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CHAPITRE II MŒURS ET ANECDOTES SICILIENNES

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Le Sicilien est, comme tout peuple successivement conquis par d'autres peuples, on ne peut plus désireux de la liberté; seulement, là comme partout ailleurs, il y a deux genres de liberté: la liberté de l'intelligence, la liberté de la matière. Les classes supérieures sont pour la liberté sociale, les classes inférieures sont pour la liberté individuelle. Donnez au paysan sicilien la liberté de parcourir la Sicile en tous sens, un couteau à sa ceinture et un fusil sur son épaule, et le paysan sicilien sera content: il veut être indépendant, ne comprenant pas encore ce que c'est que d'être libre.

Donnons une idée de la façon dont le gouvernement napolitain répond à ce double désir.

Il y a à Palerme une grande place qu'on appelle la place du Marché-Neuf. C'était autrefois un pâté de maisons, sillonné de rues étroites et sombres, et habité par une population particulière, à peu près comme sont les Catalans à Marseille, et qu'on appelait les Conciapelle. De temps immémorial ils ne payaient aucune contribution; et quoiqu'on n'ait aucun document bien positif sur cette franchise, il y a tout lieu de croire qu'elle remonte à l'époque des Vêpres siciliennes, et qu'elle aura été accordée en récompense de la conduite que les Conciapelle avaient tenue dans cette grande circonstance. Au reste, toujours armés: l'enfant, presque au sortir du berceau, recevait un fusil qu'il ne déposait qu'au moment d'entrer dans la tombe.

En 1821 les Conciapelle se levèrent en masse contre les Napolitains et firent des merveilles; mais lorsque les Autrichiens eurent replacé Ferdinand, sur le trône, le général Nunziante fut envoyé pour punir les Siciliens de ces nouvelles Vêpres. Les Conciapelle lui furent signalés les plus incorrigibles de la ville de Palerme, et il fut décidé que le fouet de la vengeance royale tomberait sur eux.

En conséquence, pendant une belle nuit, et tandis que les Conciapelle, se reposant sur leurs vieilles franchises, dormaient à côté de leurs fusils, le général Nunziante fit braquer des pièces de canon à l'entrée de chaque rue et cerner tout le pâté par un cordon de soldats: en se réveillant les pauvres diables se trouvèrent prisonniers.

Si braves que fussent les Conciapelle, il n'y avait pas moyen de se défendre; aussi force leur fut-il de se rendre à discrétion. Le premier soin du général Nunziante fut de leur enlever leurs armes: on chargea trente charrettes de fusils, et on les exila hors des murs de Palerme, avec la permission d'y rentrer seulement dans la journée pour leurs affaires, mais avec défense d'y passer la nuit.

Puis, à peine furent-ils hors des portes, que, sous prétexte d'arriéré de contributions, leurs maisons furent confisquées et mises à bas.

Le lieu qu'elles occupaient forme aujourd'hui, comme nous l'avons dit, la place du Marché-Neuf de Palerme. Souvent je l'ai traversée, et presque toujours j'ai trouvé l'escalier qui conduit dans la Strada Nova couvert de ces malheureux qui, assis sur les degrés, restent des heures entières à regarder, immobiles et sombres, ce terrain vide où étaient autrefois leurs maisons.

Les fêtes de sainte Rosalie excitent un grand enthousiasme en Sicile, où l'on n'est pas très-scrupuleux sur Dieu le Père, sur le Christ ou sur la vierge Marie, et où cependant le culte des saints est dégénéré en une véritable adoration: aussi leurs fêtes ressemblent-elles à une suite des saturnales païennes. Chaque ville a son saint de prédilection, pour lequel elle exige que tout étranger ait la même vénération qu'elle; or, comme les honneurs rendus à ce patron sont quelquefois d'une nature fort étrange, il est en général assez dangereux pour tout homme qui n'entend pas ce patois guttural, criblé de z et de g, que parle le peuple en Sicile, de se hasarder au milieu de la foule les jours où les saints prennent l'air. Il n'y avait pas longtemps, quand j'arrivai à Syracuse, qu'un Anglais avait été victime d'une erreur commise par lui à l'endroit d'un de ces bienheureux.

L'Anglais était un officier de marine descendu à terre pour chasser dans les environs de la ville d'Auguste. Après cinq ou six heures employées fructueusement à cet exercice, il rentrait, son fusil sous le bras, sa carnassière sur le dos; tout à coup, au détour d'une rue, il voit venir à lui, avec de grands cris, une foule frénétique traînant sur un tréteau mobile, attelé de chevaux empanachés, et entouré d'un nuage d'encens, le colosse doré de saint Sébastien. L'officier, à l'aspect de cette bruyante procession, se rangea contre la muraille, et, curieux de voir une chose si nouvelle pour lui, s'arrêta pour laisser passer le saint; mais, comme il était en uniforme et portait un fusil, son immobilité sembla irrespectueuse à la foule, qui lui cria de présenter les armes. L'Anglais n'entendait pas un mot de sicilien, de sorte qu'il ne bougea non plus qu'un Terme, malgré l'injonction reçue. Alors le peuple se mit à le menacer, hurlant l'ordre, inintelligible pour lui, de rendre les honneurs militaires au bienheureux martyr. L'Anglais commença à s'inquiéter de toute cette rumeur et voulut se retirer; mais il lui fut impossible de franchir la barrière menaçante qui s'était formée tout autour de lui, et qui, avec des cris toujours croissants et des gestes de plus en plus animés, lui montrait, les uns leur fusil, les autres le saint. Bientôt cependant l'Anglais, qui ne comprend pas que c'est à lui que s'adresse toute cette colère, puisqu'il n'a rien fait pour l'exciter, croit que c'est le saint qui en est l'objet: il a lu dans la relation de mistress Clarke que les Italiens ont l'habitude d'injurier et de battre les saints dont ils sont mécontents. Ce souvenir est un trait de lumière pour lui: saint Sébastien aura commis quelque méfait dont on veut le punir; comme les démonstrations relatives à son fusil continuent, il croit que pour contenter cette foule il n'a qui ajouter une balle aux flèches dont le saint est tout couvert; en conséquence il ajuste le colasse et lui fait sauter la tête.

La tête du saint n'était pas retombée à terre que l'Anglais avait déjà reçu vingt-cinq coups de couteau.

Maintenant, il ne faut pas croire que les aventures finissent toujours d'une façon aussi tragique en Sicile, et que si les étrangers y courent quelques périls, ces périls n'aient pas leur compensation.

Un de mes amis visitait la Sicile en 1829, avec deux autres compagnons de route, Français comme lui et aventureux comme lui. Arrivés à Catane à la fin de janvier, nos voyageurs apprennent que, le 5 février, il y aura foire brillante et procession solennelle, à propos de la fête de sainte Agathe, patronne de la ville. Aussitôt le triumvirat s'assemble et décide que l'occasion est trop solennelle pour la manquer, et que l'on restera.

La semaine qui séparait le jour de la détermination prise du jour de la fête s'écoula à essayer de monter sur l'Etna, chose impossible à cette époque, et à visiter les curiosités de Catane, qu'on visite en un jour. On comprend donc, qu'ayant du temps de reste, les trois compagnons ne manquaient pas une promenade, pas un corso. Toute la ville les connaissait.

La fête arriva. J'ai déjà fait assister mes lecteurs à trop de processions pour que je leur décrive celle-ci: cris, guirlandes, feux d'artifice, girandoles, chants, danses, illuminations, rien n'y manquait.

Après la procession commença la foire. Cette foire, à laquelle assiste non-seulement la ville tout entière, mais encore toute la population des villages environnants, est le prétexte d'une singulière coutume.

Les femmes s'enveloppent d'une grande mante noire, s'encapuchonnent la tête; et alors, aussi méconnaissables que si elles portaient un domino et qu'elles eussent un masque sur la figure, ces tuppanelles, c'est le nom qu'on leur donne, arrêtent leurs connaissances en quêtant pour les pauvres; cette quête s'appelle l'aumône de la foire. Ordinairement nul ne la refuse; c'est un commencement de carnaval.

La procession était donc finie et la foire commencée, lorsque mon ami, que j'appellerai Horace, si l'on veut bien, n'ayant pas le loisir de lui faire demander la permission de mettre ici son nom véritable, attendu que je le crois en Syrie maintenant; lorsque mon ami, dis-je, qui, dans son ignorance de cette coutume, était sorti avec quelques piastres seulement, avait déjà vidé ses poches, fut accosté par deux tuppanelles, qu'à leur voix, à leur tournure et à la coquetterie de leurs manteaux garnis de dentelles, il crut reconnaître pour jeunes. Les jeunes quêteuses, comme on sait, ont toujours une influence favorable sur la quête. Horace, plus qu'aucun autre, était accessible à cette influence: aussi visita-t-il scrupuleusement les deux poches de son gilet et les deux goussets de son pantalon, pour voir si quelque ducat n'avait pas échappé au pillage. Investigation inutile; Horace fut forcé de s'avouer à lui-même qu'il ne possédait pas pour le moment un seul bajoco.

Il fallut faire cet aveu aux deux tuppanelles, si humiliant qu'il fut; mais, malgré sa véracité, il fut reçu avec une incrédulité profonde. Horace eut beau protester, jurer, offrir de rejoindre ses amis pour leur demander de l'argent, ou de retourner à l'hôtel pour fouiller à son coffre-fort, toutes ces propositions furent repoussées; il avait affaire à des créancières inexorables, qui répondaient à tontes les excuses: — Pas de répit — pas de pitié — de l'aident à l'instant même, ou bien prisonnier.

L'idée de devenir prisonnier de deux jeunes et probablement de deux jolies femmes, n'était pas une perspective si effrayante, qu'Horace repoussât ce mezzo termine, proposé par l'une d'elles, comme moyen d'accommoder la chose. Il se reconnut donc prisonnier, secouru on non secouru; et, conduit par les deux tuppanelles, il fendit la foule, traversa la foire, et se trouva enfin au coin d'une petite rue qu'il était impossible de reconnaître dans l'obscurité, en face d'une voiture élégante, mais sans armoiries, où on le fit monter. Une fois dans la voiture, une de ses conductrices détacha un mouchoir de soie de son cou et lui banda les yeux. Puis toutes deux se placèrent à ses côtés; chacune lui prit une main, pour qu'il n'essayât pas sans doute de déranger son bandeau, et la voiture partit.

Autant qu'on peut mesurer le temps en situation pareille, Horace calcula qu'elle avait roulé une demi-heure à peu près; mais, comme on le comprend, cela ne signifiait rien, ses gardiennes ayant pu donner l'ordre à leur cocher de faire des détours pour dérouter le captif. Enfin la voiture s'arrêta. Horace crut que le moment était venu de voir où il se trouvait; il fit un mouvement pour porter la main droite à son bandeau; mais sa voisine l'arrêta en lui disant: — Pas encore! — Horace obéit.

Alors on l'aida à descendre; on lui fit monter trois marches, puis il entra, et une porte se ferma derrière lui. Il fit encore vingt pas à peu près, puis rencontra un escalier. Horace compta vingt-cinq degrés; au vingt-cinquième, une seconde porte s'ouvrit, et il lui sembla entrer dans un corridor. Il suivit ce corridor pendant douze pas; et ayant franchi une troisième porte, il se trouva les pieds sur un tapis. Là, ses conductrices, qui ne l'avaient pas quitté, s'arrêtèrent.

— Donnez-nous votre parole d'honneur, lui dit Tune d'elles, que vous n'ôterez votre bandeau que lorsque neuf heures sonneront à la pendule. Il est neuf heures moins deux minutes: ainsi vous n'avez pas long-temps à attendre.

Horace donna sa parole d'honneur; aussitôt ses deux conductrices le lâchèrent. Bientôt il entendit le cri d'une porte qu'on referma. Un instant après, neuf heures sonnèrent. Au premier coup du timbre, Horace arracha son bandeau.

Il était dans un petit boudoir rond, dans le style de Louis XV, style qui est encore généralement celui de l'intérieur des palais siciliens. Ce boudoir était tendu d'une étoffe de satin rose avec des branches courantes, d'où pendaient des fleurs et des fruits de couleur naturelle; le meuble, recouvert d'une étoffe semblable à celle qui tapissait les murailles, se composait d'un canapé, d'une de ces causeuses adossées comme on en refait de nos jours, de trois ou quatre chaises et fauteuils, et enfin d'un piano et d'une table chargée de romans français et anglais et sur laquelle se trouvait tout ce qu'il faut pour écrire.

Le jour venait par le plafond, et le châssis à travers lequel il passait se levait extérieurement.

Horace achevait son inventaire, lorsqu'un domestique entra, tenant une lettre à la main: ce domestique était masqué.

Horace prit la lettre, l'ouvrit vivement et lut ce qui suit:

«Vous êtes notre prisonnier, selon toutes les lois divines et humaines, et surtout selon la loi du plus fort.

»Nous pouvons à notre gré vous rendre votre prison dure ou agréable, nous pouvons vous faire porter dans un cachot ou vous laisser dans le boudoir où vous êtes.

»Choisissez.»

— Pardieu! s'écria Horace, mon choix est fait; allez dire à ces dames que je choisis le boudoir, et que, comme je présume que c'est à une condition quelconque qu'elles me laissent le choix, dites-leur que je les prie de me faire connaître cette condition.

Le domestique se retira sans prononcer une seule parole et, un instant après, rentra, une seconde lettre à la main: Horace la prit non moins avidement que la première et lut ce qui suit.

«Voici à quelles conditions on vous rendra votre prison agréable:

»Vous donnerez votre parole de n'essayer, d'ici à quinze jours, aucune tentative d'évasion;

»Vous donnerez votre parole de ne point essayer de voir, tant que vous serez ici, le visage des personnes qui vous retiennent prisonnier;

»Vous donnerez votre parole qu'une fois couché, vous éteindrez toutes les bougies et ne garderez aucune lumière cachée;

»Moyennant quoi, ces quinze jours écoulés, vous serez libre sans rançon.

»Si ces conditions vous conviennent, écrivez au-dessous:

«Acceptées sur parole d'honneur.» Et comme on sait que vous êtes Français, on se fiera à cette parole.»

Attendu que, au bout du compte, les conditions imposées n'étaient pas trop dures et qu'elles semblaient promettre certaines compensations à sa captivité, Horace prit la plume et écrivit:

«J'accepte sur parole d'honneur, en me recommandant à la générosité de mes belles geôlières.

»HORACE.»

Puis il rendit le traité au domestique, qui disparut aussitôt.

Un instant après, il sembla au prisonnier entendre remuer de l'argenterie et des verres: il s'approcha d'une des deux portes qui donnaient dans son boudoir, et acquit en y collant son oreille la certitude que l'on dressait une table. La singularité de sa situation l'avait empêché jusque-là de se souvenir qu'il avait faim, et il sut gré a ses hôtesses d'y avoir songé pour lui.

D'ailleurs il ne doutait pas que les deux tuppanelles ne lui tinssent compagnie pendant le repas. Alors elles seraient bien fines, si à lui, habitué des bals de l'Opéra, elles ne laissaient pas apercevoir une main, un coin d'épaule, un bout de menton, à l'aide desquels il pourrait, comme Cuvier, reconstruire toute la personne. Malheureusement cette première espérance fut déçue: lorsque le domestique ouvrit la porte de communication entre le boudoir et la salle à manger, le prisonnier vit, quoique le souper parût, par la quantité de plats, destiné à trois ou quatre personnes, qu'il n'y avait qu'un seul couvert.

Il ne se mit pas moins à table, fort disposé à faire honneur au repas. Il fut secondé dans cette louable intention par le domestique masqué qui, avec l'habitude d'un serviteur de bonne maison, ne lui laissait pas même le temps de désirer. Il en résulta qu'Horace soupa très-bien et, grâce au vin de Syracuse et au malvoisie de Lipari, se trouva au dessert dans une des situations d'esprit les plus riantes où puisse se trouver un prisonnier.

Le repas fini, Horace rentra dans son boudoir. La seconde porte en était ouverte; elle donnait dans une charmante petite chambre à coucher, aux murailles toutes couvertes de fresques. Cette chambre communiquait elle-même avec un cabinet de toilette. Là finissait l'appartement, le cabinet de toilette n'ayant point de sortie visible. Le prisonnier avait donc à sa disposition quatre pièces: le cabinet susdit, la chambre à coucher, le boudoir, qui faisait salon, et la salle à manger. C'est autant qu'il en fallait pour un garçon.

La pendule sonna minuit: c'était l'heure de se coucher. Aussi, après avoir fait une scrupuleuse visite de son appartement et s'être assuré que la porte de la salle à manger s'était refermée derrière lui, le prisonnier rentra-t-il dans sa chambre à coucher, se mit au lit, et, selon l'injonction qui lui en avait été faite, souffla scrupuleusement ses deux bougies.

Quoique le prisonnier reconnût la supériorité du lit dans lequel il était étendu sur tous les autres lits qu'il avait rencontrés depuis qu'il était en Sicile, il n'en resta pas moins parfaitement éveillé, soit que la singularité de sa position chassât le sommeil, soit qu'il s'attendît à quelque surprise nouvelle. En effet, au bout d'une demi-heure ou trois quarts d'heure à peu près, il lui sembla entendre le cri d'un panneau de boiserie qui glisse, puis un léger froissement comme serait celui d'une robe de soie, enfin de petits pas firent crier le parquet et s'approchèrent de son lit; mais à quelque distance les petits pas s'arrêtèrent, et tout rentra dans le silence.

Horace avait beaucoup entendu parler de revenants, de spectres et de fantômes, et avait toujours désiré en voir. C'était l'heure des évocations, il eut donc l'espoir que son désir était enfin exaucé. En conséquence il étendit le bras vers l'endroit où il avait entendu du bruit, et sa main; rencontra une main. Mais cette fois encore l'espérance de se trouver en contact avec un habitant de l'autre monde était déçue. Cette main petite, effilée et tremblante appartenait à un corps, et non à une ombre.

Heureusement le prisonnier était un de ces optimistes à caractère heureux, qui ne demandent jamais à la Providence plus qu'elle n'est en disposition de leur accorder. Il en résulta que le visiteur nocturne, quel qu'il fût, n'eut pas lieu de se plaindre de La réception qui lui fut faite.

— En se réveillant Horace chercha autour de lui, mais il ne vit plus personne. Toute trace de visite avait disparu. Il lui sembla seulement qu'il s'était entendu dire, comme dans un rêve: — A demain.

Horace sauta en bas de son lit et courut à la fenêtre, qu'il ouvrit; elle donnait sur une cour fermée de hautes murailles par-dessus lesquelles il était impossible de voir: le prisonnier resta donc dans le doute s'il était à la ville ou à la campagne.

A onze heures la salle à manger s'ouvrit, et Horace retrouva son domestique masqué et son déjeuner tout servi. Tout en déjeunant, il voulut interroger le domestique; mais, en quelque langue que les questions fussent faites, anglais, français ou italien, le fidèle serviteur répondit son éternel Non capisco.

Les fenêtres de la salle à manger donnaient sur la même cour que celles de la chambre à coucher. Les murailles étaient partout de la même hauteur; il n'y avait donc rien de nouveau à apprendre de ce côté-là.

Pendant le déjeuner la chambre à coucher s'était trouvée refaite comme par une fée.

La journée se partagea entre la lecture et la musique. Horace joua sur le piano tout ce qu'il savait de mémoire, et déchiffra tout ce qu'il trouva de romances, sonates, partitions, etc. A cinq heures le dîner fût servi.

Même bonne chère, même silence. Horace aurait préféré trouver un dîner un peu moins bon, mais avoir avec qui causer.

Il se coucha à huit heures, espérant avancer l'apparition sur laquelle il comptait pour se dédommager de sa solitude de la journée. Comme la veille les bougies furent scrupuleusement éteintes, et comme la veille effectivement il entendit, au bout d'une demi-heure, le petit cri de la boiserie, le froissement de la robe, le bruit des pas sur le parquet; comme la veille il étendit le bras, et rencontra une main: seulement il lui sembla que ce n'était pas la même main que la veille; l'autre main était petite et effilée, celle-ci était potelée et grasse. Horace était homme à apprécier cette attention de ses hôtesses, qui avaient voulu que les nuits se suivissent et ne se ressemblassent point.

Le lendemain il retrouva la petite main, le surlendemain la main potelée, et ainsi de suite pendant quatorze jours ou plutôt quatorze nuits.

La quinzième, il rencontra les deux mains au lieu d'une. Vers les trois heures du matin, ces deux mains lui passèrent chacune une bague à un doigt; puis, après lui avoir fait donner de nouveau sa parole d'honneur de ne point chercher à lever le mouchoir qu'elles allaient lui mettre devant les yeux, ses deux hôtesses l'invitèrent à se préparer au départ.

Horace donna sa parole d'honneur. Dix minutes après, il avait les yeux bandés; un quart d'heure après, il était en voiture entre ses deux geôlières; une heure après, la voiture s'arrêtait, et un double serrement de main lui adressait un dernier adieu.

La portière s'ouvrit. A peine à terre, Horace arracha le bandeau qui lui couvrait les yeux; mais il ne vit rien autre chose que le même cocher, la même voiture et les deux tuppanelles: encore à peine eut-il le temps de les voir, car au moment où il enlevait le mouchoir la voiture repartait au galop. Il était déposé, au reste, au même endroit où il avait été pris.

Horace profita des premiers rayons du jour qui commençaient à paraître pour s'orienter. Bientôt il se retrouva sur la place de la foire et reconnut la rue qui conduisait à son hôtel: en l'apercevant le garçon fit un grand cri de joie.

On l'avait cru assassiné. Ses deux compagnons l'avaient attendu huit jours; mais voyant qu'il ne reparaissait pas et qu'on n'en entendait pas parler, ils avaient fini par perdre tout espoir: alors ils avaient fait leur déclaration au juge, avaient mis les effets de leur camarade sous la garde du maître de l'hôtel et avaient, pour le cas peu probable où Horace reparaîtrait, laissé une lettre dans laquelle ils lui indiquaient l'itinéraire qu'ils comptaient parcourir.

Le Capitaine Aréna — Tome 1

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