Читать книгу Bric-à-brac - Александр Дюма, Dumas Alexandre - Страница 5

LE CURÉ DE BOULOGNE

Оглавление

Voici une petite histoire gui est populaire dans la marine française, et que je meurs d'envie de populariser parmi les terriens.

Vous me direz si elle valait la peine d'être racontée.

Le 14 novembre de l'année 1766, une calèche découverte, attelée de chevaux de poste, emportant trois officiers de marine, dont l'un était assis sur la banquette du fond, et les deux autres sur la banquette de devant, ce qui indiquait une différence notable dans les grades, traversait le bois de Boulogne, venant de la barrière de l'Étoile, et suivant l'avenue de Saint-Cloud.

À la hauteur du château de la Muette, elle croisa un prêtre qui se promenait à petits pas, lisant son bréviaire, dans une contre-allée.

– Hé! postillon, cria l'officier assis au fond de la calèche, arrêtez donc un peu, s'il vous plaît.

Le postillon s'arrêta.

Cette invitation donnée à haute voix, et le bruit que fit le postillon en arrêtant ses chevaux, amenèrent naturellement le prêtre à lever la tête, et à fixer les yeux sur la calèche et les trois voyageurs.

– Pardieu! je ne me trompais pas, dit l'officier assis au fond de la voiture, c'est toi, mon cher Rémy?

Le prêtre regardait avec étonnement; cependant, peu à peu son visage s'éclairait du jour qui se faisait en lui-même, et sa bouche passait de l'étonnenient au sourire.

– Ah! dit-il enfin, c'est vous?

– Comment, vous?

– Non… c'est toi, Antoine!

– Oui, c'est moi, Antoine de Bougainville.

– Mon Dieu! qu'es-tu donc devenu depuis vingt-cinq ans que nous nous sommes quittés?

– Ce que je suis devenu, cher ami? dit Bougainville; viens t'asseoir un instant près de moi, et je te le dirai.

– Mais…

Le prêtre regarda autour de lui avec inquiétude, comme s'il avait peur de s'écarter de son domicile.

Bougainville comprit sa crainte.

– Sois tranquille; nous irons au pas, répondit-il.

Un valet descendit du siège de derrière, et abaissa le marchepied.

– C'est qu'il est onze heures un quart, dit le prêtre, et Marianne m'attend pour dîner.

– Où demeures-tu, d'abord?.. Mais assieds-toi donc!

Et Bougainville tira légèrement par sa soutane le prêtre, qui s'assit.

– Où je demeure? dit celui-ci.

– Oui.

– À Boulogne… Je suis curé de Boulogne, mon ami.

– Ah! ah! je t'en fais mon compliment; tu avais toujours eu la vocation.

– Aussi, tu vois, suis-je entré dans les ordres.

– Et tu es content?

– Enchanté, mon ami! La cure de Boulogne n'est pas une cure de premier ordre: elle ne rapporte que huit cents livres; mais mes goûts sont modestes, et il me reste encore quatre cents livres par an à donner aux pauvres.

– Cher Rémy!.. Vous pouvez aller au petit trot, afin que nous perdions le moins de temps possible.

Le postillon fit prendre à ses chevaux l'allure demandée, laquelle, si modérée qu'elle fût, n'en amena pas moins un nuage d'inquiétude sur la physionomie du curé.

– Mais sois donc tranquille, dit Bougainville, puisque nous allons du côté de Boulogne.

– Mon ami, dit en riant l'abbé Rémy, il y a vingt ans que je suis curé à Boulogne; il y a quinze ans que Marianne est avec moi, et jamais, à moins d'être retenu près d'un mourant, je ne suis rentré à midi cinq minutes; aussi, à midi juste, la soupe est sur la table, et… tu comprends?..

– Oui; ne crains rien, je ne voudrais pas inquiéter Marianne… À midi juste, tu seras chez toi.

– Voilà qui me rassure… Mais parlons un peu de toi-même: n'est-ce pas l'uniforme de la marine que tu portes là?

– Oui, je suis capitaine de vaisseau.

– Comment cela se fait-il? Je te croyais avocat.

– Vraiment?

– Dame, en sortant du collége, ne t'étais-tu pas mis à l'étude des lois?

– Que veux-tu, mon cher Rémy! toi, l'élu du Seigneur, tu dois mieux que personne connaître le proverbe: «L'homme propose et Dieu dispose!» C'est vrai, j'ai été reçu, en 1752, avocat au parlement de Paris.

– Ah! je savais bien, moi! dit le bon prêtre on tirant de son bréviaire son doigt, qui indiquait la place où il en était resté de sa lecture. Ainsi, tu as été reçu avocat?

– Oui; mais, en même temps que j'étais reçu avocat, continua

Bougainville, je me faisais inscrire aux mousquetaires.

– Oh! en effet, tu avais toujours eu du goût pour les armes, et surtout des dispositions pour les mathématiques.

– Tu te rappelles cela?

– Tiens, par exemple! N'étaîs-je pas ton meilleur ami au collége?

– Ah! c'est bien vrai!

– Est-ce toi ou ton frère Louis qui est de l'Académie?

Bougainville sourit.

– C'est mon frère, dit-il, ou plutôt c'était mon frère; car il faut que tu saches que j'ai eu le malheur de le perdre, il y a trois ans.

– Ah! pauvre Louis… Mais, que veux-tu! nous sommes tous mortels, et il fait bon ne regarder cette vie que comme un voyage qui nous mène au port… Pardon, mon ami, il me semble que nous passons Boulogne.

Bougainville regarda à sa montre.

– Bah! dit-il, qu'importe! il n'est que onze heures et demie, et, par conséquent, tu as encore vingt bonnes minutes devant toi. Plus vite, postillon!

– Comment, plus vite?

– Puisque tu es pressé, mon ami!

– Bougainville!..

– Quoi! le désir de savoir ce que je suis devenu ne l'emporte pas en toi sur la crainte d'inquiéter Marianne par un retard de cinq minutes?.. Oh! le triste ami que j'ai là!

– Tu as raison… ma foi, cinq minutes de plus ou de moins…

Raconte-moi cela, mon cher Antoine. D'ailleurs, quand je dirai à

Marianne que c'est pour toi et par toi que je suis en retard, elle ne grondera plus.

– Marianne me connaît donc?

– Si elle te connaît? Je le crois bien! Vingt fois je lui ai parlé de toi… Mais, voyons, dépêche-toi, et achève de me dire comment il se fait que, ayant été reçu avocat, et t'étant fait inscrire dans les mousquetaires, je te retrouve officier de marine.

-C'est bien simple, et, en deux mots, je vais t'expliquer tout cela. En 1753, j'entrai comme aide-major dans le bataillon provincial de Picardie; l'année suivante, je fus nommé aide de camp de Chevert, que je quittai pour devenir secrétaire d'ambassade à Londres et me faire recevoir membre de la Société royale; en 1756, je partis comme capitaine de dragons avec le marquis de Montcalm, chargé de défendre le Canada…

– Bon! bon! bon! interrompit l'abbé Rémy, je te vois venir!..

Continue, mon ami, continue, je t'écoute.

Complétement captivé par le récit de Bougainville, l'abbé n'avait pas remarqué que les chevaux étaient passés tout doucement du petit trot au grand trot.

Bougainville continua:

– Une fois au Canada, j'étais presque maître de mon avenir; je n'avais qu'à bien faire pour arriver à tout. Je fus chargé par le marquis de Montcalm de plusieurs expéditions, que je menai à bonne fin; ainsi, par exemple, après une marche de soixante lieues à travers des bois que l'on jugeait impénétrables, et tantôt sur un terrain couvert de neige, tantôt sur les glaces de la rivière de Richelieu, je m'avançai jusqu'au fond du lac du Saint-Sacrement, où je brûlai une flottille anglaise sous le fort même qui la protégeait.

– Comment, dit l'abbé, c'est toi qui as fait cela? Oh! j'ai lu la relation de cet événement; mais je ne savais pas que tu en fusses le héros…

– N'as-tu pas reconnu mon nom?

– J'ai reconnu le nom, mais je n'ai pas reconnu l'homme… Comment veux-tu que je reconnaisse, dans un basochien que je quitte étudiant les lois, et aspirant à être avocat au parlement, un gaillard qui brûle des flottes au fond du Canada?.. Tu comprends bien que ce n'était pas possible.

En ce moment, la voiture s'arrêta devant une maison de poste.

– Oh! dit l'abbé Rémy, où sommes-nous, Antoine?

– Nous sommes à Sèvres, mon ami.

– À Sèvres!.. Et quelle heure est-il? Bougainville regarda à sa montre.

– Il est midi dix minutes.

– Oh! mon Dieu! s'écria l'abbé; mais jamais je ne serai à Boulogne pour midi.

– C'est plus que probable.

– Une lieue à faire!

– Une lieue et demie.

– Si, au moins, je trouvais un coucou…

L'abbé se leva tout droit dans la voiture, porta ses regards autour de lui aussi loin que la vue pouvait s'étendre, et n'aperçut pas le plus mince véhicule.

– N'importe, j'irai à pied.

– Mais non, tu n'iras pas à pied, dit Bougainville.

– Comment, je n'irai pas à pied?

– Non, il ne sera pas dit que tu auras attrapé une pleurésie pour avoir fait la conduite à un ami.

– J'irai doucement.

– Oh! je te connais; tu craindras d'être grondé par mademoiselle Marianne, tu presseras le pas, tu arriveras en sueur, tu boiras froid, tu te donneras une fluxion de poitrine… un imbécile de médecin te purgera au lieu de te saigner, ou te saignera au lieu de te purger, et, trois jours après, bonsoir… plus d'abbé Rémy!

– Il faut pourtant que je retourne à Boulogne. Hé! postillon! postillon! arrêtez… arrêtez donc! La voiture, relayée, repartait au trot.

– Écoute, dit Bougainville, voici ce qu'il y a de mieux à faire.

– Ce qu'il y a de mieux à faire, mon bon ami, mon cher Antoine, c'est d'arrêter les chevaux, afin que je descende et que je regagne Boulogne.

– Mais non, dit Bougainville; ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de venir avec moi jusqu'à Versailles.

– Jusqu'à Versailles?..

– Oui, puisque tu as manqué le dîner de mademoiselle Marianne, tu dîneras avec moi à Versailles. Pendant que j'irai prendre les derniers ordres de Sa Majesté, un de ces messieurs se chargera de trouver un coucou qui te ramènera à Boulogne.

– En vérité, mon ami, ce serait avec grand plaisir, mais…

– Mais quoi?

L'abbé Rémy tâta les poches de sa veste, plongea alternativement les deux mains jusqu'au fond de ses goussets.

– Mais, continua-t-il, Marianne n'a pas mis d'argent dans mes poches.

– Qu'à cela ne tienne, mon cher Rémy: à Versailles, je demanderai au roi cent écus pour les pauvres de Boulogne; le roi me les accordera, je te les donnerai; tu leur emprunteras un petit écu afin de retourner en coucou à Boulogne, et tout sera dit.

– Comment, tu crois que le roi te donnera cent écus pour mes pauvres?

– J'en suis sûr.

– Parole d'honneur?

– Foi de gentilhomme!

– Mon ami, voilà qui me décide.

– Merci! tu ne serais pas venu pour moi, et tu viens pour tes pauvres; mieux vaut, à ce qu'il paraît, être ton pauvre que ton ami.

– Je ne dis pas cela, mon cher Antoine; mais, tu comprends, un curé qui se dérange, il lui faut une excuse.

– Une excuse?.. Oh! si tu découchais, je ne dis pas…

– Comment, si je découchais? s'écria l'abbé Rémy effrayé; aurais-tu donc l'intention de me faire découcher?.. Postillon! hé! postillon!

– Mais non, n'aie donc pas peur… Au train dont nous allons, nous serons à Versailles à une heure; nous aurons dîné à deux; tu pourras partir à trois.

– Pourquoi à trois, et pas à deux?

– Mais parce qu'il me faut le temps de voir le roi et de lui demander les cent écus.

– Ah! c'est vrai.

– Trois heures pour revenir en coucou de Versailles; tu seras chez toi à six heures.

– Que dira Marianne?

– Bah! quand Marianne te verra revenir avec cent écus émanant directement du roi, Marianne sera heureuse et fière de ton influence.

– Tu as, ma foi, raison… Tu me raconteras tout ce que le roi t'aura dit; elle en aura pour huit jours, avec ses voisines, à parler de cette aventure.

– Ainsi, c'est convenu, nous dînons à Versailles?

– Va pour Versailles! Mais, au moins, dis-moi la fin de ton histoire.

– Ah! c'est vrai!.. Nous en étions à mon expédition sur le Saint-Sacrement. Elle me valut le grade de maréchal des logis de l'un des corps d'armée, et la mission d'aller à Versailles expliquer la situation précaire du gouverneur du Canada et demander pour lui du renfort. Je restai deux ans et demi en France sans rien obtenir de ce que je demandais; il est vrai que j'obtins ce que je ne demandais pas, c'est-à-dire la croix de Saint-Louis et le grade de colonel à la suite du régiment de Rouergue. J'arrivai au Canada juste pour recevoir du marquis de Montcalm le commandement des grenadiers et des volontaires dans la fameuse retraite de Québec, que je fus chargé de couvrir. Arrivé sous les murs de la ville, Montcalm crut pouvoir risquer une bataille; les deux généraux furent tués: Montcalm, dans nos rangs; Wolf, dans ceux des Anglais. Montcalm mort, notre armée battue, il n'y avait plus moyen de défendre le Canada. Je revins en France, et je fis, en qualité d'aide de camp de M. de Choiseul-Stainville, la campagne de 1761, en Allemagne…

– Mais alors, c'est donc à toi, interrompit le curé de Boulogne, que le roi a fait cadeau de deux canons?

– Qui t'a appris cela?

– Mais je l'ai lu, mon ami, dans la Gazette de la Cour.. Aurais-je pu penser que ce Bougainville-là était mon ami Antoine?

– Et qu'as-tu dit du cadeau?

– Dame, il m'a paru bien mérité… mais, pourtant, j'ai trouvé que le roi aurait pu donner à ce M. Bougainville, que j'étais si loin de me douter être toi, quelque chose de plus facile à transporter que deux canons… car enfin, c'est très-honorable, deux canons, mais on ne peut pas conduire cela partout où l'on va.

– Il y a du vrai dans ce que tu dis là, reprit Bougainville en riant; mais, comme en même temps le roi venait de me nommer capitaine de vaisseau et de me charger de fonder, pour les habitants de Saint-Malo et aussi pour moi-même, un établissement dans les îles Malouines, je pensai que mes deux canons pourraient avoir là leur utilité.

– Ah! cela, c'est vrai, dit l'abbé Rémy; mais, excuse mon ignorance en géographie, mon cher Antoine, où prends-tu les îles Malouines?

– Pardon, mon ami, dit Bougainville, j'aurais dû les appeler les îles

Falkland, attendu que c'est moi qui leur ai donné ce nom d'îles

Malouines, en l'honneur de la ville de Saint-Malo.

– À la bonne heure! dit l'abbé Rémy en souriant, sous ce nom-là, je les reconnais! Les îles Falkland appartiennent à l'archipel de l'océan Atlantique; je les vois d'ici, près de la pointe méridionale de l'Amérique du Sud, à l'est du détroit de Magellan.

– Par ma foi, dit Bougainville, Strong, qui les a baptisées, n'aurait pas mieux déterminé leur gisement… Tu t'occupes donc de géographie dans ta cure de Boulogne?

– Oh! mon ami, étant jeune, j'avais toujours ambitionné une mission dans les Indes… J'étais né voyageur, moi, et je ne sais pas ce que j'aurais donné pour faire le tour du monde… autrefois, pas maintenant.

– Oui, je comprends, dit Bougainville en échangeant un coup d'oeil avec ses deux compagnons, aujourd'hui, cela te dérangerait de tes habitudes… Alors, tu as voyagé?

– Mon ami, je n'ai jamais dépassé Versailles.

– Ainsi, tu ne connais pas la mer?

– Non.

– Tu n'as jamais vu un vaisseau?

– J'ai vu le coche d'Auxerre.

– C'est quelque chose; mais cela ne peut te donner qu'une idée très-imparfaite d'une frégate de soixante canons.

– Je le crois, comme toi, ajouta naïvement l'abbé Rémy. Et tu dis donc que tu partis pour les îles Malouines, où le gouvernement t'avait autorisé à fonder un établissement, – que tu fondas, je n'en doute pas?

– En effet… Malheureusement, les Espagnols, après la paix de Paris, firent valoir leurs droits sur ces îles; leur réclamation parut juste à la cour de France, qui les leur rendit, à la condition qu'ils m'indemniseraient des frais que j'avais faits.

– Et t'ont-ils indemnisé, au moins?

Bric-à-brac

Подняться наверх