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III

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20 septembre.

Je reçois ta lettre. Tu es de la vraie race des amis du Monomotapa. Mais quel enfantillage! Voilà la cause de ton brusque retour! Un rien, un méchant cauchemar, qui, deux nuits de suite, te fait entendre ma voix t'appelant à mon secours. Ah! fruits amers de la détestable cuisine allemande! – Vraiment, Paul, tu es bête. Tu me dis portant des choses qui me touchent jusqu'aux larmes. Je ne saurais te répondre à mon gré. J'ai le coeur tendre et le verbe sec. Je n'ai jamais pu dire à personne: "Je vous aime." Il y a un démon jaloux qui altère sur mes lèvres toute parole de tendresse et lui donne une inflexion d'ironie. – Mais, Dieu merci, tu me connais.

Il paraît que je te fais rire quand tu me fais pleurer? Allons, tant mieux. Oui, ma noble aventure de la forêt a une suite, une suite dont je me passerais bien. Tous les malheurs dont tu me sentais menacé sont arrivés: sois donc tranquille.

Le lendemain de ce jour néfaste, je débutai par reconquérir l'estime de mes hôtes du moulin, en leur racontant de bonne grâce les plus piquants épisodes de ma course. Je les vis s'épanouir à ce récit; la femme, en particulier, se pâmait avec des convulsions atroces et des ouvertures de mâchoires formidables. Je n'ai rien vu de si hideux en ma vie que cette grosse joie de vachère.

En témoignage d'un retour de sympathie complet, le meunier me demanda si j'étais chasseur, ôta du croc de sa cheminée un long tube rouillé qui me fit penser à la carabine de Bas-de-Cuir, et me le mit entre les mains en me vantant les qualités meurtrières de cet instrument. J'acceptai sa politesse avec une apparence de vive satisfaction, n'ayant jamais eu le coeur de détromper les gens qui croient m'être agréables, et je me dirigeai vers les bois-taillis qui couvrent les collines, portant comme une lance cette arme vénérable, qui me paraissait en effet des plus dangereuses. J'allai m'asseoir dans les bruyères et je déposai le long fusil près de moi, puis je m'amusai à écarter à coups de pierre les jeunes lapins qui venaient jouer imprudemment dans le voisinage d'une machine de guerre dont je ne pouvais répondre. Grâce à ces précautions, pendant plus d'une heure que dura ma chasse, il n'arriva d'accident ni au gibier ni à moi.

A te dire vrai, j'étais bien aise de laisser passer le moment où les chasseurs du château avaient coutume de se mettre en campagne, ne me souciant pas, par un reste de vaine gloire, de me trouver sur leur passage ce jour-là. Vers deux heures de l'après-midi, je quittai mon lit de menthe et de serpolet, convaincu que je n'avais à redouter désormais aucune rencontre importune. Je remis la canardière au meunier, qui sembla un peu étonné, peut-être de me revoir les mains vides, et plus probablement de me revoir en vie. J'allai m'installer en face du portail, et j'entrepris d'achever une vue générale de la ruine, aquarelle magnifique qui doit enlever les suffrages du ministre.

J'étais profondément absorbé dans mon travail, quand je crus tout à coup entendre plus distinctement qu'à l'ordinaire ce bruit de cavalerie qui, depuis ma mésaventure, chagrinait sans cesse mes oreilles. Je me retournai avec vivacité, et j'aperçus l'ennemi à deux cents pas de moi. Il était cette fois en tenue de ville, paraissant équipé pour une simple promenade; il avait fait depuis la veille quelques recrues des deux sexes, et offrait véritablement une masse imposante. Quoique préparé de longue main à cette occurrence, je ne pus me défendre d'un certain malaise et je pestai fort contre ces désoeuvrés infatigables. Toutefois, je n'eus pas même la pensée de faire retraite; j'avais perdu le goût de la fuite pour le reste de mes jours.

A mesure que la cavalcade approchait, j'entendais des rires étouffés et des chuchotements dont le secret ne m'échappait point: je dois t'avouer qu'un grain de colère commençait à fermenter dans mon coeur, et, tout en continuant ma besogne avec l'apparence du plus vif intérêt et des poses de tête admiratives devant mon aquarelle, je prêtais à la scène qui se passait derrière moi une attention sombre et vigilante. Au surplus, l'intention définitive des promeneurs parut être de ménager mon infortune: au lieu de suivre le sentier au bord duquel j'étais établi, et qui était le chemin le plus court pour gagner les ruines, ils s'écartèrent un peu sur la droite et défilèrent en silence. Un seul d'entre eux, quittant le groupe principal, fit brusquement une pointe de côté, et vint s'arrêter à dix pas de mon atelier: quoique j'eusse le front penché sur mon dessin, je sentis, par cette étrange intuition que chacun connaît, un regard humain se fixer sur moi. Je levai les yeux d'un air d'indifférence, les rabaissant presque aussitôt: ce rapide mouvement m'avait suffi pour reconnaître dans cet observateur indiscret la jeune dame au panache bleu, cause première de mes disgrâces. Elle était là, campée sur son cheval, le menton en l'air, les yeux à demi clos, me considérant des pieds à la tête avec une insolence admirable. J'avais cru devoir d'abord, par égard pour son sexe m'abandonner sans défense à son impertinente curiosité; mais, au bout de quelques secondes, comme elle continuait son manége, je perdis patience, et, relevant la tête plus franchement, j'arrêtai mon regard sur le sien, avec une gravité polie, mais avec une profonde insistance. Elle rougit; ce que voyant, je la saluai. Elle me fit, de son côté, une légère inclination, s'éloigna au galop de chasse, et disparut sous la voûte de la vieille église. – Je demeurai ainsi maître du champ de bataille, savourant avec plaisir le triomphe de fascination que je venais de remporter sur cette petite personne, qu'il y avait assurément du mérite à décontenancer.

La promenade dans la forêt dura vingt minutes à peine, et je vis bientôt la brillante fantasia déboucher pêle-mêle hors du portail. Je feignis de nouveau une profonde abstraction; mais, cette fois encore, un cavalier se détacha de la compagnie et s'avança vers moi: c'était un homme de grande taille, qui portait un habit bleu, boutonné militairement jusqu'à la gorge. Il marchait si droit sur mon petit établissement, que je ne pus m'empêcher de lui supposer la résolution arrêtée de passer par-dessus, afin de faire rire les dames. Je le surveillai en conséquence d'un oeil furtif mais alerte, lorsque j'eus le soulagement de le voir s'arrêter à deux pas de mon tabouret, et ôter son chapeau:

– Monsieur, me dit-il d'une voix franche et pleine, voulez-vous me permettre de voir votre dessin?

Je lui rendis son salut, m'inclinai en signe d'acquiescement, et poursuivis mon travail. Après un moment de silencieuse contemplation, l'inconnu équestre laissa échapper quelques épithètes louangeuses, qui semblaient lui être arrachées par la violence de ses impressions; puis, reprenant l'allocution directe:

– Monsieur, me dit-il, permettez-moi de rendre grâces à votre talent; nous lui devrons, je n'en puis douter, la conservation de ces ruines, qui sont l'ornement de notre pays.

Je quittai aussitôt ma réserve, qui n'eût plus été qu'une bouderie enfantine, et je répondis, comme il convenait, que c'était apprécier avec beaucoup d'indulgence une ébauche d'amateur; que j'avais, au reste, le plus vif désir de sauver ces belles ruines, mais que la partie la plus sérieuse de mon travail menaçait de demeurer très-insignifiante, faute de renseignements historiques que j'avais vainement cherchés dans les archives du chef-lieu.

– Parbleu! monsieur, reprit le cavalier, vous me faites grand plaisir. J'ai dans ma bibliothèque une bonne partie des archives de l'abbaye. Venez les consulter à votre loisir. Je vous en serai reconnaissant.

Je remerciai avec embarras. – Je regrettais de n'avoir pas su cela plus tôt. Je craignais d'être rappelé à Paris par une lettre que j'attendais ce jour même. – Cependant, je m'étais levé pour faire cette réponse, dont je m'efforçais d'atténuer la mauvaise grâce par la courtoisie de mon attitude. En même temps, je prenais une idée plus nette de mon interlocuteur; c'était un beau vieillard à large poitrine, qui paraissait porter très-vertement une soixantaine d'hivers, et dont les yeux bleu clair, à fleur de tête, exprimaient la bienveillance la plus ouverte.

– Allons, allons, s'écria-t-il, parlons franc! Il vous répugne de vous mêler à cette bande d'étourdis que voilà là-bas, et que je n'ai pu empêcher hier de faire une sottise pour laquelle je vous présente mes excuses. Je me nomme le marquis de Malouet, monsieur. Au surplus, les honneurs de la journée ont été pour vous. On voulait vous voir: vous ne vouliez pas être vu. Vous avez eu le dernier mot. Qu'est-ce que vous demandez?

Je ne pus m'empêcher de rire en entendant une interprétation si favorable de ma triste équipée.

– Vous riez! reprit le vieux marquis: bravo! nous allons nous comprendre. Ah çà! qu'est-ce qui vous empêche de venir passer quelques jours chez moi? Ma femme m'a chargé de vous inviter: elle a compris par le menu tous vos ennuis d'hier. Elle a une bonté d'ange, ma femme! elle n'est plus jeune, elle est toujours malade, c'est un souffle, mais c'est un ange… Je vous logerai dans ma bibliothèque… Vous vivrez en ermite, si cela vous convient… Mon Dieu, je vois votre affaire, vous dis-je: mes étourneaux vous font peur; vous êtes un homme sérieux: je connais ce caractère-là!.. Eh bien, vous trouverez à qui parler… Ma femme est pleine d'esprit;… moi-même, je n'en manque pas… J'aime l'exercice… il est nécessaire à ma santé… Mais il ne faut pas me prendre pour une brute: diable! pas du tout! je vous étonnerai. Vous devez aimer le whist, nous le ferons ensemble; vous devez aimer à bien vivre, délicatement, j'entends, comme il sied à un homme de goût et d'intelligence… Eh bien, puisque vous appréciez la bonne chère, je suis votre homme; j'ai un cuisinier excellent… j'en ai même deux pour le quart d'heure, un qui part et l'autre qui arrive;… il y a conjonction… cela fait une lutte savante… un tournoi académique… dont vous m'aiderez à décerner le prix!.. Allons! ajouta-t-il en riant lui-même ingénument de son bavardage, voilà qui est dit, n'est-ce pas? je vous enlève.

Heureux, Paul, l'homme qui sait dire: "Non!" Seul, il est vraiment maître de son temps, de sa fortune et de son honneur. Il faut savoir dire: "Non;" même à un pauvre, même à une femme, même à un vieillard aimable, sous peine de livrer à l'aventure sa charité, sa dignité et son indépendance. Faute d'un non viril, que de misères, que de crimes, depuis Adam!

Tandis que je pesais à part moi l'invitation qui m'était adressée, ces réflexions m'assaillirent en foule; j'en connus la profonde sagesse, – et je dis: "Oui." – Oui fatal, par lequel je perdais mon paradis, échangeant une retraite complétement à mon gré, paisible, laborieuse, romanesque et libre, contre la gêne d'un séjour où la vie mondaine déploie toutes les fureurs de son insipide dissipation.

La petite comtesse

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