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PREMIER VOLUME
CHAPITRE IX.
CE QUI SE PASSA DANS LA CHAMBRE A COUCHER DE LA REINE ANNE D'AUTRICHE APRÈS QUE LE ROI LOUIS XIII EN FUT SORTI
ОглавлениеA peine le bruit des pas se fut-il perdu dans le lointain de la galerie, et les derniers reflets des torches se furent-ils éteints en tremblant le long des parois des murailles, que la porte du cabinet où s'étaient réfugiés le comte de Moret et sa conductrice s'entrouvrit doucement, et que la tête de la jeune femme se glissa par l'entrebâillement de la porte.
Alors, voyant que tout était rentré dans le silence et l'obscurité, elle se hasarda à sortir tout à fait, et jeta un regard dans la galerie à l'extrémité de laquelle elle vit disparaître les dernières lueurs des torches des deux pages.
Puis, jugeant que tout danger était évanoui, elle se rapprocha du cabinet, et, passant devant la porte, légère comme un oiseau:
– Venez, Monseigneur, dit-elle au comte.
Et en même temps, se maintenant toujours à une distance et dans une position où le jeune homme ne pût profiter d'une clarté plus grande pour voir son visage, elle ouvrit l'une après l'autre les trois portes qu'avait ouvertes en rentrant, et qu'avait refermées en sortant, le roi.
Le jeune homme la suivait muet, haletant, éperdu; dans ce cabinet étroit et sombre, la jeune fille avait dû, malgré elle, se serrer contre lui, et, quoique le maîtrisant par la main toute-puissante de la chasteté, elle n'avait pu empêcher le comte de s'enivrer de la vapeur de son haleine, et de respirer par tous les pores cette vapeur voluptueuse qui émane du corps d'une jeune femme, et qu'on pourrait appeler le parfum de la puberté.
Avant d'ouvrir la dernière porte, elle étendit la main vers le comte, dont elle entendait les pas pressant les siens, et, d'une voix dont un certain trouble altérait la sérénité:
– Monseigneur, dit-elle, ayez la bonté de vous arrêter dans ce salon; lorsqu'elle voudra vous recevoir, Sa Majesté vous appellera.
Et elle rentra chez la reine.
Cette fois, Anne d'Autriche ne dormait ni ne feignait de dormir.
– Est-ce vous, chère Isabelle? demanda-t-elle, en écartant le rideau, du geste le plus rapide, et en se soulevant sur son lit d'un mouvement plus pressé qu'elle n'avait fait pour le roi.
– Oui, madame, c'est moi, répondit la jeune fille, en se plaçant de manière à ce que son visage fût perdu dans l'ombre, et par conséquent à ce qu'elle pût dérober sa rougeur involontaire à la reine.
– Vous savez que le roi sort d'ici?
– Je l'ai vu, madame.
– Il avait sans doute des soupçons?
– C'est possible, mais à coup sûr il n'en a plus.
– Le comte est là?
– Dans la chambre qui précède celle-ci.
– Allumez une cire et donnez-moi un miroir à main.
Isabelle obéit, donna le miroir à la reine, mais garda la bougie pour l'éclairer.
Anne d'Autriche était jolie plutôt que belle; elle avait les traits tout petits, un nez sans caractère, mais la peau transparente et veloutée de cette blonde dynastie flamande qui donna les Charles-Quint et les Philippe II. Coquette pour tous les hommes sans distinction, elle ne voulait pas manquer son effet, même sur son beau-frère. – En conséquence, elle rajusta quelques boucles de cheveux froissés par l'oreiller, régularisa les plis du long peignoir de soie dans lequel elle était enveloppée, se souleva sur son coude pour essayer sa pose, rendit son miroir à sa dame d'honneur, et lui fit signe avec un sourire de remercîment, qu'elle pouvait rentrer chez elle.
Isabelle déposa le miroir et le chandelier sur la toilette, salua respectueusement, et sortit par la porte qu'avait indiquée la reine, en disant à son époux que sa dame d'honneur devait être, là, endormie sur un canapé.
L'appartement demeura éclairé par la double lumière de la lampe et de la bougie, placées toutes deux de manière à projeter leurs rayons sur le côté du lit où Anne d'Autriche avait donné son audience au roi et allait donner la sienne au comte de Moret.
Cependant, restée seule, la reine, avant de l'appeler, paraissait attendre quelqu'un ou quelque chose, se tournant à plusieurs reprises vers le fond de la chambre, faisant de petits mouvements d'impatience, et murmurant des paroles à voix basse.
Enfin, et à peu d'intervalle l'une de l'autre, les deux portes que semblait interroger la reine s'ouvrirent. Par l'une entra un jeune homme de vingt ans, au visage coloré et plein, aux cheveux noirs, à l'œil dur, qui en s'adoucissant devenait faux. Il était splendidement vêtu de satin blanc, avec un manteau cerise brodé d'or. Il portait le Saint-Esprit au cou, comme on le portait à cette époque. Il tenait à la main son chapeau de feutre blanc orné de deux plumes de la couleur du manteau.
Ce jeune homme, c'était Gaston d'Orléans, que l'on désignait généralement sous le nom de Monsieur, et que la chronique scandaleuse du Louvre disait n'être si particulièrement aimé de sa mère que parce qu'il était le fils du beau favori Concino Concini. Au reste, quiconque verra l'un près de l'autre, comme nous les voyions l'autre jour, au musée de Blois, le portrait du maréchal d'Ancre et celui du second fils de Marie de Médicis, comprendra que la ressemblance extraordinaire qui existe entre eux pouvait faire croire à la vérité de cette grave accusation.
Nous avons dit que, depuis l'affaire de Chalais, le roi le tenait en mépris. En effet, Louis XIII avait une espèce de conscience. Il n'était pas insensible à ce que l'on appelait alors l'honneur de la couronne et que l'on appelle aujourd'hui l'honneur de la France. Son égoïsme et sa vanité, pétris aux mains de Richelieu, avaient presque changé de forme, et de ces deux vices le cardinal était parvenu à lui faire une sorte de vertu; mais Gaston, âme à la fois fourbe et lâche, avait été immonde dans toute cette affaire de Nantes.
Il avait voulu entrer au conseil. Richelieu y eût consenti pour avoir la paix, mais il voulut y faire entrer avec lui son gouverneur Ornano. Richelieu refusa. Le jeune prince alors crie, jure, tempête, dit qu'Ornano entrera au conseil de bonne volonté ou de force. Richelieu, ne pouvant faire arrêter Gaston, fait arrêter Ornano. Gaston force la porte du conseil, et, d'une voix altière, demande qui a eu l'audace de faire arrêter son gouverneur. «Moi,» répond avec le plus grand calme Richelieu.
Tout en serait resté là et Gaston eût bu sa honte, si Mme de Chevreuse, poussée par l'Espagne, n'eût poussé Chalais. – Chalais vint s'offrir à Monsieur pour le débarrasser du cardinal, et voici ce que Gaston trouve ou plutôt ce qu'on lui souffle: il ira avec toute sa maison dîner chez Richelieu, à son château de Fleury, et là à sa table, trahissant l'hospitalité, des gens d'épée assassineront commodément un homme sans défense – un prêtre.
Au reste, depuis soixante ans, l'Espagne, dont on voit la main jaune et hideuse dans tout cela, n'en a pas fait d'autres, à l'endroit des grandes personnalités qui la gênent: elle les supprime. En politique, supprimer n'est pas tuer. Ainsi elle a supprimé Coligny, Guillaume de Nassau, Henri III, Henri IV; ainsi elle comptait faire de Richelieu. Le procédé est monotone, mais peu importe: du moment où il réussit, il est bon.
Cette fois, cependant, il échoua.
Ce fut à cette occasion que Richelieu, comme Hercule chez Augias, commença le nettoyage de la cour, par le balayage des princes. Les deux bâtards de Henri IV, les Vendôme, furent arrêtés; le comte de Soissons prit la fuite; Mme de Chevreuse fut exilée, le duc de Longueville en disgrâce. Quant à Monsieur, il signa une confession dans laquelle il dénonçait et abandonnait ses amis. Il fut marié, enrichi et déshonoré.
Chalais seul sortit sans honte de cette conspiration parce qu'il en sortit sans tête.
Et déjà si avant dans l'ignoble, Monsieur n'avait pas vingt ans.
Par l'autre porte entra, presque aussitôt que Monsieur, une femme de cinquante-cinq à cinquante-six ans, vêtue royalement, portant une petite couronne d'or sur le haut de la tête, et un long manteau de pourpre et d'hermine, descendant de ses épaules sur une robe de satin blanc brochée d'or; elle a pu être fraîche autrefois, mais jamais ni belle ni distinguée; un excessif embonpoint lui donne ce vulgaire aspect qui lui a valu de la bouche de Henri IV le surnom de la Grosse banquière; c'est un esprit tracassier qui ne se plaît que dans l'intrigue.
Inférieure en génie à Catherine de Médicis, elle lui a été supérieure en débauche. Si l'on en croit ce que l'on dit, un seul des enfants de Henri IV lui appartient, Mme Henriette. D'ailleurs, de tous, elle n'aime, nous l'avons dit, que Gaston. Elle a pris d'avance son parti de la mort de son fils aîné, qu'elle regarde comme inévitable, et dont elle est déjà consolée. Son idée fixe est de voir Gaston sur le trône, comme l'idée fixe de Catherine de Médicis, a été d'y voir Henri III.
Mais une accusation plus grave que toutes celles-là pèse sur elle, et fait que Louis XIII la déteste autant qu'elle le hait: elle a dit-on, sinon mis, du moins laissé aux mains de Ravaillac le couteau qu'elle en eût pu faire tomber. Un procès-verbal faisait foi que Ravaillac l'avait nommée elle et d'Epernon sur la roue. Le feu fut mis au Palais-de-Justice pour faire disparaître jusqu'à la trace de ces deux noms.
Depuis la veille, la mère et le fils ont été convoqués par Anne d'Autriche, prévenue que le comte de Moret, arrivé depuis huit jours à Paris, a des lettres à leur communiquer de la part du duc de Savoie. Ils sont entrés, comme nous l'avons vu, chez la reine, par deux portes différentes, chacun venant de son appartement. S'ils y sont surpris, ils auront pour excuse l'indisposition de Sa Majesté, qu'ils ont apprise au ballet, indisposition qui leur a donné tant d'inquiétude qu'ils n'ont pas même pris le temps de changer de costume. Quant au comte de Moret, toujours en cas de surprise, on le cachera quelque part: un jeune homme de vingt-deux ans est toujours facile à cacher; Anne d'Autriche a d'ailleurs sur ces sortes d'escamotages des traditions et même des antécédents.
Pendant ce temps, le comte de Moret a attendu dans la chambre à côté, et il a tout bas et du fond de l'âme remercié le ciel de ce regard.
Qu'eût-il dit, qu'eût-il fait, entrant chez la reine, ému, troublé, palpitant comme il l'était en quittant sa conductrice inconnue? Ces dix minutes d'attente n'ont pas été de trop pour calmer les battements de son cœur et rendre un peu d'assurance à sa voix. De l'agitation, il a passé à la rêverie, rêverie douce et suave dont, jusqu'à cette heure, il n'avait eu aucune idée.
Tout-à-coup, la voix d'Anne d'Autriche le fit tressaillir et l'alla chercher au fond de sa rêverie.
– Comte, demanda-t-elle, êtes-vous là?
– Oui, Madame, répondit le comte, et attendant les ordres de Votre Majesté.
– Entrez donc, alors, car nous sommes désireux de vous recevoir.