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CABINET DE TRAVAIL

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(Suite)

Après la cheminée, le mur reprend avec la littérature, avec la poésie.

Avouons-le franchement, la poésie du temps ne vaut quelque chose que par les estampes des dessinateurs qui l'ont illustrée. Parlons donc des poètes à images.

C'est en première ligne Dorat et ses Baisers et ses Fables, et ses petits poèmes, avec ses illustrateurs ordinaires, Eisen et Marillier.

Puis, prenant au hasard dans la rangée de livres, il nous tombe sous la main la «Pucelle d'Orléans», avec les figures de Gravelot; les insipides «Héroïdes» de Blin de Sainmore à la pompeuse illustration; les trois volumes des «A-propos de société», où Moreau a fait tenir de si charmantes sociétés dans des carrés, grands comme une carte de visite; les «Saisons» de Saint-Lambert, avec les figures de Leprince et les en-tête de Choffart; «Mon Odyssée», décorée de dessins de Desfriches, gravés par Cochin, qui a dessiné incontestablement les figures des dessins; le rare petit poème, intitulé: «les Bienfaits du Sommeil», dont les Moreau sont si finement gravés par De Launay; les «Historiettes ou nouvelles en vers», par M. Imbert, dont le titre est à la fois dessiné et gravé par Moreau; les «Idylles» de Berquin, aux mièvres petites images, se payant aujourd'hui un prix si déraisonnable; le «Temple de Gnide» mis en vers par Colardeau, avec les estampes d'après Monnet; les «Amusements d'un Convalescent», dont le frontispice de Gravelot est la merveille des frontispices passés, présents et à venir; les «Quatre Heures de la toilette des Dames», poème dédié à la princesse de Lamballe, et princièrement illustré de vignettes et de culs-de-lampe de Leclerc; enfin un exemplaire des «Chansons de la Borde», en veau, il est vrai, mais payé 25 francs, et chez Sieurain, – il y a trente ans.

Gardons-nous de passer sous silence, parmi ces livres, l'édition de 1760, des «Poésies de M. Sedaine», qui renferme le rare et artistique portrait du poète et de l'ami, gravé par Gabriel de Saint-Aubin.

Et n'oublions pas encore les méchants vers badins du Joujou des demoiselles, aux deux titres dessinés par Eisen, et dont chaque page a un en-tête gravé; et les méchants vers polissons du Bijou de Société ou l'Amusement des Grâces, A Paphos, l'An des plaisirs: petits volumes au texte gravé, aux eaux-fortes maladroites.

Mais il faut encore donner place ici à ces almanachs chantants, qui font rage aujourd'hui, à ces almanachs illustrés de minuscules vignettes anonymes, mais souvent spirituelles, et qui s'appellent de ce titre: Calendrier de Paphos, ou bien de cet autre: la Fleur des plaisirs, «Étrennes chantantes à la mode, dédiées aux Grâces, enrichies de figures, et suivies du gazetier chantant avec tablettes économiques, Perte et Gain, petit secrétaire à l'usage des dames. Chez le sieur Desnos.» L'un de ces petits volumes intitulé: les Délices de Cérès, contient des vues de promenades, des bals de Paris, du Salon de peinture.

Après les poésies, les romans. Ils sont nombreux, les romans, et nombreux dans tous les genres. J'en cite, un peu au hasard, quelques-uns:

«La Vie de Marianne, ou les Aventures de madame la comtesse de *** par M. de Marivaux»: un roman publié en 1731, en ces années où la critique professait que, seules, les aventures de la noblesse pouvaient intéresser le lecteur, et où l'auteur avait le courage de dire dans sa préface: «Il y a des gens qui croient au-dessous d'eux de jeter un regard sur ce que l'opinion a traité d'ignoble, mais ceux qui sont un peu plus philosophes, qui sont un peu moins dupes des distinctions, que l'orgueil a mis dans les choses de ce monde, ces gens-là ne seront pas fâchés de voir ce que c'est que l'Homme dans un cocher, et ce que c'est que la Femme dans une petite marchande.»

De Crébillon fils, les éditions originales du Hasard du coin du feu et de la Nuit et le Moment, ces analyses parlées, et dans la langue la plus subtile qui soit, des mouvements de l'âme de l'homme et de la femme du temps, ces jolies et spirituelles révélations de l'infiniment secret des tentations des sens et des caprices de cervelle de la créature des vieilles civilisations, ces petits romans de génie qui, un jour, prévaudront sur tout le fatras officiel du temps, et auxquels M. Villemain n'a pas même accordé l'honneur de nommer leur auteur, dans son «Cours de littérature du dix-huitième siècle».

Et les romans philosophiques, parmi lesquels est un exemplaire d'Imirce, ou la Fille de la Nature, 1764, par Dulaurens, un exemplaire aux armes et aux initiales de Groubentall, l'ami et le collaborateur de Dulaurens, avec une grande note de sa main, nous apprenant que l'auteur du livre était encore en prison le 5 juillet 1790, et que sa captivité l'avait rendu fou.

Et les romans historiques ou plutôt demi-historiques, dont un des plus curieux est: «Mémoires du chevalier de Ravanne, page de S. A. le duc régent et mousquetaire, Londres 1781», quatre petits volumes Cazin, reliés en maroquin rouge.

Et les romans militaires nous renseignant sur la vie des garnisons et des camps, et nous initiant aux conquêtes du soldat en France et à l'étranger, comme les: «Exploits militaires et galants des officiers de l'armée de France, en Allemagne… Amsterdam, 1742», ou comme: «l'Académie militaire, ou les Héros subalternes, Amsterdam 1777», quatre volumes ornés de vignettes, que je crois de Lepaon.

Et les romans de mœurs, où dans le tas je retire: «le Noviciat du marquis de ***, ou l'Apprentif devenu maître à Cythère, avec l'approbation de Vénus, 1747», petit roman rare qui raconte joliment les timidités et les embarras ingénus d'un premier amour; l'Amour décent et délicat, ou le Beau de la galanterie. A la Tendresse, chez les Amans, 1760; les Spectacles nocturnes, Londres 1756, donnant des détails sur la vie des petites maisons; «le Soupé, ouvrage moral. Londres», roman qui a toute la charmante désinvolture d'un style aujourd'hui perdu; «les Dialogues moraux d'un petit maître philosophe et d'une femme raisonnable, Londres 1774», dialogues descendant des dialogues de Crébillon fils; les Succès d'un fat, 1764, pourtraiturant l'homme auquel les femmes font la cour, et auquel elles sont reconnaissantes de l'honneur qu'il leur fait de publier, qu'il les a conquises; la Jolie Femme, ou la Femme du jour, 1769, avec son coquet titre, dont l'encadrement enferme une table à toilette; la Parisienne en province, 1769, petit livre rendant l'étonnement naïf de la femme de la capitale devant cette nature de campagne, où il n'y a pas le moindre boulingrin, et qui dit, à l'aspect de paysans conduisant une charrue: «Ah! ils labourent, je m'en étais un peu doutée; voilà donc le labourage! Il y a si longtemps que j'étais curieuse de voir labourer!» les Lauriers ecclésiastiques, ou Campagnes de l'abbé T***. «A Luxuropolis. De l'Imprimerie du clergé, 1777», récit voluptueux et espiègle par un petit-collet, de la défaite de soubrettes possédant de l'éducation et l'ensemble de visage le plus frais, de marquises au pied de la délicatesse la plus achevée, de présidentes bien en chair, d'adorables duchesses ayant le diable au corps; «l'Année galante, ou les Intrigues secrètes du marquis de L***, 1785», roman fabriqué avec les aventures de l'Étorière, officier aux gardes; «la Morale des Sens, ou l'Homme du siècle. Extrait des Mémoires de M. le Chevalier de Bar***, rédigés par MM… D. M., Londres, 1792», avec une préface que Béranger semble avoir lue: «Un palais succède à ton taudis: te souviendras-tu alors de nos petits soupers tête à tête, de notre amour, de nos plaisirs. Je dirai, en voyant ta nouvelle métamorphose: Quand j'aimais Babet, nul mortel n'était plus heureux que moi: nous ne possédions que notre amour, et nous n'avions rien à désirer. Quand sa bouche me disait: Je t'aime, son cœur en palpitant me le jurait d'une manière plus touchante. Comme tout est changé!.. quel luxe! quel fracas! Dis-moi, friponne, quand tu seras Émilie, oublieras-tu l'amant de Babet?»

Deux romans se distinguent de tous ces romans. Le premier, c'est Angola, qui fait deux si ravissants petits volumes, dans l'édition de 1751, ornée des vignettes d'Eisen. Indépendamment de son style alerte et comme pirouettant sur un talon rouge, de sa jolie petite observation ironique à la façon d'un sourire de grande dame, indépendamment de ses croquetons sémillants, ce livre est un document curieux pour l'histoire de la langue; le soulignement de son italique nous conserve tous les néologismes, toutes les phrases que les puristes de 1750 ne voulaient pas accepter, et qui font aujourd'hui partie de la langue courante, parlée par tous. Les puristes de notre temps croiront-ils qu'on regardait alors, comme une audace de dire: chercher chicane, raconter d'un ton lamentable, l'air consterné, chanter à faire peur, caresser son jabot, être exactement informé, une attitude singulière, des devoirs pénibles, railler sans miséricorde, les fondements d'un édifice, les contes dont on berce les petits enfants, tourner la cervelle, crever des chevaux de poste, toucher cette corde, langage entortillé, cavalièrement, rompre la glace, rien de si absurde, lutiner, mauvaise plaisanterie, passion malheureuse, prendre comme à tâche, ces sortes de conjectures, affaire arrangée, faire la bégueule, manège habile, quel enfantillage, suer à grosses gouttes, etc.

Le second roman a pour titre: «Thémidore; à la Haye, aux dépens de la Compagnie, 1745», attribué à Godard d'Aucour, le fermier général: une peinture vraie du caractère général de la fille d'alors, peinture bien plus vraie que celle de l'abbé Prévost dans «Manon Lescaut» qui a dû sa fortune sans exemple à un côté de sentimentalité moderne, n'existant pas le moins du monde chez les impures du dix-huitième siècle.

Puis ce sont presque tous les romans de Rétif de la Bretonne, au milieu desquels se trouve un exemplaire broché de la Paysanne pervertie avec les figures, avant les noms des dessinateurs et graveurs; et un exemplaire du Nouvel Abailard, sur papier de Hollande, qui serait, d'après M. Paul Lacroix, le seul exemplaire connu d'un roman complet sur ce papier, du romancier.

Et encore le rarissime roman de Sénac de Meilhan, qui a pour titre: l'Émigré publié par M. de Meilhan, ci-devant intendant du pays d'Aunis de Provence, Avignon et du Hainaut, et intendant général de la guerre et des armées du Roi de France. A Brunswick: Chez P. Fauche et compagnie, 1797, roman in-12 en quatre volumes, ornés d'estampes dessinées par Du Pré, et gravées par Benet, Salomon, Wagner, Dornsted.

Terminons cette bibliographie romancière à vol d'oiseau par la liste des célèbres romans du dix-huitième siècle, avec l'illustration qu'en ont faite les dessinateurs et graveurs contemporains: l'édition de 1756, de «Manon Lescaut» avec les vignettes d'Eisen; l'édition de 1764, de la «Nouvelle Héloïse», avec les vignettes de Gravelot; l'édition de 1772 du «Diable amoureux» de Cazotte, avec les figures où l'habile Moreau a si bien contrefait le dessin enfantin de l'homme de génie, trouvé dans une auberge par l'auteur; l'édition grand in-octavo de 1776, des Confessions du comte de *** par Duclos, avec les figures de Desrais; l'édition de 1796 des «Liaisons dangereuses»; le terrible roman de Laclos, avec les estampes de Monnet, de Fragonard fils, de mademoiselle Gérard; l'édition de l'an VI des «Amours de Faublas» avec les vignettes de Marillier, de Monnet, de Monsiau, de Dutertre, de Demarne, de mademoiselle Gérard; l'édition de l'an XIII de «la Religieuse» avec les cinq figures de Le Barbier.

Quant aux nouvelles et aux contes, je ne citerai que les «Contes moraux» de Marmontel, dont l'édition de 1765, est peut-être, à l'heure présente, le moins cher des livres illustrés, quoique ce soit celui qui contienne les plus charmants et les plus amusants Gravelot, pris sur la vie contemporaine.

Ici, laissant de côté un certain nombre de séries, je vais droit aux livres sur les mœurs.

Tout d'abord les ouvrages sérieux comme le livre de Toussaint, intitulé: les Mœurs, 1768, ou comme: «l'École de l'homme, ou Parallèle des portraits du siècle et des tableaux de l'Écriture sainte, 1752», une espèce de La Bruyère très inconnu du dix-huitième siècle, et qui a, en tête de sa première partie, une clef de ses portraits.

A la suite de ces deux traités dogmatiques, les ouvrages suivants: «les Mœurs de Paris, par M. L. P. Y. E. Amsterdam, 1747»; «le Tableau du siècle, par un auteur connu. Genève, 1759»; «Essai sur le caractère et les mœurs des François comparées à celles des Anglois. Londres, 1776.»

Puis les petits livres, où la peinture des mœurs est relevée d'une forte pointe d'ironie, petits livres un peu trop méprisés de notre siècle, et qui contiennent cependant pas mal de l'alerte et vif esprit français du temps: «l'Apologie de la frivolité, 1750»; «les Ridicules du siècle, 1752»; «le Livre à la mode, 1760», et les autres livres de Carraccioli; «la Berlue, 1760»; «l'Inoculation du bon sens, 1761»; «la Philosophie à la grecque, 1772»; le Livre à la mode, dont son auteur, le chevalier Des Essarts, fait ce piquant portrait de l'officier petit-maître: «Un simple uniforme de drap propre, de grosses bottes soutenues par un talon de trois bons pouces, des éperons aussi clairs que la garde de l'épée, une chemise à manchettes unies, un chapeau retapé à la militaire, les cheveux en queue et une simple boucle; ajoutez à tout cela un col noir, et une épée dont la lame est de défense. Est-ce là l'habillement, la façon de se mettre d'un officier? Eh fi! on a l'air trop soldat. Un officier petit-maître a bien plus de goût. Il lui faut autant de papillotes qu'il a de cheveux, une bourse à la françoise, ou au moins une petite queue ensevelie dans trois livres de poudre appliquées avec art, des manchettes à dentelles, des bas de soye, des souliers à talon rouge et surtout une épée à la françoise; le chapeau…! cet article m'embarrasse un peu… ce n'est pas un chapeau, il n'en a pas la forme; ce n'est pas un bonnet, il n'en a pas la matière; c'est un zest, un soupçon, une idée, un rien fait en forme de ce je ne sais quoi sur lequel est attaché trois petits morceaux de plumet, et on porte sous le bras cette singulière invention.»

Mais parmi tous ces livres et bien d'autres encore, les deux chefs-d'œuvre du genre sont: le Papillotage, 1767, et la Bibliothèque des Petits-Maitres, ou Mémoires pour servir à l'histoire du bon ton et de l'extrêmement bonne compagnie. Au Palais-Royal, chez la petite Lolo, marchande de galanteries, à la Frivolité, 1762.

Dans cet ordre d'écrits au persiflage quintessencié, au joli babil littéraire, tout plein de tours et de voltes de phrases, exécutés avec une prestesse singulière, un abbé, l'abbé Coyer, a écrit un livre qui mérite sa place parmi les plus délicates et les plus incisives ironies: ce sont les Bagatelles morales, et je ne connais rien, dans notre langue, d'une impertinence de style plus grand seigneur, que sa «Lettre à une dame anglaise» qui, dans l'édition originale publiée séparément, porte le titre: Lettre à une jeune dame nouvellement mariée.

Vient le tour des petits croquis satiriques d'une maladie du jour, d'un éphémère goût de la nation, de n'importe quoi enfin, d'un jeu à la mode aussi bien que d'un jubilé, et aussi bien d'un jubilé que de l'approche d'une comète. Les vapeurs sont prises à partie dans la Philosophie des vapeurs, 1774, qui se raille agréablement de la sensibilité vaporeuse, née dans ce siècle de philosophie et de santé délabrée, où la Faculté vient de mettre un fort de la Halle au bouillon de poulet et à l'eau de tilleul. L'anglomanie de nos pères est moquée dans le Préservatif contre l'anglomanie, 1757, où l'auteur, après avoir plaisanté un moment, déclare que nos draps sont de meilleur user et plus maniables que les draps anglais, et établit la supériorité de nos teintures, de nos glaces, de notre argenterie, auprès de laquelle l'argenterie anglaise n'offre que des morceaux vilainement et archaïquement filigranés.

Y a-t-il un jubilé? Voici: les Embarras du jubilé à Paris, 1751, brochure qui nous fait assister au rétablissement dans tous les intérieurs des grands lits de ménage, et au relèguement des romans dans les cabinets, et au travail du convertisseur Doucin, rédigeant un agenda alphabétique des femmes de condition séparées de leurs maris et de celles qui ont des intrigues réglées sous leurs yeux.

Une comète montre-t-elle un rien de sa queue dans le ciel? Aussitôt la brochure la Comète qui entre en matière en ces termes: Aradmé, jolie femme, tenait cercle, et déjà l'on avait épuisé la chronique du jour, tout le persiflage du temps, tous les si et les mais de la calomnie, la liste entière des nouveautés du Petit Dunkerque, etc., lorsqu'on vit arriver subitement certain lettré, pâle, essoufflé, oppressé, haletant, et ayant l'air de vouloir dire bien des choses, sans pouvoir en dire une. Ah! Madame, s'écria-t-il enfin; avez-vous ouï parler de la comète? – Monsieur, j'y ai joué quelquefois. – Ceci n'est point un jeu, Madame, vous ne savez donc pas qu'il nous arrive une comète? – Elle ne m'a point fait part de son arrivée. – Trêve de raillerie, Madame! Apprenez que cette comète est environ dix fois plus grande que notre terre…

Un jeu, le pauvre quadrille a contre lui le Dépit du jeu de quadrille.

Et sur le jour de l'an, il n'y a pas moins de quatre brochures: les Incommodités du Jour de l'an, 1743; le Jour de l'an, en vers; les Visites du Jour de l'an, petite comédie; et les Visites du Jour de l'an ou Étrennes de 1788, toutes brochures tournant en ridicule les visites, et dont la dernière fait ce joli tableau de la visite au Directeur:

Laquais, vite; à la porte. On frappe. Alerte. Ouvrez.

Des sœurs du Sacré-Cœur ce sont les tourières.

Monsieur, permet-il? C'est… de la part de nos Mères

Toutes en général lui font des complimens.

Et toutes pour Monsieur forment des vœux ardens.

«A son petit papa», notre mère Saint-Ange

Adresse six gâteaux. Ils sont de fleurs d'orange.

Voici des macarons de sœur Saint-Augustin

Et voilà du sirop de Bonne Saint-Justin.


Recevez de nos sœurs Barbe, Claire et Marton

Ces biscuits à la rose et ces cœurs au citron.


Et nous voilà aux livres sur les Femmes, l'Amour, le Mariage, dont je vais donner quelques titres: «Réflexions nouvelles sur les femmes par une dame de la cour de France, 1730»; «Lettre de M. l'abbé d'A*** à une demoiselle de condition, au sujet de la politesse et des devoirs des jeunes personnes de son sexe, 1737»; «Lettre sur l'Éducation des femmes et leur caractère en général, par le chevalier de Rauto le Laborie, Saint-Omer 1757»; «l'Ami des Filles, 1762»; «les Testes folles, 1753»; «Tableau de la Bonne Compagnie, 1787»; «Tableau de la Vie, ou des Mœurs du dix-huitième siècle», etc., etc., et encore «la Confession d'une femme qui s'aime uniquement», une assez vraie confession de la femme du temps.

Dans tout ce fatras qui est énorme, deux livres seuls sont dignes d'attention. Le premier: «l'Essai sur le caractère, les mœurs et l'esprit des femmes», par Thomas, est un traité, un peu académique et pas assez spécial de la femme du dix-huitième siècle. Le second, porteur du titre si méchant: «Petit Traité de l'amour des femmes pour les sots; A Bagatelle, 1788», doit être accueilli comme une étude sérieusement psychologique de la femme du siècle, étude entremêlée de portraits, sous des noms supposés, de Mmes de la Suze, de Matignon, de Castellane, de Staël, de la Châtre et de la duchesse de Brancas. Et, avant d'arriver à «la Condition des femmes dans les Républiques, par le citoyen Théremin», arrêtons-nous à la «Pétition des femmes du tiers état», publiée en janvier 1789, qui résume en quelques lignes le triste tableau de leurs destinées:

«Les femmes du tiers état naissent presque toutes sans fortune; leur éducation est très négligée ou très vicieuse: elle consiste à les envoyer à l'école chez un maître, qui lui-même ne sait pas le premier mot de la langue qu'il enseigne; elles continuent à y aller jusqu'à ce qu'elles sachent lire l'office de la Messe en français et les Vêpres en latin. Les premiers devoirs de la religion remplis, on leur apprend à travailler; parvenues à l'âge de quinze à seize ans, elles peuvent gagner cinq ou six sous par jour. Si la nature leur a refusé la beauté, elles épousent sans dot de malheureux artisans, végètent péniblement dans les provinces, et donnent la vie à des enfants qu'elles sont hors d'état d'élever. Si, au contraire, elles naissent jolies, sans culture, sans principes, sans idée de morale, elles deviennent la proie du premier séducteur, font une première faute, viennent à Paris ensevelir leur honte, finissent par s'y perdre entièrement et meurent victimes du libertinage.

Aujourd'hui que la difficulté de subsister force des milliers d'entre elles de se mettre à l'encan, que les hommes trouvent plus commode de les acheter pour un temps que de les conquérir pour toujours, celles qu'un heureux penchant porte à la vertu, que le désir de s'instruire dévore, qui se sentent entraînées par un goût naturel, qui ont surmonté les défauts de leur éducation, et savent un peu de tout sans avoir rien appris, celles enfin qu'un âme haute, un cœur noble, une fierté de sentiment fait appeler bégueules, sont obligées de se jeter dans les cloîtres où l'on n'exige qu'une dot médiocre, ou forcées de se mettre au service; quand elles n'ont pas assez de courage, assez d'héroïsme pour partager le généreux dévouement des filles de saint Vincent de Paul.»

Quant aux femmes de la société, parmi tous les documents qui peignent le désordre de la vie de la plupart de ces femmes, le relâchement des liens du mariage, la facilité des liaisons éphémères, je me bornerai à donner les titres de ces trois pièces réunies dans un volume: l'Isle de la Félicité, Histoire de la Félicité, Formulaire et cérémonial en usage dans l'ordre de la Félicité avec un dictionnaire des termes de marine, usités dans les escadres et leur signification en François, 1745: trois pièces qui sont l'historique, les statuts et le vocabulaire d'une Société du moment, dont les affiliés faisaient brusquement l'amour, quand ils se rencontraient.

Et tant de maris trompés pendant tout le siècle, et tant d'enfants adultérins, amenaient, aux premières années de la Révolution, ces terribles et bien souvent calomnieux dénombrements, imprimés et criés dans la rue, et qui s'appellent: Assemblée de tous les bâtards du royaume, – Procès-verbal et protestations de l'assemblée de l'ordre le plus nombreux du royaume, – Second Procès-verbal de l'assemblée de l'ordre le plus nombreux du royaume tenue à la plaine de Longs-Boyaux. A Concornibus, de l'imprimerie Kornemanique, rue des Cornards, 1789, – et enfin, Nouvelle Assemblée des notables cocus du royaume, en présence des favoris de leurs épouses. A Paris, l'an premier de la Liberté, brochure dans laquelle le rédacteur donne la liste de tous les prétendus amants de la femme, et où, il lui faut rendre cette justice, il ne ménage pas plus l'honneur du tiers état que celui de la noblesse.

A la suite des livres sur la femme et l'amour, les livres sur la prostitution, dont j'ai fait une collection assez difficile à réunir aujourd'hui.

D'abord les traités du temps, contenant une historique de la prostitution, comme le Code de Cythère ou lit de justice d'amour, 1746, comme le Code ou nouveau règlement sur les lieux de prostitution, 1775, se terminant par une réglementation utopique que reprendra Rétif de la Bretonne dans son «Pornographe». Dans cette catégorie de livres, il n'y a que les «Doléances d'un ami des mœurs, qui émettent des idées réalisables, pratiques, mais c'est un ensemble de mesures draconiennes, dont ne pouvait et ne pourra jamais vouloir la corruption d'une vieille civilisation.

Les ordonnances de police concernant les femmes de débauche, dont une à la date du 6 novembre 1778, leur fait «très expresses inhibitions et défenses de raccrocher dans les rues, sur les quais, places et promenades publiques, et sur les boulevards de cette ville de Paris, même par les fenêtres: le tout sous peine d'être rasées et enfermées à l'Hôpital, même en cas de récidive, de punition corporelle

Les livres documentaires sur la matière, dans des genres différents, tels que: les Causes du désordre public, par un vrai citoyen, 1784, qui comptent à Paris 60,000 filles de prostitution, auxquelles il faut ajouter 10,000 privilégiées, et tels que: Représentations à Monsieur le Lieutenant-Général de Police de Paris, sur les courtisanes à la mode et les demoiselles du bon ton à Paris. De l'Imprimerie d'une société de gens ruinés par les femmes, 1762, représentations qui disent qu'au commencement de l'année 1760, il y avait, chez les notaires de Paris, vingt-deux mille contrats de rentes constituées, tant petits que grands, assurant un revenu annuel d'au moins dix millions aux courtisanes de la capitale.

Les rapports de police, ces morceaux de biographie si exacts, dont on trouve des fragments dans la «Police Dévoilée» de Manuel, dans la «Chronique Scandaleuse», dans les «Souvenirs et Mélanges» de M. de Rochefort, dans la «Revue Rétrospective», et dont une partie a été publiée dans le volume ayant pour titre: «Journal des Inspecteurs de M. de Sartine», et encore dans la «Revue Anecdotique»; ces rapports de police ont pour complément les deux rares volumes in-octavo, publiés en 1790: la Chasteté du clergé dévoilée, ou Procès-verbaux des séances du clergé chez les filles de Paris, trouvés à la Bastille.

Il y a encore un peu de biographie vraie de ces femmes dans la Chronique Arétine, Caprée 1789, cette collection de scandaleuses monographies galantes, qui devait comprendre toutes les femmes de la grande et de la petite prostitution, mais dont seulement une livraison a paru, contenant les vies de Dervieux, Sainte-Amaranthe, Chouchou, Leblanc, etc.

Un recueil manuscrit de «Lettres secrètes, année 1783», que je possède, et sur la première page duquel il y a écrit: «Monsieur Naigeon, ami de Diderot, tenait ce manuscrit de Grimm», renferme nombre de détails sur les filles des maisons de prostitution, et particulièrement de la Liébaut. Et sous la rubrique «Histoire des passions», le gazetier raconte les singulières amours du fermier général Mercier avec Agathe, de l'architecte Bourgeois avec Euphrosine et Jeannette, et il indique la maison, rue Maubuée, où Rousseau se faisait «fouetter pour son petit écu», et il parle de la manie amoureuse du vieux Beaujon, qui prenait son plaisir à être emmaillotté, et à prendre la bouillie des mains de nymphes au jupon court.

Viennent ici les ouvrages spirituels, qu'il faut lire cependant: les Lettres de la Fillon, 1751, la Correspondance de madame Gourdan, 1784, et les Canevas de la Paris ou Mémoires pour servir à l'histoire de l'hôtel du Roulle. Ce dernier in-douze mérite qu'on s'y arrête un moment. Il nous montre la maison de prostitution de l'aristocratie et de la finance, avec sa file de carrosses à la porte, sa cour d'honneur, ses remises, ses écuries, son grand salon aux fenêtres ouvertes sur un parterre de fleurs, ses boudoirs aux peintures voluptueuses, ses dégagements, et là dedans la maigre et couperosée Paris1, ayant à ses côtés la Fatime et la Richemont. Il nous donne aussi une liste curieuse, la liste authentique, «des filles roulantes au Palais-Royal» en plein dix-huitième siècle, et qui étaient: la Boismilon, la Dalais, la Mortagne, la Petit, les deux Raton, la Jacquet, la Boufreville, la Dupont, la Delécluse, la Vitry, la Blanchard, la Delaunay, la Pichard, la Duvergier, la Deschamps, la Langlois, la Beaumont, la Désiré, la Dupuis, la Carville, la Rochebrune, la Valois.

C'est maintenant le tour des petits poèmes spéciaux, des «Réclusières de Vénus, 1750», des «Très Humbles Remontrances adressées à Monseigneur le Contrôleur Général, par les Filles du monde», du «Brevet d'apprentissage d'une fille de mode, 1769», du «Testament d'une fille d'amour mourante, 1769», des «Sultanes nocturnes contre les reverbères, 1788», des «Ambulantes à la brune contre la dureté des temps, 1789»: méchants poèmes, détestables vers, qui fournissent une touche de couleur locale, un détail, une expression: c'est ainsi que les «Ambulantes» ont conservé la jolie phrase, avec laquelle les filles attaquaient dans la rue le passant: Petit cœur, petit roi.

Et nous voici arrivés aux romans qui sont tous le même: le saut d'une fille de la bergame et de la coiffeuse au damas et au coiffeur, et dont les moins mauvais sont: «Mademoiselle Javote, histoire morale et véritable», «Histoire nouvelle de Margot des Pelotons, 1775,», l'exemplaire de Pixérécourt, «Margot la Ravaudeuse, 1777», et enfin l'introuvable «Histoire de mademoiselle Brion, dite Comtesse de Launay, honnête P… Imprimée aux dépens de la Société des filles du bon ton, 1783»2.

La Révolution favorise la publication d'une brochure vraiment intéressante pour l'histoire du personnel du Palais-Royal, et de la génération des filles qui succèdent aux filles citées dans «les Canevas de la Paris». C'est la Requête adressée à Monseigneur le duc d'Orléans par les demoiselles de Launay, Latierce, Labacante et autres pour obtenir l'entrée du Palais-Royal qui leur a été interdite. Cette brochure nous donne les noms des abbesses en renom, la Langlois, la Masson, la Labady, le Destival, la Macarre, et, avec les matrones, les signalements des prostituées populaires. La Latierce: figure fine, lèvres rosées, taille svelte, pied pointu, cheveux bruns, front large, main délicate. La Bacchante, baptisée ainsi à cause de sa ressemblance avec une figure de bacchante, exposée au Salon: figure agaçante, jambe leste, chute de taille admirable. La Saint-Maurice: ton badin, figure vive, œil étincelant, voix charmante, démarche fière. Thévenin, dit l'As de Pique: œil bleu, figure large, nez long, gorge plate; et à la suite de ces coryphées de la prostitution, la Blondy, la Delorme à la tête de Maure, la Delorme à la tête de mouton, la Duhamel, Victoire Gobet, la du Have, la Blonde Élancée.

Et, en ces années révolutionnaires, avec l'accroissement de la prostitution amené par la misère, par la ruine de beaucoup de travaux de femmes, et même par la fermeture des couvents, Paris est inondé de brochurettes et de feuilles volantes relatives aux filles. Ce sont les: «Doléances des femmes publiques», les «Lettres de ces dames à monsieur Necker», «l'Arrêté des demoiselles du Palais-Royal, confédérées pour le bien de leur chose publique», la «Ressource qui reste aux demoiselles du Palais-Royal», «l'Œuf de Pâques des demoiselles du Palais-Royal au Clergé», les «Très sérieuses Remontrances des filles à Messieurs de la Noblesse»; petits factums plaisants, où le monde du Camp des Tartares pleure la diminution des revenus de la noblesse et du clergé. La brochurette la plus rare est: La G… en pleurs, ornée d'une figure libre, et classée comme un pamphlet contre Marie-Antoinette3, et qui n'est, dans une langue à la Grécourt, que la lamentation du chœur des filles du Palais-Royal sur leur détresse.

Le titre de cette dernière brochure vous dit le caractère des brochures pornographiques du temps, elles n'ont plus le langage, rien que galant, des livres du dix-huitième siècle, le Père Duchêne a fait son entrée dans la langue de l'amour, et nous avons un terrible spécimen de ce style, dans Dom B… aux États Généraux où l'auteur, sous le voile d'un beau zèle pour le bien public et l'accroissement de la population, bougrifie de la manière la plus ordurière. Et c'est la même langue dans l'Ordonnance de police de Messieurs les Officiers et Gouverneur du Palais-Royal qui fixe le droit et honoraires attachés aux fonctions de filles de joye de la ville. Faut-il aussi parler, à propos des imprimés de ce genre, de l'Almanach des Honnêtes Femmes, qui, sous l'invocation de la fête du Bidet, inscrit des noms de femmes de la société à côté de noms de prostituées. Car, à l'heure des haines politiques, la brochure pornographique devient, des deux côtés, une arme de guerre contre les femmes du parti ennemi, et les six numéros du Petit Journal du Palais-Royal, ou Affiches et Annonces et Avis divers, sont un épouvantable échantillon de cette meurtrière et lâche diffamation. Et pendant la Révolution ce n'est pas seulement la passion politique qui a inscrit dans les listes de prostituées des femmes qui ne le méritaient nullement; ç'a été souvent le sale appétit d'un gain facile, d'un gain meurtrier, ainsi qu'il est arrivé pour ces Étrennes aux grisettes qui ont causé la mort d'une honnête jeune fille du peuple, encataloguée dans la brochure déshonorante4.

Tout en ce temps fournit matière à listes, à catalogues de filles. La Fédération, la grande fête nationale du 14 juillet 1790, fait paraître le Tarif des filles du Palais-Royal et lieux circonvoisins, petit journal qui travaille, en plusieurs numéros, à empêcher «le nombre infini d'étrangers attirés par la fête patriotique», d'être victimes de la vorace cupidité des filles. Et ce tarif est bientôt suivi de l'immonde pamphlet intitulé: les Confédérés V… et Plaintes de leurs femmes aux p… de Paris, où l'écrivain royaliste nomme, parmi les femmes qui ont gâté les députés provinciaux, les épouses des plus célèbres révolutionnaires.

L'année suivante est publié un petit agenda qui a pour titre: Almanach des adresses des demoiselles de Paris, ou Calendrier du Plaisir, contenant leurs noms, demeures, âges, portraits, caractères, talent et le prix de leurs charmes, 1791. Ce sont presque tous les noms des actrices des grands et petits théâtres de Paris, mêlés à des noms de filles du monde et de prostituées du Palais-Royal, avec des indications facétieuses semblables à celles-ci: «Buisson, dite Jeannette, rue de Richelieu; cette nymphe a les plus jolis yeux du monde, la gorge un peu basse, mais passablement ferme. Elle joint à tout cela un joli petit tempérament qui a été fort exercé par son Jeannot (Volange): un souper et 24 livres.» – «Langlade, Palais-Royal, no 35, faisant la renchérie, demandant beaucoup, et se réduisant quand on tient bon à 6 livres5

Le dernier document sur la prostitution est un rarissime journal, à la date d'octobre et de novembre 1796, journal qui n'a eu que trois numéros, et qui ne figure dans aucune collection de la Révolution. Il est intitulé: Journal des femmes du Palais ou tableau de l'état physique et moral des femmes publiques, «rédigé par Cars, officier de santé». Le rédacteur dit avoir pour but de tracer «une carte fidèle de la sphère épicurienne», en prémunissant ses concitoyens des dangers cachés, pour leur santé, sous les fleurs de la capitale6; et commence une série de techniques paragraphes sur les charmes de Sainte-Foix, de Boston, de la novice Émée, de l'adorable Rolando, de Julienne qui sort pour la septième fois de l'hospice des Capucins, et de la femme la mieux faite du Palais, de Fanfan, qui ferait bien de remplacer Julienne là d'où elle vient.

Il y a chez moi un certain goût pour les livres des écrivains à l'imagination déréglée, aux concepts extravagants, aux idées singulières, – pour les livres un peu fous, ces livres où, selon Montaigne, l'esprit, faisant le cheval échappé, enfante des chimères, – et j'ai de ces livres, sur les planches de ma bibliothèque, une petite collection, dont la préface de l'un d'eux vaut la peine d'être citée:

«Un littérateur dont l'âme est brûlante et le cerveau exalté, doit, dans la fougue de son délire, être incapable de mettre certaine suite dans ses conceptions, certaine harmonie dans ses discours, comme il n'écrit que par inspiration; quand il a versé sur le papier l'idée qui l'obsédait, il ne doit plus se rappeler ce qu'il a pensé, il ne doit plus savoir ce qu'il va écrire.

«Si, malgré tous mes aveux et mes protestations, on s'obstine encore à me démontrer que mon ouvrage est extravagant, et que je n'aurais jamais dû le mettre au jour, esprits froids, apathiques géomètres, m'écrierai-je, en lançant un regard de colère sur mes persécuteurs acharnés, qui n'avez jamais senti remuer votre être, tressaillir, fermenter vos facultés, qui n'avez jamais éprouvé le bouleversement d'une âme impétueuse, accablée du poids de ses idées, tourmentée par une excessive énergie et par un besoin d'explosion… Ah! si vous connaissiez les pénibles convulsions d'un enthousiasme retenu, plus indulgents, vous me plaindriez et vous applaudiriez aux débordements de mon imagination… cruels… vous blâmez la ponction salutaire qui a dégagé mon hydropisie, et procuré l'écoulement des eaux putrides et corrosives qui minaient et allaient dissoudre mon existence… Oui, j'ai fait crever l'abcès… J'ai craché un amas prodigieux de glaire et de bile qui m'aurait infailliblement suffoqué… Dieu, votre cœur se soulève… eh bien, éloignez-vous de la dégoûtante cuvette où j'ai vomi, où sont en dépôt tant de matières exécrables… Ne pourrait-on pas conserver, par une espèce de curiosité, ma superfétation étrange, comme un médecin garde, dans un vase d'eau-de-vie, ces môles prodigieuses dont accouchent certaines femmes.» Et le livre qui a cette préface en tête, s'appelle: Cataractes de l'imagination, Déluge de la scribomanie, Vomissement littéraire, Hémorragie encyclopédique, Monstre des Monstres, par Épiménide l'Inspiré. Dans l'antre de Trophonius, au pays des Visions, 1779. Les Cataractes de l'imagination ont pour voisin: Icosameron, ou Histoire d'Édouard et d'Élisabeth, qui passèrent quatre-vingt-un ans chez les Mégamières, habitans aborigènes du protocosme dans l'intérieur de notre globe, traduite de l'anglais, par Jacques Casanova de Seingalt Vénitien. A Prague, à l'Imprimerie de l'École normale, rêve en cinq volumes in-octavo, dans lequel Édouard et Élisabeth, pendant un séjour de quarante ans, en une station de ce monde sublunaire, laissaient quatre millions de descendants produits par l'heureuse propagation des quarante filles dont Élisabeth était accouchée depuis douze ans jusqu'à l'âge de cinquante-deux ans. Et de l'autre côté de l'Icosameron, voici: Morali-philoso-physico-logie des Buveurs d'eaux minérales aux nouvelles sources de Passy, en mai 1787, Divisée par matinées, par M. Tho. Mineau de la Mistringue, l'un des buveurs et leur secrétaire perpétuel, à la Fontaine Cocquerelle, 1787; macédoine bizarre, où il est tour à tour question de la fée Bellie, du développement de la mémoire, grâce au sens interne de la substance cendrée, du jeu de corbillon, des avantages du célibat, du passage d'un convoi de galériens chantant les litanies de la Vierge, de la répartition de l'impôt territorial.

Mais le plus fou et le plus rare de tous ces livres, un ouvrage que je n'ai pas vu repasser une seule fois en vente depuis trente ans, c'est le: «Mémorial pour servir a l'histoire de la Catinomanie… par l'auteur de Deux Plaintes (M. Buleau) rendues à la fin de 1784, l'une à M. le Procureur Général, l'autre à M. le baron de Breteuil, et d'une brochure qui fait la troisième partie de ces Mélanges, 1787.»

Dans ce volume in-quarto, qui n'est rien moins qu'érotique, l'auteur débute ainsi:

Chant premier

Il y eut une fois chez des Ostrogots, peuple catinomane ou catinomaniaque, un particulier qui n'était rien, mais qui ne faisait de mal à personne… ... Et à la suite de ce début, M. Buleau fait entrer en scène la baronne de Gringole, madame Fétiche, madame Pagode, mesdemoiselles Bébé et Catin Bibi, le baron de l'Allure, le vicomte des Gilets, le commandeur des Ruines, monsieur des Cheveux-Gras, et Frétillard et Corniflet, qui se livrent aux digressions les plus entortillées et les plus abracadabrantes, sur toutes les choses discutables de ce monde.

L'histoire commence, chez moi, avec les vingt volumes en grand papier vélin de Saint-Simon, et, continuant dans les journaux et mémoriaux des ducs de Luynes, de Mathieu Marais, de Barbier, d'Argenson, de Grimm, de Bachaumont, finit avec la collection des Mémoires sur la Révolution, également en papier vélin.

A la suite des mémoires historiques généraux, s'allonge sans fin la rangée des mémoires et des documents biographiques. Ç'a été pour moi un amusement de faire, aussi complète que possible, la série des «Femmes»7 en groupant autour de noms connus et même inconnus, d'abord les livres se rattachant à quelque partie de l'existence de la femme, puis les actes et les lettres émanant de sa main, puis les pièces véritablement historiques, puis enfin les biographies suivies des pamphlets: le tout terminé par les mémoires et correspondances apocryphes du temps. Du reste, je ne suis pas fâché de donner un modèle de ce classement, et je choisis Mme du Barry.

Madame du Barry, Constitutions des religieuses de Sainte-Aure à Paris. De l'imprimerie de C. Simon, 1786. (Mme du Barry a été élevée dans cette communauté.)

– Étrennes de la Cour-Neuve. A la Cour-Neuve, 1774. (Mme du Barry a passé quelques années de sa jeunesse dans cette maison de campagne.)

– Procès de M. le comte du Barry avec madame la comtesse de Tournon. A Amsterdam, 1781. (Procès de la nièce de Mme du Barry contenant des détails sur la tante.)

– Lettre autographe de Mme du Barry, lettre d'amour adressée à lord Seymour, ambassadeur d'Angleterre en France.

– Mémoires de Pajou et Drouais, pour Mme du Barry. (Extrait des Mélanges des bibliophiles.)

– L'Égalité controuvée, ou Petite Histoire de la Protection. Contenant les pièces relatives à l'arrestation de la Du Barry, ancienne maîtresse de Louis XV… Ce 31 juillet 1793, l'an deuxième de la République une et indivisible. A Paris, chez Galetti… in-8.

– Acte d'accusation contre Jeanne Vaubernier, femme Dubarry… De l'imprimerie du Tribunal révolutionnaire, in-4o.

– Mémoires historiques de Jeanne Gomart Vaubernier, comtesse Dubarry, par de Favrolles (Mme Guénard). Lerouge, 1803, 4 vol. in-18.

– Madame du Barry, par J. – A. Le Roy. Versailles, 1858, in-18.

– Madame la comtesse du Barry, par Capefigue, Paris, Amyot, 1862, in-18.

– La du Barry, par Edmond et Jules de Goncourt. Charpentier, 1878, in-18.

– Mémoires authentiques de la comtesse de Barré (sic), maîtresse de Louis XV, roi de France. Extraits d'un manuscrit que possède Mme la duchesse de Villeroy, par le chevalier Fr. N. Londres, 1772 (roman), in-12.

– Anecdotes sur madame la comtesse du Barri. Londres, 1775, in-12.

– Remarques sur les anecdotes de la comtesse Dubarri, par madame Sara G. (Goudar). Londres, 1777, in-12.

– Précis historique de la vie de madame la comtesse du Barry avec son portrait. Paris, 1774, in-8o.

– Gazette de Cythère, ou Histoire secrète de madame du Barry. Londres, 1775, in-12.

– Les Plaisirs de la ville et de la cour, ou Réfutation des anecdotes et précis de la vie de madame la comtesse du Barry, écrits par elle-même. Londres, 1778 (roman), in-12.

– Vie de madame la comtesse du Barry, suivie de ses correspondances épistolaires et de ses intrigues galantes et politiques. De l'imprimerie de la Cour, 1790, in-8o, avec portrait.

– Lettres de madame la comtesse du Barry, avec celles des princes. Londres, 1779, in-12 (correspondance apocryphe).

Dans cette série, Marie-Antoinette est représentée par une centaine de brochures, de feuilles volantes, de volumes petits ou grands, parmi lesquels se trouve un exemplaire des «Pièces du Collier», qui compte 26 factums; Mme de Pompadour y figure avec sa biographie de Mlle Fauque, imprimée, manuscrite et augmentée de fragments ajoutés, traduite en anglais, traduite en allemand; Mme d'Épinay et Mme Roland y sont sur papier vélin; Mme du Deffand y a toutes ses éditions, et dans l'une sont encartées quelques lettres inédites de sa charmante correspondante, la duchesse de Choiseul, dont je détache celle-ci, relative aux étrennes de porcelaine, qu'elle avait l'habitude de donner à «la chère enfant»:

Je n'ai pas pu aller souper aujourd'hui chez vous, ma chère enfant, et j'en suis bien fâchée, mais ce qui me fâche bien plus, c'est que je serai peut-être encore quinze jours sans vous voir. On dit que nous ne sortirons de Versailles qu'après les Rois. Je vous envoye d'assez vilaines choses pour vous occuper de moi en attendant. Je voudrais d'ailleurs que vous le fussiez plus agréablement. Je ne mets aucune tournure à mon vilain présent, il n'en vaut pas la peine, puis je suis si bête pour les tournures. Je vous ai demandé, l'autre jour, bien grossièrement ce que vous vouliés pour vos étrennes, vous n'avés jamais eu l'esprit de me le dire. Je vois que tout le monde vous donne, tous les ans, des porcelaines: c'est à cause de cela que je ne devrois pas vous en donner et je vous en donne toujours. Cette année, elles sont affreuses, et je vous en donne plus que jamais, afin que vous ayés des échantillons de tout, et que vous jugiés que, si ce que je vous envoie est affreux, c'est qu'il n'y a rien de joli. Vous avez une tasse de marbre, une de choux et une écuelle. M. de Beauveau ne manquerait pas de dire là-dessus que quand on est bête comme choux, on a beau jeter tout par écuelle, cela n'en est pas moins froid comme un marbre. Je ne suis pourtant pas froide pour vous, ma chère enfant: ainsi, vous ne me trouverés pas si bête, car c'est la chaleur qui fait tout, et sans elle il n'est rien.

Mme Geoffrin, elle! la placide et apaisée bourgeoise, laisse déborder sa colère, trois pages durant, contre le duc de Montmorency qui n'a ni honneur ni bon sens, à propos de ses intérêts dans la Compagnie des Glaces, où était placée une partie de sa fortune.

Ainsi défilent toutes les femmes, et toutes sortes de femmes, et le procès de Louise-Antoine Fontaine, condamnée à être attachée au carcan, ayant deux chapeaux comme bigame, voisine avec l'histoire des «Mesdemoiselles de Saint-Janvier, les deux seules blanches sauvées du massacre de Saint-Domingue».

On trouve, en parcourant ces deux longues planches, où les femmes du passé semblent se tenir, un livre ou un petit bout de papier inédit à la main, on trouve de bien curieux rogatons d'histoire. On trouve le procès-verbal manuscrit de l'ouverture du corps de la Dauphine, mère de Louis XVI, par Tronchin; on trouve le précis en séparation de la comtesse d'Esparbès, la maîtresse aux jolis doigts qui épluchait les cerises de Louis XV; on trouve le fameux pamphlet, imprimé à la brosse, dans une imprimerie secrète: «les Deux Conversations de madame Necker, femme du Directeur-Général des Finances de France. A Genève, chez Cruchaut, 1781», dont l'édition publiée pendant la Révolution n'est qu'une réédition; on trouve le testament olographe de Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d'Orléans, duchesse de Bourbon; on trouve l'extrait imprimé par l'ordre du département de Paris après l'assassinat de Marat, qui peint Charlotte Corday comme une virago malpropre, à la figure érésipélateuse; on trouve la rarissime affiche sur papier bleu de Théroigne de Méricourt aux 48 sections, demandant la formation d'un tribunal de conciliation entre citoyens, composé de femmes. On y trouve, – que n'y trouve-t-on pas? – à côté du billet, où Mme Tallien sollicite l'acteur Mayeur de jouer Dorothée et Bagnolet, on y trouve: la Lettre du Diable à la plus grande P… de Paris. La reconnaissez-vous?

Là je m'arrête, et ne veux pas revenir sur la masse des volumes du dix-huitième siècle et de la Révolution, dans tous les ordres et dans tous les genres, employés par moi, dans l'histoire que j'ai essayée de ces deux époques.

Un petit panneau, au retour du mur, est presque entièrement consacré aux livres de théâtre.

Les almanachs ouvrent la série théâtrale. C'est le rare «Almanach des théatres pour l'année bissextile 1744»; c'est le «Calendrier historique des théâtres de l'Opéra et de la Comédie Françoise et Italienne, 1751», devenu en 1752 «l'Almanach historique et chronologique de tous les théâtres», et qui, sous le titre nouveau: les Spectacles de Paris, va de 1752 à 1815, sauf la lacune de 1794 à 1801; c'est le peu commun «Tableau des théatres, almanach nouveau pour l'année 1748»; c'est «l'État actuel de la musique de la Chambre du Roi et des trois spectacles de Paris», qui, sous un titre un peu modifié, paraît pendant quatorze années»; ce sont «les Spectacles des foires et des boulevards de Paris, ou calendrier historique et chronologique des théâtres forains», renseignants petits volumes sur les théâtres méprisés par les autres almanachs, une suite, dit-on, de huit calendriers qui ne s'est jamais rencontrée complète, et dont je ne possède que les années 1776 et 1777. C'est enfin «l'Almanach général de tous les spectacles de Paris et des provinces», publié en 1791, et où se trouve seulement la nomenclature des nombreux cafés-concerts de la Révolution.

A ces almanachs il faut joindre la «Lettre à madame la duchesse de ***, contenant des Observations sur les talens du Théâtre… 1745» et «les Étrennes des Acteurs des Théâtres de Paris… 1747» et les «Étrennes Logogriphes du théâtre… Sipra, 1746» et encore les «Nouveaux Logogriphes… où l'on trouvera les… danseurs, acteurs et symphonistes fameux de la France, 1744»: mauvaises brochurettes en vers, qui, en ce temps si pauvre de renseignements sur le théâtre, contiennent au moins des noms.

Dans cette série d'almanachs rentre également une réunion de petits livres, almanachs ou autres, où à la nomenclature des noms s'ajoute un peu de critique ou de méchanceté. La Révolution y est représentée par les Miniatures, ou Recherches sur les trois grands spectacles, 1790, et par l'Almanach des grands spectacles de Paris, 1792, qui n'est que «la Chronique scandaleuse des théâtres, Thalicopolis», parue l'année dernière et dont le titre a été changé. Le Directoire grossit cette série par ses «Critique des Acteurs et Actrices des différents théâtres de Paris», ses «Melpomène et Thalie vengées», ses «Revue des Comédiens», ses «Lorgnette de spectacle», ses «Espion des coulisses».

A ces almanachs et critiques succèdent des journaux, parmi lesquels je ne mentionnerai que le Journal des Spectacles, 1793-1794 (194 numéros), si curieux pour les représentations de la période révolutionnaire, et encore le Journal des Théatres (95 numéros), qui date de la première sans-culottide, an troisième.

Suit une intéressante réunion sur les costumes de théâtre: «Recherches sur les costumes et sur les théâtres, tant anciens que modernes, par Le Vacher de Charnois, 1802», ouvrage orné de planches en couleur; «les Costumes et Annales des grands théâtres de Paris, 1786», quatre volumes qui contiennent de si charmants portraits d'actrices, en les légers aquarellages gravés par Janinet; «Les Métamorphoses de Melpomène et de Thalie, ou caractères dramatiques des Comédies Françoise et Italienne. Dessiné par Wirsker»; «Collection de figures théatrales, inventées et gravées par Martin, cy-devant dessinateur des habillements de l'Opéra. Chez l'auteur…», un recueil de 20 grandes planches, qui ont reparu plus tard, en mauvaises épreuves, dans l'immense suite des costumes d'Esnauts et Rapilly.

Au milieu de ces ouvrages à figures, se trouve un manuscrit d'Alceste, ou Mémoire détaillé sur les décorations et habits envoyés à M. de Zibel, pour servir à mettre sur le théâtre de S. M. le Roy de Suède, l'Opéra du Ch. Gluck, au 15 may 1781.» Ce manuscrit est du plus haut intérêt, en ce qu'il donne la description minutieuse des costumes de tous les acteurs, actrices, figurants et figurantes de la pièce. De ce mémoire, qui commence par un grave cours sur le chiton, l'exomide, le xistis, donnons les bons costumes historiques d'Alceste, d'Admète, d'Hercule, d'une Divinité infernale: «Alceste. La tunique de dessus de satin blanc, avec des bordures de satin pourpre, broché d'or, et des émeraudes, ainsi qu'aux bracelets d'or des manches. La tunique de dessous de satin bleu anglais, avec une bande de pourpre, lisérée de deux filets d'or, garnie d'une frange de soye pourpre, d'une forme singulière; et dessous, une dernière tunique de gaze d'Italie avec une petite frange unie de soie blanche. Le voile de gaze très claire, gorge de pigeon. Le manteau de velours bleu, brodé d'or, avec deux glands d'or au devant, doublé de taffetas blanc. Le diadème de pourpre avec franges d'or aux deux bouts. La ceinture de soye verte et or avec des glands. La chaussure formée par des bandes de pourpre. Admète. La tunique de dessus de satin blanc, avec bordures pourpre, brochées d'or. Le manteau de velours pourpre avec broderie d'or et d'émeraudes. Le diadème de velours pourpre brodé et frangé d'or. La ceinture aurore, à filets pourpre, houppe assortie. La culotte taffetas gorge de pigeon. La chaussure, des bandes de pourpre. Hercule. La tunique, la chaussure, la culotte de satin couleur de feu… Divinité Infernale. Un manteau de satin couleur de chair tannée, exprimée au dessin, à préférer à la couleur rouge employée à Paris.»

Du reste, le pauvre diable de costumier fait tous ses efforts pour arriver à la couleur locale, il supplie M. de Zibel de supprimer les bas de soie blanche pour les soldats de la suite d'Hercule, et il lui prêche une révolution, l'engageant à remplacer sur les bras, supposés nus, les manches de taffetas couleur de chair et attachées avec des boutons, par un tricot.

Et, à côté de ce manuscrit, voici le «Catalogue de vente des costumes, tableaux, dessins, gravures, composant le cabinet de feu François-Joseph Talma», où nous trouvons son costume de Néron dans «Britannicus»: Deux manteaux, l'un pourpre et l'autre bleu de ciel avec brocarts d'or; deux tuniques bourre de soie blanche brodées en or: deux mouchoirs blancs et une ceinture bleue rehaussée d'or. Le costume d'Othello était: «un habit de casimir écarlate orné de broderies et velours noir avec dessous en reps blanc enrichi d'or; autre gilet en drap de castor jaune, une ceinture et sa cordelière en soie avec brocarts d'or.»

Les pièces de théâtre du dix-huitième siècle ne sont pas nombreuses chez moi. On y trouve un frais exemplaire du Mariage de Figaro décoré des figures de Saint-Quentin, un Théâtre de Diderot, dont les pièces originales ont été réunies, lors de leur apparition, dans un beau vieux maroquin rouge, un Théâtre de Mme de Montesson, également en maroquin rouge; deux volumes imprimés dans une imprimerie particulière, et que Quérard croit tirés à douze exemplaires; enfin, le recueil en 16 volumes des opéras, imprimés par Ballard, l'exemplaire de Sophie Arnould avec son ex libris et quelques notes jetées en marge; – et c'est tout8. Cependant j'ai recherché des pièces dans lesquelles étaient mis en scène des vivants, et sur les planches de la bibliothèque sont rangés: l'Actrice nouvelle, pièce allusive à la Lecouvreur, qui en fit défendre la représentation et la publication; – la Faculté vengée, dont la scène se passe aux Écoles de médecine, rue de la Bucherie, et où la Tulipe est Falconet; Don Quichotte, Dionis; Sot-en-Ville, Bouillac; Grésillon, Helvétius; Savantasse, Astruc; Muscadin, Sidobre; – le Bureau d'esprit, qui représente Mme Geoffrin sous le nom de Mme de Folincourt; Diderot, de Cocus; le baron d'Holbach, de Cucurbitin; d'Alembert, de Rectiligne; Condorcet, du marquis d'Orsimont; Thomas, de Thomassin; Marmontel, de Féaribole; La Harpe, de M. du Luth; etc.

Maintenant passons aux livres, dans tous les genres, consacrés spécialement à l'Opéra, à la Comédie-Française, à la Comédie-Italienne.

Je laisse, pour l'Opéra, les ordonnances, les règlements, les traités sérieusement historiques, les innombrables brochures sur la querelle de la musique italienne et française, et, dans le tas de papier imprimé et cartonné, je choisis quatre ou cinq plaquettes, qui nous donnent la vie vivante du tripot lyrique.

Voici les Réflexions d'un peintre sur l'Opéra, 1743: une spirituelle photographie de ce qui se voit, en même temps qu'une sténographie de ce qui s'entend à une représentation. C'est un baron étranger qui dit, en prenant place au balcon: «Je viens voir ce fâcheux Opéra.» Au parterre, on n'entend que: «Ah! bonjour, vous voilà! que venez-vous faire ici? Le tambourin est manqué, les paroles sont horribles, et j'ai compté plus de cinq rimes qui ne seroient pas reçues à l'Opéra-Comique.» Dans un coin, un prôneur du passé, un admirateur de Perrin, s'écrie: «Oui, messieurs, je le soutiens, oui, je trouve plus de conduite, plus de décence, plus de gentillesse dans la pastorale de Pomone, que dans tous vos poèmes alambiqués.» Dans une première loge, une femme de la cour, nonchalamment couchée, dit, en allongeant ses mots, négligeant les r, grasseyant par intervalles: «Mais, mon Dieu, il y a ici un monde effroyable. En vérité, il faut avoir perdu l'esprit pour venir s'ennuyer de ce charivari: c'est de la musique pour les étrangers.» Une grosse brune qui remplit la moitié d'une seconde loge, jette à ses voisins: «Cet Opéra, il n'a pas quatre représentations dans le ventre: aussi, il le mérite bien, il n'y a pas le moindre chariot volant!» Et, sur le pas de la porte d'un corridor, on entend un jeune et sémillant magistrat lancer à un ami: «Adieu, ton opéra m'ennuie, je le sais à présent par cœur, il y a trop de monde, je m'en vais à la foire.» Cela, pendant que le foyer retentit de cette phrase adressée à toutes les danseuses et les chanteuses: Bonjour, la reine: vous êtes adorable, vous avez joué comme mille anges!

La Lettre familière de M. le comte d'Albar… à madame la duchesse de L*** sur l'Opéra, nous montre le comte d'Albaret tenant sa chaire de musique, au no 12 des premières loges, avec un tel enthousiasme lyrique, qu'il fait dire à celui-ci: «Où donc a dîné d'Albaret? Il est sorti trop tard de table, il est venu trop tôt à l'Opéra»; qu'il fait dire à celui-là: «Comment, mon Dieu, d'Albaret n'est pas mort! Ah! si je l'eusse cru en vie, je ne serais pas venu à l'amphithéâtre.»

Et la jolie et raillarde mise en scène d'une assemblée générale des premiers sujets de l'Opéra et de leur plaisante levée de boucliers contre Devisme, dans la «Lettre des premiers sujets de l'Académie royale de Musique et de Danse à M. Duval, premier commis au café du Caveau, département des Glaces», où Vestris prend ainsi la parole: «Messioux, vous voyez devant vous oun soujet, qui sert depouis trente-oun ans l'Académie royale de Mousique et de Danse, en qualité de premier dansour; il ne s'est jamais vou, et ne se verra peut-être jamais oun homme conserver si long-temps le bonhour de plaire au poublic, dans oun premier genre, mais ce qui sera non moins rare, c'est de voir oun petit souffisant tomber des noues comme oune masse sur notre tête, vouloir nous traiter comme des poulissons. Par la chacoune de M. le Brethon, je ne souffrirai pas oune telle infamie, et j'aimerois mieux que moi et mon fils oussions les gambes cassées, que de danser pour faire oun tel homme riche…» Noverre lui succède et dit: «Ce que z'avance est connu de tout le monde; c'est moi qui menai M. de V*** (de Visme) zès mademoiselle Guimard. Dans ce temps-là il n'avoit pas les mêmes fasons qu'auzourd'hui; il n'avoit pas ze beau diamant qu'il porte au doigt; il ne parloit pas de mettre tout le monde au Fort-l'Évêque ou dans la rue… En revanze, il avoit d'essellentes qualités; il étoit doux poli, révérenzieux, il faisoit le punch zès zette aimable demoiselle avec un zèle, une perfection à faire tourner la tête…» Et tour à tour parlent Mlle Levasseur, Mlle Guimard, parodiées dans l'emphase de leurs prétentions et le comique de leur majesté. A ces petits livres d'observation ironique, viennent naturellement se joindre les ironies toutes pures qui ont pour titre: le Code lyrique, ou Règlement pour l'Opéra de Paris, 1743, et la Constitution du patriarche de 1744. Le Code lyrique, plein de notules instructives, demande qu'on bâtisse un hôtel sur le modèle de l'hôtel des Invalides, à l'effet de servir de retraite aux pauvres chanteuses et danseuses, aux nécessiteuses, que leurs longs services et l'altération de leur santé ou de leurs talents obligeront de quitter l'Opéra.

Sur la Comédie-Française, des livres et des brochures de toutes sortes et de tout format, des traités ex professo de l'excommunication, des règlements, des remontrances, des extraits du registre des délibérations, des coups d'œil sur la salle, des mémoires contre l'entrepreneur du spectacle du faubourg Saint-Antoine et autres, des observations, des doléances, un procès contre la dame Vestris, la demoiselle Desgarcins, le sieur Dugazon, le sieur Talma qui ont déserté la Comédie de la rue Richelieu, etc.

Sur la Comédie-Italienne, des annales du Théâtre-Italien, quatre ou cinq brochures spirituelles parlant des Bouffons, et au milieu d'elles un Règlement pour les Comédiens-Italiens ordinaires du Roi, 1781, dans une magnifique reliure en maroquin rouge, et portant dans son écusson autour des trois fleurs de lys: Menus Plésirs du Roy (sic).

Un théâtre, de date plus récente, a son foyer et son monde peints dans deux petits livres. C'est le théâtre Montansier, sur lequel ont paru: l'Optique du jour, ou le Foyer de Montansier, par Joseph R*** (Rosny), Paris, an VII, et le Tableau comique, ou l'Intérieur d'une troupe de Comédiens, faisant suite à l'Optique du jour. Paris, an VII.

Nous voici enfin arrivés à la partie théâtrale collectionnée avec amour, à la biographie des acteurs et actrices, qui se divise en biographies générales des trois grands théâtres, biographies générales d'un des trois grands théâtres, biographies particulières.

Parmi les trois grands théâtres, il n'y aura à nommer que la Galerie dramatique de Saint-Sauveur, petit ouvrage bien mal fait et dont les figures coloriées sont du dernier mauvais.

Parmi les biographies générales comprenant un théâtre, rappelons pour l'Opéra: le Vol plus haut, ou l'Espion des principaux théatres de la capitale. A Memphis, chez Sincère, libraire, réfugié au puits de la Vérité, 1784. Ce volume, malgré son titre, ne concerne que l'Opéra, et donne des biographies satiriques et libertines de Mlles Arnould, Guimard, Duplant, Levasseur, Laguerre, Saint-Huberty, Théodore, Peslin, Allard, la Prairie, Dervieux, Aurore. La Comédie-Française, elle, a la vie de ses acteurs et des actrices contée bien succinctement dans la «Galerie Historique» de Lemazurier et les «Lettres sur l'ancien théâtre par un vieil amateur». Il n'existe pas de biographie générale pour les acteurs et les actrices de la Comédie-Italienne.

Quant aux spectacles des boulevards, c'est une biographie, une biographie légèrement scandaleuse des acteurs et actrices du théâtre des Variétés Amusantes, de l'Ambigu-Comique, du spectacle des Grands Danseurs, sauteurs, voltigeurs du spectacle des Associés, dans deux volumes pas assez connus: le Chroniqueur désœuvré, ou l'Espion du boulevard du Temple, contenant les annales scandaleuses et véridiques des directeurs, acteurs et saltimbanques du boulevard, avec un résumé de leur vie et mœurs par ordre chronologique, Londres, 1782, et le Désœuvré mis en œuvre, ou le Revers de la médaille 1782, pour servir d'opposition à l'Espion du boulevard du Temple et de préservatif à la prévention, Paris, 1782. Sur les théâtres des boulevards, il existe encore deux petits volumes nés pendant la Révolution, et presque introuvables aujourd'hui, deux petits in-12 à la langue obscène comme les estampes qui les décorent, mais contenant au fond de leurs ordures quelques éléments de biographie. Ce sont: les Pantins des boulevards ou B… de Thalie, Confessions paillardes des tribades et catins des tréteaux du boulevard, recueillies par le compère Mathieu. A Paris, de l'imprimerie de Nicodème dans la Lune, 1791. Cette première série comprend le Théâtre Français et Lyrique, l'Ambigu-Comique, les Délassements-Comiques. Cette première série a pour suite, la même année, une seconde série, consacrée au théâtre de Nicolet, aux Associés, aux Beaujolais, sous les aimables sous-titres de: Obscénités triviales des Danseurs de cordes, Tréteaux gaillards et crapuleux des Associés, Passe-Temps orduriers des Comédiens de Baujollois.

C'est en dernier lieu le tour des biographies particulières9, telles que l'accumulis, pendant des années, des lettres autographes, des manuscrits, des brochurettes peu communes, des procès rares, les ont faites sur les planches de la bibliothèque.

1

En 1802 a paru chez Hocquart, en trois volumes, l'ouvrage intitulé: «Les Sérails de Paris, ou Vies et portraits des dames Paris, Gourdan et Montigni et autres appareilleuses.»

2

A ces romans il faut ajouter les recueils de nouvelles très peu historiques qui suivent: Histoire des filles célèbres du dix-huitième siècle, 1781, par Desboulmiers; le Palais-Royal, 1790, par Rétif de la Bretonne; la Confession galante de six femmes du jour, 1797, par Rosny.

3

Cette attribution vient sans doute de cette phrase imprimée au bas du titre: «Et se trouve dans les petits appartements de la Reine

4

Il a paru aussi dans le même temps un Tableau de toutes les jolies marchandes des quarante-huit divisions de Paris, leurs qualités physiques et morales, leurs costumes, le nom de leurs rues et le no de leur maison. Mais l'adroit et prudent rédacteur de la liste, s'élevant contre le dénombrement des «jolies libertines», déclare qu'il remplit un devoir sacré en rendant hommage aux vertus des marchandes de Paris… républicaines.

5

On retrouve, sous l'Empire, quelques-unes des femmes nommées en ce calendrier du plaisir dans la Nouvelle Liste des plus jolies femmes publiques de Paris, 1801, et la Nouvelle Liste des jolies femmes de Paris, ou le petit Lubrico, 1805.

6

En 1769 avait paru une brochure intitulée: Projet raisonné et moyens immanquables pour arrêter les progrès, empêcher la circulation et détruire jusqu'au principe des maux vénériens dans toute l'étendue du Royaume. Elle est curieuse, cette brochure, en ce qu'elle dit que la maladie vénérienne était, quelques années avant, complètement inconnue en province.

7

Dans ma bibliothèque, la série des hommes est encore plus nombreuse et plus riche en documents rares.

8

Je possède un Saint-Évremont avec le nom de Mlle Clairon imprimé sur les plats des volumes.

9

Je parlerai seulement des femmes, les biographies d'hommes me conduiraient trop loin. Et cependant, les curieuses feuilles volantes émanant d'auteurs mêlés à la Révolution! Je ne citerai qu'une seule curiosité: le récit manuscrit d'un voyage dans l'intérieur de l'Ile-de-France, en 1779, par Mayeur.

La maison d'un artiste, Tome 2

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