Читать книгу Art de reconnaître les styles: Les Styles flamand et hollandais - Emile Bayard - Страница 5
Considérations générales sur l’Art en Flandre et dans les Pays-Bas.
ОглавлениеOn eût été en droit de supposer que la dépendance continuelle où la Belgique fut des autres pays (jusqu’en 1830, époque où les provinces belges se révoltèrent contre le gouvernement hollandais et se constituèrent en État libre sous le nom de royaume de Belgique) aurait amorti son esprit et son caractère dans le futur. Aussi bien pouvait-on croire que le morcellement du sol flamand, dans le passé, eût contredit au bloc d’une personnalité artistique.
Il n’en est rien; et la Belgique règne esthétiquement encore sur les Flandres agrégées, tout autant que la gloire de Rubens lui revient en propre et malgré qu’il ne faille pas oublier que la maison de Bourgogne introduisit en Flandre la civilisation française sous les auspices de son art, de sa littérature et de ses modes.
Mais, d’avoir subi notre influence et d’avoir autrefois appartenu aux Espagnols, de confiner à l’Allemagne, d’avoir vu naguère sa frontière ensanglantée par les luttes de l’Espagne et de la France et son sol foulé par le terrible Marlborough, il ne s’ensuit pas non plus que l’originalité de la Flandre devait évaporer son parfum faute d’avoir pu le concentrer.
Point davantage la domination de la langue française, à laquelle Bruxelles demeura toujours fidèle, n’attente à la caractéristique d’une Belgique qui, dès les premiers temps de sa liberté, donna la sensation d’une société puissante et sûre d’elle-même.
Qu’importe que le doux Memling, originaire de la principauté de Mayence, ait accompagné Charles le Téméraire à Nancy, ou bien, comme on le présuma encore, qu’il ait suivi son maître Rogier (?) en Italie! Que ce peintre ailé soit mort en Espagne, à la Chartreuse de Miraflorès plutôt qu’à Bruges, comme il est vrai, il n’en demeure pas moins, en dépit de la biographie erronée de Descamps, que Memling ne saurait être séparé du pur idéal flamand divinement transfiguré d’après la vérité humaine.
La Grèce a hésité entre les douze patries d’Homère; la Belgique et l’Allemagne revendiquent Rubens parmi leurs illustres enfants. Mais si Rubens, natif de Siegen, n’est point Flamand d’origine, qui donc oserait contester à ce génie son émanation essentiellement flamande?
Fig. 2. CATHÉDRALE DE TOURNAY. (Art flamand.)
Pays si remué, à la fois si neuf et si ancien, la Belgique, malgré ses frontières étroites, demeure un grand peuple où communient les beautés flamandes dans un passé de gloire artistique dont le présent s’est attaché à justifier les espoirs. Il apparaît que l’exiguïté du sol belge relève de la condensation de son génie dispersé. Ce n’est pas sans raison, d’ailleurs, que l’on a appelé la Belgique l’Italie du Nord,. car l’opulente cité de Bruges occupe dans l’histoire des arts une place analogue à celle de Florence, et l’école de Bruges ouvrit, avec les Van Eyck, au xve siècle, le mouvement de la Peinture que l’école d’Anvers devait clore avec Rubens, au XVIIe siècle.
Pour en revenir à la personnalité flamande cristallisée en Belgique (à qui le pays flamand appartient presque tout entier), on a cherché noise encore à la langue française, soi-disant obstacle à l’originalité du nouveau royaume de Belgique, tandis que le vieux sang flamand eût été seul capable de fonder cette originalité. Les deux provinces, orientale et occidentale, dont les chefs-lieux furent Gand et Bruges autrefois, ces Flandres réputées pour avoir conservé leurs racines dans le commerce des anciennes corporations flamandes où fleurirent, au XIVe siècle, les premiers exemples de la liberté démocratique, ont fondu, en vérité, leurs traditions dans le même creuset que Namur, Liège et le Limbourg (partagé avec la Hollande) chez qui, inévitablement, les flots de la Meuse entretenaient les productions et l’esprit de la France.
Pourtant, l’objection de la langue flamande opposée à la langue wallonne ou française, au nom de l’originalité ancestrale, ne saurait sérieusement entamer le bloc d’originalité que les provinces flamandes ont résolu, non seulement historiquement, mais encore artistiquement. Une littérature respective consacre les deux langues dans une même pensée, — l’union fait la force, — et, au point de vue pittoresque, auditif si l’on veut, elles empruntent volontiers verbalement l’une à l’autre; soit! mais encore des termes, un accent, des intonations, confinent à un français «original» dont l’auteur belge du Mariage de Mademoiselle Beulemans a exprimé, caricaturalement mais avec une fine observation, la caractéristique.
Fig. 3. ÉGLISE SAINTE-GUDULE, à Bruxelles. (Art flamand.)
Et, en littérature, la sensibilité d’un Georges Rodenbach, le symbolisme d’un Émile Verhaeren, la profondeur d’un Maurice Maeterlinck ne relèvent-ils point du sol natal, malgré leur pure énonciation française?
La Belgique, berceau de la maison d’Autriche, s’honore donc, aujourd’hui, d’une unité esthétique où collaborèrent les goûts espagnol et français, avec quelque atteinte germanique de voisinage. Quant à la qualité générale de cette originalité esthétique, il semble qu’elle résulte du fait même des apports étrangers qui l’inspirèrent; elle est plus nourrie, et il n’y a guère que vis-à-vis des Pays-Bas, en matière de peinture, que l’ancienne communauté des deux sols porte une empreinte délicate à distinguer.
On a prétendu que la Belgique «n’avait point en Europe, et surtout en France (?), la réputation d’une terre poétique et d’une nation spirituelle, le mouvement matériel semblant y tout absorber». Dans cette voie de l’errement, comment résister à transcrire les notes d’un voyageur, au milieu du XIXe siècle! «Le brouillard qui pèse sur tout le pays (la Belgique), qui accable les habitants, et qui les force à prendre cinq repas par jour (sic), n’est point propre à laisser aux imaginations un essor bien vigoureux; enfin l’étroitesse des limites et l’insuffisance des ressources détruisent l’émulation et mettent obstacle aux grands desseins. Toutes ces raisons et une foule d’autres font considérer la Belgique comme une sorte de corridor banal entre la France, l’Angleterre et l’Allemagne, et l’on est très peu disposé à croire qu’on y trouvera la matière d’un puissant intérêt.» Cependant, concède notre déconcertant excursionniste, «toute décolorée que soit sa surface, la Belgique présente, dans ses frontières bornées, un grand nombre de sujets d’admiration et d’études...»
Fig. 4. HÔTEL DE VILLE DE LOUVAIN. (Art flamand.)
Phot. A. Giraudon
Et c’est ici, précisément, que notre curiosité aboutit, à travers l’opinion abusée, à l’étude des très nombreux sujets d’admiration que la Belgique conserve en digne héritage du sol et de la race flamande unifiés. Mais, avant d’approfondir ces beautés, nous admirerons; élancée dans. le ciel de la Flandre, la flèche symbolique de sa cathédrale.
Pour diversifier les peuples, sinon dans leur critérium idéal du moins dans leur orientation morale caractéristique, rien n’intervient autant que leur foi différente. Cela au sens purement artistique et en dehors de toute confession.
Les mœurs et goûts influent sur l’édifice culminant des villes. En général, une ville européenne se nomme d’abord de loin au regard par un monument central, surplombant, qui, à mesure que l’on approche, représente et résume l’esprit de construction, la physionomie expressive des habitants, leur religion. Et, le plus souvent, la grandeur esthétique de l’Europe se réfère au symbole de la cathédrale, à la foi catholique, au point que Chateaubriand a pu dire que le protestantisme est une religion mortelle pour les arts!...
Fig. 5. COUR ET GALERIE DU PALAIS DE JUSTICE DE LIÉGE. (Art flamand.)
Ph. LL.
C’est aux pieds de la Vierge que le doux moine de Fiesole se jette avant de peindre ses délicieuses madones et, à l’en croire, c’est par un chef-d’œuvre que le farouche Benvenuto absoudra chacun de ses crimes aux pieds du confesseur...
Pourtant, à ce compte, les artistes grecs ne seraient que des païens, alors que leurs chefs-d’œuvre sont divins!
Toujours est-il que si l’on ne peut guère apprécier la valeur esthétique des églises construites en Hollande (avant son organisation en royaume) sous le joug de l’Espagne catholique, par des artistes flamands ou français, généralement, parce qu’elles furent dépouillées de leurs ornements sous la Réforme, en Angleterre, — un pays protestant encore, — l’ancienne église catholique, fréquemment érigée par des Français, se distingue artistiquement des monuments voués aux autres cultes.
D’ailleurs, les scènes religieuses n’ont guère inspiré davantage la peinture hollandaise que la palette anglaise, à l’encontre de la Flandre qui leur doit des chefs-d’œuvre, et, si l’architecture et la sculpture (surtout) n’assument pas, dans la patrie de Rembrandt, un rôle prépondérant (en Angleterre, l’anglicanisme répudia la grande peinture murale décorative et la statuaire, de même que la peinture et la sculpture avaient été proscrites par l’Allemagne luthérienne comme un luxe païen, au XVIe siècle), c’est que la faveur des Hollandais pour le foyer familial, autant que leur prédilection pour la vie civile, n’a guère influencé idéalement la construction, même celle de l’hôtel de ville qui n’atteint point, en tout cas, à la beauté de celui des Flamands.
On pourrait, cependant, trouver dans la foi religieuse des Hollandais (adoptée après leur affranchissement de la domination espagnole) l’écho de sa propre excellence: elle inaugura, n’en déplaise à l’auteur du Génie du christianisme, un art protestant. Rembrandt croyait ardemment en Luther. «C’était pour lui un réformateur comme Mahomet, Jésus-Christ et Moïse. Il pensait que le catholicisme, par ses pompes et ses voluptés, n’était qu’une autre mythologie. Dieu, l’image invisible, était caché par les images des saints...»
Fig. 6. HÔTEL DE VILLE DE BRUXELLES ET GRAND’PLACE. (Art flamand.)
Ph, LL..
Et l’on remarque encore que, comme nation, la Hollande naquit de la Réforme à cause des persécutions de Philippe II qui, ayant mis en œuvre l’inquisition, perdit non seulement la foi catholique, mais encore la Hollande... La liberté enfante des prodiges quand elle est fécondée par l’amour de la patrie.
Or, cette liberté dans la patrie reconquise s’appuie, en Hollande, sur un génie de réalisation plus humain peut-être, plus vraisemblable mais moins poétique que celui de la Flandre pour toute expression, si l’on veut, surnaturelle. C’est ainsi que s’expliquent les raisons de la peinture hollandaise scrupuleusement vraie et strictement attachée à célébrer la vie avec une passion intensément originale.
De telle sorte que la vision éthérée, extatique, de la Flandre, qui la jette aux pieds de Dieu, n’est point supérieure à celle de la Hollande sincèrement bornée à l’amour de la nature, chef-d’œuvre de Dieu. Il n’empêche que la supériorité, en général, de la Flandre sur la Hollande — dont le passé artistique ne remonte guère qu’au XVIIe siècle et pour la peinture seulement — nous dispensera d’ajouter que la Flandre peut autant se glorifier de la beauté de ses hôtels de ville, de son beffroi, de ses halles, que de celle de ses cathédrales où toutes les formes matérielles et extérieures de la dévotion favorisèrent l’image, tant pour l’exaltation de l’édifice que pour celle du vitrail, de la sculpture et de la musique.
Fig. 7. PLACE DU GRAND MARCHÉ ET TOUR DE GRONINGUE. (Art hollandais.)
Ph. LL.
Même, en Belgique surtout, l’église partage volontiers sa primauté avec l’hôtel de ville lorsque ce dernier ne l’éclipsé pas. Car ce monument, d’égal pacifisme et moins âgé de plusieurs siècles, dépasse fréquemment le clocher de l’église comme pour lui disputer son ombre.
C’est Ypres, Bruges, Louvain (fig. 4), érigeant fièrement leurs dentelles de pierre au-dessus de la cathédrale. C’est l’organe officiel de la cité représenté par le beffroi gigantesque qui éveille le matin, invite au repos le soir et convie aux solennités nationales, luttant de hauteur et d’intérêt avec le temple de la prière.
Il y a, a t on remarqué, dans ce simple mouvement architectural, tout un symbole de la mission civilisatrice que les provinces belges eurent à remplir avec tant de courage au temps de leur première splendeur. L’église et l’hôtel de ville représentent et résument leur foi et leur histoire. Ils figurent ensemble la devise: «Dieu et Liberté.» Si l’église est le signe de l’antique affranchissement élevé par le monde moderne au sortir des ruines du paganisme, l’hôtel de ville, dont chaque pierre a coûté tant d’or et de sang à nos pères, est le tabernacle civil, le château fort de la loi, prélude de l’affranchissement moderne élevé par le peuple au sortir des ruines de la féodalité.
N’oublions pas, d’autre part, que l’hôtel de ville, autrefois, était un drapeau: la citadelle disputée dont la possession assurait la victoire. De telle sorte que si l’église personnifiait la maison de Dieu, l’hôtel de ville signifiait la patrie; d’où le noble souci d’exalter par l’art ces édifices comme on brode un étendard, comme on fleurit un autel.
Fig. 8. MOULINS SUR LE CANAL DE HARLINGEN Hollande).
Ph. LL.
Nous verrons même, au chapitre de l’architecture, les riches bourgeois flamands attacher plus de prix à la puissance de la commune qu’à la foi religieuse, d’où l’inachèvement de plusieurs cathédrales lors de l’évolution représentée par l’avènement de l’art ogival. Et, en France comme en Allemagne, l’émancipation du sentiment laïque vis-à-vis de l’église, commence à se dégager pour des résultats esthétiques analogues, au même temps.
Mais toutefois, alors que l’art religieux est entravé par le protestantisme, en Hollande «où la forme républicaine prévaut en politique», et que «la peinture se fait municipale et bourgeoise» , la Belgique catholique, liée aux grandes maisons princières de l’Europe, flatte, au contraire, à l’envi, l’essor de la beauté décorative réclamée par la solennité du culte et la magnificence des palais.
Et ne voilà-t-il pas que se précise dans ce besoin d’éclat général, dans cette large dépense de joie visuelle, l’avantage artistique de la Flandre?
Pour en revenir à la Hollande, qui. dut un instant s’effacer sous notre plume devant la Flandre monumentale et plus unanimement décorative, nous goûterons plus loin la gloire compensatrice de ses peintres sous un ciel supérieurement original. Ce pays bas, hérissé de moulins à vent, coupé de nombreux canaux et de digues pour l’agrément factice d’un sol plat diversifié, séduira notre mémoire où s’évoque, parmi la placidité rêveuse d’un paysage calme de Ruysdaël ou d’Hobbema, l’éclat, de rire d’un Brauwer ou d’un Van Ostade au sortir du cabaret. A moins encore que ne jaillisse, d’un effet de clair-obscur, l’image lumineuse et frappante d’un Van Rijn.
Fig. 9. HÔTEL DE VILLE DE LEYDE. (Art hollandais.)
Ph. LL.
A la ligne verticale des jets de pierre flamands sur la nue, s’oppose le caractère horizontal de la Hollande avec ses frais pâturages à ras du sol, où paissent de magnifiques bestiaux. A l’exubérance d’un Jordaens répond le calme d’un Cuyp, toute une intimité débonnaire et pensive baignée dans une lumière caressante.
En terminant ce chapitre, nous célébrerons, au nom de l’art, le double miracle de la liberté dont la Hollande fut bénéficiaire avec la Belgique. Trois siècles glorieux récompensèrent les révolutions politiques où la Flandre se hasarda au XVIe siècle, et la Belgique comme la Hollande cueillirent ce que le despotisme avait semé dans leur sein. L’intérêt de l’art, dans ces pays du Nord, se double de la curiosité de l’origine de cet art où des lambeaux d’idéal étrangers s’accrochent, en contribuant plutôt à la force d’une originalité qu’ils ne la desservent. L’art a, comme les mots, son étymologie, et un style d’art n’est que le suc de plusieurs admirations.
VIEILLES MAISONS, à Amsterdam. (Art hollandais.)
Ph. LL.