Читать книгу Le livre de monsieur Trotty - Eunice-M. Crétin - Страница 5

NOEL.

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Voici une histoire où figure, entre autres personnages, une petite fille qui ne manquait pas de défauts. Croiriez-vous que, le jour où commence cette histoire, Mlle Lill —c’était son nom — allait avoir un arbre de Noël, et qu’elle faillit l’oublier tout à fait!

Pour elle, tout était l’occasion d’une distraction. Elle s’arrêtait de faire quelque chose d’utile pour regarder les mouches voler. Elle ne pensait qu’à jouer, à fabriquer des maisons avec tout ce qu’elle trouvait sous sa main et à couper les rubans des chapeaux de sa mère pour habiller de petits bouts de poupée en porcelaine. Elle aimait à se brouiller avec ses amies et à se raccommoder avec elles le lendemain ou une heure après. Faire tout à son gré, à sa tête, était son unique envie.

Un matin de Noël, Trotty l’éveilla de très bonne heure. Vous aimeriez bien à savoir aussi qui était Trotty. Ce n’est pas très facile à dire. Grand’maman dit que c’est une marguerite rose; Max, son frère, prétend que c’est un petit charlatan; Lill assure que c’est un gros singe; sa maman dit toujours que c’est une goutte de rosée; Betsie, la domestique, pense que c’est une vraie bénédiction, et Patrick l’appelle la peste de sa vie, tandis que la cousine Geneviève, qui est en pension et qui porte de longues boucles, m’a affirmé plusieurs fois que c’est le plus délicieux petit cousin du monde. Au milieu de tant d’opinions différentes, il est quelque peu malaisé de dire au juste ce qu’est Trotty.

Quoi qu’il en soit, il avait vu l’aubépine fleurir, les glands de soie pendre aux tiges du maïs, les feuilles rouge sang de l’érable tomber et les flocons de neige fondre sur sa tête mignonne par trois fois. Il avait vu trois mystérieuses veilles de Noël, et il ne s’en souvenait pas le moins du monde. Ce Noël-ci était le quatrième; il voulut se le rappeler, et il se le rappela. Ses cheveux étaient bruns comme une châtaigne, ses yeux bleus comme un ciel de septembre après une pluie d’orage; sa bouche avait l’air d’une fraise: les coins en étaient tournés par en haut, excepté quand on lui défendait de toucher au sucrier, ou que grand’maman refusait de lui donner ses plus beaux bonnets pour en faire des moussoirs à Trotty; alors les coins de cette petite bouche s’abaissaient et avaient bien de la peine à remonter. Monsieur faisait la moue. Quand il riait, on aurait dit de l’eau qui tombait dans un bassin d’argent; mais quand il pleurait, c’était tout autre chose; c’était de l’eau pour tout de bon, c’était un déluge subit. Lorsqu’il parlait, vous auriez cru que c’était un nid de merles qui gazouillaient, et, quand il marchait, c’était comme le clapotement de la grêle sur le toit. Et quand il tourmentait pour avoir de la compote aux pommes donc! Il n’y a plus d’expression pour dire ce que c’était.

Il avait aussi une fossette au menton, et son nom était... Vrai, je ne sais pas! Il est probable que tout au commencement ce n’était pas Trotty; mais, quel qu’il fût, tout le monde l’avait oublié pour lui laisser ce nom de Trotty qui lui convenait à merveille.

Ce que Trotty avait de plus remarquable était son ubiquité. Voilà un grand mot et vous ne savez peut-être pas ce qu’il veut dire. Si vos huit doigts et vos deux pouces, si vos deux poings et vos deux coudes sont assez grands pour tenir le grand dictionnaire de l’Académie, je vous conseille de l’y chercher, ce formidable mot. Mais vous aimez mieux que je vous en épargne la peine

Eh bien! cela veut dire que, si vous enfermiez Trotty dans le salon et que vous vous sauviez en haut pour avoir un moment de paix dans votre chambre, Trotty serait sur le palier de votre propre chambre avant vous. Cela veut dire que, si vous le laissiez dans votre chambre, et qu’en descendant vous leviez la tête, vous apercevriez le bout de ses souliers à travers les balustrades. Cela veut dire que, si vous alliez au jardin, on ne tarderait pas à entendre claqueter de petits pas pressés dans l’allée, et ce serait encore Trotty. Cela veut dire que, quel que fût l’endroit, on était sûr d’y trouver Trotty. Bref, Trotty avait le secret d’être partout à la fois.

C’étaient les pieds de Trotty qui avaient éveillé Lill ce matin-là. Elle les entendit dans ses rêves, tapotant sur la toile cirée autour du lavabo; elle ouvrit un œil et vit le ciel tout en feu. C’était un lever de soleil comme on n’en voit pas tous les jours de l’année; Trotty s’y dessinait, perché sur une chaise près de la fenêtre, ses dix petits doigts de pied sortant comme dix petits coquillages roses du bord de sa robe de nuit blanche.

«Mais, Trotty Tyrol! tu vas attraper un rhume à en mourir! Dépêche-toi de venir dans mon lit! Quel beau jour nous allons avoir! Je ne vois de nuage nulle part.

— Si, il y a un nuage nulle part, dit Trotty grelottant, car il commençait à avoir froid. Il y a un petit nuage noir tout juste sur la grange de M. Jones.

— Où ? Oh! ce n’est rien.

— Oh non! répéta Trotty, ce n’est rien. Je pense que Noël est venu exprès; et toi, Lill?»

Qui eût jamais pensé que Noël était venu exprès, et que ni Trotty, ni Lill, de leur vie, n’oublieraient le petit nuage noir!...

Le soleil se leva, illuminant tout, et le petit feu qui était alors tout bas à l’horizon, en face de la fenêtre de Trotty, sembla mettre le monde entier en flammes. La neige resplendissait tellement qu’on ne pouvait plus la regarder sans être ébloui, et les glaçons qui pendaient aux arbres se balançaient au vent comme des morceaux de cristal. C’était trop tentant. Trotty s’habilla tant bien que mal. Trotty sortit et secoua une branche. Trotty fit tomber de la poussière de neige dans sa bouche, dans ses boucles, dans son cou, sur ses petites mitaines blanches. Il essayait d’empêcher les rayons du soleil d’entrer dans ses yeux; il tâchait d’arriver à la grille du jardin avant que le vent y fût; il était plus sûr que jamais que Noël était venu exprès.

Pendant tout ce temps, le petit nuage noir se cachait derrière la grange et personne n’y faisait attention. A midi, il n’y avait plus de nuage du tout, mais une vilaine obscurité s’était étendue au-dessus du toit de M. Jones et essayait d’éteindre le monde, comme quand on met un éteignoir sur une bougie.

Maintenant, il vous faut savoir d’abord que l’arbre de Noël de Lill et toute la gloire de ses bougies de couleur étaient enfermés au salon en attendant le soir; ensuite que Trotty voulait toujours venir tourniller le bouton de la porte; il l’entr’ouvrait d’une moitié de fente et y passait le bout de son nez, puis, si on lui en laissait le temps, une de ses joues roses. Quand on fermait la porte à clef, le vilain curieux se haussait sur la pointe des pieds pour regarder par le trou de la serrure et frappait jusqu’à ce que ses poings en devinssent tout bleus. Plus de quinze fois bien comptées, ce matin-là, on lui avait commandé de quitter le voisinage du salon; on l’avait menacé, tenté, prié, et cinq minutes après l’indiscret y était encore cherchant le moyen de pénétrer dans le salon défendu; enfin tout le monde se sentit soulagé, quand, après le dîner, Lill proposa d’aller glisser sur la neige.

«Je crains que nous n’ayons une tempête, dit sa mère en regardant le nuage sombre.

— Mais il ne pourrait jamais faire une tempête le jour de Noël! dit Lill.

— Jamais faire une tempête à Noël,» répéta Trotty qui pensait qu’il lui fallait toujours répéter ce que Lill disait.

Ainsi Lill mit son capuchon de soie bleue qui avait un gland derrière, et grand’maman garda Trotty assez longtemps pour lui remettre ses petites guêtres rouges, ses bottines fourrées, son manteau de flanelle, sa pèlerine rouge, ses petites mitaines blanches avec une bordure rouge autour du poignet, sa toque de jockey garnie de velours écossais; puis on l’embrassa à la ronde comme s’il l’avait mérité et aussi comme s’il allait faire un voyage d’une année en Europe, ce à quoi Trotty se résigna faute de pouvoir s’en défendre. Comme il s’éloignait, sa mère le rappela pour lui embrasser les yeux, «parce qu’ils ressemblaient tant à ceux de papa aujourd’hui». Trotty ne fit pas de remarques, mais je suis sûr que cela ne le charmait pas beaucoup d’être tant embrassé ; car, en s’en allant chez Gertrude, il dit en confidence à Lill qu’il ne voyait pas pourquoi on n’embrassait pas plutôt grand’maman ou Betsie que lui. Et quand il serait grand, la cousine Geneviève l’appellerait-elle toujours son mignon?

Nous sommes là dans un petit monde d’enfants qu’il ne faudrait pas prendre pour modèles. Non! il s’agit de faire voir leurs défauts.

Aujourd’hui, Gertrude était l’amie intime, confidentielle, éternelle de Lill. La semaine passée, c’était Jeanne de Witt; mais Jeanne de Witt avait donné un bâton de sucre d’orge à Louise Hollis, et, depuis trois jours entiers, Lill ne lui avait pas même fait un signe de tête. La semaine d’avant, c’était Marie Gibbs; mais Marie avait dit à quelqu’un d’autre qui avait dit à Gertrude, qui avait dit à Lill, qu’elle (Marie) croyait qu’elle (Lill) était fière de la soie bleue piquée de son capuchon, et, depuis lors, Marie et Lill étaient ennemies jurées. La semaine prochaine, Gertrude irait par-dessus bord comme les autres. En fait d’amitiés, la capricieuse Lill faisait habituellement deux fois le tour de l’école par trimestre.

Malgré le grand nuage qui montait, il y avait encore du soleil et Trotty suivait Lill et Gertrude. Il tirait son traîneau par-dessus les planches qui parfois barraient sa route et franchissait tous les obstacles. Le traîneau refusait de marcher quand il essayait de lui faire traverser des passages trop difficiles. Mais Trotty tirait, tirait, puis tombait; or, quand il tombait, c’était immanquablement sur son nez. Cependant il réussit à arriver à la colline, sans avoir rien perdu que sa pèlerine, une mitaine et son mouchoir, et toute l’après-midi il glissa avec son traîneau sur sa pente.

Il vous aurait fallu le voir! Il glissait toujours la bouche ouverte et remontait les yeux fermés. Pour dire le vrai, il ne savait pas mieux qu’un petit oiseau comment s’y prendre pour diriger un traîneau. A force de traîner les semelles de ses chaussures sur la neige, il fit trois trous à ses galoches cette après-midi-là. Quelquefois son traîneau tournait comme une toupie, et lui roulait comme une boule. Il se relevait, tournait encore et roulait toujours. A la fin, il se sentit froid aux pieds; il se mit à pleurer et dit à Lill que, bien sûr, il y avait dans ses bottines quelque chose qui lui faisait mal.

Ce petit singe n’en savait pas plus long!

Mais il s’amusa quand même, et Lill et Gertrude aussi, si bien qu’ils n’avaient plus pensé au vilain nuage qui cependant avait grandi, grandi énormément et s’étendait maintenant tout à travers le ciel. Les arcs-en-ciel des glaçons étaient partis; les étincelles éblouissantes de la croûte neigeuse étaient éteintes, et un tourbillon de flocons avait blanchi l’air depuis quelque temps, sans que les enfants s’en fussent aperçus.

«Oh! dit Trotty, faisant un effort pour respirer, regarde! La tempête a descendu dans mon gosier! Je ferme pourtant la bouche pour l’empêcher d’entrer.

— C’est vrai! dit Lill en s’arrêtant court. A-t-on jamais vu?

— Il fait froid comme au Groënland, affirma Gertrude en frissonnant; je crois que l’heure du souper est passée. Courons à la maison aussi vite que nous pourrons!

— Oui, courons. Je suis fatiguée de glisser.

— Je suis fatigué aussi, soupira Trotty. Je voudrais bien ôter la pierre de mon soulier.»

Et les voilà partis. Or, pour arriver chez eux, il y avait plus d’un kilomètre à travers les champs; il y avait des palissades à escalader, des bois à traverser; le vent se levait plus fort, la neige tombait plus épaisse, et m archer devenait difficile.

«Dépêche-toi, Trotty, dit Lill qui prenait de l’humeur. Quel lambin tu fais! Viens donc!»

Trotty venait aussi vite qu’il pouvait, mais ses jambes étaient si courtes et ses pieds si petits! Il ne pouvait pas suivre. Il fallut l’attendre, et Lill prenait froid.

«Si tu ne veux pas courir plus vite, je vais à la maison sans toi!

— Ah! oui, dit Trotty se remettant à courir. Je vais courir vite, vite. Mes pieds sont si lourds! Je voudrais bien que tu me donnes la main.»

Lill avait les deux mains dans les poches de son manteau pour les tenir un peu au chaud. Elle en tira une lentement, prit la menote glacée que l’enfant lui tendait et s’élança en avant comme de plus belle.

«Oh! Lill, tu me secoues trop, dit Trotty, tu me fais mal au bras.

— Alors va donc tout seul,» répondit Lill qui n’était pas fâchée de remettre sa main à l’abri.

Cependant le vent mordait les doigts nus de Trotty et la neige tombait dessus.

La nuit arrivait rapidement.

«Je suis sûre que nous serons en retard pour l’arbre de Noël, dit Lill à Gertrude. J’ai envie d’aller en avant.»

La lèvre de Trotty trembla pour pleurer. Lill en courant entendit Trotty qui courait un peu plus vite derrière elle.

«Je t’en prie, Lill, va pas à l’arbre sans moi!»

Lill ne se retourna pas. Si elle avait regardé derrière elle, elle aurait vu deux petits poings bleuis essuyer deux grosses larmes tombant de deux grands yeux.

Mais il faisait toujours plus noir.

La neige tourbillonnait dans leurs figures et les aveuglait. Le vent perçait, sifflait et piquait. Trotty avalait ses larmes et marchait comme un homme, mais il avait beau faire, elles allaient bien plus vite que lui. Lill courait très en avant.

«Dépêche-toi, Trotty, dépêche-toi!» lui criait-elle sans tourner la tête. Je ne crois pas vraiment qu’elle se rendît compte combien le pauvre Trotty était loin d’elle.

«Je ne puis plus t’attendre, lui dit-elle tout en courant; tu es grand garçon, tu sais le chemin de la maison, tu peux bien venir tout seul. Dépêche-toi; d’ailleurs, nous te garderons ta part de l’arbre.»

Trotty n’était pas un grand garçon; il traînait ses pieds fatigués sur la croûte glacée. Il se sentait saisi de terreur. Il était dans le bois à présent, les ombres des arbres étaient noires; le vent hurlait autour de lui.

«Lill, attends-moi! Attends-moi!!»

Mais Lill courait toujours.

«Lill! Lill! Lil-ly, attends Trotty! ze t’en prie bien! attends Trotty!»

Lill n’entendait plus. La neige fouettait les yeux de Trotty; il ne pouvait presque plus voir Lill.

«Lill, z’ai quéque soze à te dire! Lill!» cria-t-il.

Mais Lill la coupable, l’imprévoyante Lill, était déjà hors de la portée de sa voix et de ses yeux.

Trotty essaya encore de sa petite voix flûtée.

«C’est quéque soze de bon, Lill! Oh! Lill! laisse Trotty venir voir Noël.»

Rien ne lui répondit que les longs cris du vent qui balayait les collines à travers les arbres. Trotty s’arrêta immobile. Il faisait tout noir à présent. Les basses branches des pins cachaient la couleur cendrée des champs où quelques rayons de lumière s’attardaient encore, mais elles n’abritaient pas de la tempête. Les légers flocons de neige s’étaient changés en grésil qui piquaient les joues de Trotty comme autant d’aiguilles, et entraient dans ses yeux comme des couteaux. Il ne pouvait plus voir son chemin; il ne pouvait plus voir le ciel; il enfonçait ses doigts bleus dans sa bouche, dans ses boucles, dans le fond de son cou, mais il ne pouvait pas les réchauffer; ses galoches fourrées étaient aussi froides que la neige qui s’amoncelait autour, et ses guêtres rouges et son paletot de flanelle ne le garantissaient plus. La nuit était tombée, une longue nuit d’hiver: la nuit de Noël tant désirée par Trotty.

«Lill, reviens! appela le pauvre petit, essayant encore de marcher. Ze serai saze. Lill! ze ne serai plus zamais un ennui! ze courrai vite. Ze ne traînerai plus par derrière! Oh! pourquoi personne ne vient cercer Trotty!»

Mais personne en effet ne venait chercher ce pauvre Trotty. Trotty était abandonné.

Cependant Lill rentrait à la maison.

«Eh bien! mais, où est donc Trotty, Lill?

— Oh! il va venir, il est si lent! et nous... mais... il n’est... pas loin, bien sûr.»

Lill n’était pas si sûre que cela que Trotty allait paraître. On la crut cependant.

Cinq minutes après, la maison était toute noire. Personne n’avait songé à allumer les lampes, le souper était sur la table, mais on n’y avait pas touché. Le feu s’éteignait dans la cheminée; grand’maman, assise auprès, essayait de travailler, mais quelque chose l’empêchait de voir; il lui fallut mettre son tricot de côté. Trotty ne paraissant pas, on avait envoyé à sa rencontre. Tout à fait dans un coin, dans l’ombre, il y avait quelqu’un de blotti. C’était Lill. Elle ne disait pas un mot. Plusieurs fois elle avait essayé de dire: «Grand’maman, crois-tu qu’on le trouve! Est-ce que Trotty est mort de froid? Grand’maman! je voudrais aussi l’aller chercher et lui dire que je suis si fâchée!» Mais les mots ne pouvaient pas sortir de sa bouche; elle ne voulait pas qu’on fît attention à elle; elle aimait mieux être oubliée. Elle ne disait donc rien et pensait beaucoup. Elle pensait à Trotty qui, en robe de nuit, ce matin encore, jouait avec elle, et lui jetait des oreillers; elle se fâchait quelquefois dans ces batailles. Comme elle aurait voulu être assurée de les voir recommencer! Elle pensait à Trotty, avec ses guêtres rouges et sa toque écossaise et ses petites mitaines, faisant des balles de neige dans la cour, —à Trotty avec ses yeux, ses joues, son petit nez aplati sur la vitre, essayant de faire peur à grand’maman par la fenêtre de la véranda, — à Trotty en face du sucrier et des compotiers dans l’armoire aux confitures; à la malice de sa petite figure, à sa fossette, et si elle ne revoyait jamais plus cette fossette! Elle pensait à Trotty, se traînant derrière elle, cette après-midi-là, quand il avait les pieds si lourds; c’était une si longue course pour de si petits bouts de pieds! Elle aurait dû y penser alors! Oh! elle aurait dû y penser! Elle croyait revoir Trotty montant la colline au soleil et roulant gaiement d’abord au bas de son traîneau; puis à Trotty revenant à travers la neige; à sa voix presque éteinte qui criait: «Lill, attends Trotty!» Est-ce bien vrai qu’elle, Lill, avait eu la cruauté de ne pas l’attendre! Pauvre petite voix! Et s’il ne lui demandait plus jamais de l’attendre! Si Lill n’avait jamais plus l’occasion de lui dire qu’il n’était pas un ennui? Et s’il allait au ciel dire aux anges que Lill l’appelait un éternel Trotty!

«Écoute! fit grand’maman, qu’est-ce que c’est?»

C’était la porte d’entrée qui se refermait; c’était la porte de la salle à manger qui s’ouvrait. C’était le pas de Max sur le plancher, la voix de sa mère, mais pas d’autre. Ils entrèrent tout couverts de neige. Dans ses bras Max tenait un paquet qui était aussi tout couvert de neige, mais qui ne bougeait pas.

Lill se dressa sur ses pieds, retomba sur sa chaise, puis tourna sa figure dans le coin et mit ses mains sur ses yeux. Elle dit plus tard qu’elle n’avait plus osé rien regarder.

Mais tout à coup le paquet se mit à parler et se tint tout droit sur deux jambes raidies.

«J’ai faim,» dit une voix qui ressemblait fort à celle de Trotty.

Et voilà comment il se fit que Lill, pour avoir oublié son frère, avait fini par oublier son arbre de Noël.

Mais l’arbre de Noël pouvait attendre, lui, et même on pouvait s’en passer, mais de Trotty, qui donc eût pu se passer dans la maison? Lill moins qu’une autre assurément. L’expérience était faite, la leçon était claire, elle avait été chèrement payée par Trotty, et, si dure qu’elle eût été pour elle aussi, Lill ne pouvait pas dire qu’elle ne l’eût pas méritée.

Le livre de monsieur Trotty

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