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Mil quatre cens cinquante et six,

Je, François Villon, escollier,

Considérant, de sens rassis,

Le frain aux dents, franc au collier,

Qu'on doit ses oeuvres conseiller,

Comme Vegèce le racompte,

Saige Romain, grand conseiller,

Ou autrement on se mescompte.

II.

En ce temps que j'ay dit devant,

Sur le Noël, morte saison,

Lorsque les loups vivent de vent,

Et qu'on se tient en sa maison,

Pour le frimas, près du tison:

Cy me vint vouloir de briser

La très amoureuse prison

Qui souloit mon cueur desbriser.

III.

Je le feis en telle façon,

Voyant Celle devant mes yeulx

Consentant à ma deffaçon,

Sans ce que jà luy en fust mieulx;

Dont je me deul et plains aux cieulx,

En requérant d'elle vengence

A tous les dieux venerieux,

Et du grief d'amours allégence.

IV.

Et, se je pense à ma faveur,

Ces doulx regrets et beaulx semblans

De très decepvante saveur,

Me trespercent jusques aux flancs:

Bien ilz ont vers moy les piez blancs

Et me faillent au grant besoing.

Planter me fault autre complant

Et frapper en un autre coing.

V.

Le regard de Celle m'a prins,

Qui m'a esté félonne et dure;

Sans ce qu'en riens aye mesprins,

Veult et ordonne que j'endure

La mort, et que plus je ne dure.

Si n'y voy secours que fouir.

Rompre veult la dure souldure,

Sans mes piteux regrets ouir!

VI.

Pour obvier à ses dangiers,

Mon mieulx est, ce croy, de partir.

Adieu! Je m'en voys à Angiers,

Puisqu'el ne me veult impartir

Sa grace, ne me departir.

Par elle meurs, les membres sains;

Au fort, je meurs amant martir,

Du nombre des amoureux saints!

VII.

Combien que le départ soit dur,

Si fault-il que je m'en esloingne.

Comme mon paouvre sens est dur!

Autre que moy est en queloingne,

Dont onc en forest de Bouloingne

Ne fut plus alteré d'humeur.

C'est pour moy piteuse besoingne:

Dieu en vueille ouïr ma clameur!

VIII.

Et puisque departir me fault,

Et du retour ne suis certain:

Je ne suis homme sans deffault,

Ne qu'autre d'assier ne d'estaing.

Vivre aux humains est incertain,

Et après mort n'y a relaiz:

Je m'en voys en pays loingtaing;

Si establiz ce présent laiz.

IX.

Premièrement, au nom du Père,

Du Filz et du Saint-Esperit,

Et de la glorieuse Mère

Par qui grace riens ne périt,

Je laisse, de par Dieu, mon bruit

A maistre Guillaume Villon,

Qui en l'honneur de son nom bruit,

Mes tentes et mon pavillon.

X.

A celle doncques que j'ay dict,

Qui si durement m'a chassé,

Que j'en suys de joye interdict

Et de tout plaisir déchassé,

Je laisse mon coeur enchassé,

Palle, piteux, mort et transy:

Elle m'a ce mal pourchassé,

Mais Dieu luy en face mercy!

XI.

Et à maistre Ythier, marchant,

Auquel je me sens très tenu,

Laisse mon branc d'acier tranchant,

Et à maistre Jehan le Cornu,

Qui est en gaige détenu

Pour ung escot six solz montant;

Je vueil, selon le contenu,

Qu'on luy livre, en le racheptant.

XII.

Item, je laisse à Sainct-Amant

Le Cheval Blanc avec la Mulle,

Et à Blaru, mon dyamant

Et l'Asne rayé qui reculle.

Et le décret qui articulle:

Omnis utriusque sexus,

Contre la Carmeliste bulle,

Laisse aux curez, pour mettre sus.

XIII.

Item, à Jehan Trouvé, bouchier,

Laisse le mouton franc et tendre,

Et ung tachon pour esmoucher

Le boeuf couronné qu'on veult vendre,

Et la vache qu'on ne peult prendre.

Le vilain qui la trousse au col,

S'il ne la rend, qu'on le puist pendre

Ou estrangler d'un bon licol!

XIV.

Et à maistre Robert Vallée,

Povre clergeon au Parlement,

Qui ne tient ne mont ne vallée,

J'ordonne principalement

Qu'on luy baille legerement

Mes brayes, estans aux trumellières,

Pour coeffer plus honestement

S'amye Jehanneton de Millières.

XV.

Pour ce qu'il est de lieu honeste,

Fault qu'il soit myeulx recompensé,

Car le Saint-Esprit l'admoneste.

Ce obstant qu'il est insensé.

Pour ce, je me suis pourpensé,

Puysqu'il n'a sens mais qu'une aulmoire,

De recouvrer sur Malpensé,

Qu'on lui baille, l'Art de mémoire.

XVI.

Item plus, je assigne la vie

Du dessusdict maistre Robert...

Pour Dieu! n'y ayez point d'envie!

Mes parens, vendez mon haubert,

Et que l'argent, ou la pluspart,

Soit employé, dedans ces Pasques,

Pour achepter à ce poupart

Une fenestre emprès Saint-Jacques.

XVII.

Derechief, je laisse en pur don

Mes gands et ma hucque de soye

A mon amy Jacques Cardon;

Le gland aussi d'une saulsoye,

Et tous les jours une grosse oye

Et ung chappon de haulte gresse;

Dix muys de vin blanc comme croye,

Et deux procès, que trop n'engresse.

XVIII.

Item, je laisse à ce jeune homme,

René de Montigny, troys chiens;

Aussi à Jehan Raguyer, la somme

De cent frans, prins sur tous mes biens;

Mais quoy! Je n'y comprens en riens

Ce que je pourray acquerir:

On ne doit trop prendre des siens,

Ne ses amis trop surquerir.

XIX.

Item, au seigneur de Grigny

Laisse la garde de Nygon,

Et six chiens plus qu'à Montigny,

Vicestre, chastel et donjon;

Et à ce malostru Changon,

Moutonnier qui tient en procès,

Laisse troys coups d'ung escourgon,

Et coucher, paix et aise, en ceps.

XX.

Et à maistre Jacques Raguyer,

Je laisse l'Abreuvoyr Popin,

Pour ses paouvres seurs grafignier;

Tousjours le choix d'ung bon lopin,

Le trou de la Pomme de pin,

Le doz aux rains, au feu la plante,

Emmailloté en jacopin;

Et qui vouldra planter, si plante.

XXI.

Item, à maistre Jehan Mautainct

Et maistre Pierre Basannier,

Le gré du Seigneur, qui attainct

Troubles, forfaits, sans espargnier;

Et à mon procureur Fournier,

Bonnetz courts, chausses semellées,

Taillées sur mon cordouennier,

Pour porter durant ces gellées.

XXII.

Item, au chevalier du guet,

Le heaulme luy establis;

Et aux pietons qui vont d'aguet

Tastonnant par ces establis,

Je leur laisse deux beaulx rubis,

La lenterne à la Pierre-au-Let.,

Voire-mais, j'auray les Troys licts,

S'ilz me meinent en Chastellet.

XXIII.

Item, à Perrenet Marchant,

Qu'on dit le Bastard de la Barre,

Pour ce qu'il est ung bon marchant,

Luy laisse trois gluyons de feurre

Pour estendre dessus la terre

A faire l'amoureux mestier,

Où il luy fauldra sa vie querre,

Car il ne scet autre mestier.

XXIV.

Item, au Loup et à Chollet,

Je laisse à la foys un canart,

Prins sous les murs, comme on souloit,

Envers les fossez, sur le tard;

Et à chascun un grand tabart

De cordelier, jusques aux pieds,

Busche, charbon et poys au lart,

Et mes housaulx sans avantpiedz.

XXV.

Derechief, je laisse en pitié,

A troys petitz enfans tous nudz,

Nommez en ce présent traictié,

Paouvres orphelins impourveuz,

Tous deschaussez, tous despourveus,

Et desnuez comme le ver;

J'ordonne qu'ils seront pourveuz,

Au moins pour passer cest yver.

XXVI.

Premièrement, Colin Laurens,

Girard Gossoyn et Jehan Marceau,

Desprins de biens et de parens,

Qui n'ont vaillant l'anse d'ung ceau,

Chascun de mes biens ung faisseau,

Ou quatre blancs, s'ilz l'ayment mieulx;

Ils mangeront maint bon morceau,

Ces enfans, quand je seray vieulx!

XXVII.

Item, ma nomination,

Que j'ay de l'Université,

Laisse par résignation,

Pour forclorre d'adversité

Paouvres clercs de ceste cité,

Soubz cest intendit contenuz:

Charité m'y a incité,

Et Nature, les voyant nudz.

XXVIII.

C'est maistre Guillaume Cotin

Et maistre Thibault de Vitry,

Deux paouvres clercs, parlans latin,

Paisibles enfans, sans estry,

Humbles, bien chantans au lectry.

Je leur laisse cens recevoir

Sur la maison Guillot Gueuldry,

En attendant de mieulx avoir.

XXIX.

Item plus, je adjoinctz à la Crosse

Celle de la rue Sainct-Anthoine,

Et ung billart de quoy on crosse,

Et tous les jours plain pot de Seine,

Aux pigons qui sont en l'essoine,

Enserrez soubz trappe volière,

Et mon mirouer bel et ydoyne,

Et la grace de la geollière.

XXX.

Item, je laisse aux hospitaux

Mes chassis tissus d'araignée;

Et aux gisans soubz les estaux,

Chascun sur l'oeil une grongnée,

Trembler à chière renffrongnée,

Maigres, velluz et morfonduz;

Chausses courtes, robbe rongnée,

Gelez, meurdriz et enfonduz.

XXXI.

Item, je laisse à mon barbier

Les rongneures de mes cheveulx,

Plainement et sans destourbier;

Au savetier, mes souliers vieulx,

Et au fripier, mes habitz tieulx

Que, quant du tout je les délaisse,

Pour moins qu'ilz ne coustèrent neufz

Charitablement je leur laisse.

XXXII.

Item, aux Quatre Mendians,

Aux Filles Dieu et aux Beguynes,

Savoureulx morceaulx et frians,

Chappons, pigons, grasses gelines,

Et puis prescher les Quinze Signes,

Et abatre pain à deux mains.

Carmes chevaulchent nos voisines,

Mais cela ne m'est que du meins.

XXXIII.

Item, laisse le Mortier d'or

A Jehan l'Espicier, de la Garde,

Et une potence à Sainct-Mor,

Pour faire ung broyer à moustarde,

Et celluy qui feit l'avant-garde,

Pour faire sur moy griefz exploitz,

De par moy sainct Anthoine l'arde!

Je ne lui lairray autre laiz.

XXXIV.

Item, je laisse à Mairebeuf

Et à Nicolas de Louvieulx,

A chascun l'escaille d'un oeuf,

Plaine de frans et d'escus vieulx,

Quant au concierge de Gouvieulx,

Pierre Ronseville, je ordonne,

Pour luy donner encore mieulx,

Escus telz que prince les donne.

XXXV.

Finalement, en escrivant,

Ce soir, seullet, estant en bonne,

Dictant ces laiz et descripvant,

Je ouyz la cloche de Sorbonne,

Qui tousjours à neuf heures sonne

Le Salut que l'Ange prédit;

Cy suspendy et cy mis bonne,

Pour pryer comme le cueur dit.

XXXVI.

Cela fait, je me entre-oubliai,

Non pas par force de vin boire,

Mon esperit comme lié;

Lors je senty dame Mémoire

Rescondre et mectre en son aulmoire

Ses espèces collaterales,

Oppinative faulce et voire,

Et autres intellectualles.

XXXVII.

Et mesmement l'extimative,

Par quoy prospérité nous vient;

Similative, formative,

Desquelz souvent il advient

Que, par l'art trouvé, hom devient

Fol et lunaticque par moys:

Je l'ay leu, et bien m'en souvient,

En Aristote aucunes fois.

XXXVIII.

Doncques le sensif s'esveilla

Et esvertua fantasie,

Qui tous argeutis resveilla,

Et tint souveraine partie,

En souppirant, comme amortie,

Par oppression d'oubliance,

Qui en moy s'estoit espartie

Pour montrer des sens l'alliance.

XXXIX.

Puis, mon sens qui fut à repos

Et l'entendement desveillé,

Je cuide finer mon propos;

Mais mon encre estoit gelé,

Et mon cierge estoit souflé.

De feu je n'eusse pu finer.

Si m'endormy, tout enmouflé,

Et ne peuz autrement finer.

XL

Fait au temps de ladicte date,

Par le bon renommé Villon,

Qui ne mange figue ne date;

Sec et noir comme escouvillon,

Il n'a tente ne pavillon

Qu'il n'ayt laissé à ses amys,

Et n'a mais qu'un peu de billon,

Qui sera tantost à fin mys.

CY FINE LE TESTAMENT VILLON.


CY COMMENCE LE GRANT TESTAMENT

DE

FRANÇOIS VILLON

FAIT EN 1461.

I.

En l'an trentiesme de mon aage,

Que toutes mes hontes j'eu beues,

Ne du tout fol, ne du tout sage.

Nonobstant maintes peines eues,

Lesquelles j'ay toutes receues

Soubz la main Thibault d'Aussigny.

S'evesque il est, seignant les rues,

Qu'il soit le mien je le regny!

II.

Mon seigneur n'est, ne mon evesque;

Soubz luy ne tiens, s'il n'est en friche;

Foy ne luy doy, ne hommage avecque;

Je ne suis son serf ne sa biche.

Peu m'a d'une petite miche

Et de froide eau, tout ung esté.

Large ou estroit, moult me fut chiche.

Tel luy soit Dieu qu'il m'a esté.

III.

Et, s'aucun me vouloit reprendre

Et dire que je le mauldys,

Non fais, si bien me sçait comprendre,

Et rien de luy je ne mesdys.

Voycy tout le mal que j'en dys:

S'il m'a esté misericors,

Jésus, le roy de paradis,

Tel luy soit à l'âme et au corps!

IV.

S'il m'a esté dur et cruel

Trop plus que cy ne le racompte,

Je vueil que le Dieu éternel

Luy soit doncq semblable, à ce compte!...

Mais l'Eglise nous dit et compte

Que prions pour nos ennemis;

Je vous dis que j'ay tort et honte:

Tous ses faictz soient à Dieu remis!

V.

Si prieray Dieu de bon cueur,

Pour l'âme du bon feu Cotard.

Mais quoy! ce sera doncq par cueur,

Car de lire je suys faitard.

Prière en feray de Picard;

S'il ne le sçait, voise l'apprandre,

S'il m'en croyt, ains qu'il soit plus tard

A Douay, ou à Lysle en Flandre!

VI.

Combien souvent je veuil qu'on prie

Pour luy, foy que doy mon baptesme,

Obstant qu'à chascun ne le crye,

Il ne fauldra pas à son esme.

Au Psaultier prens, quand suys à mesme,

Qui n'est de beuf ne cordoen,

Le verset escript le septiesme

Du psaulme de Deus laudem.

VII.

Si pry au benoist Filz de Dieu,

Qu'à tous mes besoings je reclame,

Que ma pauvre prière ayt lieu

Verz luy, de qui tiens corps et ame,

Qui m'a préservé de maint blasme

Et franchy de vile puissance.

Loué soit-il, et Nostre-Dame,

Et Loys, le bon roy de France!

VIII.

Auquel doint Dieu l'heur de Jacob,

De Salomon l'honneur et gloire;

Quant de prouesse, il en a trop;

De force aussi, par m'ame, voire!

En ce monde-cy transitoire,

Tant qu'il a de long et de lé;

Affin que de luy soit memoire,

Vive autant que Mathusalé!

IX.

Et douze beaulx enfans, tous masles,

Veoir, de son très cher sang royal,

Aussi preux que fut le grand Charles,

Conceuz en ventre nuptial,

Bons comme fut sainct Martial.

Ainsi en preigne au bon Dauphin;

Je ne luy souhaicte autre mal,

Et puys paradis à la fin.

X.

Pour ce que foible je me sens,

Trop plus de biens que de santé,

Tant que je suys en mon plain sens,

Si peu que Dieu m'en a presté,

Car d'autre ne l'ay emprunté,

J'ay ce Testament très estable

Faict, de dernière voulenté,

Seul pour tout et irrévocable:

XI.

Escript l'ay l'an soixante et ung,

Que le bon roy me délivra

De la dure prison de Mehun,

Et que vie me recouvra,

Dont suys, tant que mon cueur vivra,

Tenu vers luy me humilier,

Ce que feray jusqu'il mourra:

Bienfaict ne se doibt oublier.

Icy commence Villon à entrer en matière

pleine d'erudition et de bon sçavoir.

XII.

Or est vray qu'après plaingtz et pleurs

et angoisseux gemissemens,

Après tristesses et douleurs,

Labeurs et griefz cheminemens,

Travail mes lubres sentemens,

Esguisez comme une pelote,

M'ouvrist plus que tous les Commens

D'Averroys sur Aristote.

XIII.

Combien qu'au plus fort de mes maulx,

En cheminant sans croix ne pile,

Dieu, qui les Pellerins d'Esmaus

Conforta, ce dit l'Evangile,

Me montra une bonne ville

Et pourveut du don d'espérance;

Combien que le pecheur soit vile,

Riens ne hayt que persévérance.

XIV.

Je suys pécheur, je le sçay bien;

Pourtant Dieu ne veult pas ma mort,

Mais convertisse et vive en bien;

Mieulx tout autre que péché mord,

Soye vraye voulenté ou enhort,

Dieu voit, et sa miséricorde,

Se conscience me remord,

Par sa grace pardon m'accorde.

XV.

Et, comme le noble Romant

De la Rose dit et confesse

En son premier commencement,

Qu'on doit jeune cueur, en jeunesse,

Quant on le voit vieil en vieillesse,

Excuser; helas! il dit voir.

Ceulx donc qui me font telle oppresse,

En meurté ne me vouldroient veoir.

XVI.

Se, pour ma mort, le bien publique

D'aucune chose vaulsist myeulx,

A mourir comme ung homme inique

Je me jugeasse, ainsi m'aid Dieux!

Grief ne faiz à jeune ne vieulx,

Soye sur pied ou soye en bière:

Les montz ne bougent de leurs lieux,

Pour un paouvre, n'avant, n'arrière.

XVII.

Au temps que Alexandre regna,

Ung hom, nommé Diomedès,

Devant luy on luy amena,

Engrillonné poulces et detz

Comme ung larron; car il fut des

Escumeurs que voyons courir.

Si fut mys devant le cadès,

Pour estre jugé à mourir.

XVIII.

L'empereur si l'arraisonna:

«Pourquoy es-tu larron de mer?»

L'autre, responce luy donna:

«Pourquoy larron me faiz nommer?

«Pour ce qu'on me voit escumer

«En une petiote fuste?

«Se comme toy me peusse armer,

«Comme toy empereur je fusse.

XIX.

«Mais que veux-tu! De ma fortune,

«Contre qui ne puis bonnement,

«Qui si durement m'infortune,

«Me vient tout ce gouvernement.

«Excuse-moy aucunement,

«Et sçaches qu'en grand pauvreté

«(Ce mot dit-on communément)

«Ne gist pas trop grand loyaulté.»

XX.

Quand l'empereur eut remiré

De Diomedès tout le dict:

«Ta fortune je te mueray,

«Mauvaise en bonne!» ce luy dit.

Si fist-il. Onc puis ne mesprit

A personne, mais fut vray homme;

Valère, pour vray, le rescript,

Qui fut nommé le grand à Romme.

XXI.

Se Dieu m'eust donné rencontrer

Ung autre piteux Alexandre,

Qui m'eust faict en bon heur entrer,

Et lors qui m'eust veu condescendre

A mal, estre ars et mys en cendre

Jugé me fusse de ma voix.

Nécessité faict gens mesprendre,

Et faim saillir le loup des boys.

XXII.

Je plaings le temps de ma jeunesse,

Ouquel j'ay plus qu'autre gallé,

Jusque à l'entrée de vieillesse,

Qui son partement m'a celé.

Il ne s'en est à pied allé,

N'a cheval; las! et comment donc?

Soudainement s'en est voilé,

Et ne m'a laissé quelque don.

XXIII.

Allé s'en est, et je demeure,

Pauvre de sens et de sçavoir,

Triste, failly, plus noir que meure,

Qui n'ay ne cens, rente, n'avoir;

Des miens le moindre, je n'y voir,

De me desadvouer s'avance,

Oublyans naturel devoir,

Par faulte d'ung peu de chevance.

XXIV.

Si ne crains avoir despendu,

Par friander et par leschier;

Par trop aimer n'ay riens vendu,

Que nuls me puissent reprouchier.

Au moins qui leur couste trop cher.

Je le dys, et ne croys mesdire.

De ce ne me puis revencher:

Qui n'a méfiait ne le doit dire.

XXV.

Est vérité que j'ay aymé

Et que aymeroye voulentiers;

Mais triste cueur, ventre affamé,

Qui n'est rassasié au tiers,

Me oste des amoureux sentiers.

Au fort, quelqu'un s'en recompense,

Qui est remply sur les chantiers,

Car de la panse vient la danse.

XXVI.

Bien sçay se j'eusse estudié

Ou temps de ma jeunesse folle,

Et à bonnes meurs dedié,

J'eusse maison et couche molle!

Mais quoy? je fuyoye l'escolle,

Comme faict le mauvays enfant...

En escrivant ceste parolle,

A peu que le cueur ne me fend.

XXVII.

Le dict du Saige est très beaulx dictz,

Favorable, et bien n'en puis mais,

Qui dit: «Esjoys-toy, mon filz,

A ton adolescence; mais

Ailleurs sers bien d'ung autre mectz,

Car jeunesse et adolescence

(C'est son parler, ne moins ne mais)

Ne sont qu'abbus et ignorance.»

XXVIII.

Mes jours s'en sont allez errant,

Comme, dit Job, d'une touaille

Sont les filetz, quant tisserant

Tient en son poing ardente paille:

Lors, s'il y a nul bout qui saille,

Soudainement il le ravit.

Si ne crains rien qui plus m'assaille,

Car à la mort tout assouvyst.

XXIX.

Où sont les gratieux gallans

Que je suyvoye au temps jadis,

Si bien chantans, si bien parlans,

Si plaisans en faictz et en dictz?

Les aucuns sont mortz et roydiz;

D'eulx n'est-il plus rien maintenant.

Respit ils ayent en paradis,

Et Dieu saulve le remenant!

XXX.

Et les aucuns sont devenuz,

Dieu mercy! grans seigneurs et maistres,

Les autres mendient tous nudz,

Et pain ne voyent qu'aux fenestres;

Les autres sont entrez en cloistres;

De Celestins et de Chartreux,

Bottez, housez, com pescheurs d'oystres:

Voilà l'estat divers d'entre eulx.

XXXI.

Aux grans maistres Dieu doint bien faire

Vivans en paix et en requoy.

En eulx il n'y a que refaire;

Si s'en fait bon taire tout quoy.

Mais aux pauvres qui n'ont de quoy,

Comme moy, Dieu doint patience;

Aux aultres ne fault qui ne quoy,

Car assez ont pain et pitance.

XXXII.

Bons vins ont, souvent embrochez,

Saulces, brouetz et gros poissons;

Tartres, flans, oeufz fritz et pochez,

Perduz, et en toutes façons.

Pas ne ressemblent les maçons,

Que servir fault à si grand peine;

Ils ne veulent nulz eschançons,

Car de verser chascun se peine.

XXXIII.

En cest incident me suys mys,

Qui de rien ne sert à mon faict.

Je ne suys juge, ne commis,

Pour punyr n'absouldre meffaict.

De tous suys le plus imparfaict.

Loué soit le doulx Jésus-Christ!

Que par moy leur soit satisfaict!

Ce que j'ay escript est escript.

XXXIV.

Laissons le monstier où il est;

Parlons de chose plus plaisante.

Ceste matière à tous ne plaist:

Ennuyeuse est et desplaisante.

Pauvreté, chagrine et dolente,

Tousjours despiteuse et rebelle,

Dit quelque parolle cuysante;

S'elle n'ose, si le pense-elle.

XXXV.

Pauvre je suys de ma jeunesse,

De pauvre et de petite extrace.

Mon pere n'eut oncq grand richesse.

Ne son ayeul, nommé Erace.

Pauvreté tous nous suyt et trace.

Sur les tumbeaulx de mes ancestres,

Les ames desquelz Dieu embrasse,

On n'y voyt couronnes ne sceptres.

XXXVI.

De pouvreté me guermentant,

Souventesfoys me dit le cueur:

«Homme, ne te doulouse tant

Et ne demaine tel douleur,

Se tu n'as tant qu'eust Jacques Cueur.

Myeulx vault vivre soubz gros bureaux

Pauvre, qu'avoir esté seigneur

Et pourrir soubz riches tumbeaux!»

XXXVII.

Qu'avoir esté seigneur!... Que dys?

Seigneur, lasse! ne l'est-il mais!

Selon ce que d'aulcun en dict,

Son lieu ne congnoistra jamais.

Quant du surplus, je m'en desmectz.

Il n'appartient à moy, pécheur;

Aux théologiens le remectz,

Car c'est office de prescheur.

XXXVIII.

Si ne suys, bien le considère,

Filz d'ange, portant dyadème

D'etoille ne d'autre sydère.

Mon père est mort, Dieu en ayt l'ame,

Quant est du corps, il gyst soubz lame...

J'entends que ma mère mourra,

Et le sçait bien, la pauvre femme;

Et le filz pas ne demourra.

XXXIX.

Je congnoys que pauvres et riches,

Sages et folz, prebstres et laiz,

Noble et vilain, larges et chiches,

Petitz et grans, et beaulx et laidz,

Dames à rebrassez colletz,

De quelconque condicion,

Portant attours et bourreletz,

Mort saisit sans exception.

XL.

Et mourut Paris et Hélène.

Quiconques meurt, meurt à douleur.

Celluy qui perd vent et alaine,

Son fiel se crève sur son cueur,

Puys sue Dieu sçait quelle sueur!

Et n'est qui de ses maulx l'allège:

Car enfans n'a, frère ne soeur,

Qui lors voulsist estre son pleige.

XLI.

La mort le faict frémir, pallir,

Le nez courber, les veines tendre,

Le col enfler, la chair mollir,

Joinctes et nerfs croistre et estendre.

Corps féminin, qui tant est tendre,

Polly, souef, si precieulx,

Te faudra-il ces maulx attendre?

Ouy, ou tout vif aller ès cieulx.

BALLADE

DES DAMES DU TEMPS JADIS.

Dictes-moy où, n'en quel pays,

Est Flora, la belle Romaine;

Archipiada, ne Thaïs,

Qui fut sa cousine germaine;

Echo, parlant quand bruyt on maine

Dessus rivière ou sus estan,

Qui beauté eut trop plus qu'humaine?

Mais où sont les neiges d'antan!

Où est la très sage Heloïs,

Pour qui fut chastré et puis moyne

Pierre Esbaillart à Sainct-Denys?

Pour son amour eut cest essoyne.

Semblablement, où est la royne

Qui commanda que Buridan

Fust jetté en ung sac en Seine?

Mais où sont les neiges d'antan!

La royne Blanche comme ung lys,

Qui chantoit à voix de sereine;

Berthe au grand pied, Bietris, Allys;

Harembourges, qui tint le Mayne,

Et Jehanne, la bonne Lorraine,

Qu'Anglois bruslèrent à Rouen;

Où sont-ilz, Vierge souveraine?...

Mais où sont les neiges d'antan!

ENVOI

Prince, n'enquerez de sepmaine

Où elles sont, ne de cest an,

Que ce refrain ne vous remaine:

Mais où sont les neiges d'antan!

BALLADE

DES SEIGNEURS DU TEMPS JADIS

Suyvant le propos précèdent.

Qui plus? Où est le tiers Calixte,

Dernier decedé de ce nom,

Qui quatre ans tint le Papaliste?

Alphonse, le roy d'Aragon,

Le gracieux duc de Bourbon,

Et Artus, le duc de Bretaigne,

Et Charles septiesme, le Bon?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

Semblablement, le roy Scotiste,

Qui demy-face eut, ce dit-on,

Vermeille comme une amathiste

Depuys le front jusqu'au menton?

Le roy de Chypre, de renom;

Hélas! et le bon roy d'Espaigne,

Duquel je ne sçay pas le nom?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

D'en plus parler je me désiste;

Ce n'est que toute abusion.

Il n'est qui contre mort résiste,

Ne qui treuve provision.

Encor fais une question:

Lancelot, le roy de Behaigne,

Où est-il? Où est son tayon?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

ENVOI.

Où est Claquin, le bon Breton?

Où le comte Daulphin d'Auvergne,

Et le bon feu duc d'Alençon?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

BALLADE

A ce propos, en vieil françois.

Mais où sont ly sainctz apostoles,

D'aulbes vestuz, d'amys coeffez,

Qui sont ceincts de sainctes estoles,

Dont par le col prent ly mauffez,

De maltalent tout eschauffez?

Aussi bien meurt tilz que servans;

De ceste vie sont bouffez:

Autant en emporte ly vens.

Voire, où sont de Constantinobles

L'emperier aux poings dorez,

Ou de France ly roy tresnobles,

Sur tous autres roys décorez.

Qui, pour ly grand Dieux adorez,

Bastist eglises et convens?

S'en son temps il fut honorez,

Autant en emporte ly vens.

Où sont de Vienne et de Grenobles

Ly Daulphin, ly preux, ly senez?

Où, de Dijon, Sallins et Dolles,

Ly sires et ly filz aisnez?

Où autant de leurs gens privez,

Heraulx, trompettes, poursuyvans?

Ont-ilz bien bouté soubz le nez?...

Autant en emporte ly vens.

ENVOI.

Princes à mort sont destinez,

Et tous autres qui sont vivans;

S'ils en sont coursez ou tennez,

Autant en emporte ly vens.

XLII.

Puys que papes, roys, filz de roys,

Et conceuz en ventres de roynes,

Sont enseveliz, mortz et froidz,

En aultruy mains passent leurs resnes;

Moy, pauvre mercerot de Renes,

Mourray-je pas? Ouy, se Dieu plaist;

Mais que j'aye faict mes estrenes,

Honneste mort ne me desplaist.

XLIII.

Ce monde n'est perpetuel,

Quoy que pense riche pillart;

Tous sommes soubz coutel mortel.

Ce confort prent pauvre vieillart,

Lequel d'estre plaisant raillart

Eut le bruyt, lorsque jeune estoit,

Qu'on tiendrait à fol et paillait,

Se, vieil, à railler se mettoit.

XLIV.

Or luy convient-il mendier,

Car à ce force le contraint.

Regrette huy sa mort, et hier;

Tristesse son cueur si estrainct,

Souvent, se n'estoit Dieu qu'il crainct,

Il feroit un horrible faict.

Si advient qu'en ce Dieu enfrainct,

Et que luy-mesmes se deffaict.

XLV.

Car, s'en jeunesse il fut plaisant,

Ores plus rien ne dit qui plaise.

Tousjours vieil synge est desplaisant:

Moue ne faict qui ne desplaise.

S'il se taist, affin qu'il complaise,

Il est tenu pour fol recreu;

S'il parle, on luy dit qu'il se taise.

Et qu'en son prunier n'a pas creu.

XLVI.

Aussi, ces pauvres femmelettes,

Qui vieilles sont et n'ont de quoy,

Quand voyent jeunes pucellettes

En admenez et en requoy,

Lors demandent à Dieu pourquoy

Si tost nasquirent, n'a quel droit?

Notre Seigneur s'en taist tout coy,

Car, au tanser, il le perdroit.

LES REGRETS

DE LA BELLE HEAULMIÈRE

Jà parvenue à vieillesse.

Advis m'est que j'oy regretter

La belle qui fut heaulmière,

Soy jeune fille souhaitter

Et parler en ceste manière:

«Ha! vieillesse felonne et fière,

Pourquoy m'as si tost abatue?

Qui me tient que je ne me fière,

Et qu'à ce coup je ne me tue?

«Tollu m'as ma haulte franchise

Que beauté m'avoit ordonné

Sur clercz, marchans et gens d'Eglise:

Car alors n'estoit homme né

Qui tout le sien ne m'eust donné,

Quoy qu'il en fust des repentailles,

Mais que luy eusse abandonné

Ce que reffusent truandailles.

«A maint homme l'ay reffusé,

Qui n'estoit à moy grand saigesse,

Pour l'amour d'ung garson rusé,

Auquel j'en feiz grande largesse.

A qui que je feisse finesse,

Par m'ame, je l'amoye bien!

Or ne me faisoit que rudesse,

Et ne m'amoyt que pour le mien.

«Jà ne me sceut tant detrayner,

Fouller au piedz, que ne l'aymasse,

Et m'eust-il faict les rains trayner,

S'il m'eust dit que je le baisasse

Et que tous mes maux oubliasse;

Le glouton, de mal entaché,

M'embrassoit... J'en suis bien plus grasse!

Que m'en reste-il? Honte et péché.

«Or il est mort, passé trente ans,

Et je remains vieille et chenue.

Quand je pense, lasse! au bon temps,

Quelle fus, quelle devenue;

Quand me regarde toute nue,

Et je me voy si très-changée,

Pauvre, seiche, maigre, menue,

Je suis presque toute enragée.

Œuvres complètes de François Villon

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