Читать книгу Les petits écoliers dans les cinq parties du monde - Elie Berthet - Страница 13

La situation s’améliore. — Le cabinet du docteur. — Le tiroir mystérieux. — Enfin!

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Ma soirée et ma nuit ne furent pas tranquilles. La solitude exerça sur moi son influence ordinaire, et mes réflexions n’avaient pas la couleur de la rose. Je me retournai longtemps sur ma couche sans pouvoir dormir. Comment finirait cette crise, et qu’allait-il arriver?

Le lendemain matin, à peine étais-je levé, que ma mère entra chez moi, sous prétexte de m’apporter à déjeuner. Elle venait, disait-elle, à l’insu de mon père, qui était de plus en plus courroucé ; mais sans doute elle avait été envoyée en reconnaissance et voulait éprouver si sa tendresse, ses larmes n’auraient pas plus de pouvoir que les raisonnements et les menaces du docteur. Elle se montra bonne, pleine d’indulgence, comme d’habitude. Elle me supplia de me soumettre à la nécessité, de donner satisfaction à des exigences légitimes; ses prières me trouvèrent insensible. Ma jeune sœur, qui vint la rejoindre bientôt, unit ses instances naïves à celles de la digne femme; elle me cajola, me caressa, me. remontra le chagrin que je causais «à petite maman» ; je ne me départis pas de ma farouche obstination; mon intraitable orgueil me défendait de céder devant une femme et une enfant.

Elles se retirèrent donc, navrées l’une et l’autre, et je demeurai seul pendant plusieurs heures encore. A l’issue du déjeuner de la famille, mon père me fit dire de me rendre dans son cabinet, où il m’attendait, et je me hâtai d’obéir; j’allais connaître mon sort.

Ce cabinet, tout différent de celui où le docteur donnait ses consultations, était une grande pièce, d’aspect sévère. Des vitrines couvraient ses quatre faces et contenaient, les unes des livres, les autres des collections d’histoire naturelle, des armes et des idoles indiennes, des curiosités de toute espèce, que l’ancien chirurgien de marine avait rapportées de ses voyages. C’était dans cette pièce qu’il s’enfermait habituellement pour travailler, et on n’y pénétrait que sur son invitation formelle.

J’étais intimidé en entrant dans ce sanctuaire de la science et de l’étude. Mon père, assis à son bureau, comme un juge à son tribunal, m’enveloppa d’un regard inquisiteur et me dit froidement:

— Et bien! monsieur, avez-vous réfléchi et êtes-vous prêt à écrire la lettre d’excuses?

Je baissai la tête en silence, car un refus trop net pouvait avoir pour moi des suites fâcheuses. Mon père comprit pourtant.

— A votre aise, monsieur; on dit que «la nuit porte conseil» ; le proverbe ne concerne pas sans doute les enfants têtus.... C’est bon; on saura qui de nous cédera le premier.

Malgré la fermeté de ces paroles, il me semblait toujours que mon père n’avait plus la violente irritation de la veille, et la scène prenait des allures tout à fait rassurantes. Comme je continuais à me taire, il ajouta:

— Vous ne voulez par rentrer au lycée; moi, je ne souffrirai pas que vous perdiez votre temps. Jusqu’à nouvel ordre, vous travaillerez ici, sous mes yeux. Tous les jours, je vous prescrirai votre tâche et vous ne retournerez dans votre chambre qu’après l’avoir accomplie. Comme il ne faut pas que votre santé s’altère, matin et soir, avant et après mes visites, nous ferons ensemble un tour à pied dans Paris. Au bout de quelques jours de ce régime, nous aviserons; en attendant, je vous conseille de ne pas mettre à de trop rudes épreuves mon humeur accommodante.

J’étais de plus en plus enchanté de la tournure que prenaient les choses, et je répondis à mon père, avec soumission cette fois, que je me conformerais à ses volontés.

— Nous allons donc commencer à l’instant même.... Voici vos livres classiques que l’on a rapportés du lycée; asseyez-vous là, devant la rallonge de mon bureau, et vous me traduirez pour ce soir une ode d’Horace que je vais vous indiquer..... Ne perdons pas de temps; car l’heure me presse et je suis attendu.

Il m’installa sur une tablette du bureau et me pourvut de tout ce qui m’était nécessaire. Puis, il désigna le morceau d’Horace dont la traduction devait être mon devoir de la journée, et il se disposa à partir.

En promenant les yeux autour de lui, afin de s’assurer si tout était en ordre, il s’aperçut qu’une clef restait à un tiroir de la bibliothèque. Il s’empressa de la retirer en disant à voix haute, mais comme à lui-même:

— Il n’est pas nécessaire que ce vaurien fouille là-dedans..... Il a déjà la tête assez montée..... et puis, ce sont mes affaires.

Il sortit sans me regarder.

Je me mis à piocher mon Horace. Quoique peu maniable, j’étais laborieux et l’on sait que j’avais obtenu certains succès dans mes études. Néanmoins, en travaillant, je me demandais ce qu’il pouvait bien y avoir dans ce tiroir dont mon père désirait tant me cacher le contenu, et surtout comment ce contenu était de nature à «me monter la tête.» Préoccupé de cette idée, je finis par me lever pour examiner le tiroir. Je n’en fus guère plus avancé. Le meuble était en vieux chêne, fermant avec exactitude, et ma curiosité ne trouva pas le moindre aliment. Je dus retourner à ma place et me remettre à la besogne.

Malgré mes distractions fréquentes, je terminai ma traduction avant le retour de mon père. Il était lui-même excellent latiniste, et, ayant lu mon travail, il le corrigea avec une facilité, avec une connaissance approfondie des deux langues, qui excita mon admiration.

Je dînai seul, car j’étais, on s’en souvient, exclu de la table commune; puis, mon père et moi, nous allâmes faire dans Paris une promenade pédestre, pendant laquelle nous n’échangeâmes pas quatre paroles. A notre rentrée, je gagnai ma chambre, où je ne tardai pas à me coucher.

La journée du lendemain se passa de la même manière; seulement, au lieu de latin à traduire, j’eus des problèmes d’arithmétique et de géométrie à résoudre.

Cette existence n’était pas gaie, et je ne pouvais manquer de m’en lasser bientôt. Cependant, je me montrais inébranlable dans mon absurde détermination et, avec l’opiniâtreté de l’âne auquel mon père m’avait comparé, je refusais d’aller où l’on voulait me conduire. Vainement ma gentille petite sœur me suppliait-elle à mains jointes de «demander pardon» ; je repoussais durement la pauvre Caroline; quant à ma bonne mère, je ne répondais à ses instances que par un refus ou même je ne répondais pas.

Trois jours s’écoulèrent ainsi, et, chaque jour, mon père avait pris soin de retirer la clef du tiroir de la bibliothèque, quand il me laissait seul dans son cabinet. Cette circonstance portait au comble ma curiosité secrète; j’aurais donné tout au monde pour savoir ce que renfermait ce meuble mystérieux. Aussi qu’on juge de ma joie lorsque, le quatrième jour, je vis que la clef avait été oubliée à la serrure!

Je me gardai bien pourtant de profiter trop vite de cette distraction, car le docteur pouvait rentrer d’une. manière inopinée. Aussi fut-ce après une attente assez longue, que je me dirigeai, sur la pointe du pied, vers le tiroir et je l’ouvris avec précaution.

Je plongeai avidement les yeux dans l’intérieur, mais je n’y trouvai pas les choses extraordinaires que je m’attendais à y rencontrer. Il contenait seulement, outre quelques papiers dépareillés, sans doute des notes de voyage, cinq ou six petits cahiers jaunis par le temps, et qui semblaient avoir été écrits à des époques différentes. Ils étaient de la main de mon père, et le soin qu’on mettait à les enfermer donnait à croire qu’on y attachait un grand prix.

Je fus très-désappointé de cette mesquine découverte. Néanmoins j’examinai les cahiers, qui portaient chacun un titre différent, et je lus, avec une profonde surprise, sur les couvertures: Adam Smith, le petit Américain; Lao, le petit Chinois; Hans, le petit Groënlandais; Samba, le petit Africain; Tête-Crépue, le petit Australien.

— Que diable est ceci? me demandai-je; mon père, en voyageant autour du monde, aurait-il fait des études sur l’état des enfants dans les pays lointains qu’il a visités? Alors pourquoi ne m’a-t-il jamais parlé de ce travail? Pourquoi, lorsque je me suis plaint, avec tant d’amertume, du sort des jeunes Européens, ne m’a-t-il pas cité l’exemple des jeunes étrangers pour me convaincre de mon erreur? S’il n’a rien dit, c’est que sans doute j’avais raison et il craignait de me fournir des preuves à l’appui de ma thèse..... Ah! si je pouvais lire ces histoires qu’il a écrites lui-même et dont, par conséquent, il ne saurait nier l’exactitude! Lorsque nous reviendrions ensemble sur ce sujet, je me servirais contre lui de ses propres arguments..... Eh bien! pourquoi ne les lirais-je pas? Mon père ne rentrera pas avant plusieurs heures d’ici, et j’aurai le temps de parcourir une ou deux de ces histoires.

On voit que je ne songeais pas à ce qu’il y avait d’indélicat et même de coupable dans ce projet. Je me hâtai de brocher mon devoir qui, ce jour-là, ne mérita aucun éloge; puis, j’allai au tiroir pour y chercher les deux cahiers dont je comptais prendre connaissance les premiers. Mon choix fut bientôt fait.

— Commençons, me dis-je, par Adam Smith, le petit Américain; un enfant de la «libre» Amérique doit ignorer la gêne insupportable qu’on nous impose..... Ensuite je lirai Lao, le petit Chinois.... La Chine est un pays baroque, où tout va au rebours de chez nous; je gage que les enfants y passent la vie la plus agréable du monde, dans le bien-être et l’oisiveté !

Je pris les deux cahiers et je les plaçai dans l’intérieur d’un de mes dictionnaires, comme j’avais fait souvent en classe pour me délecter d’un journal ou d’un livre défendu. Puis, prêt à refermer le tout au moindre danger, distrait et l’oreille au guet, tressaillant au plus léger bruit, je me mis à lire coup sur coup les deux histoires qui vont suivre.

Les petits écoliers dans les cinq parties du monde

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