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VOYAGES
CHAPITRE III.
Ce qui advint à Narcisse Gelin, et comment il eut de terribles sujets de stupéfaction

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Quand Narcisse Gelin revint à lui, il était au grand air sur le pont de la goëlette, les fers aux pieds et aux mains; placé entre deux marins vêtus d'un pantalon blanc, d'une veste bleue, et d'un petit chapeau couvert d'une coiffe blanche, fort propre; chacun était armé d'un sabre.

Il tourna la tête, le malheureux, et il vit l'homme aux figures de cire; accommodé comme lui, et ses six compagnons verrouillés et cadenassés de la même façon, soumis à la même surveillance.

Puis à une encablure de la goélette, un beau brick de guerre, étroit, hardi, allongé, – pour le moment en panne, et portant à sa corne un large pavillon bleu, à croix rouge et blanche dans un de ses angles. – C'était le pavillon anglais.

– Pourriez-vous me dire, Monsieur, dit Narcisse en s'adressant au gros homme; ce que tout cela signifie?

– Tiens, cet autre!.. Je n'y pensais plus… cela signifie, mon garçon; que dans un quart d'heure… Mais, dis-moi, tu vois bien les vergues de ce brick…

Qu'entendez-vous par les vergues? fit gravement Narcisse…

– Ah! l'animal!.. – Ce bâton qui croise le mât en travers… Comprends-tu?

– Je comprends.

– C'est heureux. – Vois-tu au bout de cela un homme accroupi, à cheval sur ce bâton?

– Je vois l'homme accroupi.

– Sais-tu ce qu'il fait!

– Je ne sais ce qu'il fait.

– Il arrange une corde.

– Pour?..

– Pour… nous pendre.

– C'est-à-dire… pour vous pendre… vous! mais pas moi.

– Ah! c'te farce… toi comme nous, donc; tiens, est-il bégueule celui-là!

– Je ne suis pas bégueule, mais vous comprenez bien, mon cher ami, que cela ne peut pas être, vous êtes des pirates, à la bonne heure, mais je ne suis pas pirate, moi; je m'appelle Narcisse Gelin; poète connu et domicilié à Paris; passager à bord, et pas du tout de votre bande…

– Alors, dis-leur… c'est trop juste…

– C'est ce que je compte faire… heureusement voici venir un officier.

Prenant alors l'air aussi digne que possible, tempéré pourtant par une nuance de soumission, Narcisse Gelin commença en ces termes:

– Je dois éclairer votre conscience. Monsieur l'officier: – Parti comme passager à bord de la Cauchoise, c'est un heureux hasard que je n'aie pas partagé le sort de l'infortuné capitaine et de ses malheureux ma…

L'officier l'interrompit alors en anglais; d'un air irrité et donna dans cette langue un ordre aux matelots qui serrèrent les pouces de Narcisse, de façon à les briser…

– Eh bien! reprit le gros homme, sais-tu ce qu'il vient de dire.

– Mon Dieu, non reprit Narcisse, tout tremblant, en regardant ses pouces. – Il vient de dire:

– Bâillonez ce chien, et voilà…

– Mais il n'entend donc pas le français?

– Pas un mot, ni lui ni les autres.

– Mais, Dieu du ciel, vous savez l'anglais, vous…

– Comme ma langue propre… mon fils.

– Mais alors, dites lui… tout… bien vite.

– Du tout… tu m'as appelé intrigant dans la chaloupe. – Tu seras pendu, ça t'apprendra…

Narcisse allait répliquer mais le bâillon l'en empêcha.

Il fit quelques gestes assez démonstratifs, mais cette pantomime toucha peu les Anglais.

– Pour te consoler, lui dit le gros homme, je vais t'expliquer tout cela, il est bien juste que tu saches pourquoi l'on te pend.

Je m'appelle Benard; depuis vingt ans je fais la course, il va environ six mois je montai un lougre, et quel lougre, mon fils! – Je rencontre un brick anglais marchand, qui revenait de Lima, chargé de gourdes, je l'attaque et le prends. – Comme il était un mauvais marcheur, je le coule et son équipage, je garde les gourdes et je file… Ce gredin de brick que tu vois là… me pince au vent le lendemain, je lui parais suspect, il vient à mon bord, visite tout, trouve les gourdes, quelques paperasses du capitaine que l'on avait bêtement gardées, et il comprend l'histoire.

Au lieu de nous faire tous pendre, comme il en avait le droit, et comme il va le faire tout à l'heure, il nous met tous aux fers, et nous mène en Angleterre pour faire un exemple.

Ma foi, là, je me tortille tant des pieds et des mains, que je dérâpe du ponton, je file à la côte, je fais marché avec un contrebandier qui me débarque à Calais. De Calais je viens à Brest: – Je vois cette jolie goëlette en armement, je fais mon plan avec des amis que j'embauche; la malice des figures ne va pas mal; cette nuit, nous envoyons le capitaine d'ici par-dessus le bord avec ses dix faï-chiens de Normands; tout va bien, très-bien, et il faut qu'au petit jour, nous ayons pour réveil-matin une visite de ce gueux d'Anglais. Le même de la fois du lougre, c'est un entêtement ridicule de la part du bon Dieu; enfin l'Anglais, ce gueux de même Anglais est venu à bord, a visité les papiers, m'a reconnu, et comme j'ai tout avoué, vu que sans cela j'aurais été pendu tout de même, il va faire notre affaire tout de suite, pour que ça ne soit pas remis indéfiniment, nous souquer à tous un bout de filin autour du cou, car il est bien sûr de ne pas rencontrer parmi nous un cardinal ou un évêque. – Je te parie que dans une heure, quoique tu m'aies l'air d'un chanteur, tu auras la respiration si gênée, que tu ne pourras seulement pas chanter: J'ai du bon tabac… Ah! mais voilà le signal, pavillon rouge en berne, c'est la danse… Adieu, mon agneau… Aussi, pourquoi diable m'as-tu appelé intrigant!..

Il était moralement et physiquement impossible à Narcisse Gelin de répondre un mot; il se résigna, se confia à la Providence, ferma les yeux et sentit son cœur faillir.

Il ne pensait plus du tout à la poésie, et tout ceci était poétique pourtant, ce beau ciel, cette mer bleue, ces pirates garrottés, ces costumes pittoresques, cette justice si franche et si brutale, ce Benard avec sa force colossale, sa vie errante, ses crimes, sa piraterie.

Il faut l'avouer à la honte du fils du mercier, rien de tout cela ne trouva écho dans son âme; il ne pensait qu'à une chose, à la corde qui allait lui serrer le cou, et d'avance son gosier se contractait tellement, qu'il n'aurait pu avaler une goutte d'eau. Le pirate Benard avait merveilleusement deviné le phénomène physiologique: ainsi qu'il l'avait annoncé à Narcisse Gelin, ce dernier eût été dans l'entière impossibilité de chanter: J'ai du bon tabac

On passa les pirates l'un après l'autre à bord du brick. L'un après l'autre on les hissa au bout-dehors de la grande vergue et au bout d'un cartahul, en réservant Benard pour la bonne bouche, comme il disait plaisamment.

Narcisse Gelin et Benard restaient tous deux seuls:

– Après vous, lui dit Benard en ricanant; et quand le fils du mercier se sentit guinder au bout du cordage, les derniers mots qu'il entendit furent: Ah! je suis un intrigant?

Plaignez le poète.

– C'est tout de même vexant de manquer une aussi belle affaire, murmurait Benard à moitié chemin de la vergue.

Quand sa tête toucha la bouline: – ah! dit-il, voilà que je vais faire couic

Et puis ce fut tout. Les corps des forbans furent jetés à la mer.

On mit un équipage à bord de la goélette, qui gagna Portsmouth avec le brick.

Le père de Narcisse Gelin dit quelquefois d'un air de supériorité à son voisin Jamot l'épicier: Mon fils le poète est aux îles… il doit y faire une fameuse fortune.

Depuis trois mois il attend une lettre de Narcisse.

La coucaratcha. I

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