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II

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Table des matières

Après le départ du baron, Gaston d'Outreville se jeta dans le fauteuil, plongea sa tête dans ses deux mains, et réfléchit si longuement que son encre de Chine eut le temps de sécher. «À quel propos, se demandait-il, une bourgeoise vient-elle m'offrir sa fille et cent mille francs de rente?» Je connais bon nombre de jeunes gens qui, à sa place, eussent été moins embarrassés. Ils auraient eu bientôt fait de construire[61] un roman d'amour pour expliquer tout le mystère. Mais Gaston manquait de fatuité, comme Lucile de coquetterie. La seule idée qui lui vint fut que Mme Benoît voulait pour gendre un forgeron bien élevé. «Elle a entendu parler de moi, pensa-t-il; on lui aura[62] dit un mot de mes recherches et de mes découvertes; j'étais assez répandu dans le faubourg, du temps que je ne connaissais pas encore la sottise et la vanité des relations du monde. Il est évident que cette usine a besoin d'un homme: une mère et sa fille additionnées ensemble ne font pas un maître de forges. Qui sait si les travaux ne sont pas en souffrance, si l'entreprise n'est pas en péril? Eh bien, morbleu! nous la sauverons. Outreville à la rescousse! Comme disaient nos aïeux, ces artisans héroïques qui forgeaient leurs épées eux-mêmes.» Là-dessus, il refit de l'encre de Chine[63] et termina consciencieusement son lavis.

Le lendemain, il se promena à grands pas dans le jardin du Luxembourg, jusqu'à l'heure du déjeuner.

Après midi, il s'enferma dans un cabinet de lecture, où il feuilleta successivement tous les journaux du jour et toutes les revues du mois; depuis longtemps il n'avait fait pareille débauche. «Il est heureux, pensait-il, qu'on ne se marie pas souvent: on ne travaillerait guère.» À cinq heures, il se mit à sa toilette, qui fut longue: il s'attendait à dîner avec sa future. Six heures et demie sonnaient lorsqu'il entra chez le baron. Il espérait savoir de son vieil ami comment Mme Benoît avait pris la fantaisie de le choisir pour gendre: mais le baron fut mystérieux comme un oracle. Il respectait trop son orgueil pour lui conter la vérité. En arrivant au petit hôtel de la rue Saint-Dominique, ils aperçurent deux ouvriers juchés sur une double échelle et occupés à mesurer quelque chose au-dessus de la porte cochère.

«Devinez, dit le baron, ce que ces braves gens font là-haut! ils prennent la mesure d'une plaque de marbre sur laquelle on écrira: Hôtel d'Outreville.

—Bonne plaisanterie! répondit Gaston en franchissant le seuil de la porte.

—Vous ne me croyez pas? Revenez un peu par ici. Holà! monsieur Renaudot; n'est-ce pas vous que je vois?

—Oui, monsieur le baron, dit le marbrier, qui descendit aussitôt.

—Dans combien de temps pensez-vous pouvoir poser la plaque?

—Mais pas avant un mois, monsieur le baron, à cause des armes qu'il faut sculpter au-dessus.

—Comment! vous n'avez demandé que quinze jours au marquis de Croix-Maugars?

—Ah! monsieur le baron, les armes d'Outreville sont bien plus compliquées.

—C'est juste. Bonsoir, monsieur Renaudot. Hé bien, sceptique?

—Ça, mon vieil ami, à travers quel conte de fées me promenez-vous?

—Cela tient du Chat botté[64] puisqu'il y a un marquis...

—Bien obligé!

—Et de la Belle au bois dormant, puisque la future marquise, qui ne vous a jamais vu, dort innocemment sur les deux oreilles au fond de votre forêt d'Arlange, en attendant que le fils du roi vienne la réveiller.

—Comment! elle n'est pas ici?

—Nous lui ferons savoir que vous l'avez regrettée.»

Mme Benoît accueillit ses hôtes à bras ouverts. Avertie à temps du succès de l'affaire, elle avait commandé un dîner d'archevêque. On perdit peu de temps en présentations: les connaissances se font mieux à table. La conversation s'engagea assez plaisamment entre la belle-mère et le gendre. Gaston parlait Arlange, Mme Benoît répondait faubourg: elle se lançait dans les questions de noblesse, il faisait un détour et revenait aux forges, chacun suivant obstinément son idée favorite. Cette lutte obstinée n'éclaira personne, pas même l'excellent baron, qui se livrait au seul plaisir de son âge, et faisait honneur au dîner plus qu'à la conversation.

Mme Benoît ne devina point la passion de son gendre, et Gaston ne soupçonna pas la manie de sa belle-mère. Il se disait: «De deux choses l'une: ou Mme Benoît évite par vanité bourgeoise de parler du sujet qui l'intéresse le plus: ou elle craint d'ennuyer le baron, qui ne nous écoute pas.» Mme Benoît pensait au même moment: «Le pauvre garçon croit faire acte de politesse en me parlant des choses que je connais; il ne sait pas que je connais le faubourg aussi bien que lui.» De guerre las,[65] Gaston abandonna la question des fers et l'industrie métallurgique, et Mme Benoît put l'interroger sur tout ce qu'elle voulut. Elle savait par cœur le grand-livre du magasin de son père, ce prosaïque livre d'or[66] de la noblesse parisienne, et elle n'ignorait aucun des noms que d'Hozier aurait reconnus. Pour s'assurer que Gaston était en mesure de la conduire partout, elle lui fit subir, sans qu'il s'en doutât, un examen dont il se tira naïvement à son honneur. Elle se réjouit dans les profondeurs de son ambition en apprenant que Gaston avait dîné ici, qu'il avait dansé là; qu'on le tutoyait dans telle maison, qu'on le grondait dans telle autre; qu'il avait joué à dix ans avec tel duc et galopé à vingt ans avec tel prince. Elle inscrivit dans sa mémoire sur des tables de pierre et d'airain toutes les parentes proches ou lointaines de son gendre. Si elle en avait oublié une seule, elle aurait cru manquer à sa propre famille.

Après le café, on fit un tour de jardin: la nuit était magnifique et le ciel illuminé comme pour une fête. Mme Benoît montra au marquis les propriétés voisines.

«Ici, dit-elle, nous avons le comte de Preux, le connaissez-vous?

—Il est mon oncle à la mode de Bretagne.»[67]

La glorieuse bourgeoise inscrivit triomphalement ce parent inespéré. «Là, poursuivit-elle, c'est la maréchale de Lens. Ce serait une rencontre curieuse qu'elle fût aussi de la famille.

—Non, madame, mais elle était la marraine d'un frère que j'ai perdu.

—Bon! pensa Mme Benoît. Si le gros intendant est encore de ce monde, nous verrons à le faire chasser.[68] C'est un trésor qu'un pareil gendre!»

Si Gaston s'était avisé de dire: «Sautons par-dessus le mur et allons surprendre la maréchale,» Mme Benoît aurait sauté.

Mais le baron, qui se couchait volontiers au sortir de table, sonna la retraite,[69] et Gaston le suivit. Un bon coupé, au chiffre de Mme Benoît, les attendait à la porte.

«Mon cher enfant, dit le baron dès que la portière fut fermée, j'ai prodigieusement dîné; et vous? Mais on ne dîne pas à votre âge. Comment trouvez-vous votre belle-mère?

—Je la trouve à souhait;[70] c'est une femme vaine et creuse, qui ne se mêlera pas de la forge et qui ne viendra point contrarier mes expériences.

—Tant mieux si elle vous a plu. Quant à vous, vous avez fait sa conquête: elle me l'a dit d'un signe pendant que je lui baisais la main. Je crois que nous pouvons faire la demande en mariage.[71]

—Déjà?

—Mais c'est ainsi que les affaires se traitent dans tous les contes de fées. Lorsque le fils du roi eut réveillé la Belle au bois dormant, il l'épousa séance tenante, sans même aller quérir la permission de ses parents.

—Quant à moi, je n'ai malheureusement besoin de la permission de personne.

—Si vous trouvez que demain soit un peu tôt, nous attendrons quelques jours. Je me tiendrai à vos ordres. À propos, il faudra que vous me prêtiez[72] votre acte de naissance et quelques autres pièces indispensables.

—Quand vous voudrez.[73] J'ai tous mes papiers dans une liasse; vous y prendrez ce qu'il faudra.»

La voiture s'arrêta devant la maison du baron. Gaston descendit aussi et continua sa route à pied, pour s'assurer qu'il ne rêvait pas.

Le lendemain, M. de Subressac vint prendre l'acte de naissance et emporta, comme par distraction, tous les papiers qui l'accompagnaient. Il confia le dossier à Mme Benoît, qui, par excès de précaution, le soumit aux lunettes d'un archiviste paléographe, ancien élève de l'École des chartes et conservateur adjoint à la Bibliothèque royale. L'authenticité du moindre chiffon fut reconnue et certifiée. Le baron fit alors la demande officielle, qui fut agréée par acclamation.

La radieuse veuve resta quelque temps incertaine si elle marierait sa fille à Paris ou si elle transporterait cette grande cérémonie dans la petite église d'Arlange. D'un côté, il était bien flatteur d'occuper le maître-autel de Saint-Thomas d'Aquin et de déranger la moitié du faubourg[74] pour la messe de mariage; mais on avait une revanche à prendre, et il importait d'effacer dans le pays les dernières traces du marquisat de Kerpry. Mme Benoît se décida pour Arlange, mais avec le ferme propos de revenir bientôt à Paris. Elle écrivit à son carrossier:

Monsieur Barnes, je partirai le 5 mai pour marier ma fille, qui épouse, comme vous savez, le marquis d'Outreville. Aussitôt mon départ,[75] vous ferez prendre toutes mes voitures pour les remettre à neuf et peindre sur les portières les armes ci-jointes. De plus, je vous prie de me faire le plus tôt possible un carrosse dans l'ancien style, large, haut et de la forme la plus noble que vous pourrez. Le cocher et les laquais seront poudrés à blanc; réglez-vous là-dessus pour l'harmonie des couleurs.

Elle songea ensuite que ce serait sa fille qui l'introduirait dans le monde, et cette idée lui inspira une recrudescence d'amour maternel. Elle écrivit à Lucile, qu'elle n'avait pas accoutumée à beaucoup de tendresse:

Heath's Modern Language Series: La Mère de la Marquise

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