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Εν αρχη λογος!

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Le Verbe est la raison de la croyance, et en lui aussi est l'expression de la foi qui vivifie la science. Le Verbe, λογος, est la source de la logique. Jésus est le Verbe incarné. L'accord de la raison avec la foi, de la science avec la croyance, de l'autorité avec la liberté, est devenu dans les temps modernes l'énigme véritable du sphinx; et en même temps que ce grand problème on a soulevé celui des droits respectifs de l'homme et de la femme; cela devait être, car entre tous ces termes d'une grande et suprême question, l'analogie est constante et les difficultés, comme les rapports, sont invariablement les mêmes.

Ce qui rend paradoxale, en apparence, la solution de ce noeud gordien de la philosophie et de la politique moderne, c'est que pour accorder les termes de l'équation qu'il s'agit de faire, on affecte toujours de les mêler ou de les confondre.

S'il y a une absurdité suprême, en effet, c'est de chercher comment la foi pourrait être une raison, la raison une croyance, la liberté une autorité; et réciproquement, la femme un homme et l'homme une femme. Ici les définitions mêmes s'opposent à la confusion, et c'est en distinguant parfaitement les termes qu'on arrive à les accorder. Or, la distinction parfaite et éternelle des deux termes primitifs du syllogisme créateur, pour arriver à la démonstration de leur harmonie par l'analogie des contraires, cette distinction, disons-nous, est le second grand principe de cette philosophie occulte, voilée sous le nom de kabbale et indiquée par tous les hiéroglyphes sacrés des anciens sanctuaires et des rites encore si peu connus de la maçonnerie ancienne et moderne.

On lit dans l'Écriture que Salomon fit placer devant la porte du temple deux colonnes de bronze, dont l'une s'appelait Jakin et l'autre Boaz, ce qui signifie le fort et le faible. Ces deux colonnes représentaient l'homme et la femme, la raison et la foi, le pouvoir et la liberté, Caïn et Abel, le droit et le devoir; c'étaient les colonnes du monde intellectuel et moral, c'était l'hiéroglyphe monumental de l'antinomie nécessaire à la grande loi de création. Il faut, en effet, à toute force une résistance pour appui, à toute lumière une ombre pour repoussoir, à toute saillie un creux, à tout épanchement un réceptacle, à tout règne un royaume, à tout souverain un peuple, à tout travailleur une matière première, à tout conquérant un sujet de conquête. L'affirmation se pose par la négation, le fort ne triomphe qu'en comparaison avec le faible, l'aristocratie ne se manifeste qu'en s'élevant au-dessus du peuple. Que le faible puisse devenir fort, que le peuple puisse conquérir une position aristocratique, c'est une question de transformation et de progrès, mais ce qu'on peut en dire n'arrivera qu'à la confirmation des vérités premières, le faible sera toujours le faible, peu importe que ce ne soit plus le même personnage. De même le peuple sera toujours le peuple, c'est-à-dire la masse gouvernable et incapable de gouverner. Dans la grande armée des inférieurs, toute émancipation personnelle est une désertion forcée, rendue heureusement insensible par un remplacement éternel; un peuple-roi ou un peuple de rois supposerait l'esclavage du monde et l'anarchie dans une seule et indisciplinable cité, comme il en était à Rome du temps de sa plus grande gloire. Une nation de souverains serait nécessairement aussi anarchique qu'une classe de savants ou d'écoliers qui se croiraient maîtres; personne n'y voudrait écouter, et tous dogmatiseraient et commanderaient à la fois.

On peut en dire autant de l'émancipation radicale de la femme. Si la femme passe de la condition passive à la condition active, intégralement et radicalement, elle abdique son sexe et devient homme, ou plutôt, comme une telle transformation est physiquement impossible, elle arrive à l'affirmation par une double négation, et se pose en dehors des deux sexes, comme un androgyne stérile et monstrueux. Telles sont les conséquences forcées du grand dogme kabbalistique de la distinction des contraires pour arriver à l'harmonie par l'analogie de leurs rapports.

Ce dogme une fois reconnu, et l'application de ses conséquences étant faite universellement par la loi des analogies, on arrive à la découverte des plus grands secrets de la sympathie et de l'antipathie naturelle, de la science du gouvernement, soit en politique, soit en mariage, de la médecine occulte dans toutes ses branches, soit magnétisme, soit homoeopathie, soit influence morale; et d'ailleurs, comme nous l'expliquerons, la loi d'équilibre en analogie conduit à la découverte d'un agent universel, qui était le grand arcane des alchimistes et des magiciens du moyen âge. Nous avons dit que cet agent est une lumière de vie dont les êtres animés sont aimantés, et dont l'électricité n'est qu'un accident et comme une perturbation passagère. A la connaissance et à l'usage de cet agent se rapporte tout ce qui tient à la pratique de la kabbale merveilleuse dont nous aurons bientôt à nous occuper, pour satisfaire la curiosité de ceux qui cherchent dans les sciences secrètes plutôt des émotions que de sages enseignements.

La religion des kabbalistes est à la fois toute d'hypothèses et toute de certitude, car elle procède par analogie du connu à l'inconnu. Ils reconnaissent la religion comme un besoin de l'humanité, comme un fait évident et nécessaire, et là seulement est pour eux la révélation divine, permanente et universelle. Ils ne contestent rien de ce qui est, mais ils rendent raison de toute chose. Aussi leur doctrine, en marquant nettement la ligne de séparation qui doit éternellement exister entre la science et la foi, donne-t-elle à la foi la plus haute raison pour base, ce qui lui garantit une éternelle et incontestable durée; viennent ensuite les formules populaires du dogme qui, seules, peuvent varier et s'entre-détruire; le kabbaliste n'est pas ébranlé pour si peu et trouve tout d'abord une raison aux plus étonnantes formules des mystères. Aussi sa prière peut-elle s'unir à celle de tous les hommes pour la diriger, en l'illustrant de science et de raison, et l'amener à l'orthodoxie. Qu'on lui parle de Marie, il s'inclinera devant cette réalisation de tout ce qu'il y a de divin dans les rêves de l'innocence et de tout ce qu'il y a d'adorable dans la sainte folie du coeur de toutes les mères. Ce n'est pas lui qui refusera des fleurs aux autels de la mère de Dieu, des rubans blancs à ses chapelles, des larmes même à ses naïves légendes! Ce n'est pas lui qui rira du Dieu vagissant de la crèche et de la victime sanglante du Calvaire; il répète cependant au fond de son coeur, avec les sages d'Israël et les vrais croyants de l'Islam: «Il n'y a qu'un Dieu, et c'est Dieu;» ce qui veut dire pour un initié aux vraies sciences: «Il n'y a qu'un Être, et c'est l'Être!» Mais tout ce qu'il y a de politique et de touchant dans les croyances, mais la splendeur des cultes, mais la pompe des créations divines, mais la grâce des prières, mais la magie des espérances du ciel; tout cela n'est-il pas un rayonnement de l'être moral dans toute sa jeunesse et dans toute sa beauté? Oui, si quelque chose peut éloigner le véritable initié des prières publiques et des temples, ce qui peut soulever chez lui le dégoût ou l'indignation contre une forme religieuse quelconque, c'est l'incroyance visible des ministres ou du peuple, c'est le peu de dignité dans les cérémonies du culte, c'est la profanation, en un mot, des choses saintes. Dieu est réellement présent lorsque des âmes recueillies et des coeurs touchés l'adorent; il est sensiblement et terriblement absent lorsqu'on parle de lui sans feu et sans lumière, c'est-à-dire sans intelligence et sans amour.

L'idée qu'il faut avoir de Dieu, suivant la sage kabbale, c'est saint Paul lui-même qui va nous la révéler: «Pour arriver à Dieu, dit cet apôtre, il faut croire qu'il est et qu'il récompense ceux qui le cherchent.»

Ainsi, rien en dehors de l'idée d'être, jointe à la notion de bonté et de justice, car cette idée seule est l'absolu. Dire que Dieu n'est pas, ou définir ce qu'il est, c'est également blasphémer. Toute définition de Dieu, risquée par l'intelligence humaine, est une recette d'empirisme religieux, au moyen de laquelle la superstition, plus tard, pourra alambiquer un diable.

Dans les symboles kabbalistiques, Dieu est toujours représenté par une double image, l'une droite, l'autre renversée, l'une blanche et l'autre noire. Les sages ont voulu exprimer ainsi la conception intelligente et la conception vulgaire de la même idée, le dieu de lumière et le dieu d'ombre; c'est à ce symbole mal compris qu'il faut reporter l'origine de l'Arimane des Perses, ce noir et divin ancêtre de tous les démons; le rêve du roi infernal, en effet, n'est qu'une fausse idée de Dieu.

La lumière seule, sans ombre, serait invisible pour nos yeux, et produirait un éblouissement équivalent aux plus profondes ténèbres. Dans les analogies de cette vérité physique, bien comprise et bien méditée, on trouvera la solution du plus terrible des problèmes; l'origine du mal. Mais la connaissance parfaite de cette solution et de toutes ses conséquences n'est pas faite pour la multitude, qui ne doit pas entrer si facilement dans les secrets de l'harmonie universelle. Aussi, lorsque l'initié aux mystères d'Éleusis avait parcouru triomphalement toutes les épreuves, lorsqu'il avait vu et touché les choses saintes, si on le jugeait assez fort pour supporter le dernier et le plus terrible de tous les secrets, un prêtre voilé s'approchait de lui en courant, et lui jetait dans l'oreille cette parole énigmatique: Osiris est un dieu noir. Ainsi cet Osiris, dont Typhon est l'oracle, ce divin soleil religieux de l'Egypte, s'éclipsait tout à coup et n'était plus lui-même que l'ombre de cette grande et indéfinissable Isis, qui est tout ce qui a été et tout ce qui sera, mais dont personne encore n'a soulevé le voile éternel.

La lumière pour les kabbalistes représente le principe actif, et les ténèbres sont analogues au principe passif; c'est pour cela qu'ils firent du soleil et de la lune l'emblème des deux sexes divins et des deux forces créatrices; c'est pour cela qu'ils attribuèrent à la femme la tentation et le péché d'abord, puis le premier travail, le travail maternel de la rédemption puisque c'est du sein des ténèbres mêmes qu'on voit renaître la lumière. Le vide attire le plein, et c'est ainsi que l'abîme de pauvreté et de misère, le prétendu mal, le prétendu néant, la passagère rébellion des créatures attire éternellement un océan d'être, de richesse, de miséricorde et d'amour. Ainsi s'explique le symbole du Christ descendant aux enfers après avoir épuisé sur la croix toutes les immensités du plus admirable pardon.

Par cette loi de l'harmonie dans l'analogie des contraires, les kabbalistes expliquaient aussi tous les mystères de l'amour sexuel; pourquoi cette passion est plus durable entre deux natures inégales et deux caractères opposés? Pourquoi en amour il y a toujours un sacrificateur et une victime, pourquoi les passions les plus obstinées sont celles dont la satisfaction paraît impossible. Par cette loi aussi ils eussent réglé à jamais la question de préséance entre les sexes, question que le saint-simonisme seul a pu soulever sérieusement de nos jours. Ils eussent trouvé que la force naturelle de la femme étant la force d'inertie ou de résistance, le plus imprescriptible de ses droits, c'est le droit à la pudeur; et qu'ainsi elle ne doit rien faire ni rien ambitionner de tout ce qui demande une sorte d'effronterie masculine. La nature y a d'ailleurs bien pourvu en lui donnant une voix douce qui ne pourrait se faire entendre dans les grandes assemblées sans arriver à des tons ridiculement criards. La femme qui aspirerait aux fonctions de l'autre sexe, perdrait par cela même les prérogatives du sien. Nous ne savons jusqu'à quel point elle arriverait à gouverner les hommes, mais à coup sûr les hommes, et ce qui serait plus cruel pour elle, les enfants mêmes ne l'aimeraient plus.

La loi conjugale des kabbalistes donne par analogie la solution du problème le plus intéressant et le plus difficile de la philosophie moderne. L'accord définitif et durable de la raison et de la foi, de l'autorité et de la liberté d'examen, de la science et de la croyance. Si la science est le soleil, la croyance est la lune: c'est un reflet du jour dans la nuit. La foi est le supplément de la raison, dans les ténèbres que laisse la science, soit devant elle, soit derrière elle; elle émane de la raison, mais elle ne peut jamais ni se confondre avec elle, ni la confondre. Les empiétements de la raison sur la foi ou de la foi sur la raison, sont des éclipses de soleil ou de lune; lorsqu'elles arrivent, elles rendent inutiles à la fois le foyer et le réflecteur de la lumière.

La science périt par les systèmes qui ne sont autre chose que des croyances, et la foi succombe au raisonnement. Pour que les deux colonnes du temple soutiennent l'édifice, il faut qu'elles soient séparées et placées en parallèle. Dès qu'on veut violemment les rapprocher comme Sanson, on les renverse et tout l'édifice s'écroule sur la tête du téméraire aveugle ou du révolutionnaire, que des ressentiments personnels ou nationaux ont d'avance voué à la mort.

Les luttes du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ont été de tout temps dans l'humanité de grandes querelles de ménage. La papauté jalouse du pouvoir temporel n'était qu'une mère de famille jalouse de supplanter son mari: aussi perdit-elle la confiance de ses enfants. Le pouvoir temporel à son tour, lorsqu'il usurpe sur le sacerdoce, est aussi ridicule que le serait un homme en prétendant s'entendre mieux qu'une mère aux soins de l'intérieur et du berceau. Ainsi les Anglais, par exemple, au point de vue moral et religieux, sont des enfants emmaillottés par des hommes; on s'en aperçoit bien à leur tristesse et à leur ennui.

Si le dogme religieux est un conte de nourrice, pourvu qu'il soit ingénieux et d'une morale bienfaisante, il est parfaitement vrai pour l'enfant, et le père de famille serait fort sot d'y contredire. Aux mères, donc, le monopole des récits merveilleux, des petits soins et des chansons. La maternité est le type des sacerdoces, et c'est parce que l'Église doit être exclusivement mère, que le prêtre catholique renonce à être homme et abjure devant elle d'avance ses droits à la paternité.

On n'aurait jamais dû l'oublier: la papauté est une mère universelle ou elle n'est rien. La papesse Jeanne, dont les protestants ont fait une scandaleuse histoire, n'est peut-être qu'une ingénieuse allégorie, et quand les souverains pontifes ont malmené les empereurs et les rois, c'était la papesse Jeanne qui voulait battre son mari au grand scandale du monde chrétien. Aussi les schismes et les hérésies n'ont-ils été au fond, nous le répétons, que des disputes conjugales; l'Église et le protestantisme disent du mal l'un de l'autre et se regrettent, affectent de s'éviter et s'ennuient d'être l'un sans l'autre, comme des époux séparés.

Ainsi par la kabale, et par elle seule, tout s'explique et se concilie. C'est une doctrine qui vivifie et féconde toutes les autres, elle ne détruit rien et donne au contraire la raison d'être de tout ce qui est. Aussi toutes les forces du monde sont elles au service de cette science unique et supérieure, et le vrai kabbaliste peut-il disposer à son gré sans hypocrisie et sans mensonge, de la science des sages et de l'enthousiasme des croyants. Il est plus catholique que M. de Maistre, plus protestant que Luther, plus israélite que le grand rabbin, plus prophète que Mahomet; n'est-il pas au-dessus des systèmes et des passions qui obscurcissent la vérité, et ne peut-il pas à volonté en réunir tous les rayons épars et diversement réfléchis par tous les fragments de ce miroir brisé qui est la foi universelle, et que les hommes prennent pour tant de croyances opposées et différentes? Il n'y a qu'un être, il n'y a qu'une vérité, il n'y a qu'une lui et qu'une foi, comme il n'y a qu'une humanité en ce monde.

Arrivé à de pareilles hauteurs intellectuelles et morales, on comprend que l'esprit et le coeur humain jouissent d'une paix profonde; aussi ces mots: Paix profonde, mes frères! étaient-ils la parole de maître dans la haute maçonnerie, c'est-à-dire dans l'association des initiés à la kabbale.

La guerre que l'Église a dû déclarer à la magie a été nécessitée par les profanations de faux gnostiques, mais la vraie science des mages est essentiellement catholique, parce qu'elle base toute sa réalisation sur le principe de la hiérarchie. Or, dans l'Église catholique seule il y a une hiérarchie sérieuse et absolue. C'est pour cela que les vrais adeptes ont toujours professé pour cette Église le plus profond respect et l'obéissance la plus absolue. Henri Khunrath seul a été un protestant déterminé; mais en cela il était allemand de son époque plutôt que citoyen mystique du royaume éternel.

L'essence de l'antichristianisme est l'exclusion et l'hérésie, c'est le déchirement du corps du Christ, suivant la belle expression de saint Jean: Omnis spiritus qui solvit Christum hic Antechristus est. C'est que la religion est la charité. Or, il n'y a pas de charité dans l'anarchie.

La magie aussi a eu ses hérésiarques et ses sectaires, ses hommes de prestiges et ses sorciers. Nous aurons à venger la légitimité de la science, des usurpations de l'ignorance, de la folie et de la fraude, et c'est en cela surtout que notre travail pourra être utile et sera entièrement nouveau.

On n'a jusqu'à présent traité l'histoire de la magie que comme les annales d'un préjugé, ou les chroniques plus ou moins exactes d'une série de phénomènes; personne, en effet, ne croyait plus que la magie fût une science. Une histoire sérieuse de cette science retrouvée doit en indiquer les développements et les progrès; nous marchons donc en plein sanctuaire au lieu de longer des ruines, et nous allons trouver ce sanctuaire enseveli si longtemps sous les cendres de quatre civilisations, plus merveilleusement conservé que ces villes-momies sorties dernièrement des cendres du Vésuve, dans toute leur beauté morte et leur majesté désolée.

Dans son plus magnifique ouvrage, Bossuet a montré la religion liée partout avec l'histoire: qu'aurait-il dit s'il avait su qu'une science, née pour ainsi dire avec le monde, rend raison à la fois des dogmes primitifs de la religion unique et universelle en les unissant aux théorèmes les plus incontestables des mathématiques et de la raison?

La magie dogmatique est la clef de tous les secrets non encore approfondis par la philosophie de l'histoire; et la magie pratique ouvre seule à la puissance, toujours limitée mais toujours progressive de la volonté humaine, le temple occulte de la nature.

Nous n'avons pas la prétention impie d'expliquer par la magie les mystères de la religion; mais nous enseignerons comment la science doit accepter et révérer ces mystères. Nous ne dirons plus que la raison doit s'humilier devant la foi; elle doit au contraire s'honorer d'être croyant; car c'est la foi qui sauve la raison des horreurs du néant sur le bord des abîmes pour la rattacher à l'infini.

L'orthodoxie en religion est le respect de la hiérarchie, seule gardienne de l'unité. Or, ne craignons pas de le répéter, la magie est essentiellement la science de la hiérarchie. Ce qu'elle proscrit avant tout, qu'on se le rappelle bien, ce sont les doctrines anarchiques; et elle démontre, par les lois mêmes de la nature, que l'harmonie est inséparable du pouvoir et de l'autorité.

Ce qui fait, pour le plus grand nombre des curieux, l'attrait principal de la magie, c'est qu'ils y voient un moyen extraordinaire de satisfaire leurs passions. Non, disent les avares, le secret d'Hermès pour la transmutation des métaux n'existe pas, autrement nous l'achèterions et nous serions riches!... Pauvres fous, qui croient qu'un pareil secret puisse se vendre! et quel besoin aurait de votre argent celui qui saurait faire de l'or?--C'est vrai, répondra un incrédule, mais toi-même, Éliphas Lévi, si tu possédais ce secret ne serais-tu pas plus riche que nous?--Eh! qui vous dit que je sois pauvre? Vous ai-je demandé quelque chose? Quel est le souverain du monde qui peut se vanter de m'avoir payé un secret de la science? Quel est le millionnaire auquel j'aie jamais donné quelque raison de croire que je voudrais troquer ma fortune contre la sienne? Lorsqu'on voit d'en bas les richesses de la terre on y aspire toujours comme à la souveraine félicité; mais comme on les méprise lorsqu'on plane au-dessus d'elles, et qu'on a peu d'envie de les reprendre lorsqu'on les a laissées tomber comme des fers!

Oh! s'écriera un jeune homme, si les secrets de la magie étaient vrais, je voudrais les posséder pour être aimé de toutes les femmes.--De toutes, rien que cela. Pauvre enfant, un jour viendra où ce sera trop d'en avoir une. L'amour sensuel est une orgie à deux, où l'ivresse amène vite le dégoût, et alors on se quitte en se jetant les verres à la tête.

Moi, disait un jour un vieil idiot, je voudrais être magicien pour bouleverser le monde!--Brave homme, si vous étiez magicien vous ne seriez pas imbécile; et alors rien ne vous fournirait, même devant le tribunal de votre conscience, le bénéfice des circonstances atténuantes, si vous deveniez un scélérat.

Eh bien! dira un épicurien, donnez-moi donc les recettes de la magie, pour jouir toujours et ne souffrir jamais....

Ici c'est la science elle-même qui va répondre:

La religion vous a déjà dit: Heureux ceux qui souffrent; mais c'est pour cela même que la religion a perdu votre confiance.

Elle a dit: Heureux ceux qui pleurent, et c'est pour cela que vous avez ri de ses enseignements.

Écoutez maintenant ce que disent l'expérience et la raison:

Les souffrances éprouvent et créent les sentiments généreux; les plaisirs développent et fortifient les instincts lâches.

Les souffrances rendent fort contre le plaisir, les jouissances rendent faible contre la douleur.

Le plaisir dissipe;

La douleur recueille.

Qui souffre amasse;

Qui jouit dépense.

Le plaisir est recueil de l'homme.

La douleur maternelle est le triomphe de la femme.

C'est le plaisir qui féconde, mais c'est la douleur qui conçoit et qui enfante.

Malheur à l'homme qui ne sait pas et qui ne veut pas souffrir! car il sera écrasé de douleurs.

Ceux qui ne veulent pas marcher, la nature les traîne impitoyablement.

Nous sommes jetés dans la vie comme en pleine mer: il faut nager ou périr.

Telles sont les lois de la nature enseignées par la haute magie. Voyez maintenant si l'on peut devenir magicien pour jouir toujours et ne souffrir jamais!

Mais alors, diront d'un air désappointé les gens du monde, à quoi peut servir la magie?--Que pensez-vous que le prophète Balaam eût pu répondre à son ânesse si elle lui avait demandé à quoi peut servir l'intelligence?

Que répondrait Hercule à un pygmée qui lui demanderait à quoi peut servir la force?

Nous ne comparons certes pas les gens du monde à des pygmées, et encore moins à l'ânesse de Balaam; ce serait manquer de politesse et de bon goût. Nous répondrons donc le plus gracieusement possible à ces personnes si brillantes et si aimables, que la magie ne peut leur servir absolument de rien, attendu qu'elles ne s'en occuperont jamais sérieusement.

Notre ouvrage s'adresse aux âmes qui travaillent et qui pensent. Elles y trouveront l'explication de ce qui est resté obscur dans le dogme et dans le rituel de la haute magie 1. Nous avons, à l'exemple des grands maîtres, suivi dans le plan et la division de nos livres l'ordre rationnel des nombres sacrés. Nous divisons notre histoire de la magie en sept livres, et chaque livre contient sept chapitres.

Note 1: (retour) Éliphas Lévi, Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8, avec 23 fig.--25 fr.

Le premier livre est consacré aux origines magiques, c'est la Genèse de la science, et nous lui avons donné pour clef la lettre aleph א, qui exprime kabbalistiquement l'unité principiante et originelle.

Le second livre contiendra les formules historiques et sociales du verbe magique dans l'antiquité. Sa marque est la lettre beth ב, symbole du binaire, expression du verbe réalisateur, caractère spécial de la gnose et de l'occultisme.

Le troisième livre sera l'exposé des réalisations de la science antique dans la société chrétienne. Nous y verrons comment, pour la science même, la parole s'est incarnée. Le nombre trois est celui de la génération, de la réalisation, et le livre a pour clef la lettre ghimel ג, hiéroglyphe de la naissance.

Dans le quatrième livre, nous verrons la force civilisatrice de la magie chez les barbares, et les productions naturelles de cette science parmi les peuples encore enfants, les mystères des druides, les miracles des eubages, les légendes des bardes, et comment tout cela concourt à la formation des sociétés modernes en préparant au christianisme une victoire éclatante et durable. Le nombre quatre exprime la nature et la force, et la lettre daleth ד, qui le représente dans l'alphabet hébreux, est figurée dans l'alphabet hiéroglyphique des kabbalistes par un empereur sur son trône.

Le cinquième livre sera consacré à l'ère sacerdotale du moyen âge. Nous y verrons les dissidences et les luttes de la science, la formation des sociétés secrètes, leurs oeuvres inconnus, les rites secrets des grimoires, les mystères de la divine comédie, les divisions du sanctuaire, qui doivent aboutir plus tard à une glorieuse unité. Le nombre cinq est celui de la quintessence, de la religion, du sacerdoce; son caractère est la lettre ה, représentée dans l'alphabet magique par la figure du grand prêtre.

Notre sixième livre montrera la magie mêlée à l'oeuvre de la révolution. Le nombre six est celui de l'antagonisme et de la lutte qui prépare la synthèse universelle. Sa lettre est le vaf נ, figure du lingam créateur, du fer recourbé qui moissonne.

Le septième livre sera celui de la synthèse, et contiendra l'exposé des travaux modernes et des découvertes récentes, les théories nouvelles de la lumière et du magnétisme, la révélation du grand secret des rose-croix, l'explication des alphabets mystérieux, la science, enfin, du verbe et des oeuvres magiques, la synthèse de la science et l'appréciation des travaux de tous les mystiques contemporains. Ce livre sera le complément et la couronne de l'oeuvre comme le septénaire est la couronne des nombres, puisqu'il réunit le triangle de l'idée au carré de la forme. Sa lettre correspondante est le dzaïn ז, et son hiéroglyphe kabbalistique est un triomphateur monté sur un char attelé de deux sphinx. Nous avons donné cette figure dans notre précédent ouvrage.

Loin de nous la vanité ridicule de nous poser en triomphateur kabbalistique, c'est la science seule qui doit triompher, et celui que nous voulons montrer au monde intelligent, monté sur le char cubique et traîné par les sphinx, c'est le verbe de lumière, c'est le réalisateur divin de la kabbale de Moïse, c'est le soleil humain de l'Évangile, c'est l'homme-Dieu qui est déjà venu comme Sauveur, et qui se manifestera bientôt comme Messie, c'est-à-dire comme roi définitif et absolu des institutions temporelles. C'est cette pensée qui anime notre courage et entretient notre espérance. Et maintenant il nous reste à soumettre toutes nos idées, toutes nos découvertes et tous nos travaux au jugement infaillible de la hiérarchie. Tout ce qui tient à la science, aux hommes acceptés par les sciences, tout ce qui tient à la religion, à l'Église seule, et à la seule Église hiérarchique et conservatrice de l'unité, catholique apostolique et romaine, depuis Jésus-Christ jusqu'à présent.

Aux savants nos découvertes, aux évêques nos aspirations et nos croyances! Malheur, en effet, à l'enfant qui se croit plus sage que ses pères, à l'homme qui ne reconnaît pas de maîtres, au rêveur qui pense et qui prie pour lui seul! La vie est une communion universelle, et c'est dans cette communion qu'on trouve l'immortalité. Celui qui s'isole se voue à la mort, et l'éternité de l'isolement, ce serait la mort éternelle!

Éliphas LÉVI.


Histoire de la magie

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