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LA FILLE DU MARQUIS
TOME I
IX
LE MANUSCRIT
IV

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Oh! décidément, j'étais maudite avant ma naissance, et la malédiction écartée un instant par toi est retombée plus pesante sur ma tête.

J'arrive à Paris. Je m'arrête à l'hôtel même de la diligence. Je dépose mes malles dans ma chambre. Je cours à la Convention, je me précipite dans une tribune, je te cherche des yeux parmi les députés, je ne te vois pas; je demande où sont les girondins.

On me montre des bancs vides.

– C'est là qu'ils étaient, me dit-on.

– Qu'ils étaient?..

– Arrêtés! prisonniers! en fuite!

Je redescends avec l'intention d'interroger un député dont la physionomie m'inspirera quelque confiance.

Je croise un représentant dans le corridor: au moment où je le croise, une voix appelle: Camille!

Il se retourne.

– Citoyen, lui dis-je, on vient de vous appeler Camille.

– Oui, citoyenne, c'est mon nom de baptême.

– Seriez-vous le citoyen Camille Desmoulins, par hasard?

– Trop heureux si je pouvais vous être bon à quelque chose.

– Vous avez connu le représentant Jacques Mérey? lui demandai-je vivement.

– Quoiqu'il fût d'un parti opposé au mien, nous étions amis.

– Pouvez-vous me dire où il est?

– Savez-vous s'il est arrêté ou en fuite?

– Je ne savais pas même, il y a dix minutes, qu'il fût proscrit. J'arrive de Vienne. Je suis sa fiancée. Je l'aime!

– Ah! pauvre enfant! Vous avez été chez lui?

– Il y a huit mois que nous sommes séparés sans nouvelles l'un de l'autre, je ne sais pas même où il demeurait.

– Je le sais, moi. Voulez-vous prendre mon bras? nous irons à son hôtel; peut-être le propriétaire pourra-t-il nous donner des renseignements; il saura du moins s'il a été arrêté chez lui.

– Ah! vous me sauvez la vie! Allons.

Je pris le bras de Camille, nous traversâmes la place du Carrousel, nous entrâmes à l'hôtel de Nantes.

Nous demandâmes le propriétaire, Camille Desmoulins se nomma; on nous introduisit dans un petit cabinet dont le propriétaire referma avec soin la porte.

– Citoyen, lui dit Camille, tu logeais ici un député qui était mon ami à moi et le fiancé de la citoyenne.

– Le citoyen Jacques Mérey, dis-je vivement.

– Oui, à l'entresol; mais depuis le 2 juin il a disparu.

– Écoute, dit Desmoulins, nous ne sommes ni de la police, ni de la Commune, ni partisans du citoyen Marat, par conséquent tu peux te fier à nous.

– Je le ferais bien volontiers, dit le propriétaire, mais j'ignore complètement ce que le citoyen Mérey est devenu. Le soir du 2 juin, un gendarme est venu pour l'arrêter, et, voyant qu'il n'y était pas, il est resté dans sa chambre, en l'attendant toute la journée d'avant-hier et d'hier; mais, voyant qu'il faisait une faction inutile, il est parti.

– Depuis quand n'avez-vous pas revu Jacques Mérey?

– Depuis le 2 juin au matin. Il est sorti, comme d'habitude, pour aller à la Convention nationale.

– Je l'ai vu à son banc jusqu'à quatre heures, dit Camille.

– Et il n'a pas reparu chez vous? demanda Éva.

– Je ne l'ai pas revu.

– Si l'on vous en croyait, dit Éva, il serait parti sans vous payer, ce qui n'est pas probable.

– Le citoyen Jacques Mérey payait tous les matins sa dépense et son loyer de la veille, prévoyant justement le cas où viendrait le moment de fuir sans perdre une minute.

– Un homme qui prend ces précautions-là, dit Camille, ne les prend pas pour se laisser arrêter. Il se sera probablement dirigé vers Caen avec les autres proscrits.

– Avec lequel de ses amis de la Gironde était-il particulièrement lié?

– Avec Vergniaud, dit le maître de l'hôtel, c'est celui que j'ai vu venir le visiter le plus souvent.

– Vergniaud doit être arrêté, fit Camille; Vergniaud est trop paresseux pour avoir essayé de fuir.

– Comment s'assurer s'il est ou s'il n'est pas arrêté?

– C'est bien facile, dit Camille.

– Comment cela?

– Julie Candeille doit le savoir.

– Qu'est-ce que Julie Candeille?

– C'est une charmante actrice du Théâtre-Français qui a fait avec Vergniaud la Belle fermière.

– Mais mademoiselle Julie Candeille craindra probablement de se compromettre.

– Oh! pauvre fille, elle passerait dans le feu pour lui.

– Mais de compromettre Vergniaud.

– Je lui ferai cette simple question: Est-il ou n'est-il pas arrêté? Elle me répondra oui

Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis

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