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I

Table des matières

J.-A. CONSTANTIN

(1756-1844)

Marseille et Aix font époque dans l’histoire de l’art provençal. Dans la première de ces deux villes naquit Constantin et mourut Loubon, tandis que la seconde vit naître Loubon et mourir Constantin.

La facture de Constantin , peintre, quoique solide, ne présente aucune particularité susceptible d’être analysée. Il procédait généralement de la manière des classiques, par touches fondues et noyées dans une tonalité homogène. Les tableaux des musées d’Aix, de Marseille et d’Avignon donnent une idée assez exacte du faire de Constantin qui fut représenté dans des collections de grands personnages. Son œuvre pictural est restreint et dénote une certaine inexpérience en ce qui concerne la justesse des tonalités, paraissant voir parfois la nature de sa province à travers des souvenirs d’Italie.

Une collection riche d’œuvres de Constantin montre un torrent inspiré par la Provence, quelque peu conçu dans le goût de Salvator Rosa. C’est un paysage assez curieux, en ce sens qu’au lieu d’être exécuté avec les tons neutres, suivant la coutume de l’artiste, il s’enlève dans une tonalité délicate qui donne l’illusion d’un pastel. Il est revêtu de la signature du paysagiste provençal, ce qui prouve qu’il en fut satisfait, car Constantin signait rarement ses ouvrages .

C’est surtout dans ses dessins — dessins lavés à l’encre de Chine ou au bistre, lavés à l’encre de Chine avec rehauts de sanguine, à la sanguine et au crayon noir, à la plume —, qu’éclate la personnalité de Jean-Antoine Constantin.

L’air, l’eau, le feu, les éléments déchaînés lui ont fourni des thèmes inépuisables. Il est, par excellence, le peintre du mouvement. Nul n’a rendu avec plus de vérité l’action du mistral sur le feuillage.

Il est, par-dessus tout, le peintre du mistral.

L’Orage; le Torrent; l’Incendie de Vérone; la Forêt en feu; sont des titres d’œuvres où se révèlent avec le plus de force les sensations artistiques de Constantin.

Rien de plus mouvementé que ce tableau (ancienne collection Ricard) dans lequel on voit un ballon en flammes, des hommes anxieux, des chevaux qui se cabrent, des arbres qui se contorsionnent, sous un ciel menaçant et profond où court un troupeau de nuages fouettés par le mistral. Malheureusement, la sensation du mouvement ne correspond pas à la nature de la touche dépourvue de vigueur.

Anatomiste des arbres, notamment des arbres ébranchés, ses études à la plume et à la sanguine sont très remarquables et dénoncent le graveur qu’il fût à ses heures.

Dans la plupart de ses compositions, les arbres sont écrasants, même là où ils ne devraient intervenir qu’à l’état d’accessoire, comme le montrent Œdipe et Antigone et Les Ermites.

Il esquissait rapidement, à la mine de plomb, le sujet qui l’avait impressionné, puis il élaborait l’œuvre à la plume ou au pinceau, sans tenir grand compte de la première pensée. Si l’on pouvait pénétrer dans les dessous de ses œuvres, on pourrait voir deux dessins juxtaposés, non superposés, car il considérait l’ébauche au crayon, uniquement comme une aide-mémoire.

Ses dessins lavés au bistre et à l’encre de Chine sont des chefs-d’œuvre. Dans ce genre, il est le premier, en Provence, non seulement de son époque, mais de tous les temps. La mélodie de son clair-obscur est inimitable. La symphonie de ses ombres est pleine de charme. Magicien du gris, ses tons sont argentés et veloutés. On devine le soleil derrière les nuages. Ce ne sont pas des teintes aussi plates que ternes enfermées dans un réseau de lignes froides et sèches. Quoiqu’il eut été professeur de dessin, il avait pour la géométrie une aversion bien marquée. Son dessin est vivant, heurté et expressif, plein de sursauts rythmiques, accusés par les dominantes. Il a des modelés par hachures, des diagonales énergiques, des zigzags fiévreux, des résilles linéaires criblant l’ombre qui lui sont particuliers et qui signent, pour ainsi dire, chacun de ses dessins.

Il tenait son papier toujours humide, de sorte que lorsqu’il revenait à son travail les nouvelles teintes se fondaient avec les anciennes, dût, quelquefois, la facture devenir un peu cotonneuse.

Monticelli qui n’avait sur sa palette que quatre couleurs fut un habile coloriste. Constantin trouva le moyen d’être coloriste en broyant du noir.

D’un petit manuscrit anonyme détachons le passage suivant:

«Agé de près de 80 ans, la hardiesse est toujours la même, son pinceau court sur le papier avec emportement, laissant, ça et là, et comme au hasard, des flots d’encre et des torrents d’eau; la planche n’est qu’un chaos de noir et de blanc, mais aussitôt que l’eau se dessèche on voit apparaître distinctement les touches significatives et les images que l’artiste y a déposées... Le maître de Granet a une grande qualité interdite à nos artistes de la capitale; il est profondément ignorant. Je soutiens que sans une sainte ignorance, on ne peut rien faire dans les arts, pas plus que dans la voie du salut. Le maître de Granet ne sait rien, ne voit rien et ne veut rien voir que de belles campagnes, ce que ne lui permettent plus malheureusement deux jambes rhumatismales».

Il ne faudrait pas exagérer l’ignorance de Constantin qui, après avoir été un des plus brillants lauréats de l’Académie de peinture, de sculpture et d’architecture de Marseille (1773), alla passer trois années à Rome (1778-1781) et devint successivement directeur de l’Ecole de dessin d’Aix (1785-1792) et de celle de Digne (1798-1804). Certes, en bon décentralisateur qu’il était, il demeura insensible aux courants artistiques de la capitale; mais il serait inexact de le considérer comme ayant été uniquement un élève de la nature, un génie inconscient, comme on a osé le dire de Puget.

Pour lui, le dessin était une seconde nature; il était inséparable de sa vie. Aussi, ne faut-il pas s’étonner que ses filles, Mlles Aglaé et Françoise, de même que son fils Sébastien, soient devenus des dessinateurs habiles. Et tel est, dans sa simplicité, le caractère personnel de sa vision, qu’un œil à peine exercé peut reconnaître, tout de suite, un dessin de Constantin.

L’auteur du travail précité dit, ailleurs, avec justesse:

«Cet habile homme sait tirer un parti incroyable d’un procédé assez pauvre en lui-même; il est consommé dans la connaissance de la perspective et de tout ce qui tient à la représentation de la nature inanimée, ainsi que dans les délicatesses de l’exécution; mais ses qualités dominantes sont l’invention et la composition; il est sous ce rapport inépuisable de variété, toujours original, souvent grandiose, quelquefois sublime» .

David, de Marseille, son maître, resta toujours fidèle au style Louis XV. Constantin inaugura une atmosphère provençale, ouvrant la voie à Granet et à Loubon qui furent suivis, eux-mêmes, par Engalière, Guigou, Aiguier et la pléiade contemporaine.

Bien qu’il se soit complu à représenter la campagne romaine et des scènes de la mythologie, il a été le premier à regarder en face la nature provençale qu’il a introduite dans son œuvre, grâce à sa fidélité au sol natal . Avant lui, Joseph Vernet s’était laissé impressionner par la Provence, notamment par Marseille, mais ses œuvres, circonscrites à la marine, sont souvent impersonnelles et toujours systématiques.

Pour être véritablement personnel, un artiste doit être de son temps et de son pays.

La Fontaine de Vaucluse; la Foire en Provence; le Lancement d’une Montgolfière à Aix; la Vallée de Saint-Pons; la Vallée de l’Arc; le Château Borély; la Bastide; la Moisson en Provence; Intérieur de ferme; Vue prise de la Barben; le Pont de Saint-Chamas; le Lavoir; Environs d’Aix; Vues de Digne témoignent de cette tendance de Constantin qui a été, en quelque sorte, le père du paysage provençal.

L’Ecole provençale n’existera réellement qu’à partir du jour où les artistes puiseront leur inspiration aux sources vives de leur petite patrie et où ils cesseront d’aller demander à la capitale la consécration de leur talent.

De même que Constantin vécut pendant 44 ans au XVIIIe siècle et pendant le même nombre d’années au XIXe siècle, de même, il partagea sa vie artistique en deux parties distinctes, l’une consacrée à l’étude du passé, l’autre à l’étude du présent et de l’avenir.


Remarques sur la technique de quelques peintres provençaux

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