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VIII
LE MALADE

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Je sortis.

Cinq minutes après j'étais chez une excellente garde-malade, à qui je donnai des instructions, et qui s'achemina à l'instant même vers la demeure de monsieur Henry de Faverne.

Je revins à midi, comme je le lui avais promis.

Il dormait encore.

J'eus un instant l'idée de continuer mes courses et de revenir plus tard.

Mais il avait tant recommandé à la garde qu'on me priât, si je venais, d'attendre son réveil, que je m'assis dans le salon, au risque de perdre une demi-heure de ce temps toujours si précieux pour un médecin.

Je profitai de cette attente pour jeter un coup d'œil autour de moi, et pour achever, s'il m'était possible, par la vue des objets extérieurs, de me taire une opinion positive sur cet homme.

Au premier abord, tous les objets revêtaient l'aspect de l'élégance, et ce n'est qu'en examinant l'appartement en détail qu'on y reconnaissait le cachet d'une somptuosité sans goût: les tapis étaient d'une couleur éclatante, et des plus beaux que puissent fournir les magasins de Sallandrouze, mais ils ne s'harmoniaient ni avec la couleur des tentures ni avec celle des meubles.

Partout l'or dominait: les moulures des portes et du plafond étaient dorées, des franges d'or pendaient aux rideaux, et la tapisserie disparaissait sous la multitude de cadres dorés qui couvraient les murailles et qui contenaient des gravures à 20 francs, ou de mauvaises copies de tableaux de maîtres qu'on avait dû vendre à l'ignorant acquéreur pour des originaux.

Quatre étagères s'élevaient aux quatre coins du salon, mais au milieu de quelques chinoiseries assez précieuses se pavanaient des ivoires de Dieppe et des porcelaines modernes si grossièrement travaillées qu'elles ne laissaient pas même la chance de croire qu'elles s'étaient glissées là comme des figurines de Saxe.

La pendule et les candélabres étaient dans le même goût, et une table chargée de livres magnifiquement reliés complétait l'ensemble, en offrant un prospectus assez médiocre du maître de la maison.

Le tout était neuf et paraissait acheté depuis trois ou quatre mois au plus.

J'achevais cet examen, qui ne m'avait rien appris de nouveau, mais qui m'avait confirmé dans l'opinion que j'étais chez quelque nouvel enrichi, au goût défectueux, qui était bien parvenu à réunir autour de lui les insignes mais non la réalité de la vie élégante, lorsque la garde entra, et me dit que le blessé venait de se réveiller.

Je passai aussitôt du salon dans la chambre à coucher.

Là, toute mon attention fut absorbée par le malade.

Cependant, au premier coup d'œil, je m'aperçus que son état n'avait point empiré; au contraire, les symptômes continuaient d'être favorables.

Je le rassurai donc, car ses craintes continuaient d'être les mêmes, et la fièvre qui l'agitait leur donnait un certain degré d'exagération pénible à voir dans un homme. Maintenant, comment cet homme si faible avait-il accompli cet acte de courage d'insulter un homme connu comme Olivier pour sa facilité à mettre l'épée à la main, et comment, l'ayant insulté, s'était-il conduit sur le terrain comme il avait fait.

C'était un mystère dont le secret devait être l'objet d'un calcul suprême, ou, au contraire, d'une colère incalculée. Je pensai, au reste, que quelque jour tout cela s'éclaircirait pour moi, peu de secrets demeurant cachés obstinément aux médecins.

Moins préoccupé de son état, je pus alors examiner sa personne; c'était, comme son appartement, un composé d'anomalies.

Tout ce que l'art avait pu aristocratiser en lui avait pris un certain caractère d'élégance; ses cheveux d'un blond fade étaient coupés à la mode, ses favoris rares étaient taillés avec régularité.

Mais la main qu'il me tendait pour que je lui tâtasse le pouls était commune, les soins qu'il en avait pris depuis quelque temps n'avaient pu en corriger la grossièreté native; ses ongles étaient mal faits, rongés, vulgaires; et, près de son lit, des bottes qu'il avait quittées le matin même indiquaient que son pied était, comme la main, d'origine toute plébéienne.

Comme je l'ai dit, le blessé avait la fièvre, et cependant cette fièvre, quoique assez forte, avait peine à donner de l'expression à ses yeux, qui, à ce que je remarquai, ne se fixaient presque jamais directement ni sur un homme ni sur une chose; en échange, sa parole était d'une agitation et d'une volubilité extrêmes.

– Ah! vous voilà donc, mon cher docteur, me dit-il; eh bien! vous le voyez, je ne suis pas encore mort, et vous êtes un grand prophète; mais suis-je hors de danger, docteur? Ce maudit coup d'épée! il était bien appliqué. Il passe donc sa vie à faire des armes, ce spadassin, ce calomniateur, ce misérable Olivier?

Je l'interrompis.

– Pardon, lui dis-je, je suis le médecin et l'ami de monsieur d'Hornoy; c'est lui que j'ai suivi sur le terrain, et non pas vous.

«Je vous connais de ce matin, monsieur; et lui, je le connais depuis dix ans.

«Vous comprenez donc que, si vous continuez à l'attaquer, je serai forcé de vous prier de vous adresser à quelqu'un de mes confrères.

– Comment, docteur, s'écria le blessé, vous m'abandonneriez dans l'état où je suis? ce serait affreux. Sans compter que vous trouverez peu de pratiques qui paieront comme moi.

– Monsieur!

– Oh! oui, je sais, vous faites tous semblant d'être désintéressés; puis quand vient, comme on dit, le quart d'heure de Rabelais, vous savez bien présenter votre mémoire.

– C'est possible, monsieur, qu'on ait ce reproche à faire à quelques-uns de mes confrères, mais je vous prouverai, quant à moi, en ne prolongeant pas mes visites au-delà du terme strictement nécessaire, que l'avidité que vous reprochez à mes collègues n'est pas mon défaut dominant.

– Allons, voilà que vous vous fâchez, docteur?

– Non, je réponds à ce que vous me dites.

– C'est qu'il ne faut pas trop faire attention à ce que je dis; vous savez, nous autres gentilshommes, nous avons quelquefois la parole un peu leste; pardonnez-moi donc.

Je m'inclinai, il me tendit la main.

– J'ai déjà tâté votre pouls, lui dis-je, il est aussi bon qu'il peut l'être.

– Allons, voilà que vous me gardez rancune parce que j'ai dit du mal de monsieur Olivier; il est votre ami, j'ai eu tort; mais il est tout simple que je lui en veuille, à part le coup d'épée qu'il m'a donné.

– Et que vous êtes venu chercher, répondis-je, d'une façon à ce qu'il ne vous la refusât point, vous en conviendrez.

– Oui, je l'ai insulté; mais je voulais me battre avec lui, et quand on veut se battre avec les gens il faut bien les insulter.

«Pardon, docteur, voulez-vous me rendre le service de sonner?

Je tirai le cordon de la sonnette, un des valets entra.

– Est-on venu s'informer de ma santé de la part de monsieur de Macartie?

– Non, monsieur le baron, répondit le laquais.

– C'est singulier, murmura le malade, visiblement fâché de ce manque d'intérêt.

Il y eut un instant de silence, pendant lequel je fis un mouvement pour prendre ma canne.

– Car vous savez ce qu'il m'a fait, votre ami Olivier?

– Non. J'ai entendu parler de quelques mots dits sur vous au club, n'est-ce point cela?

– Il m'a fait, ou plutôt il a voulu me faire manquer un mariage magnifique: une jeune personne de dix-huit ans, belle comme les amours, et cinquante mille livres de rente, rien que cela.

– Et comment a-t-il pu vous faire manquer ce mariage?

– Par ses calomnies, docteur: en disant qu'il ne connaissait personne de mon nom à la Guadeloupe; tandis que mon père, le comte de Faverne, possède là-bas deux lieues de terrain, une habitation magnifique avec trois cents noirs. Mais j'ai écrit à monsieur de Malpas, le gouverneur, et dans deux mois ces papiers seront ici; on verra lequel de nous deux a menti.

– Olivier pourra s'être trompé, monsieur, mais il n'aura pas menti.

– Et, en attendant, voyez-vous, il est cause que celui qui devait être mon beau-père n'envoie pas même demander de mes nouvelles.

– Il ignore peut-être que vous vous êtes battu?

– Il ne l'ignore pas, puisque je le lui avais dit hier.

– Vous le lui avez dit?

– Certainement. Lorsqu'il m'a rapporté les propos que monsieur Olivier tenait sur moi, je lui dis: «Ah! c'est comme cela! eh bien! pas plus tard que ce soir, j'irai lui chercher une querelle, à ce beau monsieur Olivier, et l'on verra si j'en ai peur.

Je commençai à comprendre le courage momentané de mon malade. C'était de l'argent placé à cent pour cent; un duel pouvait lui rapporter une jolie femme et cinquante mille livres de rente; il s'était battu.

Je me levai.

– Quand vous reverrai-je, docteur?

– Demain je viendrai lever l'appareil.

– J'espère que si l'on parle de ce duel devant vous, docteur, vous direz que je me suis bien conduit.

– Je dirai ce que j'ai vu, monsieur.

– Ce misérable Olivier, murmura le blessé, j'aurais donné cent mille francs pour le tuer sur le coup.

– Si vous êtes assez riche pour payer cent mille francs la mort d'un homme, répondis-je, vous devez moins regretter votre mariage, qui n'ajoutait que cinquante mille livres de rente à votre fortune.

– Oui; mais ce mariage me plaçait, ce mariage me permettait de cesser des spéculations hasardeuses; un jeune homme, d'ailleurs, né avec des goûts aristocratiques, n'est jamais assez riche. Aussi je joue à la Bourse; il est vrai que j'ai du bonheur: le mois passé j'ai gagné plus de trente mille francs.

– Je vous en fais mon compliment, monsieur. A demain.

– Attendez donc … je crois qu'on a sonné!

– Oui.

– On vient?

– Oui.

Un domestique entra.

Pour la première fois, je vis les yeux du baron s'arrêter fixement sur un homme.

– Eh bien?.. demanda-t-il, sans donner le temps au valet de parler.

– Monsieur le baron, dit le valet, c'est monsieur le comte de Macartie qui fait demander de vos nouvelles.

– En personne?

– Non, il envoie son valet de chambre.

– Ah! fit le malade, et vous avez répondu?..

– Que monsieur le baron était grièvement blessé, mais que le docteur avait répondu de lui.

– Est-ce vrai, docteur, que vous répondez de moi?

– Eh! oui, mille fois oui, repris-je; à moins cependant que vous ne fassiez quelque imprudence.

– Oh! quant à cela, soyez tranquille. Dites-moi, docteur, puisque monsieur le comte de Macartie envoie demander de mes nouvelles, cela prouve qu'il ne croit pas aux propos de monsieur Olivier.

– Sans doute.

– Eh bien! alors guérissez-moi vite, et vous serez de la noce.

– Je ferai de mon mieux pour arriver à ce but. Je saluai, et je sortis.

Gabriel Lambert

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