Читать книгу Mémoires de Fléchier sur les Grands-jours tenus à Clermont en 1665-1666 - Esprit Fléchier - Страница 3

INTRODUCTION

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Table des matières

CE mot de Grands-Jours, qui, il y a deux siècles à peine, excitait une grande attente, éveillait bien des terreurs et bien des espérances, est presque ignoré aujourd’hui, et l’on rencontre beaucoup de personnes, d’ailleurs fort instruites, qui demandent: Qu’était-ce que les Grands-Jours?

Les Grands-Jours étaient des assises extraordinaires tenues par des juges choisis et députés par le roi. Ces juges, tirés du parlement, étaient envoyés, avec des pouvoirs très-étendus, dans les provinces éloignées, pour juger en dernier ressort toutes les affaires civiles et criminelles, sur appel des juges ordinaires des lieux, et principalement pour informer des crimes de ceux que l’éloignement rendait plus hardis et plus entreprenants. Ils avaient ainsi hérité de la mission de ces commissaires, appelés missi dominici, que nos rois de la première et de la seconde race envoyaient dans les provinces pour informer de la conduite des ducs et des comtes, et réformer les abus qui pouvaient s’introduire dans l’administration de la justice et des finances.

La rareté de ces assises, l’appareil qu’y déployaient les juges, contribuaient à les rendre imposantes, solennelles, et leur ont fait donner par le peuple le nom de Grands-Jours.

Les Grands-Jours n’ont été tenus que sept fois en Au vergne:

En1454, 1481, 1520, à Montferrand ;

En1542, 1546, à Riom;

En1582, et1665-66, à Clermont.

De ces Grands-Jours, les plus remarquables par leur durée, par le nombre et la gravité des affaires qui y furent déférées, par la qualité des personnes qui y figurèrent, et par leur résultat, sont, sans contredit, ceux de1665-66.

Ces assises extraordinaires durèrent plus de quatre mois, du26septembre1665au30janvier1666.

On y porta plus de douze mille plaintes; une multitude de causes y furent jugées, tant civiles que criminelles. Et, dans ces dernières, qui voit-on sur la sellette des accusés? les personnages les plus considérables de l’Auvergne et des provinces circonvoisines, par leur naissance, leur rang, leur fortune; des juges, des prêtres même!

Nous aurons peine à comprendre aujourd’hui tant d’audace et tant de crimes; mais si nous songeons à ces longues guerres civiles ou étrangères, durant lesquelles la noblesse avait toujours eu l’arme au poing, suivant l’expression de Pasquier, au défaut d’unité dans l’administration et le gouvernement, au manque de routes et de communications qui empêchait le gouvernement et la main de la justice d’atteindre les coupables, nous pourrons concevoir une grande partie de ces crimes que couvrait presque toujours l’impunité.

Quant aux autres, il faut les imputer à la législation elle-même, qui, pour favoriser un aîné de famille, dépouillait ses frères, et les forçait de se jeter dans le parti des armes, ou d’embrasser, contre toute vocation, l’état ecclésiastique ou religieux.

Mais, au moment même où le mal était à son comble et paraissait sans remède, on le vit cesser tout à coup. Louis XIV, frappé surtout de l’affaiblissement de sa puissance que le progrès du mal pouvait amener, résolut d’y mettre un terme. Il ordonne, et les Grands-Jours sont envoyés en Auvergne, et y portent une terreur salutaire. Les plus coupables prennent la fuite; mais s’ils parviennent à se soustraire à la vengeance des lois, ils apprennent du moins à en reconnaître le pouvoir; et un petit nombre d’exécutions capitales et beaucoup de condamnations par contumace suffisent, avec l’appareil qui les accompagne, pour faire cesser le désordre.

Dès ce moment, la tranquillité renaît, les communications deviennent sûres, les relations se rétablissent, les gens de bien reprennent courage, on respire.

Ces Grands-Jours, qui ont amené un changement si prompt, si complet, dans les moeurs, qui ont anéanti les derniers vestiges de la puissance féodale, signalé d’une manière si éclatante la fermeté du jeune roi, les historiens, tout préoccupés des siéges et des batailles, des guerres ou des traités de paix, les ont à peine mentionnés. Ils sont enregistrés en deux lignes dans l’ouvrage du président Hénault; ils obtiennent jusqu’à dix lignes dans les auteurs qui leur ont consacré le plus d’espace; et Voltaire, dans l’ouvrage spécial qu’il a écrit sur le siècle de Louis XIV, n’en prononce pas même le nom.

Mais le grand roi en a fait lui-même consacrer le souvenir sur le bronze, comme celui d’un grand événement. A leur occasion, ont été frappés deux médaillons et une médaille, offrant tous les trois, sur la face, le buste de Louis XIV. Au revers, dans les deux premiers, la Justice tient de la main gauche un glaive et une balance, et de la main droite relève une femme à genoux qui représente l’Auvergne. Légende commune aux deux médaillons: PROVINCLE AB INJURIIS POTENTIORUM VINDICATAE; et, en exergue, MDCLXV. Modules: 70et73millimetres.

Voici la représentation fidèle de la médaille:


Voyez l’Auvergne assise et gémissant sur ses rochers; la Justice vient lui tendre une main secourable. La légende et l’exergue expliquent l’une le but et l’autre le résultat des Grands-Jours.

Jetons aussi les yeux sur l’image du grand roi, en qui l’on n’a quelquefois voulu voir qu’un despote haïssable, vers lequel cependant doit remonter notre reconnaissance et celle de nos neveux; car c’est lui qui, par sa fermeté, par la force que les circonstances mirent en ses mains, a frappé ce grand coup, a délivré nos pères de l’oppression, et, par le fait, préparé le règne de la liberté pour le peuple.

Mais un monument plus précieux de cette époque, monument destiné à survivre au bronze lui-même, long-temps caché dans la poussière d’une bibliothèque, va voir le jour et répandre une lumière complète, une lumière inattendue sur cette institution des Grands-Jours, sur les Grands-Jours d’Auvergne en particulier, et sur les moeurs du xvIIe siècle. Je veux parler des Mémoires de Fléchier que je publie aujourd’hui.–Deux mots seulement sur l’auteur et sur son ouvrage.

En1665, Fléchier, âgé de trente-trois ans, déjà prêtre, déjà connu comme prédicateur, vint à Clermont à la suite de M. de Caumartin, conseiller du roi, maître des requêtes, chargé des sceaux près la cour des Grands-Jours.–Celui que on mérite devait, vingt ans plus tard, porter à l’épiscopat, s’était alors chargé de l’éducation du fils de M. de Caumartin.–Il était placé on ne peut plus heureusement pour tout voir, tout entendre, tout juger, et c’est en présence même des faits qu’il en rédige en quelque sorte le journal.

Je n’entreprendrai pas sur le plaisir du lecteur en lui présentant une analyse de l’ouvrage qu’il va lire; mais je lui dois quelques détails sur le manuscrit lui-même, sur son origine et son authenticité.

Le manuscrit de Fléchier sur les Grands-Jours forme un volume in-4o de414pages écrites. L’écriture en est nette et uniforme; comparée à des autographes de Fléchier, elle ne serait pas de sa main, mais elle remonte certainement au commencement du XVIIIe siècle, sinon plus haut. L’orthographe accuse la même époque, aussi bien que la reliure du volume. Dix feuillets blancs qui précèdent le texte, et onze qui le suivent, semblent annoncer, de la part de l’auteur, l’intention d’y placer une introduction, et quelque appendice ou table. Le volume du reste ne porte absolument aucune marque de ceux qui l’auraient possédé.

Récemment acquis de M. Michel, avocat du barreau de Clermont, il faisait partie, avant1830, de la bibliothèque de M. Tiolier, ancien conseiller à la cour royale de Riom, résidant à Clermont, et qui, depuis soixante ans, recherchait avec passion tout ce qui intéressait l’Auvergne. De quelle manière ce manuscrit était-il tombé entre ses mains, c’est ce qu’il serait impossible aujourd’hui d’établir.

Mais quelle que soit l’origine de ce manuscrit, on ne saurait contester que ce ne soit l’ouvrage même dont l’abbé Ducreux fait une longue analyse, avec des citations textuelles, au tome Xe des OEuvres complètes de Flêchier, qu’il a publiées en1782

L’authenticité de cet ouvrage est suffisamment établie par le suffrage de l’abbé Ducreux, qui, lorsqu’il a donné son édition, avait en main les manuscrits autographes des divers ouvrages de Fléchier, et ne l’a pas le moins du monde mise en doute. A son témoignage viennent se joindre des preuves puisées dans la relation elle-même, où l’auteur se désigne plus d’une fois avec des particularités qui ne peuvent s’appliquer qu’à lui, en même temps qu’il s’y peint partout dans un style qui, dans cette circonstance, est bien certainement tout l’homme.

Parlerai-je du mérite intrinsèque de l’ouvrage? Indépendamment des faits curieux qu’il révèle, des moeurs encore trop peu connues qu’il retrace, il sera pour le lecteur éclairé un des plus précieux monuments littéraires du grand siècle.

En effet, il a été composé dix ans après les Provinciales de Pascal, lorsque Corneille avait déjà produit ses chefs-d’oeuvre, au moment où Molière faisait représenter son Misanthrope, où Racine préparait ses Plaideurs et son Britannicus, où Boileau publiait ses premières Satires.

Ces mémoires ajouteront un nouveau fleuron à la couronne de Fléchier, en le faisant connaître avec d’autres qualités de l’écrivain que ses ouvrages déjà publiés. Ici on ne retrouvera point ce style savamment compassé qui l’a fait appeler un habile artisan de paroles; mais l’auteur, jeune encore, et qui n’écrit, pour ainsi dire, que pour se jouer ou pour exercer sa plume facile, la laisse presque toujours courir; d’où, souvent, un certain laisser aller, une apparente négligence dont Legrand d’Aussy, qui le critique, n’a senti ni le charme ni le prix. S’il y eût trouvé des déclamations contre les abus régnants, contre la noblesse ou ce qu’il appelait la superstition, il l’aurait admiré. Mais la savante harmonie du style, mais tout ce qu’il y a d’esprit fin et délicat dans l’ouvrage, lui a complètement échappé.

Que d’autres, plus fondés à être sévères que l’auteur du Voyage en Auvergne, y signalent des longueurs, des aventures romanesques, des digressions, la profusion des antithèses; qu’ils blâment môme la froideur avec laquelle l’auteur, dans un temps où il fallait être tellement circonspect, raconte des faits horribles; je leur laisse ce rôle facile. J’aime mieux me transporter avec l’auteur à une époque dont les moeurs intimes me sont peu connues, observer avec lui les ridicules, écouter toutes les causeries, rire avec lui, jouir de sa gaieté, et, au fond, m’instruire.

Un autre résultat de cette lecture sera de nous attacher davantage à notre époque, à nos institutions, lorsque nous verrons les abus et les malheurs d’un temps et d’un régime que semblent regretter ceux qui n’en ont apparemment aucune idée.

Que ceux donc qui sauront trouver dans cet ouvrage plaisir et instruction, joignent leur reconnaissance à la mienne envers le ministre éclairé qui a jugé cette publication digne de ses encouragements.

Il me reste à expliquer, à motiver, à justifier peut-être aux yeux de quelques personnes, la publication d’un manuscrit qui, jusqu’à ce jour, était resté dans l’ombre d’une bibliothèque privée, et qui n’est connu que par l’extrait qu’en a donné l’abbé Ducreux, et par quelques citations qu’en ont faites Legrand d’Aussy et quelques-uns de ceux qui, dans ces derniers temps, se sont occupés de l’histoire d’Auvergne.

Cette relation, on le verra à la lecture, où les moeurs de la noblesse et du clergé de l’époque viennent se peindre quelquefois de couleurs si noires, ne pouvait voir le jour du temps de son auteur. Plus d’un siècle après, l’abbé Ducreux ne jugea pas encore à propos de l’imprimer complètement. «Quel intérêt, disait-il, pourrait trouver le lecteur dans le récit de ces faits anciens, les uns d’une atrocité révoltante, les autres d’une malice réfléchie et d’une noirceur qui n’est propre qu’à flétrir les imaginations sensibles et les coeurs généreux? L’histoire des crimes n’est déjà que trop vaste et trop connue, c’est celle des vertus et des actions qui font la gloire de l’humanité, qu’il faut s’attacher à conserver et à répandre.»

En partant de ce principe, il faudrait tout simplement faire table rase de l’histoire, et le vertueux abbé oubliait que rien n’est plus capable d’inspirer l’horreur du crime, que de voir sa figure hideuse et les peines qu’il traîne à sa suite. Tacite, j’imagine, a pu empêcher plus de mal, par conséquent faire au genre humain plus de bien, que telle histoire édifiante.

D’un autre côté, l’abbé Ducreux craignait de retracer ces faits à une époque où les familles des hommes les plus compromis dans ces affreux procès subsistaient encore dans les premières places de l’Église, de la Robe et de l’Épée; ç’auraitété, dit-il, les blesser sans utilité pour le public.

Cette raison, que je respecte et approuve, s’est évanouie pour nous. De toutes ces familles, deux seulement, je pense, sont encore debout, et je crois que les héritiers de ces noms jadis odieux sont personnellement connus d’une manière trop honorable pour avoir à redouter des récits de Fléchier une atteinte à leur honneur. Je dois ajouter d’ailleurs que, relativement à l’une, tout a été depuis longtemps publié par Legrand d’Aussy, Taillandier; et l’autre a reçu de moi communication de ce qui intéresse sa famille, et ne voit aucun inconvénient à la publication.

On pourra peut-être aussi blâmer certains détails de moeurs, particulièrement en ce qui concerne le cierge de cette époque. Mais, d’abord, qui aurait le droit d’être à cet égard plus sévère que l’auteur même de ces mémoires, dont la vie fut si pure, et que ses vertus non moins que ses talents ont élevé à l’épiscopat dont il a été une des gloires? Ces moeurs d’ailleurs, par la comparaison qu’elles suggèrent, rehaussent les moeurs actuelles, et nous feront apprécier davantage la régularité et les vertus du clergé de notre époque.

Que si l’on s’étonne du langage quelquefois un peu libre de Fléchier, je dirai qu’il a puisé sa liberté dans sa vertu; sa conscience ne reprochant rien à sa conduite, il a cru pouvoir tout dire: omnia munda mundis. Historien, il comprenait le devoir de l’historien autrement que l’abbé Ducreux, autrement que tel critique obscur qui osera peut-être le mordre; il tenait, lui, pour cette maxime: Ne quid falsi dicere audeat, ne quid veri non audeat. Cic. de Orat. II, 15. Il faut aussi pour cette liberté de langage se reporter au temps où il vivait; ne voyons-nous pas, par les seules comédies de Molière, combien notre langue est devenue plus prude et plus réservée?

Je termine par deux mots sur mon rôle d’éditeur. Garder sous clef le manuscrit de Fléchier, en priver le public, eût été à mes yeux un crime envers le public, envers Fléchier lui-même, qui, s’il ne l’eût destiné à la publicité, l’aurait certainement, de ses propres mains, livré aux flammes. Le publier fidèlement, intégralement, était un devoir sacré. Y joindre es notes nécessaires pour l’intelligence de certains faits, la rectification de quelques autres; publier en même temps quelques pièces qui achèvent de faire connaître les moeurs et les usages du temps, ou servent de garants à Fléchier; voilà ce que j’ai cru pouvoir intéresser le lecteur, et ce que j’ai tâché de faire.

Revenons à nos Grands-Jours; et qu’on me permette de placer ici quelques détails qui n’entraient point dans le plan de Fléchier.

EN1665, la licence des guerres étrangères et civiles qui, depuis trente ans, désolaient la France, avait affaibli la force des lois, introduit une multitude d’abus dans l’administration des finances et dans la distribution de la justice.

Le mal était plus grand en Auvergne et dans les provinces éloignées du centre du gouvernement, où le peuple, exposé à toute sorte de violence et d’oppression de la part des grands, ne trouvait aucun secours dans l’autorité de la justice, par la connivence des juges presque tous à la dévotion des seigneurs

Tant de maux demandaient un remède violent; il fallait intimider les coupables par un appareil formidable, et arrêter les progrès du crime par des exemples de sévérité. Le roi le comprit, et, à la date du dernier jour d’août1665, il donna une déclaration portant établissement des Grands-Jours en la ville de Clermont en Auvergne. Cet établissement est motivé par le tableau des désordres régnants, et la déclaration règle en dix articles la composition, la durée, la juridiction et les pouvoirs de ce tribunal extraordinaire.

Cette cour, instituée d’abord pour deux mois et demi, et plus tard prorogée de deux mois, devait se composer de seize conseillers du parlement de Paris, présidés par un des présidents du même parlement; un maître des requêtes devait tenir les sceaux; un des avocats-généraux, un des substituts du procureur-général, et des officiers subalternes compléteront cette cour temporaire. Sa juridiction s’étendait non-seulement sur la Haute et Basse-Auvergne, mais encore sur le Bourbonnais, le Nivernais, le Forez, le Beaujolais, le Lyonnais, le pays de Combrailles, la Haute et Basse-Marche et le Berri.

Quant aux attributions, elles embrassaient tous les cas présumables, les pouvoirs étaient à peu près absolus, même sur les officiers de justice; mais, par clause expresse, les affaires criminelles devaient être vuidées avant toutes autres.

Les baillis, sénéchaux, leurs lieutenants généraux et particuliers, tous les autres juges du ressort, reçoivent l’injonction d’informer incessamment des meurtres, rapts, violences, levées de deniers, concussions commises, excès, et généralement de tous les crimes.

Enfin il est permis au procureur général d’obtenir et faire publier des monitoires des archevêques, évêques et prélats du ressort de la cour des Grands-Jours, afin de contraindre toute personne de venir à révélation

Dans une seconde déclaration qui suivit de près la première, des mesures furent prises contre les coupables qui, déjà condamnés par des sentences antérieures, ou redoutant la répression sévère des Grands-Jours, prendraient la fuite. Faute par eux de se représenter, des garnisons devaient être mises dans leurs châteaux et vivre du revenu de leurs biens; en cas de résistance, ces châteaux ou maisons devaient être rases et démolis, sans pouvoir être jamais réédifiés.

Les gouverneurs, maires et échevins des villes, étaient obligés de prêter main-forte aux officiers des Grands-Jours, et, au besoin, les gouverneurs devaient faire mener le canon devant les places et châteaux de ceux qui tiendraient fort contre la justice et favoriseraient les accusés.

Il était défendu de recevoir, même sous prétexte d’hospitalité, les contumaces; de leur fournir des armes ou des vivres, de les assister en quelque manière que ce fût, sous peine, contre les gentilshommes, de dégradation de noblesse, démolition et rasement de leurs châteaux, confiscation de leurs corps et biens, et contre les vilains, de punition corporelle.

Dans les derniers jours du mois d’août, le bruit de la première déclaration se répandit dans Paris, et des lettres vinrent en informer les consuls de Riom et de Clermont, le le jour même où, à Paris, elle recevait la signature du roi, le31. Aussitôt, à Riom, les consulsassemblent un conseil extraordinaire dans la maison de ville, et l’on arrête que deux notables partiront en toute hâte pour aller en cour faire des remontrances au roi et à nosseigneurs de son conseil, fondées sur les priviléges de la ville; employer le crédit des amis, et enfin obtenir, s’il se peut, que les Grands-Jours soient tenus à Riom, comme le principal siége de la justice: M. Chabre, président en élection, premier consul, et M. de la Pause, furent chargés de cette importante mission.

Le même jour, les échevins de Clermont, informés de la démarche de ceux de Riom, convoquent également le conseil, et arrêtent qu’on écrira à M. Mège, premier échevin, alors à Paris pour les affaires de la ville, et à M. Ribeyre, conseiller au parlement, pour prévenir l’effet des sollicitations de ceux de Riom, et maintenir Clermont dans son droit et possession. Dès le lendemain, M. Reynauld, secrétaire de la ville, part en poste, muni de lettres de recommandation de MM. (Ribeyre) d’Omme et Dufour, lieutenant général, adressées à M. Ribeyre, conseiller au parlement. Clermont compte surtout sur l’appui du duc de Rouillon.

Démarches inutiles: la déclaration signée du roi le31du mois d’août, fut vérifiée au parlement le5septembre suivant.

Au moment où les deux villes étaient entre l’espérance et la crainte, les échevins de Clermont reçurent du roi la lettre suivante:

«A NOS CHERS ET BIEN AMEZ LES ESCHEVINS ET HABITANS DE NOSTRE VILLE DE CLERMONT EN AUVERGNE.

DE PAR LE ROY,

«Chers et bien amez, la licence qu’une longue guerre a introduite dans nos provinces, et l’oppression que les pauvres en souffrent, nous ayant fait résoudre d’establir en nostre ville de Clermont en Auvergne, une cour vulgairement appellée des Grands-Jours, composée des gens de haute probité et d’une expérience consommée, pour, en l’estendue du ressort que nous luy avons prescrit, connoistre et juger de tous les crimes, punir ceux qui en seront coupables, et faire puissamment régner la justice; A Présent qu’ils s’en vont pour vaquer à la fonction de leurs charges, et satisfaire à nos ordres, nous voulons et vous mandons que vous ayez à leur préparer les logements qui leur seront nécessaires, et qui vous seront demandez de leur part, pour leur séjour en nostredite ville, et à les recevoir avec la bienséance qui est deue au mérite de leurs personnes et à leurs qualitez, CAR TEL EST NOSTRE PLAISIR.

Donné à Paris ce ve septembre1665.

» Signé LOUIS.

» Et plus bas, DE GUENEGAUD.»

[Sur l’original conservé à la Bibliothêque de la ville.]

Cette lettre, lue au son de trompe dans les principales places et dans les carrefours de la ville, produisit un effet difficile à décrire. On ne pourra s’en faire une idée que lorsque le tableau des Grands-Jours, que Fléchier va dérouler sous nos yeux, nous aura permis d’imaginer l’état d’oppression sous lequel le peuple gémissait. Cette lettre était comme le signal de la délivrance générale.

Dès le lendemain retentissait dans les rues le premier couplet du chant populaire, Marseillaise du temps, qui fut depuis porté à vingt-deux couplets:

Aughâ, gens, aughâ:

Le ceo vous reprocha

Qu’aquou ei trop pleghâ;

Et, sens gro boughâ,

Vous leissâ raugliâ.

Laus Grands-Jours

Ne sont pas toujours.

Embey Noé le tems s’aprocha

Par fondra la cliocha;

Laus fourneaux sont tout chauds,

Nous z’avens ce que chaut.

Courraz, curaz de la parocha,

Courraz, parrouchaus

Mais si la joie était grande dans le peuple, l’alarme était bien plus grande ailleurs, et tous ceux qui se sentaient coupables de quelques crimes, fuyaient ou se préparaient à fuir.

Bientôt on apprend les noms des juges. Le président, c’est M. Nicolas Potier, seigneur de Novion. Cette nomination donna lieu à mille commentaires, parce que M. de Novion venait de donner sa fille à M. Antoine Ribeyre, conseiller au parlement de Paris, dont la soeur, Michelle Ribeyre, avait épousé Guillaume Beaufort-Montboissier-Canillac, marquis de Pont-du-Château, sénéchal de Clermont, l’un de ceux que la voix publique désignait à la sévérité des grands juges.

M. Louis-François Lefebvre de Caumartin, maître des requêtes ordinaire de l’hôtel du roi, doit être le dépositaire du trésor de la souveraineté et le dispensateur des grâces; il tiendra les sceaux.

Les conseillers et assesseurs sont MM. Le Coq de Corbeville, Guillaume Hébert, conseiller clerc; Noël Le Boultz, Charles Malo, Charles Tronson, Henri de Boyvin de Vaurouy, Claude Guillart, Léonard Destrappes de Pressy, Charles de Vassan, Antoine Barillon, Achille Barentin, Jean Bochart de Saron, Jérôme Le Peletier, conseiller clerc; René Lefebvre de la Falluère, Jean Nau et Joly de Fleury.

Est chargé de faire mouvoir et de diriger ce corps, M. Denis Talon, avocat-général, dont la fermeté est connue et le talent hautement estimé.

Cependant Messieurs des Grands-Jours doivent s’assembler à Riom, le24du mois de septembre, pour se rendre le lendemain dans la ville de Clermont. Il faut, pour obéir aux ordres du roi, s’occuper des préparatifs de leur réception.

A Riom, on désigne les maisons particulières où ils seront logés. Aux portes de la ville seront placées des personnes chargées de conduire ces Messieurs dans les maisons qui leur sont destinées; les consuls iront eux-mêmes, revêtus de leurs robes consulaires et accompagnés de plusieurs notables, à la porte de Paris, pour y recevoir M. de Novion, et lui rendre les honneurs dus à sa qualité. Dans le compliment qui lui sera fait, on le traitera de Monseigneur.

Les consuls iront ensuite, en manteau, rendre visite à Messieurs les officiers composant la cour des Grands-Jours, et, dans les civilités et compliments qui seront faits à chacun en particulier, ils les traiteront de Monsieur seulement.

A l’égard de M. Caumartin, maître des requêtes, et de M. Talon, procureur-général, lorsqu’on les complimentera, on les traitera l’un et l’autre de Monseigneur.

A Clermont, plus de joie, partant plus d’empressement encore. Dès le8, le conseil s’assemble; M. Domat, avocat du roi au présidial, antique échevin, avec six autres commissaires, est chargé de tout ce qui concerne le logement de Messieurs des Grands-Jours. On règle que Messieurs les échevins, assistés de nombre de notables, iront recevoir M. le président de Novion jusqu’à Saint-Pourçain, et lui feront les compliments de la part de la ville; qu’ils iront aussi au-devant de M. Ribeyre, conseiller au parlement, jusqu’en la ville d’Aigueperse; qu’ils le complimenteront au nom de la ville, et lui témoigneront la reconnaissance qu’elle lui a de s’être employé pour elle en cette occasion et autres qui se sont présentées, et le prieront de continuer ses bonnes volontés et affection. Du vin d’honneuret des présents doivent aussi être offerts à ces Messieurs à leur arrivée à Clermont. Enfin, on règle la visite à rendre et toute l’étiquette.

Bientôt un mouvement inaccoutumé se manifeste dans la ville de Clermont. Les consuls se hâtent de faire abattre les degrés qui conduisent au palais où les sieurs commissaires doivent tenir leurs séances, et de faire baisser le sol de la cour intérieure, afin que leurs carrosses puissent y entrer aisément. On répare aussi le pavé des principales rues, on les nettoie, afin que la ville soit plus digne de ses illustres bôtes.

Les Grands-Jours, aux termes de la déclaration, devaient s’ouvrir le15septembre; mais les préparatifs du départ, la longueur de la route, les difficultés du chemin, retardèrent l’arrivée des juges, et ce ne fut que le24qu’ils atteignirent le sol de l’Auvergne. Ils furent reçus sur les limites de la province, près de Saint-Pourçain, par les échevins de Clermont et les syndics du bas pays de la province, qui leur témoignèrent la joie que tout le pays éprouvait de leur arrivée.

Vers deux heures, la cour et son cortége fît son entrée dans la ville de Riom. M. de Fortia, intendant de la province, les jurats et consuls de la ville reçoivent M. le président à la porte, et tous les officiers en corps le viennent haranguer dans la maison de M. Paul Chabre, lieutenant criminel, où il loge. Là, six chanoines de l’église cathédrale de Clermont, et l’ officiai au nom de M. l’évêque, viennent aussi complimenter Messieurs, et leur faire offre de leur service et obéissance. (L’official, en particulier, témoigne combien l’évêque avait de respect pour l’autorité royale, et d’estime pour leurs personnes. MM. de Caumartin et Talon furent complimentés en particulier. Le soir, M. le président traita tous Messieurs les députés en sa maison.

Le lendemain, vendredi25, MM. Le Boultz, Boyvin et Nau furent commis par M. le président pour visiter les prisons de Riom. Tous les officiers vinrent ensuite prendre congé de M. le président, comme ils étaient venus le complimenter la veille. Puis, à midi, grand dîner chez M. de Fortia.

Cependant, à Clermont, règne la fermentation de l’attente. On se revêt des habits de fête, les boutiques se ferment, les maisons se vident; les rues se remplissent; la joie règne sur tous les fronts. Un beau jour de septembre va éclairer une scène imposante. Bientôt la foule se porte sur la route de Riom. Les échevins eux-mêmes, revêtus de leurs robes de damas violet, avec le chaperon de satin rouge cramoisi, accompagnés de plusieurs officiers de la ville et de plusieurs notables bourgeois, précédés de leurs clercs de ville à cheval, se rendent en voiture à la moitié du chemin des deux villes, vers le lieu appelé la Chapelle de Cebazat.

Mêlons-nous à la foule et jouissons de ce spectacle.

Il est trois heures; un frémissement général dans la multitude éveille l’attention générale. Bientôt nous voyons apparaître le grand prévôt d’Auvergne avec sa compagnie d’archers, l’une des plus nombreuses de France, et le chevalier du Guet de Clermont, suivi de plus de soixante archers avec leurs casaques rouges; bientôt une longue suite de carrosses.

Le cortége est arrivé, s’arrête. Les échevinss’approchent de la portière du premier carrosse. M. le président s’avance un peu pour écouter leur harangue et leur répondre. Les discours n’arrivent point jusqu’à nous; mais nous avons le temps de saisir les traits de M. Novion; sa belle et noble figure accuse quarante-cinq ans. Une épaisse chevelure comprimée au sommet de la tête par une large calotte, flotte sur ses épaules. Il porte des moustaches et la barbe en toupet. A sa gauche, on distingue M. de Caumartin, un peu plus jeune que lui. Sur le devant de la voiture, sont MM. Le Coq et Hébert; MM. Le Boultz et Malo occupent les portières. Les autres conseillers, M. Talon et son substitut suivent en trois autres carrosses.

Une cinquième voiture renferme des dames; parmi elles un jeune homme de dix-sept ans, c’est le fils de M. de Caumartin, et un jeune abbé qui met la tête à la portière, et semble oublier la foule, pour contempler la campagne; c’est Fléchier, le futur historien des Grands-Jours. De nombreux carrosses de la ville de Clermont venaient encore à la suite, et un grand nombre de bourgeois à cheval.

Le cortége se remet en route, et à deux cents pas environ de la première station, les juges, consuls et corps des marchands, représentés par MM. Martin Ralus, Brun-Champeix, Etienne Fressanges, haranguent à leur tour M. le président et Messieurs de la cour.

Environ deux cents pas plus loin, c’est le tour des élus de Clermont, venus dans un carrosse, et précédés de leurs huissiers.

Presque à la même distance, le comte de Canillac, seigneur de Pont-du-Château, sénéchal de Clermont, accompagné de quinze ou vingt gentilshommes tous à cheval, parmi lesquels on remarque M. le vicomte de La Mothe, MM. du Palais, M. de Beaufort-Canillac, mettent pied à terre. M. le président et ceux des Messieurs qui étaient avec lui dans son carrosse et dans celui qui suivait, sont aussi descendus de leurs carrosses. M. le sénéchal s’est conjoui de l’arrivée de Messieurs, et fait protestation, à la cour de tout respect et obéissance. Ceux qui sont à portée d’entendre ces paroles, et pressentent les poursuites dont le sénéchal lui-même et plusieurs de sa suite vont être l’objet, ne peuvent concevoir tant d’aveuglement ou tant de témérité. Les harangues terminées, les juges rentrent dans leurs carrosses, le sénéchal et sa suite remontent sur leurs chevaux, et reviennent à Clermont parmi chemin de détour.

En ce moment, nous entendons les fauconneaux de Montferrand, et les officiers de cette ville se présentent à leur tour. Plus loin voici venir six sergents couverts de casaques bleues, quatre huissiers audienciers et deux greffiers, précédant les officiers du présidial portés en cinq carrosses. A leur tour, ils complimentent M. de Novion par la bouche de M. Cisternes de Vinzelles, leur président.

Enfin, la cour et sa nombreuse suite entrent dans Clermont. Arrivé sur la place Champeix (aujourd’hui J. Delille), le cortége suit, au nord de la ville, et au pied des remparts que couronnent des milliers de spectateurs, la route remplacée aujourd’hui par la place d’Espagne, et fait son entrée par la porte Poterne dont le pont-levis a été réparé et peint à neuf pour la circonstance. MM. les commissaires sont conduits dans la maison de M. Ribeyre, ci-devant lieutenant-général de la ville, où doit loger M. le président.

Arrive bientôt une députation de la courdes aides; M. de Montorcier exprime les sentiments de la compagnie dont il est le second président, et prie ces Messieurs d’accepter la cour des aides pour leur palais, pendant leur séance, comme beaucoup plus commode que le présidial, qui néanmoins avait été disposé à cet effet. L’offre est acceptée; M. le président, au nom de sa compagnie, les remercie de leur civilité, et suivi de la plus grande partie de MM. les conseillers, les reconduit jusqu’à la porte extérieure de la maison.

La nuit est venue, bientôt arrivent les consuls et échevins, accompagnés de valets de ville, portant des torches allumées auxquelles sont attachés des écussons peints aux armes de la ville, et ornés de rubans de diverses couleurs. Devant eux, quatre jeunes hommes ayant des noeuds de rubans roses sur les épaules, aux jarretières, sur les souliers, portent le vin d’honneur. Des guirlandes de fleurs, des rubans éclatants ornent le brancard et la corbeille qui contient douze douzaines et neuf bouteilles du meilleur vin du pays.

Après cette présentation, on introduit successivement les élus, les officiers du présidial, les députés du chapitre de l’église cathédrale, ayant à leur tête M. de Champflour, leur doyen; puis plusieurs autres corps et communautés de la ville. Enfin, l’évêque de Clermont, M. de Vainy d’Arbouze, suivi de son officiai et de ses aumôniers, viennent aussi offrir leurs hommages et leurs compliments. Après les avoir remerciés, M. le président prie Mgr l’évêque de célébrer le lendemain la messe d’ouverture. Mgr accepte, et les chapelles du présidial et de la cour des aides, étant trop petites pour le grand nombre des assistants, on arrête qu’elle sera célébrée dans la nef de la cathédrale. Les choses ainsi réglées, Mgr l’évêque de Clermont se retire; il est reconduit par M. le président et par tous MM. les conseillers, jusques à la porte de la rue.

M. le président a traité tous Messieurs à souper.

Tous ces détails que j’ai recherchés curieusement et fidèlement rapportés, pourront paraître minutieux, mais ils font partie des moeurs du temps, et à ce titre, j’ai cru devoir les consigner ici.

Avant de céder la parole à Fléchier, je conduirai encore le lecteur, qui voudra bien me suivre, à la cathédrale où va se célébrer la messe du Saint-Esprit.

Le samedi26, dès le matin, l’église est occupée par une foule considérable; les galeries même du pourtour sont pleines de spectateurs favorisés. Dans la nuit, on a fait les préparatifs. Au milieu de la nef est réservé l’espace destiné à Messieurs de la cour et à leur suite. La messe se célèbrera à l’autel de Notre-Dame-de-Grâce, l’un des deux autels construits sous le magnifique jubé qui séparoit alors la nef du choeur. La balustrade a été enlevée. Trois banquettes ont été disposées en avant en fer à cheval, recouvertes de belles tapisseries ainsi que l’espace qu’elles renfermaient. Sur le banc de droite, deux carreaux désignent la place du président, l’un à sa droite pour s’appuyer, l’autre à ses pieds pour s’agenouiller.

Tout à coup le frémissement de la multitude est couvert par la musique.

Bientôt partis de la chambre du plaidoyerde la cour des aides, arrivent Messieurs de la cour, tous en robes rouges et chaperons, deux à deux, et précédés de leurs huissiers dont le premier porte aussi la robe rouge et le bonnet d’étoffe d’or fourré d’hermine.

M. le président, par dessus sa robe, a le manteau fourré d’hermine et tient son mortier à la main.

Il prend la place qui lui est destinée. A sa gauche, M. de Caumartin, puis MM. Hébert, Malo, Boyvin, Destrappes, Barillon, Barentin et Joly, conseillers; le banc de gauche est occupé par MM. Le Coq, Le Boultz, Tronson, Guillart, de Vassan, Bochart, Le Peletier, Lefèvre de la Falluère et Nau.

Sur le banc transversal, M. Denis Talon, avocat du roi, et sur un autre banc plus bas derrière lui, M. Nicolas Choppin, substitut, en robe noire.

Aussitôt deux procureurs leur présentèrent à chacun deux bougies de cire jaune.

En ce moment, Mgr l’évêque sort du chœur, revêtu de es habits pontificaux, accompagné de ses aumôniers et de ceux qui doivent l’aider à célébrer. Une excellente musique continue de se faire entendre.

Le moment de l’offrande est venu, M. le président la commence. Avant de partir, il fait deux génuflexions du côté de l’autel, et ensuite se tourne vers MM. les conseillers et vers M. Talon. Après quoi, il part de sa place et s’avance vers M. l’évêque qui lui tend les deux doigts; mais avant de l’aborder, il use de la même cérémonie, ainsi qu’il est pratiqué à l’ouverture du parlement de Paris.

M. de Caumartin le suit et l’imite, ensuite tous les conseillers successivement, mais deux à deux, puis M. Denis Talon; après lui, Lecarlier, premier huissier; et enfin M. Choppin, substitut.

La messe achevée, M. l’évêque est bientôt revenu en rochet et camail joindre MM. les commissaires qui l’attendaient dans la nef; il se place entre M. le président et M. de Caumartin, et tous prennent le chemin du palais, accompagnés d’une foule empressée et curieuse.

La décoration de l’auditoire ou salle du plaidoyer est simple et sévère. Les murs sont tendus d’une tapisserie fond bleu, parsemée de fleurs de lis jaune d’or et d’L couronnées. Un beau tableau du Christ occupe le milieu du mur du fond; à droite et à gauche sont les portraits de Louis XIV et de Marie-Thérèse soutenus par des génies; au-dessus règne une riche draperie relevée dans les angles et au milieu avec des cordons de soie d’où pendent de gros glands. Le siége du président est à l’angle diagonalement opposé à la porte d’entrée de la salle; les juges occuperont les banquettes qui partant de ce même angle sont adossées aux deux murs.

Mgr le président entre et prend le siége qui lui est destiné, M. l’évêque se place à sa droite au-dessus de M. de Caumartin; puis, MM. les conseillers à droite et à gauche, selon leur rang d’ancienneté dans la compagnie. Le lieutenant-général de Clermont, M. Dufour, et le procureur du roi, M. Pascal, se placent après M. Choppin, substitut de Mgr le procureur-général Talon, aux bancs destinés pour les baillis et sénéchaux du ressort de la cour.

Tous assis, Mgr le président se lève, au nom de la compagnie, remercie M. l’évêque, puis dans un discours très-éloquent, élève la conduite admirable du roi dans tous ses desseins, l’amour qu’il a pour ses peuples, son désir ardent pour la justice, et déploie cette éloquence grave qui lui est naturelle. M. l’évêque répond par des protestations de service envers tous Messieurs en général et en particulier, et ajoute quelques paroles dignes de sa prudence et de son zèle.

Après cela, sur l’ordre du président, les portes sont ouvertes, et le greffier a donné lecture des lettres patentes du roi pour l’établissement des Grands-Jours; de la commission de MM. les conseillers; des ordonnances latines concernant les avocats et les procureurs, puis de la formule du serment, et les avocats et procureurs, même ceux qui étaient résidants et domiciliés à Clermont, prêtent le serment accoutumé en se mettant à genoux devant Mgr le président qui tient les Évangiles et les présente à ceux qui passent devant lui. M. Denis Talon a commencé la cérémonie, et est monté par le degré qui est à côté du bureau du greffier; les avocats sont montés par la lanterne du côté opposé, et sortis par celle du côté de la chambre du conseil. M. Nicolas Choppin a été au serment, après les avocats, avant les procureurs. La séance est levée.

Ce même jour et le lendemain dimanche, Messeigneurs de la cour des Grands-Jours sont visités de rechef par Mgr l’êvêque, le chapitre de l’église cathédrale et tous les corps en particulier. Ce sont par conséquent de nouveaux compliments dont Fléchier s’est chargé de nous donner une idée; il nous montrera aussi les soins et l’activité de M. Talon

C’est aussi ce jour-là que les dames de la ville vinrent avec les échevines faire la visite officielle aux dames des Grands-Jours et leur offrir le présent de la ville. Fléchier nous peindra malignement leur embarras. Des pages, presque tous improvisés pour la circonstance, portent les queues de leurs longues robes. Elles sont suivies de deux valets de ville tout enrubannés, portant un brancard chargé d’une masse carrée, que dissimule un riche tapis orné de rubans et de fleurs, et qu’interrogent bien des regards curieux. Après les compliments, le voile se lève, et l’oeil compte six grands et beaux coffrets qui recèlent les confitures les plus estimées du pays.

Pour compléter le récit de Fléchier, je crois devoir donner encore ici l’aspect de la séance du lundi, qui fut en réalité la séance la plus solennelle et la plus impatiemment attendue, parce qu’on devait y entendre le célèbre avocat général, et une seconde fois M. le président.

Dès le matin, les avenues du palais et le palais lui-même étaient encombrés d’une foule prodigieuse de personnes de toutes conditions. M. l’évêque était déjà dans la salle, lorsqu’à neuf heures MM. les juges s’y rendirent eux-mêmes.

M. de Novion occupe, dans l’angle de la salle, la place destinée au président, et, sur les hauts siéges, sont ainsi placés:

A sa droite, A sa gauche,
MM. L’évêque de Clermont, MM. Lecoq,
de Fortia, intendant ; Le Boultz,
de Caumartin, Tronson,
Hébert, Guillart,
Malo, Destrappes,
de Boyvin, de Vassan,
Barentin, Le Peletier,
Bochart, Ribeyre,
de la Falluère, Joly. Nau.

M. Talon est sur un siége inférieur, et à côté de lui, sur le banc des baillis et sénéchaux, M.N. Choppin, substitut; le comte de Canillac de Pont-du-Château, sénéchal de Clermont; le lieutenant général de Riom, M. Blick de Veausse, et le lieutenant criminel de la même ville, M. Paul Chabre. A droite, vis-à-vis, était le banc des conseillers et secrétaires du roi, maison et couronne de France.

La séance commence par la lecture des lettres-patentes du roi, portant commission aux gouverneurs et prévôts des maréchaux des provinces du ressort de tenir la main à l’exécution des arrêts de la cour; ensuite du rôle des avocats qui doivent s’asseoir sur les fleurs de lis.

Puis un grand silence ayant succédé au bruit, M. Talon se lève, et après avoir salué Messeigneurs, il prononce le discours d’ouverture, qui produisit un effet difficile à décrire. On fut surtout frappé d’une espèce de paraphrase qu’il fit d’un psaume où sont ces mots: Lux orta est justo et rectis corde loetitia, dont il fit application aux effets que produit la justice dans le coeur des bons et des méchants. Il y ajouta tant de choses dignes d’être sues, que, suivant l’expression d’un contemporain elles inquiéteront d’un désir curieux à l’avenir tous ceux qui n’y étaient pas, comme elles ravirent d’admiration tous ceux qui y étaient. Fléchier nous fera connaître ce discours par une savante analyse, et le lecteur trouvera le discours lui-même in extenso, à la fin de ce volume, dans les pièces jointes aux Mémoires de Fléchie Toutefois, pour juger ce discours il faut se reporter au temps où il fut prononcé, et n’oublier pas que l’éloquence du barreau était encore dans les langes de l’enfance; ce ne fut en effet que près d’un demi-siècle plus tard que d’Aguesseau acheva de réformer la langue du barreau et d’en bannir le mauvais goût.

Après M. Talon, M. le président, dans un discours des plus graves et des plus éloquents, exhorta les avocats à embrasser courageusement la protection des misérables, tout le monde à faire son devoir, et à contribuer au rétablissement de la justice dans les provinces.

Ensuite on commença d’appeler les causes. La première inscrite était celle de la communauté de Saint-Dizans d’Ardes; la majorité des communalistes demandait l’érection de la communauté en chapitre; la minorité s’y opposait et obtint gain de cause.

Cette première audience finie, Messeigneurs de la cour descendirent en l’église et chapelle du palais, pour y entendre la messe.

Mais quittons ces détails de procès verbal, et venons au récit de Fléchier.

Mémoires de Fléchier sur les Grands-jours tenus à Clermont en 1665-1666

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