et c’est surprenant! J’ai l’impression de voir certains objets pour la première fois, mais il est impossible parce que s’ils sont là, c’est que je les ai mis dedans. De toute façon je n’arrive jamais à me souvenir du moment ou de l’endroit où je les ai achetés. Est-ce qu’ils étaient à moiou ils étaient à quelqu’un d’autre qui me les avait prêtés? Et à quoi sert ce truc-là?
Même les plantes dont ma femme s’occupait avec tout sa tendresse sont tombées dans l’oubli. Bien qu’elle m’ait répété à chaque fois «Arrose-les un peu avant la sieste et elles resteront toujours avec toi», je fus incapable de me souvenir de cette petite instruction et à la fin elles se desséchèrent. Parfois la femme de ménage m’apporte une petite nouvelle plante pour égayer la maison, selon elle, et souvent elle m’indique à quelle fréquence je dois les arroser, mais les pauvres ne survivent jamais.
Je pense que je suivis déjà assez d’ordres dans ma vie et que j’ai largement accompli mon devoir patriotique, pour ainsi dire. Heureusement, je n’eus jamais besoin d’utiliser les armes, mais je ne suis naïf non plus, je sais que toutes ces informations sauvèrent la vie de beaucoup de monde, mais qu’elles menèrent d’autres personnes (surtout des espions du camp opposé) à la mort.
Heureusement pour tout le monde, les mathématiques sont limités et bien que nous manquions pas de fantaisie, il y aura toujours au moins un élément qui pourra être utilisé pour déchiffrer nos message. Il faut seulement consacrer du temps et faire un effort.
En agissant de cette manière, nous étions toujours au courant des avancées des ennemis, même si dans beaucoup d’occasions c’était mieux de ne pas intervenir pour ne pas montrer que nous pouvions lire leurs messages. Plus tard tout devint plus compliqué.
Après la Seconde Guerre Mondiale, notre pays obtint un rôle essentiel, puisque nous ne protégions plus seulement nos frontières, mais la paix du monde, alors tout notre travail devint plus difficile et je fus envoyé en Europe, où nous avions tous nos intérêts politiques à ce moment-là.
La menace des Nazis avait mis en échec tous les systèmes d’intelligence européens, et notamment le notre en dépit d’être si loin, quelque chose que je n’arrivais pas à comprendre. A ce moment-là, personne ne croyait à ce que ce mouvement populaire entraînerait un véritable danger, ni ne pouvait imaginer tout ce qui viendrait après, une catastrophe qui ne doit plus se reproduire. C’est pourquoi je fus envoyé là-bas, pour apprendre tout genre de détails dans l’évolution des européens en matière de décryptage et, à ma grande surprise, dans les dernières années ils avaient fait pas mal d’avancées. Je pus aussi me rendre compte des importantes avancées technologiques qui ont lieu en temps de guerre, et je ne parle pas seulement du développement de l’armement.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une question de survivance ou s’il y aura d’autres facteurs impliqués, mais c’est évident qu’on fait des vrais progrès quand on trouve des menaces imminentes, et l’Europe est la preuve vivante. Il y eut toujours des menaces, d’un côté ou de l’autre, et il est clair qu’ils ont beaucoup avancé et qu’ils ont dépassé tous ces adversaires pour devenir des références mondiales dans des domaines multiples, même si ils durent se reconstruire depuis leurs fondations après la Seconde Guerre Mondiale.
Alors, j’en viens au fait! Je fus envoyé en Europe en tant que diplomate ou en tant qu’attaché culturel avec une mission: apprendre tout ce que je pouvais avec nos alliées (comme on leur appelait à l’époque) et, en échange, notre gouvernement leur offrait de l’assistance tactique pour aider à reconstruire leurs villes et leurs villages.
Au début tout se passait à merveille… c’est bon, pas tout! Après l’incident en Espagne j’appris à ne pas tenir les choses pour acquis et à assurer mes arrières. Quelqu’un avait essayé de me rayer de la carte et je ne m’étais pas rendu compte. Ces fausses instructions que je n’avais jamais vues m’avaient mis derrière les barreaux en attente d’un procès militaire.
Heureusement, à l’époque il restait encore quelques personnes qui ne me considéraient pas un traitre et qui tirèrent les ficelles pour m’aider à sortir du pays. Si je rentrais jamais en Espagne, je serais jugé sous peine de mort.
Je pensai vraiment que l’exile était beaucoup mieux que la mort, mais ils me laissèrent aux frontières avec la France, sans savoir quoi faire. Je n’étais pas encore à l’abri, je devais chercher une ambassade ou une base militaire pour essayer de contacter mon commandement, leur dire que je vivais et demander mes ordres.
Après tous genre de souffrances et de difficultés, je me débrouillai pour arriver en Angleterre, où je me sentis comme chez-moi. Je leur montrai mes documents à la frontière et, ensuite, ils m’envoyèrent à la base militaire la plus proche pour vérifier mon histoire. Quand ils furent sûrs que je disais la vérité, tout devint beaucoup plus simple.