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CHAPITRE II
Considérations générales sur l’époque et le style de la Régence.

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Table des matières

Si nous en revenons aux manifestations opposées des styles, en général, aux transformations tant morales que physiques, voulues ou subies, aussi variables que les modes et les goûts d’art, nous remarquons la lenteur de l’évolution réformatrice ou créatrice.

Il y a des styles de préparation ou de transition, entre chaque style; c’est la période des recherches conscientes et plus souvent inconscientes, en vue de réaliser l’harmonie de l’homme avec la société qui lui convient, caractéristiquement.

La manifestation réactive de la Régence prépara le pur style Louis XV, tout comme le chaos révolutionnaire et l’étape Directoire enfanteront le pur style Empire.


FIG. 13.–Motifs décoratifs Louis XV.

Or, chacune de ces transitions, Régence et Directoire–l’élucubration révolutionnaire exceptée–a son charme propre, au point de mériter l’appellation de style. En dehors de ces transitions manifestes, il en est d’autres seulement ébauchées, noyées dans le tâtonnement et dans l’influence du passé, que le connaisseur seul discerne, mais tous les styles purs ont eu des acheminements obscurs qui nous laissent rêveur sur le sort de certain «modern-style» florissant de nos jours, prétentieusement étiqueté à notre époque.

Songez que, sous son règne, le style Régence passa inaperçu, du moins ne lui donna-t-on pas de nom particulier, et n’est-ce pas le sort de tous les styles d’être discernés seulement par les générations qui les ensevelirent?

Hormis le cas de Napoléon Ier sacrant à son nom le trône où il prit place, il n’est pas d’exemple de styles improvisés, et cela pourrait donner une leçon d’humilité à nos conceptions architecturales et d’ameublement, pompeusement décrétées du XXe siècle.

Toutefois nous ne pouvons qu’applaudir aux tentatives originales de notre temps. Ces recherches prendront certainement rang dans l’avenir, parmi les louables transitions qui nous procureront, il faut l’espérer, l’esthétique monumentale et mobilière caractéristique de notre siècle.

Toujours est-il que si, pour la grande parade napoléonienne, on dévalisa le magasin des accessoires grecs et romains, si l’aigle conquérant et pillard s’installa soudainement dans le nid des héros antiques, cela n’est qu’une digne suite à l’étonnante épopée impériale, c’est-à-dire une manifestation sans exemple comme sans lendemain.


FIG. 14.–Chenets.

Il faut dire encore que, s’il n’est point extraordinaire de voir Napoléon conquérir un style comme un territoire, le génie des David, des Percier et des Fontaine, qui veillait sur cette décoration de fortune, ne fut pas étranger à son triomphe.

Mais revenons aux styles transitoires, en la personne du style Régence dit rocaille ou rococo.

La Régence marque le véritable début du XVIIIe siècle français; elle est le premier symptôme du déséquilibre moral d’où sortira la Révolution, malgré quelque réaction plus apparente qu’effective, sous Louis XVI. D’ailleurs, pour ne pas quitter notre sujet, nous avons souligné l’identité de cette période de luxe et de volupté effrénés, de ce relâchement des mœurs et de cet abandon, avec une expression d’art aussi riche et pareillement désemparée. Sous Louis XV déjà, nous verrons prôner les meubles «à la grecque» que Louis XVI dans un accès de vertu, borné d’ailleurs au décor, consacrera. Un nuage gris succédera seulement au nuage rose, en attendant l’orage de la Révolution. Puis, ce sera l’improvisation sans goût qui naît fatalement sur les ruines, jusqu’au moment où le premier Empire rassemblera en hâte les déchets antiques pour bâcler son style.

Après, nous assistons au triomphe de l’impersonnel, c’est la décadence inventive, la bourgeoisie satisfaite des deux Restaurations, le faste immodéré et banal du second Empire. La complication étonnante et l’imprécision enfin des recherches fort intéressantes mais encore incohérentes, de nos jours.

Autant le choix, l’adaptation progressive et minutieuse de l’art classique à notre goût français sous Louis XVI étaient délicats, autant la violente irruption d’un Napoléon Ier dans le bazar gréco-romain apparaît choquante. Le style du guerrier ne peut avoir le même tact que celui du placide monarque, soit; mais il faut remarquer que la douceur des transitions des styles entre eux depuis la Régence, nous valut une chaîne de beauté gracieuse que seule la violence rompit.


FIG. 15.–Motifs décoratifs Louis XV.

Dès le choc de la Révolution, le charme original s’est évanoui. Faute de pouvoir créer, on adapte, on restaure, on vit du passé.

On suit parfaitement le fil créateur, depuis la Renaissance, qui classe les beautés antiques et s’en fait une loi d’idéal adapté cependant au génie national. Sous la Renaissance, effectivement, l’art italien, l’art français et celui des autres pays ralliés à l’idée classique, diffèrent entre eux par des nuances éminemment typiques, au point de constituer un style original et divers.

Sous Louis XIII, on s’attache à renouveler l’art de la Renaissance qui vient de succomber à l’afféterie; mais, si l’on emprunte à l’art flamand et à l’art italien une lourdeur évidente, cette lourdeur ne manque pas d’être originale et grandiose.

Même massiveté sous Louis XIV. Cependant l’héritage du précédent règne trouvera sa personnalité dans une richesse éclatante, dans un retour plus complet aux ordres et aux détails antiques, dans cette solennité même qui n’est plus de la gravité attristée, mais de l’orgueil.

Nous avons vu enfin le charme des originalités suivantes succomber à la brutalité, et nos jours en plein espoir de rénovation.


FIG. 16.–Entrée de serrure.

Nous fermerons maintenant cette large parenthèse, que le désir de situer exactement notre sujet dans son atmosphère, nécessita.

Il faut, pour admirer ou critiquer de bonne foi un style, connaître ses précédents, ses influences et les conditions de son évolution, car l’art n’est qu’un tout de civilisation, de contagion et de caprice dont il importe de raisonner les réalisations entre elles.

Si les artistes enfantent individuellement, leurs chefs-d’œuvre sont solidaires d’un bloc de pensée commune, et le respect s’impose devant un nombre si restreint de «blocs» parmi tant de siècles.

C’est ainsi que cette sublime cristallisation mérite les considérations et observations qui précèdent, plus propres au développement et à la compréhension de notre sujet qu’à son ralentissement.

Nous voici donc revenu au style Régence, rocaille ou rococo, en sa genèse.

Tout d’abord constatons que les premières constructions «rocaille» remontent, en France, au XVIe siècle. C’est Bernard de Palissy qui fut le propagateur, chez nous, de ces ouvrages rustiques imitant les rochers naturels dont la mode devait s’emparer avec avidité cent ans plus tard. Car l’amour des rocailles exerça sur la décoration du mobilier, dès le XVIIe siècle, à la fin du règne de Louis XIV, une influence considérable.

Qu’était-ce, en somme, que ces rocailles offertes en protestation à la symétrie régie par l’antique depuis la Renaissance?

Des imitations de rochers naturels, avons-nous dit, des coquilles, coquillages de toute sorte et pétrifications, mêlés à des palmes et à des rinceaux, voire à des légumes et à des fleurs; des reproductions synthétiques de l’eau qui coule en cascade, de stalactites et autres agréments botaniques ou géologiques entraînés dans la grâce la plus désinvolte, dans la fantaisie la plus contorsionnée qui soit.


FIG. 17.–Motifs décoratifs Louis XV.

Ce n’était pas un retour simple et franc à la nature; car, dès le premier moment, on tomba dans la convention, l’étrange, le maniéré. Aussi bien la rocaille fut très arrondie, très contournée; c’était une imitation infiniment capricieuse et infidèle de la nature, mais qui ne manquait ni de charme ni d’originalité et dont l’architecture, les appartements, les mobiliers et l’orfèvrerie s’emparèrent.

En vérité, il faut savoir où cette ornementation tourmentée et bizarre a pris ses modèles; sans cela, à part quelques volutes et vasques ressemblant à des coquillages, le mot rocaille n’éveillerait rien à l’esprit.

Aussi bien la rocaille stylisée est le point de départ de tout un désordre frappant.

En horreur de la ligne droite, la ligne contournée sévit. Les accidents de la nature conseillent le chavirement des axes précédents, c’est-à-dire que dans les panneaux clairs, les ornements dorés dansent une sarabande échevelée, et la simplicité d’hier est rétorquée aujourd’hui par des caprices, des pirouettes, des sinuosités où l’œil s’accroche, amusé et ébloui de tant de riche fantaisie.

Il est bon de retenir que cette expression décorative naît, à la fin de Louis XIV, de cette soif de pittoresque dont le Grand Roi avait comme à plaisir interdit l’essor, et si cette audacieuse ornementation s’épanouit sous la Régence, nous la verrons s’alourdir sous Louis XV et mourir de son excès de liberté sous Louis XVI.

Quant à l’invention de Bernard de Palissy, il n’en faut guère parler que pour mémoire. Il construisit des grottes pour le connétable de Montmorency, pour Catherine de Médicis dans le jardin des Tuileries, à Saint–Germain et à Meudon, il sema dans ses décorations un grand nombre de coquilles; mais ses rocailles à lui–pas davantage que celles exécutées sur l’ordre galant du Roi Soleil dans les appartements de Mmes de La Vallière et de Montespan–n’ont rien de commun avec les compositions rocailleuses de la Régence où la coquille s’associe à tant d’autres éléments, s’ingénie à tant de savantes convulsions entièrement Régence par l’amalgame et le mouvement, par la stylisation enfin.


FIG. 18.–Poignées.

Nous venons d’indiquer les bases de l’esprit nouveau dans l’ornementation de ce temps, nous avons expliqué ses origines, nous établirons maintenant un parallèle entre le style Louis XV qui suivra et la décadence du style ogival.

C’est reculer de beaucoup en arrière, mais comment résister à l’attrait de la comparaison, dans cet exposé général?

Donc, le style ogival primaire du XIIIe siècle fut appelé rayonnant au XIVe siècle et s’altéra, si l’on peut dire, au XVe et au commencement du XVIe siècle, sous le qualificatif de fleuri ou flamboyant. Or l’abus de l’élégance, l’exagération de coquetterie propre au gothique tertiaire ou flamboyant, en attentant à la grande sobriété des manifestations précédentes, mérite en quelque sorte le discrédit en lequel on le tint, au strict rapport esthétique. Et cette quasi-aberration, cette extravagance du détail, correspondent au système décoratif de la Régence, avec cette différence cependant que, si le gothique flamboyant dégénéra, le style Régence, au contraire, précurseur du style Louis XV avec ses qualités et ses défauts, fut ramené dans son esprit rocaille et rococo, à une beauté plus régulière, plus fondue, par l’expression artistique qui succéda.


FIG. 19.–Motifs décoratifs Louis XV.

Mais, en résumé, le gothique flamboyant comme le style Régence ont bien leurs mérites propres, une valeur artistique même considérable, malgré qu’ils communient dans le pareil désagrément, l’un d’avoir succédé à une fixation exemplaire, l’autre d’avoir servi de canevas à un continuateur.

Après l’étude d’ensemble du style Régence, nous aborderons l’examen des personnages qui vivent dans son décor.

Nous avons mentionné l’extravagante débauche qui salua la fin de Louis XIV comme l’affranchissement de toute contrainte, et nous savons que l’inflexion du corps humain, lassé de son attitude guindée, fut suivie de l’arrondissement de la ligne décorative, brisée à la longue dans son axe vertical et enfin libérée, cabrioleuse.

Puisque les hommes sont livrés au désordre, la ligne divague; l’analogie de l’être avec son décor se poursuit. Pour tous les styles, le miroir est le même.

Frappons maintenant à la tête de ce mouvement de grâce et de volupté qui traite l’ancienne cour d’antiquaille; voici le Régent, le duc Philippe d’Orléans.

On se répand d’abord sur l’agrément de son esprit et sur ses facultés artistiques: «Il est devenu en peu de temps musicien, peintre, graveur; ses connaissances en sculpture, en architecture, en médailles se sont développées avec une rapidité qui a surpris tous les artistes…» D’autre part, le Régent est ami des lettres et non point à la manière de Louis XIV, qui les favorisait pour qu’on l’en proclamât le protecteur, mais par un réel amour de leur beauté.

Au physique, le duc est élégant– malgré le fâcheux coup de fusil dont le duc de Berry fut l’auteur innocent et qui lui coûta un œil. Au moral, il est d’une gaîté que les événements les plus graves altèrent difficilement–songez que le prince «eut à faire face aux plus sérieuses difficultés financières, héritées du règne précédent et résultat de ses trente années de guerre».

Son courage est à toute épreuve, si toutefois sa paresse et sa corruption ne sont pas moins évidents. Quant à sa sensibilité, elle nous apparaît clairement dans ce qui suit. Les Philippiques, que le poète La Grange-Chancel n’a pu faire imprimer, traitent le Régent, on le sait, de la manière la plus injurieuse, la plus effrénée. Le cinglant libelle a été répandu cependant à plus de dix mille exemplaires manuscrits. Un de ces exemplaires tombe entre les mains du Régent: «M. le duc d’Orléans était homme à rire de la satire si elle n’eût attaqué que ses vices; il commença même par là, et dit plusieurs fois: «Voilà de bons vers.» Mais quand le prince fut arrivé à la strophe où La Grange le représente comme l’empoisonneur de la famille royale, ses yeux se remplirent de larmes, il frémit, pensa s’évanouir, et laissant échapper le papier, en même temps qu’il tombait lui-même sur un fauteuil, il dit d’une voix étouffée: «Ah! c’en est trop, cette horreur est plus forte que moi... j’y succombe.» Et La Grange-Chancel s’en fut mûrir sa raison aux îles Sainte-Marguerite…


FIG. 20. Chute.

Quelques détails typiques ensuite sur l’esprit de l’époque. Un contemporain écrit, à propos de la physionomie morale de son temps, après avoir parlé du changement survenu depuis Louis XIV: «Les mêmes hommes qui, il y a six mois, laissaient voir toujours le coin d’un livre d’heures sortant de leurs poches, s’empressent aujourd’hui de se montrer aux croisées de leurs petites maisons avec des roués ou des danseuses de l’Opéra. Les mêmes femmes qu’on rencontrait journellement dans l’oratoire de Mme de Maintenon, parlant bulle Unigenitus, reliques et sermons, sollicitent avec ardeur une place aux soupers licencieux du Régent...» Et l’auteur ajoute que Philippe d’Orléans ne sacrifie pas au plaisir dans un seul temple et que les soupers du Luxembourg font diversion à ceux du Palais-Royal, lorsqu’ils n’ont point asile dans la petite maison du prince de Soubise.


FIG. 21.–Motifs décoratifs Louis XV.

Un autre signe de ces heures frivoles nous est ainsi révélé: «Au milieu des vices propres à notre époque, il en est deux qui s’offrent sous un aspect nouveau: ce sont le bel air et le bon ton. Le bel air consiste à montrer la plus apathique indifférence pour ses affaires, à se moquer de ses dettes, à se mésallier en épousant la fille d’un riche financier pour faire croire qu’on les payera, et à s’acquitter finalement en faisant distribuer des volées de coups de bâton à ses créanciers. Le bon ton est de nier la vertu des femmes...»

On voit que le XVIIIe siècle commence à marcher sur un bon pied.

Ces roués et ces petits soupers sont d’ailleurs caractéristiques. Ces roués, ou élégants débauchés, compagnons du Régent, «fanfarons d’incrédulité et de vice», qui remplaçaient les dévots; ces petits soupers, d’où l’on ne sortait guère qu’en état d’ivresse.

Au surplus, le premier acte du Régent a été de rétablir à Paris le siège du gouvernement. L’axe de la royauté s’est ainsi déplacé, et voici l’atteinte la plus grave portée à l’œuvre de Louis XIV: Versailles est détrôné.

Touchons deux mots, maintenant, de l’esprit littéraire au XVIIIe siècle. La Régence n’a duré que sept ans. Elle prélude au règne de Louis XV qui, lui, occupera cinquante-neuf années et, si la Révolution termine dans le sang cette éclosion de charme et de grâce que Louis XVI avait un instant tempérée, le XVIIIe siècle n’en demeure pas moins un bloc, léger mais inséparable, dont nous distinguerons les nuances, du rose tendre au gris menaçant, c’est-à-dire depuis Philippe d’Orléans jusqu’à l’aube rouge qui annoncera la fin de la royauté absolue.


FIG22.–Chute.

Si le XVIIe siècle resplendit du flambeau des arts, des lettres et des sciences, le XVIIIe siècle produisit cette philosophie qu’on vit affermir, épurer tout ce que l’autre avait fait éclore. La recherche du vrai, en tout genre, devenue une passion pour tous les hommes instruits, tel est l’avantage qui rend supérieure aux yeux des moralistes, la seconde de ces époques, à la première. Pourtant, Louis XV ne s’associa jamais un seul instant aux progrès de l’esprit humain; ce qui le prouve, c’est que rien de majestueux, rien de vraiment honorable n’a surgi de son gouvernement. «Rien de grand n’agrandissait les âmes; mais toutes sortes de petites et agréables choses meublaient les têtes. La France était pays de comédie, d’opéra, d’historiettes et de bagatelle», écrivent les Goncourt; et l’on pourrait rendre responsable de cet amoindrissement, l’indifférence du monarque à l’égard de tout ce qui, dans le commerce de la vie, ne s’offrait pas à lui sous l’aspect du plaisir.

Mais nous qui ne cherchons qu’à nous maintenir dans notre cadre d’art, nous allons seulement glaner dans les observations précédentes, de précieuses indications et contradictions esthétiques.

Tout d’abord, dans l’évolution de la beauté, sous l’empire de la littérature, nous vîmes la carrière tyrannique de Louis XIV imposer une langue souveraine. Le génie politique de nos grands hommes et l’universelle gloire de nos lettres, assurèrent à la civilisation d’alors, gracieuse, fine et polie comme la civilisation d’Athènes, quelque chose de la majesté et de la puissance de Rome au siècle d’Auguste.

Avec la Régence, changement de front. La grossièreté des mœurs entraîne la décadence des salons. La politesse exquise de l’hôtel de Rambouillet, dont Louis XIV vieilli et la dévote Mme de Maintenon étaient les derniers remparts, sombre soudain dans le libertinage quelque temps comprimé. C’est à peine si l’on conserve encore les traditions du bon ton, à l’hôtel Sully, chez la duchesse du Maine–rendez-vous des écrivains–et chez le duc de Nevers. Pourtant on pourrait croire, alors, à une futilité littéraire en rapport avec la corruption qui caractérise cette heure de galanterie et d’abandon. Point. En pleine débauche, on analyse, on ergote, on pontifie. Les philosophes au XVIIIe siècle, vont déclarer la croyance en Dieu douteuse ou peu nécessaire, et toute religion positive sera combattue comme une imposture des prêtres. D’Alembert, secondé par les succès d’Helvétius et appuyé de l’immense popularité de Voltaire, accréditera cette opinion, que justifient parfaitement les débordements des classes élevées et l’insignifiance d’un culte réduit à de vaines pompes extérieures.


FIG. 23.–Motifs décoratifs Louis XV.

A cette lutte en faveur de l’esprit nouveau viennent aussi prendre part des génies comme Jean-Jacques Rousseau et Diderot, qui s’efforceront de concilier les conditions de la vraie moralité avec l’amour de soi. On commencera à acclamer le retour à la nature, certaine vérité joliment artificielle; les Encyclopédistes domineront, tandis que, dans la poésie légère, dans le discours en vers, dans l’épître, dans le conte, dans la satire, voire dans le vers héroïque, Voltaire triomphera.

Si l’on veut rattacher l’harmonie de la littérature à l’esthétique d’art, l’auteur de la Henriade fournit un heureux point de raccord. Son génie satirique, sa verve badine sont parfaitement XVIIIe siècle, d’autant que le célèbre écrivain sait aussi tenir haut sa lyre, à cette époque singulièrement élégiaque, en pleine jouissance. Et l’on aime à évoquer, dans le décor que nous allons examiner plus loin, ces délicieux personnages, vêtus de clair et de frais, parlant sérieusement ou presque, avec des visages souriants; dissertant sur la vérité, en plein mensonge, sur la nature en plein artifice.


FIG. 24.–Motifs décoratifs Louis XV.

Encore que plus volontiers, on se plairait à les situer sous les tonnelles couvertes de vigne de quelque Ramponneau, à la guinguette du Tambour royal. «On allait chez Ramponneau, écrit Paul Lacroix, selon l’expression consacrée, comme on était allé aux Halles ou au quai de Gesvres, pour entendre dans toute sa verdeur pittoresque le langage poissard, que les ouvrages de Vadé avaient mis à la mode, et que les jeunes gens de la noblesse et de la finance apprirent les premiers en le parlant avec les jolies marchandes de beurre et de marée, qu’ils faisaient danser sur le carreau des Halles, aux sons d’un crincrin.»


FIG. 25.–Entrée de serrure.

Sous le Roi Soleil, enfin, la dissimulation se jouait sur une scène solennelle; au XVIIIe siècle, cette scène sera aimable, et nous gagnons à ce contraste toute une beauté d’art. L’ère de la fragilité après l’époque du robuste est non seulement logique, mais encore agréable. De même, après la haute suggestion de la tragédie d’un Corneille, goûte-t-on la piqûre légère d’un pamphlet. Et c’est de libelles, de pamphlets, de satires, que se nourrit cette époque légère dont nous allons distinguer l’éloquente esthétique, après avoir insisté sur le caractère et les influences auxquels elle doit la vie.


FIG. 26.–Détail d’un panneau Régence.


L'Art de reconnaître les styles: Les styles Régence et Louis XV

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