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NOTICE SUR M. GASTON DARBOUX.

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Table des matières

M. Jean-Gaston Darboux, aîné des deux fils d'un commerçant en mercerie, naquit à Nîmes le 13 août 1842, dans une maison qui avait été autrefois une chapelle de la cathédrale. Son père, de santé délicate, mourut en 1849. C'était un homme instruit. Il laissait quelques livres qui firent les délices de l'enfance et de la jeunesse de son fils aîné. Sa mère prit avec courage la suite des affaires. Elle plaça ses deux enfants dans une institution voisine de sa demeure, puis, en 1853, au lycée de Nîmes. A cette époque le régime scolaire était plus sévère qu'aujourd'hui: les deux frères, demi-pensionnaires, entraient au lycée dès 6h du matin et n'en sortaient qu'à 8h du soir. Mme Darboux, douée d'une intelligence peu commune, voyant que ses fils avaient d'heureuses dispositions pour les travaux intellectuels, mit leur avenir au-dessus de tout: au lieu de les associer à son commerce, elle leur permit de continuer leurs études quand ils eurent pris le baccalauréat ès sciences.

En octobre 1859, M. Darboux entra dans la classe de Mathématiques spéciales du lycée de Montpellier. Le professeur, Charles Berger, exposait clairement les matières de son cours, s'occupait de ses élèves pendant les veillées, conduisait les meilleurs d'entre eux à la bibliothèque où il leur faisait lire des Ouvrages de hautes Mathématiques. Après une seule année de travail, M. Darboux se présenta, surtout pour faire plaisir à son professeur, aux examens du concours d'admission à l'École Polytechnique; déclaré admissible, il ne voulut pas subir l'examen du second degré, car il avait déjà le désir d'entrer dans l'enseignement. Il suivit de nouveau le cours de Charles Berger et eut le rare bonheur, en octobre 1861, d'être admis premier à la fois à l'École Polytechnique et à l'École Normale supérieure dans la section des Sciences. Fidèle à son idée de devenir professeur, M. Darboux choisit l'École Normale.

Cette résolution, qui lui avait été inspirée par son goût pour l'enseignement, eut alors un grand retentissement dont J.-J. Weiss s'est fait l'écho dans le Journal des Débats[1]. Auparavant l'immense majorité des élèves qui étaient à la fois reçus aux deux Écoles, dans un bon rang, entraient à l'École Polytechnique. M. Darboux a donné un exemple qui a été suivi immédiatement; il a été le premier d'une série qui contient des noms tels que ceux de Didon, de Paul Appell, d'Émile Picard et de bien d'autres qui, comme lui, ont opté pour l'École Normale. Sa mère vint elle-même le présenter à Pasteur, directeur des études scientifiques. Comme il est naturel, celui-ci approuva tout à fait la résolution prise par elle et par son fils. Bientôt après, en parlant de ce choix, Désiré Nisard, directeur de l'École, écrivait, dans une Lettre[2] adressée au ministre de l'Instruction publique, cette phrase que Mme Darboux aimait à répéter à son fils: «C'est, dans nos annales domestiques, le premier exemple d'une conquête de ce genre.»

M. Darboux eut en outre la satisfaction d'être autorisé par le ministre à suivre, en dehors de l'École Normale, les cours qui lui plairaient. Il profita de cette faveur pour assister aux leçons que Joseph Bertrand, son maître de conférences à l'École, professait au Collège de France sur la Physique Mathématique. Ce fut l'origine de l'amitié de ce géomètre pour M. Darboux, qui, plus tard, conquit aussi l'estime et la bienveillance d'autres savants, notamment de Bouquet, de Briot, de Chasles et de Serret.

Pendant ses trois années de séjour à l'École Normale, M. Darboux se livra, dans ses loisirs, à l'étude approfondie des belles questions géométriques qu'avaient résolues Monge, Gauss, Poncelet, Dupin, Lamé, Jacobi; il fit même, sur la théorie des surfaces orthogonales, un travail que Serret présenta à l'Académie des Sciences le 1er août 1864 et dont le résumé fut inséré aux Comptes rendus. Bientôt après, le 20 septembre 1864, M. Darboux était reçu premier au concours d'agrégation des Sciences mathématiques. Pour lui, Pasteur fit alors créer une place de préparateur agrégé de Mathématiques à l'École Normale, car il voulait lui permettre de poursuivre des recherches si bien commencées. M. Darboux eut ainsi le temps de composer, sur les surfaces orthogonales, une thèse où il donnait beaucoup de résultats nouveaux et qu'il soutint brillamment en Sorbonne le 14 juillet 1866. Ses juges, Chasles, Serret, Bouquet, le félicitèrent hautement en le déclarant docteur ès sciences mathématiques.

En 1866-1867, M. Darboux fut pris par Joseph Bertrand comme remplaçant pour son cours de Physique mathématique au Collège de France, et, en octobre 1867, Bouquet le fit nommer son suppléant dans la chaire de Mathématiques spéciales au lycée Louis-le-Grand. Du 10 septembre 1868 au 26 septembre 1872, M. Darboux fut titulaire de cette chaire. Bien que cette période ait été la plus chargée de sa vie professorale, c'est l'une de celles où il fit, en Analyse et en Géométrie, un grand nombre d'importantes recherches dont les résultats attirèrent l'attention des savants français et étrangers. Parmi les publications de cette période, il faut en citer deux, parues en 1870: d'abord des Notes Sur les équations aux dérivées partielles du second ordre, qui ont ouvert une voie nouvelle dans cette difficile théorie et dont la plus complète a été reproduite par M. Paul Mansion dans un Ouvrage publié en 1892; ensuite un long Mémoire Sur une classe remarquable de courbes et de surfaces algébriques et sur la théorie des imaginaires, qui contient soit le développement, soit le germe de plusieurs méthodes intéressantes.

Le 1er octobre 1872, M. Darboux quitta définitivement l'enseignement secondaire pour remplir les fonctions de maître de conférences de Mathématiques à l'École Normale supérieure. Dès lors il se consacra, avec un zèle soutenu, à la tâche si belle qui lui était confiée. Bersot, directeur de l'École, appréciant ses efforts, lui témoignait son estime et sa confiance en le consultant volontiers sur les questions relatives à la Section des Sciences. Les résultats de ce zèle et de ces efforts ont été ainsi appréciés, en 1895[3], par M. Jules Tannery: «Je ne veux pas parler de ceux qui sont trop près de nous. Comment ne pas rappeler pourtant que la Section mathématique de l'École a brillé d'un éclat incomparable pendant que M. Darboux la dirigeait.»

Le 24 janvier 1873, M. Darboux fut désigné pour suppléer Liouville dans sa chaire de Mécanique rationnelle à la Sorbonne. Mais à ses débuts il se trouvait en présence de cinq ou six auditeurs seulement: les élèves de l'École Normale avaient déserté le cours que Liouville, âgé et malade, ne faisait que très irrégulièrement, et auquel Briot suppléait dans ses conférences à l'École. Dès l'année suivante, ces derniers reprirent le chemin de la Sorbonne, et M. Darboux eut la satisfaction d'avoir des auditeurs aptes à suivre un enseignement qu'il avait dû établir sur des bases nouvelles. Parmi eux, il convient de citer MM. Paul Appell et Émile Picard, aujourd'hui ses collègues à l'Institut. On retrouve dans ses Mémoires et dans les Notes qu'il a insérées à la fin du Cours de Mécanique de Despeyrous quelques-uns des points nouveaux qu'il a développés en Sorbonne de 1873 à 1878.

La chaire de Géométrie supérieure à la Faculté des Sciences de Paris avait été créée en 1846 pour que Chasles y développât les résultats de ses nombreuses recherches ainsi que les théories de ses devanciers. Mais plusieurs des questions que traitait ce géomètre ne tardèrent pas à être enseignées dans les lycées. Aussi M. Darboux, succédant, le 28 décembre 1880, à Chasles, dont il avait été le suppléant pendant 2 ans, dût-il donner au cours une physionomie tout autre. Par ses remarquables travaux analytiques et géométriques, il s'était merveilleusement préparé à inaugurer une ère nouvelle dans l'enseignement de la Géométrie supérieure à la Sorbonne: c'est pourquoi, depuis une trentaine d'années, cet enseignement s'est tellement modifié que la chaire occupée par M. Darboux paraîtrait mieux dénommée si elle s'appelait chaire de Géométrie infinitésimale.

M. Darboux possède les qualités d'organisateur à un degré aussi élevé que celles de professeur. Il l'a révélé dans les hautes et délicates fonctions de doyen de la Faculté des Sciences de Paris, auxquelles il fut nommé, sur la proposition de ses collègues, par le ministre de l'Instruction publique, le 12 novembre 1889. Mais, désireux de prendre un repos qu'il avait bien mérité, M. Darboux demanda à être relevé de ses fonctions avant l'expiration de son cinquième mandat: il fut nommé doyen honoraire le 4 mars 1903. Le vif regret causé par cette démission fut exprimé, dans les Rapports relatifs à l'Enseignement supérieur pendant l'année scolaire 1902-1903, par M. L. Liard, vice-recteur de l'Académie de Paris, président du Conseil de l'Université de Paris, et par M. P. Appell, successeur de M. Darboux au décanat.

Au nom de M. L. Liard, le rapporteur, M. Ch. Lyon-Caen, a écrit: «M. Darboux a, avec un zèle infatigable et l'intelligence la plus éclairée, contribué au développement considérable qu'a reçu dans les dernières années la Faculté des Sciences, et à l'organisation de l'Université de Paris reconstituée. Son nom aura une place d'honneur dans l'histoire de la Faculté des Sciences et dans celle de l'Université.»

Et M. P. Appell, plus explicite, a parlé en ces termes: «La Faculté adresse à M. Darboux tous ses remercîments pour l'activité incessante, pour l'intelligence vive et pratique, avec laquelle il a toujours défendu ses intérêts, étendu son enseignement et accru son influence; la comparaison de l'affiche des cours de 1888 et du budget de cette époque avec le tableau de l'enseignement et du budget actuels montrent combien l'administration de M. Darboux a été féconde. Jamais, d'ailleurs, aucun de nos doyens ne s'était trouvé en présence d'une œuvre aussi considérable à accomplir tant dans le domaine matériel que dans le domaine de l'enseignement: reconstruction de la Sorbonne; constructions, agrandissements et créations de laboratoires; organisation du P. C. N.; créations de chaires et de maîtrises de conférences nouvelles.»

M. Darboux eut encore l'occasion de s'occuper d'affaires administratives comme membre du Conseil supérieur de l'Instruction publique, dont il fit presque toujours partie depuis 1888. Le 4 juillet 1908, il fut nommé vice-président de ce Conseil et bientôt après membre de sa Commission permanente. Grâce au renom qu'il s'est acquis comme savant et administrateur, il est devenu membre ou président d'un grand nombre de Commissions universitaires, de divers Bureaux scientifiques de l'État, de Conseils d'Observatoires nationaux, d'institutions officielles ou privées.

Après avoir eu la vive satisfaction de voir ses recherches favorablement appréciées par les savants, M. Darboux eut la joie d'être élu, le 3 mars 1884, membre de l'Académie des Sciences, dans la Section de Géométrie. On peut se rendre compte de l'importance et de la variété des travaux qui lui ont valu cet honneur si recherché en parcourant le Rapport que M. Camille Jordan lut en public peu de temps après. Plus tard, le 21 mai 1900, en élevant M. Darboux aux fonctions de Secrétaire perpétuel pour les Sciences mathématiques, ses collègues de l'Académie lui accordaient la plus haute des marques d'estime et de confiance dont ils puissent disposer. A cette nouvelle satisfaction éprouvée par M. Darboux se joignirent de profonds regrets qu'il a exprimés publiquement en de nobles termes, le 16 décembre 1901, dans un Éloge historique dont voici le début: «Appelé pour la première fois à prendre la parole dans cette enceinte, je crois remplir un devoir en vous présentant d'abord l'éloge d'un homme que j'ai beaucoup aimé et profondément admiré, mon illustre maître Joseph Bertrand.» En choisissant M. Darboux comme Secrétaire perpétuel, l'Académie des Sciences a été bien inspirée. Ce savant marche sur les traces de son spirituel devancier: comme lui, dans des Éloges et Notices historiques, il expose en un style élevé la vie et l'œuvre d'Académiciens décédés; comme lui, en présentant les pièces de la correspondance, il donne d'intéressantes explications que les Membres de l'Académie et le public écoutent toujours avec le plus vif plaisir.

Outre qu'il fait partie de l'Institut de France, M. Darboux est membre à divers titres de 21 Académies royales ou impériales, docteur honoris causâ des Universités de Cambridge, Christiania et Heidelberg, membre honoraire de l'Université de Kasan et de 11 Sociétés scientifiques étrangères.

Le présent Opuscule contient la liste, le plus souvent avec des analyses, de toutes les publications mathématiques de M. Darboux; il suffit donc, dans cette Notice, d'indiquer les principaux caractères des recherches de ce géomètre. M. Darboux a généralisé des questions dont des cas particuliers avaient seuls été abordés. Il a su établir des rapprochements entre des théories dont on n'avait pas encore aperçu les points communs. Il a fait faire de sensibles progrès à la solution de problèmes qui se rencontrent en Analyse et en Physique mathématique. Dans un important Ouvrage sur la Géométrie infinitésimale, dont les quatre Volumes ont été publiés de 1887 à 1896, il a exposé non seulement les travaux de ses devanciers, mais encore ses recherches personnelles qui auraient pu donner naissance à un grand nombre de Mémoires originaux. A côté d'une exposition très complète des travaux des anciens géomètres sur les surfaces minima, il faut remarquer des théories entièrement nouvelles: celles, par exemple, de l'équation de Laplace, de la déformation infiniment petite et des 12 surfaces, des systèmes conjugués, des mouvements relatifs; une exposition originale des principes de la Dynamique, une solution aussi complète qu'il est possible de la donner actuellement du problème de la représentation sphérique, etc. Il a aussi semé dans son travail un grand nombre de remarques qui paraissent contenir le germe de futures découvertes. Enfin, il ne néglige jamais de présenter les considérations géométriques auxquelles conduit l'Analyse, ni celles qui permettent d'écrire avec le plus de simplicité les équations qu'exige la solution algébrique d'un problème. Avec le même soin et la même compétence, M. Darboux a commencé en 1898, Sur les systèmes orthogonaux et les coordonnées curvilignes, la publication d'un Ouvrage qui complète le précédent et dont on souhaite vivement voir apparaître la suite. Il serait superflu de rappeler que les deux théories précédentes ont toujours fait l'objet de ses recherches favorites.

L'ensemble de ces deux Ouvrages constitue une histoire documentée de la Géométrie infinitésimale pendant le XIXe siècle. M. Darboux a tracé les grandes lignes de cette histoire dans la Conférence qu'il a faite au Congrès des mathématiciens tenu à Rome en avril 1908. Quelques années avant, au Congrès d'Arts et de Science tenu à Saint-Louis en septembre 1904, il avait lu une étude approfondie sur le développement de toute la Géométrie moderne. De plus, il a fourni de précieux matériaux à l'histoire des Sciences en analysant un grand nombre d'Ouvrages variés, en composant quelques Éloges et Notices historiques et plusieurs Discours qu'il a lus dans de solennelles cérémonies où il représentait l'Institut, le Gouvernement ou l'Université de Paris. Tous ces écrits donnent à M. Darboux une place importante dans le monde des lettres.

De taille élevée, d'aspect sévère et froid, M. Darboux intimide ceux qui l'abordent pour la première fois. Heureusement cette impression s'efface vite après quelques minutes d'entretien. On reconnaît alors qu'il est bienveillant et que sous une écorce rude il cache un cœur généreux. Il a plusieurs fois donné des preuves de ces deux qualités, notamment depuis une dizaine d'années comme président de la Société de secours des Amis des Sciences. Sa conversation, qui roule sur les sujets les plus divers, est à la fois instructive et attrayante. Il reconnaît que ses professeurs de Mathématiques ont découvert, éveillé et entretenu son goût pour la Géométrie et il répète leurs noms avec émotion et plaisir. Il s'efforce de juger sans parti pris et avec équité les questions qui lui sont soumises. Lorsqu'il préside une commission, il a une confiance absolue en ses collègues et il les défend s'ils sont attaqués. A quelqu'un qui lui avait écrit qu'on avait cherché à surprendre la bonne foi du président, il répondit: «Soyez persuadé, Monsieur, qu'aucun des membres de la commission n'est capable de chercher à abuser de la confiance de ses collègues». Dans toutes les circonstances de la vie, M. Darboux procède avec méthode; il ne faut donc pas être surpris de retrouver cette qualité lorsqu'il développe le programme de son cours et qu'il écrit sur le tableau les équations dans l'ordre où elles se présentent. Très consciencieux par nature, il ne laisse inachevé aucun raisonnement et expose à ses auditeurs des leçons toujours soigneusement préparées. Il existe dans sa bibliothèque une preuve irréfutable de ce dernier fait: elle consiste en une douzaine de gros cahiers reliés, où l'on peut trouver, clairement écrits par lui-même, les développements des cours qu'il professa en Physique mathématique, en Mécanique analytique et en Géométrie infinitésimale. Ces précieux manuscrits renferment des méthodes et des remarques qu'il n'a pas publiées, mais dont on pourra plus tard tirer profit, car son intention est de les donner à l'Institut. M. Darboux est resté simple et modeste, bien qu'il soit arrivé à une situation très élevée. Il importe de faire remarquer qu'il la doit seulement à ses efforts et à son talent: aucun de ses ascendants n'a occupé de position même modeste, dans le monde de la science, de l'administration ou de la politique; si des savants l'ont protégé au début de sa carrière et lui ont ouvert les portes de la gloire, c'est qu'ils avaient vu dans ses travaux des points de nature à faire progresser la Science et reconnu en lui des qualités de premier ordre.

Désiré Nisard ne s'était pas trompé lorsque, dans sa Lettre[4] au ministre de l'Instruction publique, il signalait M. Darboux comme «un jeune homme du plus rare savoir et de la plus haute espérance».

E. L.

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