Читать книгу Sur l'ouvrage intitulé Ampélographie, ou Traité des cépages les plus estimés - Eugene Chevreul - Страница 3

PREMIÈRE PARTIE.

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Table des matières

MESSIEURS,

Vous nous avez chargé de vous rendre compte de l’Ampélographie, ou traité des cepages les plus estimés dans tous les vignobles de quelque renom, par le comte Odart. Nous avons accepté cette commission avec d’autant plus d’empressement qu’elle était conforme au désir exprimé par l’auteur, qui, dans une lettre aussi spirituelle que bien pensée, nous dit: «Quoique j’aie peut-être quelques torts envers les chimistes

«dont j’ai combattu les opinions avec un peu de vivacité ,

«en ma qualité de défenseur de nos pratiques, je n’en suis

«pas moins un juste appréciateur de leur mérite, etc.» Autant qu’il nous en souvienne, n’ayant jamais attaqué les pratiques défendues par l’auteur, nous pouvons, sans prétendre au rôle de critique généreux, dire notre pensée tout entière sur un livre qui renferme les nombreuses observations que la culture des variétés de Vignes réputées les meilleures lui a présentées. A l’appui de l’exactitude de nos souvenirs, nous demanderons à nos honorables collègues, pour le cas où ce rapport serait lu hors de cette enceinte, de vouloir bien témoigner de l’estime que nous avons constamment professée pour les praticiens, qui, après avoir assujetti leur culture à des procédés dirigés par un jugement droit, savent résumer les résultats de leurs travaux dans un langage exact, clair et précis. Depuis quatorze ans que nous avons l’honneur d’appartenir à la Société, nous avons pu, par l’instruction que nous avons puisée dans les débats auxquels ont pris part ceux de nos collègues qui siégent ici au titre de praticiens, apprécier tout leur mérite, comme aussi, par leur disposition à se pénétrer des principes des sciences physicochimiques, nous avons eu fréquemment l’occasion de nous convaincre du prix qu’ils attachent à toute science positive capable d’éclairer la pratique. Convaincu que ces paroles ne seront pas démenties par ceux qui les entendent, nous profiterons de l’occasion que nous offre l’examen du livre du comte Odart pour nous livrer à des considérations dont la liaison a la plus grande intimité avec la culture, envisagée au point de vue le plus général.

Parmi les plantes que l’homme a soustraites à la nature sauvage afin de les approprier à ses besoins, il en est peu d’aussi intéressantes à étudier que la Vigne, soit qu’on ait égard au nombre de ses variétés créées par la culture, ou qu’on veuille en apprécier l’importance pour les nations civilisées et pour la France en particulier, dont l’agriculture, l’industrie et le commerce ont trouvé en elle un élément principal de prospérité ; il n’est donc point étonnant qu’elle ait fixé l’attention des anciens aussi bien que celle des modernes. Pline a fait mention d’un certain nombre de ses variétés, et, depuis le XIIIe siècle, elle a été, en Italie, l’objet de plusieurs traités composés par Petrus Crescentius, Cupani, Gallesio, Milani; l’Allemagne lui a consacré de nombreux ouvrages, parmi lesquels il en est de fort étendus; l’Espagne peut offrir au critique le Traité des Vignes de l’Andalousie, par D. Simon Roxas Clemente, et la France compte, depuis Olivier de Serres jusqu’à nos jours, une suite de traités ou d’écrits plus ou moins remarquables sur la Vigne et ses variétés: nous citerons ceux de Garidel, de l’abbé Rozier, de Dussieux, de Chaptal, de Cavoleau, de Bosc, de Julien surtout; l’ouvrage intitulé, Le Nouveau Duhamel; enfin deux traités publiés par le comte Odart, l’un sous le titre d’Exposé des divers modes de culture de la Vigne et de vinification, et l’autre sous celui d’Ampélographie ou traité des cepages les plus estimés dans tous les vignobles de quelque renom.

En examinant ce dernier ouvrage, nous avons eu l’intention de témoigner de l’estime que nous portons à un homme dont la vie a été, en grande partie, consacrée à l’étude spéciale des variétés d’une plante éminemment utile au pays, en même temps que nous avons voulu profiter de l’occasion de cet examen pour traiter la question de savoir s’il est vrai, comme plusieurs savants l’ont avancé, que les variétés des arbres fruitiers et généralement des plantes cultivées dégénèrent avec le temps: c’est donc sous ce double point de vue que nous allons envisager le dernier ouvrage du comte Odart.

Nous exposerons d’abord les matières qui le composent, afin de donner au lecteur une juste idée de leur mise en œuvre; puis nous prêterons à la question dont nous venons de parler l’attention qu’elle mérite et les développements qu’elle comporte comme un des sujets les plus importants de la culture des plantes utiles aussi bien que de la physiologie et de l’histoire naturelle.

Le Traité des cepages est précédé d’une introduction dans laquelle l’auteur aborde, sous forme de généralités, plusieurs questions dont les rapports avec l’objet du livre sont incontestables.

Après avoir passé en revue les principaux écrits relatifs à l’ampélographie, il insiste sur l’importance du choix des cepages à cultiver dans un lieu donné, pour peu qu’on veuille en obtenir des produits de la meilleure qualité possible. Il est tel pays dont les vins ont perdu leur antique renommée, parce qu’aux anciens cepages dont ils tiraient leur origine on en a substitué de nouveaux: par exemple, les vins de Saint-Pourçain, dans le département de l’Allier, fabriqués aujourd’hui avec les raisins du plant appelé lyonnaise, n’ont plus la réputation qu’ils devaient au cepage du petit neyran, que l’on a délaissé par l’effet de la préférence accordée à la quantité du produit sur sa qualité ; d’un autre côté , il est des propriétaires éclairés qui, suivant le principe contraire, ont retiré, de la culture de plants étrangers à leurs pays, des avantages qu’ils n’auraient jamais obtenus de leurs anciens cepages. On peut citer, comme un exemple de ce cas, l’excellent vin que le docteur Baumes prépare, depuis quelques années, dans le département du Gard, avec le furmint: ce plant, originaire de l’Hegi-Allya, en Hongrie, pays de 7 à 8 lieues carrées, où l’on fait le vin connu partout sous le nom de tokay, commence à être cultivé, dans le midi de la France, avec le plus grand succès. L’importance de la nature des variétés de cepages une fois établie, l’auteur est naturellement conduit à examiner les moyens les plus convenables de se les procurer lorsqu’on veut planter un vignoble, et c’est ici qu’il traite la question de la variation des espèces. Mais, afin de prévenir toute équivoque, hâtons-nous de dire que ce dernier mot est employé par l’auteur avec le sens que les gens du monde et les horticulteurs y attachent, c’est-à-dire qu’il désigne les variétés ou races de plants dont la fixité est assez grande, sinon pour se perpétuer indéfiniment, du moins pour se maintenir pendant un certain temps, en conservant les caractères propres à les faire distinguer les uns des autres. Mais quelle est cette durée? Les groupes d’individus qui représentent maintenant chacune d’elles doivent-ils disparaître prochainement, comme le prétendent plusieurs auteurs, et, conformément à leur opinion, y a-t-il nécessité, dès aujourd’hui, de recourir à la voie des semis, afin d’en obtenir des variétés nouvelles qui, fortes de jeunesse, remplaceraient nos variétés actuelles lorsque celles-ci, parvenues à l’âge de la décrépitude, auraient atteint le terme que la nature, suivant eux, a fixé à leur existence? Telle est la question sur laquelle nous avons pris l’engagement de revenir; mais, dès à présent, nous disons que le comte Odart croit à la perpétuité des variétés par la voie des crossettes ou des boutures, et qu’il n’y a conséquemment aucune nécessité pressante de recourir à la voie des semis pour s’assurer d’une suite de bonnes variétés de Vignes destinées à remplacer celles qui, dit-on, auraient fait leur temps. Nous verrons plus lard dans quelles limites nous circonscrivons l’opinion de l’utilité des semis pour qu’elle soit, à notre avis, exacte au double point de vue de la science et de l’application.

L’auteur examine ensuite si le nombre des cepages est infini, et se prononce pour la négative d’après de bonnes raisons; puis il donne les nombres des diverses espèces (ou variétés) indiquées par différents auteurs, depuis Caron jusqu’à nos jours. Ces nombres étant intéressants à connaître, nous allons les rapporter.

Caton comptait huit variétés de Raisins, Virgile quinze, Columelle cinquante-huit au moins, Pline quatre-vingt-trois; Pierre Crescentius, au XIIIe siècle, en mentionne quarante en Italie; Cupani, à la fin du XVIIe siècle, en signala quarante-huit variétés cultivées en Sicile; Olivier de Serres en décrit quarante, et, fait remarquable, il les désigne par des noms qu’elles portent encore, pour la plupart; Garidel, au commencement du XVIIIe siècle, parle de quarante-six variétés de cepages provençaux; Chardin dit qu’aux environs de Tauris, en Perse, on cultive soixante variétés de Vignes; Basile Hall en compte jusqu’à cinquante dans l’île de Madère; un Hongrois en trouve quarante-six dans le comitat de Zemplin; Simon Clemente en a décrit cent vingt variétés dans la seule province d’Andalousie; Kerner a donné les figures coloriées de cent quarante-trois variétés; Frege en a décrit deux cent soixante-cinq; enfin Vongok et Metzger, chacun de son côté, en ont mentionné deux cents.

La question du refroidissement progressif de la terre arrête le comte Odart: s’il combat avec avantage les prédictions sinistres d’un professeur d’agriculture de Bordeaux, relatives à la disparition future de la Vigne du sol français par l’effet de ce refroidissement, il nous semble n’avoir pas interprété exactement les opinions d’un savant célèbre sur le même sujet. En lisant la notice scientifique de l’Annuaire pour 1834 du Bureau des longitudes, sur l’état thermométrique du globe terrestre, après le texte du comte Odart, il sera évident que la discussion de ce dernier se réduit réellement, en définitive, à ce qu’il n’admet pas la possibilité que les déboisements, les desséchements des marais et autres travaux de l’homme aient occasionné une diminution telle dans la chaleur des étés de la France et de l’Angleterre, qu’aujourd’hui le Raisin ne mûrit plus dans certains lieux de ces deux pays où il arrivait autrefois à sa maturité. D’un autre côté, en lisant la notice de l’Annuaire, on verra que l’opinion combattue par le comte Odart n’a point l’exagération qu’il parait lui préter; car l’effet définitif attribué par l’auteur de cette notice aux travaux de l’homme sur le climat d’un pays boisé et humide est d’adoucir la rigueur des hivers, de modérer la chaleur des étés, en élevant cependant la température moyenne de ce pays. Il y a plus, la notice est terminée par la conclusion que, de 1776 à 1826, période d’un demi-siècle dans laquelle de nombreux travaux de déboisement ont été opérés en France, la température moyenne de Paris (11°,8) n’en a cependant éprouvé aucun changement appréciable.

Le comte Odart fait une revue critique des divers systèmes de classification des cepages qui ont été proposés et suivis par ses prédécesseurs; il en fait ressortir l’insuffisance et les inconvénients avec l’assurance que lui donnent les lumières d’une pratique raisonnée de plus de trente ans; mais, en avouant son impuissance à en créer un meilleur, il renonce à toute classification scientifique proprement dite, et si, au congrès des vignerons tenu à Bordeaux, en 1843, deux botanistes réclament de son expérience un système rationnel de classification des cepages, il leur répond qu’il n’a point adopté de système, que son travail n’est pas fait pour les savants, mais pour les propriétaires de Vignes, les seuls juges compétents qu’il se reconnaît.

Certes, après une déclaration aussi formelle, un critique dont l’incompétence, aux yeux de l’auteur, doit être évidente, serait peu fondé à venir critiquer le plan d’après lequel le comte Odart a distribué les cepages relativement aux régions où ils sont respectivement cultivés; mais, si le critique est impuissant à ce point, il lui sera permis, en faveur de son envie de s’instruire et de la conviction qu’il a des services réels rendus à l’ampélographie par le comte Odart, créateur de la collection des cepages de la Dorée, d’émettre le vœu qu’un horticulteur habile et à la fois botaniste exercé, digne, par conséquent, d’apprécier la valeur de cette collection précieuse, l’étudie dans un but propre à la faire connaître aux savants, en recourant à une classification naturelle et à des descriptions brèves, mais suffisantes toutefois pour faire distinguer les diverses variétés de cepages auxquelles il importe de donner des noms particuliers. Sans doute l’horticulteur qui se livrerait à ce travail trouverait dans l’ampélographie française les renseignements les plus exacts, et, en étudiant les cepages réunis en groupe que le comte Odart appelle famille, il reconnaîtrait bientôt dans ces réunions plus d’esprit scientifique que l’auteur avoue n’en avoir mis; car tous ceux qui savent sur quelle base une méthode naturelle doit être fondée, en lisant l’ouvrage apprécieront les motifs qui ont déterminé l’auteur à choisir les caractères au moyen desquels il a distingué les diverses variétés de cepages, l’esprit qui l’a guidé dans la formation de ses groupes dits familles. Il est évident qu’en réunissant ensemble, dans un même groupe, les cepages les plus analogues, il a été fidèle au principe de la méthode naturelle; d’un autre côté, la justesse d’esprit avec laquelle il a apprécié les difficultés de son sujet, ses motifs pour ne pas subordonner les variétés d’un même groupe à un ordre d’après lequel elles auraient été distinguées en une variété type et en sous-variétés ou variétés de ce type, témoignent de la préférence que l’auteur accorde au positif sur ce qui est conjectural, et ne permettent pas de douter des services qu’il aura rendus à ses successeurs en déblayant la route qu’ils parcourront des obstacles qui ont embarrassé la sienne. Le comte Odart termine l’introduction de son Ampélographie par un exposé de ces obstacles et des difficultés de tout genre qu’il a eues à surmonter pour se procurer les nombreux cepages dont la réunion donne un si haut prix à la collection de la Dorée. Ceux qui, dans leur carrière, en ont rencontré de semblables, rendront les premiers grâces au zèle et à la persévérance de l’auteur, et, sans doute, ils l’excuseront des vivacités dont il s’accuse à propos de l’anecdote suivante:

«Une autre fois une expression inconsidérée, dit le comte Odart, et peut être même inconvenante, qui m’était échappée dans mon empressement trop vif de recevoir des plants annoncés depuis trois mois, me fit perdre les bienveillantes dispositions de notre ambassadeur à T., et le ballot que son prédécesseur, M. B., avait eu la bonté de faire composer pour moi servit à chauffer la cuisine de M. de R., son successeur, plus sensible à une expression inconsidérée qu’à la satisfaction de concourir à une entreprise honorable. Peut-être me dira-t-on: Pourquoi vous échappe-t-il une expression inconvenante? Je répondrai: Que celui qui aura autant obtenu que moi, au moyen de sa plume, dans une position aussi modeste et aussi retirée me jette la pierre...»

Certes, personne ne sera tenté de la lui jeter, surtout après avoir lu ces paroles: «Quand on songe, dit Chaptal, aux difficultés à vaincre pour réunir tant d’individus dont chacun porte un nom différent dans chaque canton, aux soins à prodiguer sans cesse, tant pour leur culture que pour leur vraie désignation, au zèle, au talent d’observation et à l’activité qu’exige une telle surveillance, on est tenté de ne regarder un tel projet que comme un beau rêve.»

Mais, si le comte Odart a eu quelquefois à se plaindre de gens qui auraient dû s’empresser de l’aider dans sa noble entreprise, d’un autre côté il a reçu d’amples dédommagements de ses contrariétés: des hommes capables, par leurs occupations, d’apprécier ses services et ses lumières lui ont donné des témoignages publics de leur estime; ainsi les membres des congrès viticoles tenus, à Angers, en 1842 et, à Bordeaux, en 1843, appréciateurs de son mérite et de son caractère franc et loyal, l’ont nommé leur président honoraire; en outre, le ministre chargé de veiller aux intérêts de l’agriculture et du commerce, en chargeant le comte Odart d’une mission en Hongrie dont le but était de connaître tout ce qui concerne les Vignes qu’on y cultive et, plus tard, en l’aidant à publier l’Ampélographie, a montré le cas qu’il fait de ses travaux. Il faut souhaiter maintenant que, comme complément de sa haute protection, l’administration supérieure trouve le moyen de conserver à la France la collection de la Dorée, en lui donnant un caractère de stabilité que ne peut avoir aucun établissement particulier, quelle qu’en soit d’ailleurs l’utilité.

Donnons une idée du plan de l’ouvrage.

Le comte Odart, en prenant la France pour point de départ, répartit les cepages dans quatre régions principales, qu’il qualifie d’occidentale, de centrale, d’orientale et de méridionale. Il commence l’étude des cepages de chaque région et de chaque pays par la description de celui ou de ceux dont le produit caractérise plus particulièrement le cru de cette région, de ce pays; ainsi les cepages qui donnent les vins rouges de Bordeaux et de Bourgogne sont examinés avant tout autre dans l’étendue des deux premières régions, tandis que dans celle de la troisième, où l’on fabrique plus de vins blancs que de vins rouges, il commence par les cepages à fruits blancs.

Région occidentale.

Bornée au nord par les coteaux de la Loire-Inférieure, à l’est par une ligne passant entre Langeais et Bourgueil, suivant le cours de la Vienne et se prolongeant au confluent du Tarn et de la Garonne, au midi par les limites nord des départements des Landes et du Gers. Cette région comprend l’Amérique.

Les cepages de la région occidentale sont compris dans trois chapitres, ceux de la Gironde ou de Bordeaux, ceux de la Charente et de la Sèvre; puis les cepages de l’Amérique.

Le cepage de la Gironde, qui l’occupe d’abord, est le carme-met ou carbenet, parce qu’il donne au vin rouge de Bordeaux le caractère qui lui est propre: ce cepage, connu dans les braves sous le nom de petite-vuidure, l’est sous celui de breton dans les départements d’Indre-et-Loire et de la Vienne, dans Maine-et-Loire on l’appelle véronnais, et enfin arrouya dans les Hautes et Basses-Pyrénées.

Nous citons comme exemple toute cette synonymie d’un même cepage, afin qu’en constatant, une fois pour toutes, que des noms très-différents sont donnés, dans une petite étendue de territoire à une même variété de cepage, le lecteur aperçoive l’utilité d’un ouvrage d’ampélographie propre à fixer la nomenclature des Vignes cultivées.

Parmi les cepages à vins blancs, on distingue le blanc sémillon et le sauvignon on surin, remarquables en ce qu’ils donnent les vins de Barsac et de Sauternes.

A propos des vins de Bordeaux, le comte Odart exprime une opinion qui compte des partisans en France et à l’étranger, c’est que le temps n’est pas aussi avantageux pour augmenter la qualité de certains vins qu’on le croit généralement; ainsi les vins rouges de Bordeaux de quelques années (trois ans, par exemple) ont plus de qualité que les mêmes vins plus âgés. A la vérité, il est possible que les vins fabriqués aujourd’hui soient d’une conservation plus difficile qu’autrefois, où l’égrappage avait lieu d’une manière moins absolue. L’influence de la partie astringente contenue dans la rafle et les pepins du Raisin sur la conservation du vin nous parait certaine, comme le croient le comte Odart et M. Fauré, auteur d’un travail étendu sur les vins de la Gironde.

Nous approuvons encore le conseil donné par le comte Odart aux propriétaires des vignobles de ce pays d’ajouter, au vin du carbenet, des vins de Cahors (provenant du plant dit côt), de l’Hermitage (provenant du plant dit sirrah) et de Beni-Carlo. Nous sommes tout à fait de son avis pour proscrire l’addition de Peau-de-vie, du sucre, soit mélasse ou glucose.

C’est dans le bassin de la Charente que l’on cultive la folle-blanche, cepage connu sous le nom d’enragea dans la Gironde et la Dordogne. Le vin de la folle-blanche n’a rien de particulier, rien de distingué comme vin; mais, malgré cela, il donne la meilleure eau-de-vie connue, celle qui porte le nom de cognac, et, fait remarquable que la théorie n’explique point, il ne se conserve pas.

Trois cepages, le suepernong, le katawba, le York’s madeira, sont seulement mentionnés au chapitre de l’Amérique.

Le comte Odart dit que, jusqu’ici, toutes les tentatives faites pour obtenir du vin de la Vigne cultivée au Kentucky, dans l’État d’Indiana et dans le Mexique, ont été infructueuses; il insiste particulièrement sur des essais continués pendant vingt ans, par M. Lakanal, sans résultat.

Région centrale.

Elle est bornée, au nord, par une ligne partant du Mans, passant par Paris et suivant les limites de nos vignobles du nord jusqu’à la limite orientale du département de l’Aube; à l’ouest, par une ligne qui, partant d’un point intermédiaire entre Langeais et Bourgueil, passerait par Châtellerault, Poitiers, Périgueux, Agen, atteindrait et suivrait les limites orientales du département des Landes; à l’est, par la ligne ouest de la région orientale; au sud, par une ligne qui passerait par les limites méridionales du département de la Drôme, suivrait le cours de l’Ardèche, les limites méridionales des départements de la Haute-Loire, du Cantal et du Lot, qui y seraient compris, et aboutirait aux limites orientales du département des Landes.

La région centrale est donc entièrement française, et, avec le bassin de la Gironde, elle comprend les vins les plus renommés de notre pays, tels que ceux de la Champagne, de la Bourgogne, de l’Hermitage (Drôme), et d’autres vins qui, sans avoir la même réputation, sont cependant très-connus, comme ceux de Cahors et du Cher, les vins de Cahors pour donner de la couleur et du corps aux vins du Médoc et de Grave, et les vins du Cher pour être employés au même usage par les marchands de Paris. Un tel emploi ne laisse pas que de donner lieu à d’intéressantes réflexions quand on considère la distance qui sépare les bords du Lot des coteaux du Cher, et la nature identique du même cepage cultivé dans les premiers lieux sous le nom d’auxerrois, et dans les seconds sous celui de côts ou cahors; car, malgré la différence du pays, le même cepage donne un produit à peu près identique; enfin la région centrale est encore le pays des vins de Côte-Rôtie et de Condrieu.

Quatre groupes sont décrits particulièrement dans la région centrale: les pinots, les gamays, les côts et les teinturiers.

Les premiers justifient par leur importance le soin avec lequel l’auteur les examine et en énumère les variétés nombreuses, auxquelles il a joint la synonymie relative à chacune d’elles. S’ils produisent peu, en général, le Raisin qu’ils donnent presque tous est d’une qualité supérieure; aussi les vins de Champagne et de Bourgogne lui doivent-ils leur réputation, et la dénomination de plants nobles, que portent les pinots en plusieurs pays, notamment en Touraine, témoigne-t-elle du cas qu’on en fait. Le cepage cultivé sur les coteaux de la Loire sous le nom de pinot n’appartient point à ce groupe; il a donc un titre usurpé ; c’est pourquoi M. Akermann, de Saumur, qui, depuis 1834, prépare un très-bon vin mousseux, a planté son vignoble (commune de Jouy, canton de Tours-sud) en pinots de Bourgogne et non en pinots du pays.

Les pinots présentent des Raisins de toutes les couleurs propres au fruit de la Vigne en général; ou en trouve à Raisins bleus, à Raisins blancs et à Raisins de couleurs intermédiaires, c’est-à-dire rougeâtres, violets et gris.

Nous avons dit que les pinots produisent peu, en général, et que le Raisin de presque toutes leurs variétés donne d’excellents vins. La restriction de notre proposition tient surtout à ce qu’il existe deux variétés de pinots connues sous les noms de Raisins de la Madeleine et de meunier. Le Raisin de la Madeleine n’est recommandable que par sa précocité, car on l’estime peu pour la table et le pressoir. Le meunier, qui doit son nom au duvet blanc de ses feuilles, donne un fruit abondant, mais dont le vin, surtout s’il est rouge, ne se recommande pas par une qualité supérieure. La culture des pinots n’est pas bornée à la région centrale, elle s’étend encore à la région orientale et même à la région méridionale.

Le pinot gris, malvoisie des vignobles de la Touraine, fromenteau de la Champagne, cultivé dans nos départements du Rhin, dans le Jura, et même dans la haute Hongrie où il porte le nom de barattzin-szollo, se trouve aussi en Italie. La constance de ses propriétés caractéristiques, malgré les lieux où on le cultive, l’excellent vin de liqueur qu’il est susceptible de donner en rendent l’étude fort importante; enfin le vin du cap de Bonne-Espérance, si connu sous le nom de pontac, provient du pinot, dont le plant a été transporté de la Bourgogne dans le midi de l’Afrique.

Gamays. Les gamays différent beaucoup des pinots, sous le rapport de l’abondance du produit et par l’infériorité de la qualité de leurs vins; cependant on commettrait une erreur réelle si on jugeait tous les gamays aussi défavorablement que doit l’être le gamay le plus ancien, variété à laquelle le comte Odart donne la dénomination de gros gamay. Si les ducs de Bourgogne en proscrivirent la culture parce qu’ils la jugeaient propre à discréditer le vin de leur duché ; si Philippe le Hardi alla même jusqu’à appliquer l’épithète d’infâme au gamay; enfin, si, après eux, les parlements de Dijon, de Metz et de Besançon ont pareillement condamné ce cepage dans différents édits, il existe des variétés du gamay qui doivent être cultivées el non proscrites, parce qu’elles donnent des vins d’ordinaire de première classe.

Tel est le petit gamay, cultivé pour des vins de cet ordre avec tant de succès au nord de Lyon, particulièrement dans le Beaujolais; et, à ce sujet, le comte Odart relève l’erreur de Bosc, qui, confondant le gros gamay avec le petit, s’étonnait de ce qu’il donne un bon vin dans le Lyonnais au lieu d’un vin détestable qu’il produit en Bourgogne; enfin il existe des variétés de gamay encore supérieures, par leur vin, au petit gamay: tels sont la lyonnaise du Jonchay ou lyonnaise d’Anse, et le plant des trois ceps. Le comte Odart attribue l’origine de ces variétés à des semis de pepins du petit gamay adventices ou bien faits par l’homme.

Côts. Les côts ne comprennent pas un grand nombre de variétés: on les cultive dans les départements du Lot, du Tarn, de Tarn-et-Garonne, du Cher, de Loir-et-Cher et d’Indre-et-Loire, et ils constituent le fond des vignobles de ces pays.

Teinturiers. Ce groupe présente quelques variétés qu’on cultive moins pour elles-mêmes que pour en employer le fruit à la coloration des vins; de là la dénomination de teinturiers. On distingue

1° Le gros noir, ainsi nommé, dans un grand nombre de vignobles du centre, et connu, dans le haut Douro, sous le nom de tinta-francisca, et, en Andalousie, sous le nom de tintilla;

2° Le gros noir femelle;

3° Le teinturier du Jura.

Le comte Odart, à la suite des gamays, décrit plusieurs cepages remarquables qui sont cultivés, soit aux environs de Lyon, soit dans le département de l’Allier. Tels sont

1° La serine noire ou corbelle, célèbre par le vin de la Côte-Rôtie qu’elle donne;

2° Le viognay ou vionier, cepage principal des vignobles de Condrieu;

3° Les sirrahs (petite et grande), auxquelles on doit le vin rouge de l’Hermitage;

4° La roussane, à laquelle on doit principalement le vin blanc du même vignoble;

5° Le neyran;

6° Le Raisin de Grave;

7° Le grand blanc.

Le comte Odart pense qu’aux trois variétés principales de Raisins de dessert dont les cepages sont cultivés dans les régions occidentale et centrale, le chasselas, le muscat et le corinthe blanc, on pourrait en ajouter plusieurs autres.

Il ne considère pas le chasselas de Fontainebleau comme une variété distincte, mais comme devant ses qualités au sol où il est cultivé ; il cite, à l’appui de cette opinion, l’expérience qu’en a laite M. Vibert, dans son jardin d’Angers, où le plant de Fontainebleau n’a donné que des grappes à grains serrés et blanchâtres.

Région orientale et septentrionale.

Elle est bornée, à l’ouest, par les limites occidentales des départements des Ardennes, de la Meuse, de la Meurthe, du Haut-Rhin, du Doubs et du Jura, lesquels sont compris dans cette région; au midi, par les Alpes, le Tyrol, la Save et le Danube, depuis son confluent avec la Save jusqu’à la mer Noire.

Les vins français compris dans la région orientale sont ceux de la Meuse, de la Meurthe, des Vosges, du Haut et du Bas-Rhin, du Doubs, du Jura, de l’Isère et des Hautes-Alpes.

Les vins des départements de l’ancienne Lorraine et de l’Alsace étaient meilleurs autrefois qu’ils ne le sont aujourd’hui, par la raison que, dans la plupart des vignobles, on a substitué à des cepages de qualité supérieure, tels que les pinots de Bourgogne, par exemple, des cepages de qualité inférieure, mais d’une fertilité plus grande, et qu’en Alsace on a eu le tort d’abolir l’institution des jurés experts, sans l’intervention desquels, autrefois, aucune pièce de vin ne pouvait être exportée en pays étranger.

Si les vins du Doubs ne méritent pas une mention, il en est autrement de ceux du Jura, dont l’ancienne réputation, loin d’avoir diminué, s’est plutôt accrue, par les soins que les propriétaires de vignobles ont donnés aux procédés de vinification, et grâce aussi à l’heureuse idée qu’ont eue certains d’entre eux, depuis vingt-cinq ans, de préparer des vins mousseux très-délicats avec un Raisin bleu.

Parmi les cepages à vin rouge d’une qualité supérieure, nous citerons le poulsard ou belosard, ou Raisin perle, el le trousseau, qui sont propres au Jura; le pinot de Bourgogne, le petit gamay, dont nous avons parlé ailleurs; enfin, parmi les cépages à vin blanc, on distingue le savagnin vert, dont le fruit donne les vins d’Arbois, de Château-Châlons et de l’Étoile, le pinot blanc et le gamay blanc.

Après les cépages français de la région orientale, l’auteur parle des cepages étrangers.

Les vins de Suisse de meilleure qualité proviennent du pinot de Bourgogne et du petit gamay, originaire des environs de Lyon, et dont la transplantation a été l’effet du hasard.

Les vins d’Allemagne proviennent de différents cepages, parmi lesquels il en est d’identiques ou analogues à ceux de notre pays, et d’autres qui en sont tout à fait distincts. Si le comte Odart met les vins mousseux d’Allemagne et même ceux de Hongrie fort au dessous des nôtres, il reconnaît la bonne qualité de certains vins rouges, de certains vins blancs secs et des vins de liqueur qu’on fabrique dans ce pays. Parmi ces derniers il cite le tokay et le menesch; parmi les vins secs, le johannisberg, le rudesheim, le steinberg. Le comte Odart décrit un grand nombre de cepages cultivés dans ces contrées et dans celles qui s’étendent jusqu’aux limites de la région orientale.

Région méridionale.

Elle est comprise, à l’ouest et au midi, par les deux mers, et bornée, au nord, par une ligne qui, partant du bassin d’Arcachon, suivrait les limites nord du département de la Haute-Garonne, remonterait le cours du Tarn, laisserait au nord les montagnes du Vivarais, couperait le Rhône à son confluent avec la Drôme, l’Isère, qu’elle remonterait également, irait rejoindre le Pô à quelques lieues au-dessous de Turin jusqu’au golfe de Venise, puis la Save jusqu’à son confluent avec le Danube, dont elle suivrait le cours jusqu’à la mer Noire, et se terminerait aux frontières nord et est du royaume de Perse.

On cultive, dans la région méridionale, plus de variétés de cepages que dans les trois autres régions. Les meilleurs vins de liqueur connus proviennent de plusieurs de ces variétés, notamment des muscats; maison peut en citer d’excellents qui sont préparés avec d’autres Raisins, tels que le granache, qu’il ne faut pas confondre avec le Raisin natif de Gènes, le maccabeo de Salves, le pedro-ximenès, etc.

Les vins des régions centrale et orientale ne sont point inférieurs en qualité aux vins de la région méridionale, au jugement du comte Odart: il ne doute pas que l’on ne parvînt à donner aux vins des premières régions toutes les qualités désirables, si l’on propageait dans ces pays quelques cepages méridionaux dont les fruits seraient susceptibles d’y atteindre leur maturité, et il croit même à la possibilité d’y faire des vins de liqueur aussi bons que ceux du Midi.

Il signale, parmi les cepages de la France méridionale, le mourvedé, qu’on préfère à tout autre dans le département du Var, et qui, suivant lui, est identique au mataro, le brun-fourca, le bouteillan, plus remarquable par l’abondance de ses fruits que par la qualité de son vin; le catalan, le manosquin, qui, quoi qu’en aient dit Chaptal el Bosc, n’est pas identique avec le morillon de Bourgogne; l’aramon, qui n’a d’autre mérite que de produire beaucoup de Raisin; le fer-servadou, le groupe des picpouilles, le groupe des mauzacs, le sant-antoni, qui donne, au dire de quelques amateurs, un vin plus agréable que celui de Rota; le tanat. cepage dominant dans le vignoble le plus renommé des Hautes-Pyrénées; le carbenet, cultivé dans ces contrées, comme nous l’avons dit déjà, sous le nom d’arrouya; le caillaba, le plus hâtif des muscats; le quillard, dont le nom fait allusion à la direction verticale et à la disposition de ses bourgeons en forme de quilles; il est recommandable par sa fécondité et sa qualité, puisque son Raisin entre pour beaucoup dans la composition du vin de Jurançon. Plusieurs de ces cepages sont originaires d’Espagne, et la proportion, relativement à ceux qui n’en sont pas, augmente d’autant plus qu’on s’approche davantage des Pyrénées: on voit dès lors la part d’influence qu’ils ont sur la qualité des vins des départements qui représentent l’ancienne province du Roussillon, et tout le monde sait que la spirituosité, la saveur et la propriété de se conserver longtemps sont les attributs qui distinguent ces vins de beaucoup d’autres.

Le comte Odart examine les meilleurs cepages d’Espagne, des îles Baléares, du Portugal, de l’île de Madère, de l’Italie et de ses îles. Parmi les cepages d’Italie, on remarque le trebbiano, qui est l’ugni blanc des Provençaux, le groupe des nebbioli, le groupe des grecs ou barberousses, le groupe des malvoisies; puis il énumère, plutôt qu’il ne décrit en détail, les cepages les plus connus de la Grèce et de son archipel, de la Perse et du cap de Bonne-Espérance. Les cepages de ce dernier pays sont au nombre de six, le pinot de Bourgogne, qui donne le vin de Pontac; le frontaignan, qui paraît bien originaire de Frontignan; le groen-druyf et le steen-druyf, transplantés des bords du Rhin en Afrique; le lacrymachristi, venu du Vésuve, et le haenapop, qu’on croit avoir été transporté de la Perse au cap de Bonne-Espérance.

Si le comte Odart a étudié les cepages au point de vue de la vinification, il n’a pas négligé d’examiner les variétés dont les Raisins sont particulièrement destinés à paraître sur la table, et, sous ce rapport, il blâme le peu de penchant qu’on a généralement en France, dans la région du Centre, du moins, pour se livrer à des essais de culture propres a augmenter le nombre des cepages dont les fruits auraient cette destination. Cependant le nombre des variétés de Raisins de table est bien restreint dans cette région, puisqu’on n’y compte guère, suivant la remarque faite précédemment, que le chasselas, le muscat et le corinthe blanc. On ferait bien, selon lui, de cultiver, dès à présent, le caillaba ou le muscat noir du Jura, le muscat blanc de Hongrie, le muscat natif de Frontignan, le corinthe rose, le jouannene, le majorcain, plusieurs malvoisies de France, d’Italie et d’Espagne, etc., etc.

L’auteur présente, à la fin de l’ouvrage, un tableau d’un grand intérêt, où l’on trouve les différents cepages classés par ordre de maturation simultanée, conformément aux observations qu’il a faites dans sa collection de la Dorée. Il a réparti les cepages en cinq groupes correspondants à cinq époques; tous ceux d’une même époque sont censés mûrir simultanément et dix jours avant ceux de l’époque suivante. Quoique ce tableau ne puisse présenter que des approximations et non des résultats absolus, comme l’auteur est le premier à le reconnaître avec sa franchise accoutumée, cependant l’utilité dont il est pour les personnes qui veulent faire une plantation ne peut être contestée, surtout si la situation du vignoble projeté a de l’analogie avec celle du lieu où les cepages ont été observés; et le comte Odart a si bien apprécié cette influence des lieux sur la culture de la Vigne en général, et sur les cepages d’une collection en particulier, qu’il a exprimé le désir de voir établir, d’une manière permanente, des collections de cepages sur les divers points de la France. C’est conformément à cette manière de penser que, loin de considérer la sienne comme devant suffire à tous les besoins d’une étude approfondie de la Vigne, envisagée sous le rapport de la culture et de la vinification, il insiste, pour y satisfaire, sur la nécessité de former des collections de cepages dans divers pays, et se plaît, en conséquence, à reconnaître, pour le nord de la France, l’utilité de la collection du Luxembourg, recréée, pour ainsi dire, par les soins éclairés de M. le duc Decazes; pour l’ouest, l’utilité de la collection de Carbonieux, près de Bordeaux; et, pour le centre, il ne mentionne pas seulement sa collection de la Dorée, mais encore celle de Dijon ().

Nous nous sommes abstenu de parler des influences que les circonstances extérieures peuvent avoir sur les différents cepages, par la raison que l’étude de cette influence est du ressort de la question de savoir si les variétés des plantes cultivées dégénèrent, sur laquelle nous reviendrons dune manière spéciale. Mais, avant de quitter la plume, nous sentons le besoin d’exprimer quelques réflexions relatives aux inconvénients de plusieurs pratiques concernant l’art de faire le vin: nous voulons parler de l’addition du glucose ou de la mélasse au moût de raisin, ou bien de l’addition de l’eau-de-vie à un moût fermenté qu’on trouve trop pauvre d’alcool. Si ces additions n’ont pas d’inconvénient grave lorsqu’il s’agit des vins d’ordinaire destinés à être consommés en France, et encore lorsque les Raisins qui les donnent n’ont pu parvenir à la maturité, il n’en est plus de même s’il s’agit de vins de prix recherchés par les étrangers à cause de qualités connues depuis longtemps pour leur appartenir essentiellement et les distinguer de tous autres.

Les propriétés caractéristiques qui ne permettent pas de confondre ensemble les différentes sortes de vins tiennent à la préparation et plus encore à la composition chimique du Raisin, laquelle est le résultat définitif de la nature du cepage, de sa culture, du sol et du climat du vignoble où ce cepage est cultivé. Si tous les vins renferment de l’eau, de l’alcool, de l’acide acétique, du bitartrate ou du biracémate de potasse; presque tous de l’acide carbonique et de l’éther œnanthique; plusieurs une matière astringente, du glucose, un sel de fer, et si, l’eau exceptée, tous ces principes agissent sur les organes du goût et de l’odorat; savoir la matière astringente et le glucose exclusivement sur le goût, et les autres principes à la fois sur le goût et l’odorat, et si, d’après cela, on conçoit que les vins pourront différer les uns d’avec les autres par la présence ou l’absence de certains de ces principes, ou par les proportions variables où les mêmes principes s’y trouveront respectivement, cependant l’observation nous apprend que nos connaissances actuelles sont insuffisantes pour expliquer tous les phénomènes que les divers vins présentent. L’insuffisance de la science porte à la fois sur l’impossibilité de dire maintenant la raison d’une pratique plutôt que d’une autre dans la préparation d’un certain vin, et sur l’ignorance où nous sommes encore de la nature de principes que l’analyse n’a point obtenus à l’état de pureté, soit du moût, soit de la liqueur fermentée qui en provient. La science est donc muette lorsqu’il s’agit de parler de l’influence précise que certains corps, et particulièrement des corps sapides et odorants, exercent pour nous faire distinguer les vins où ils se trouvent de ceux qui n’en contiennent pas; et, cependant, les effets de ces corps sont connus de tout consommateur capable de juger de la délicatesse des vins. Puisque nous ignorons si ces principes préexistent dans le moût à l’état latent, comme les acides du beurre dans le lait, ou s’ils se développent, à la manière de l’alcool, aux dépens des éléments de quelques corps connus ou inconnus, la science actuelle est incapable de faire un vin d’une qualité donnée avec un moût quelconque auquel on ajouterait ou duquel on retrancherait certaines matières. Dans cet état de choses, qu’arrive-t-il lorsqu’on ajoute du sucre à du moût, ou de l’eau-de-vie au vin? C’est, en définitive, dans les deux cas, augmenter la proportion de l’alcool; et, comme celui-ci existe dans toutes les liqueurs vineuses, c’est tendre à confondre toutes les sortes de vins en une seule, en affaiblissant ainsi l’influence des corps qui donnent à chacune d’elles un caractère distinct.

En ayant égard à ces considérations, on doit facilement concevoir, maintenant, combien les pratiques dont nous partons pourraient nuire un jour à l’exportation de nos meilleurs vins. Évidemment ceux-ci, en perdant leurs caractères distinctifs, cesseraient d’être recherchés en même temps qu’ils deviendraient plus faciles à imiter par tous les peuples intéressés à nous faire concurrence sur les marchés étrangers: c’est ce que M. le comte Odart a parfaitement senti, aussi ne défendrons-nous pas certains savants qui, par leurs écrits, ont contribué à répandre l’usage des pratiques que nous condamnons dans l’intérêt de notre commerce extérieur, des reproches que leur adresse l’auteur de l’Ampélographie, et la force nous manque-t-elle pour blâmer ce que ces reproches peuvent avoir quelquefois de trop sévère dans l’expression.

Sur l'ouvrage intitulé Ampélographie, ou Traité des cépages les plus estimés

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