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PRÉFACE

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Afin de préciser les intentions que j’ai eues en faisant représenter «La Kommandantur» à Paris, en avril 1915, je crois utile de publier ici la lettre que j’adressai à M. Adolphe Brisson en réponse à l’article qu’il avait écrit sur ma pièce dans son feuilleton du «Temps» :

«Monsieur et cher confrère,

«C’est à vos sentiments de courtoisie — et je puis dire, n’est-ce pas, de cordiale confraternité ? — que je m’adresse pour vous demander la permission d’expliquer aux lecteurs du Temps quel but j’ai poursuivi en faisant représenter au Gymnase La Kommandantur.

«Croyez bien que jamais je ne me serais permis d’entrer publiquement en discussion avec vous s’il ne s’était agi que d’une critique exclusivement littéraire; mais, cette fois, les circonstances tragiques que nous traversons ont voulu que l’on discutât bien plus l’opportunité des représentations de ma pièce que ma pièce elle-même.

«Certains ont été d’avis que, précisément en temps de guerre, c’était de guerre qu’il fallait parler; d’autres, parmi lesquels vous êtes, ont estimé qu’il était fâcheux qu’on étalât sur une scène nos misères actuelles. C’est surtout ce reproche-là qui me peine, car il démontre qu’on a méconnu mes intentions, sans doute de la meilleure foi du monde.

«Lorsqu’on novembre j’ai quitté Bruxelles, après bien des aventures dont vous n’êtes pas sans avoir entendu parler, je me suis rendu en Hollande. Là, l’esprit empli de souvenirs tragiques, les oreilles bourdonnantes encore des chants de triomphe des Allemands dans ma ville natale, hanté par la vision des théories de pauvres gens fuyant Liège, Louvain, Aerschot, Malines, le cœur gonflé d’admiration pour le sang-froid, le courage et la dignité silencieuse de mes concitoyens, j’ai songé à dire toute leur vaillance, à montrer la grandeur et la noblesse de leur attitude. Nos poètes l’avaient fait, avec quelle beauté ! Nos orateurs avaient imité leur exemple; je pensais qu’à mon tour il m’aurait été permis de le tenter... Ma façon, à moi, de m’exprimer, c’est le théâtre! Que voulez-vous? c’est mon métier! Alors, pieusement — oui, cher monsieur, pieusement — j’ai écrit La Kommandantur.

«Je n’ai touché à la douleur des miens qu’avec des mains tremblantes d’émotion, avec le souci d’être juste et véridique, et de montrer mes compatriotes tels qu’ils étaient, exprimant leur patriotisme avec leur simplicité coutumière et leur héroïsme sans phrases, sans lyrisme, leur héroïsme ingénu, dirai-je, tant il avait la pudeur de sa grâce.

«Et, tenez, me permettrez-vous de rappeler celte scène du premier acte, où mon vieux Jadot exprime l’amour qu’il a pour son pays?

«Oui, Thérèse, dit-il, je t’aime bien, et les petits aussi. Jusqu’à

«présent, j’étais même certain que c’était toi que j’aimais le plus au

«monde. Quand nous avons perdu notre fils Henri, j’ai cru que je

«mourrais de chagrin; alors, ta tendresse, la tendresse de Catherine...

«le petit Lucien... tout cela a fait que je me suis consolé !... Mais

«vois-tu, maintenant, je sens qu’au-dessus de toi, de Catherine et de

«Lucien, il y a quelque chose de plus grand, quelque chose qui contient

«tout cela, qui est tout cela, avec notre maison, les champs

«qui sont autour de la forme où je suis né, où nous nous sommes

«fiancés, les mauvais jours que nous avons passés, nos joies, nos

«douleurs; quelque chose, enfin, qui est tout ce que nous avons

» aimé, tout ce que nous avons souffert; quelque chose qui est dans

«ton cœur, qui est dans mon cœur, dans tous nos cœurs, et qui y

«est depuis toujours, sans même que nous le sachions... C’est notre

«pauvre pays! Eh bien, oui, mon Dieu, notre patrie!

«Tu te souviens comme Henri se moquait de moi, parfois — gentiment,

«oh! gentiment — quand je parlais du drapeau ou quand il me

«voyait mettre ma belle redingote des dimanches pour allor, à la

«place des Martyrs, aux fêtes de septembre? Je sentais bien qu’il

» trouvait ça un peu ridicule, un peu «vieux genre», si tu veux... C’est

» qu’il no savait pas, vois-tu! Il était comme l’enfant qui n’a jamais

«vu sa mère malade, et qui s’est imaginé qu’elle ne mourrait

«jamais!»

«Ce sont ces sentiments-là, mon cher monsieur Brisson, que j’avais tenu à exprimer dans ma pièce. Oui, presque tous, en Belgique, nous étions, avant cette guerre, comme le fils de Jadot. A force de nous sentir heureux, en sécurité chez nous, nous en étions arrivés à sourire parfois, lorsque nous assistions à des cérémonies d’un chauvinisme que notre neutralité semblait peu justifier. Aujourd’hui, c’est autre chose: j’ai assisté à Bruxelles au réveil émouvant de ces sentiments qu’exprime Jadot, j’ai admiré — avec quelle piété ! — le courage des humbles, la générosité des riches; j’ai entendu la foule murmurer La Marseillaise derrière le corbillard d’un soldat français escorté par trois soldats allemands; j’ai vécu à côté de Jadot les heures d’angoisse qu’il a passées à la kommandantur, tandis que, tous deux, nous nous attendions à être fusillés d’un instant à l’autre; j’ai connu Spieckaert et Klache den Door; j’ai vu leur vaillance, j’ai recueilli la promesse qu’ils m’ont faite d’aller rejoindre nos armées s’ils étaient rendus à la liberté.

«J’ai pensé que tout cela, il était bon de le dire, de le montrer à nos amis d’Angleterre et de France, afin qu’ils sachent que ceux qui sont restés là-bas, dans nos villes occupées, nos contrées envahies, n’ont pas changé, sont restés les ennemis irréconciliables des Allemands, et ne leur dissimulent ni leur haine ni leur dégoût, dussent-ils y perdre la liberté ou la vie.

«Ce qui m’avait encouragé à faire jouer La Kommandantur à Paris, après l’avoir fait jouer à Londres, c’est que la presse anglaise avait loué ma pièce unanimement et sans réserves, c’est que mes amis d’Angleterre, de Belgique, et puis ceux de France auxquels je l’avais lue, l’avaient trouvée saine et utile, et que personne, vous m’entendez, cher monsieur, personne, ne m’avait mis en garde contre le péril que vous me signalez dans votre article. Si, pourtant, quelqu’un l’avait prévu: M. le préfet de police, dont j’admire le sens des réalités, et qui n’a cédé, d’ailleurs, que sur les raisons patriotiques que je lui ai données.

«Veuillez, mon cher confrère, ne trouver dans cette lettre aucune amertume, ni surtout aucune récrimination. J’ai tenu à vous dire l’unique but que j’avais poursuivi en demandant à M. Franck de monter La Kommandantur au Gymnase. Ce but, je le lui avais révélé, il l’avait compris et l’avait approuvé, ce dont je lui suis infiniment reconnaissant.

«Sans doute nous avons eu tort, puisque d’excellents Français, d’ardents patriotes comme vous, ont été choqués du spectacle de nos douleurs, trop vives encore. Avouez cependant que je pouvais me faire des illusions, puisque pendant les deux mois que ma pièce a été jouée, en français, à Londres, je n’ai entendu aucune note discordante. «Vérité en deçà des monts, erreur au delà.» On devrait toujours relire Pascal, mon cher monsieur Brisson!

«Pardon, mon cher confrère, d’avoir pris de votre temps et de votre place, et merci pour l’extrême galanterie que vous ne manquerez pas d’avoir vis-à-vis d’un confrère qui s’est peut-être trompé sur le choix d’un moment, mais qui a l’excuse de l’avoir fait avec les meilleures intentions du monde, et à une époque où il est tellement difficile de savoir exactement le théâtre qu’il convient de faire qu’en fin de compte il vaut mieux, peut-être, n’en pas faire du tout.

«Veuillez agréer, mon cher monsieur Brisson, mes salutations les plus confraternellement empressées.

«JEAN-FRANÇOIS FONSON.

«P.-S. — Quelqu’un dans la presse a été jusqu’à dire que j’avais «renié. mon prénom de Frantz. Voici pourquoi j’ai repris les deux prénoms qui se trouvent sur mon acte de naissance: pendant que j’étais à Bruxelles, au moment de l’occupation, j’entendais à chaque instant des Allemands qui, dans la rue, s’appelaient du nom de Fritz ou de celui de Frantz; ces noms me sont devenus insupportables. C’était bien simple, pourtant

Avec une courtoisie à laquelle je me plais à rendre hommage, M. Brisson inséra cette lettre dans sa chronique théâtrale du 24 mai 1915, et la fit suivre de commentaires que je crois devoir publier également:

«Je n’ajouterai que quelques mots à ces explications. Je ne crois pas que la sincérité et le désintéressement de M. Fonson puissent être mis en doute: tout ce qu’il possède à Bruxelles est aux mains des Allemands; la vivacité agressive de son œuvre l’expose à de faciles et dures représailles. Cette menace ne l’a pas empêché de dire toute sa pensée sur l’opprimé et sur l’oppresseur, de peindre, tels qu’il les avait vus, le Boche sournois, brutal et féroce, le Belge indépendant, fier, irréductible, d’opposer à l’orgueilleuse et lourde suffisance de l’un la fermeté sans pose, la bonhomie goguenarde, l’humeur caustique et gaie de l’autre, l’ironie bruxelloise au despotisme germain. Les intentions de M. Fonson étaient pures, et nul, qu’il le sache bien, ne s’y est mépris. Son drame pathétique, indigné, familier et coloré conquit le public anglais, obtint de lui un accueil dont la presse de Londres, unanime à le louer, nous apporta l’écho chaleureux. M. Fonson ne trouva pas moins de sympathie auprès de ses compatriotes qui lui sont reconnaissants d’avoir si cordialement plaidé leur cause. Il espérait, que dis-je? il était sûr de rencontrer en France cette même approbation. Jugez de son étonnement, de son chagrin: un courant d’indifference et d’hostilité, qu’elle ne parvint pas à remonter, se forma contre la pièce. On l’écouta, on l’applaudit; on ne contesta point son mérite, on apprécia l’excellence de son but, et, toutefois, on la déclara inopportune. La critique fut plutôt maussade, la foule se montra peu empressée. M. Fonson aurait tort d’attribuer cette froideur à quelque hostilité préconçue. J’ai essayé ici même d’en démêler les raisons. Notre sensibilité répugne à accepter certains spectacles qui l’impressionnent trop vivement. L’auteur allègue l’empressement, exempt d’embarras, que le spectateur anglais lui a témoigné. Mais les Anglais sont plus éloignés que nous ne le sommes des souffrances et des misères de l’invasion; ils y compatissent d’une façon plus détachée, plus lointaine, par l’imagination et le cœur; leur sol est inviolé ; ils n’ont pas comme nous un morceau de chair pris et déchiré dans le formidable engrenage de la guerre... M. Fonson fait encore observer que d’excellents Français, d’ardents patriotes, ayant lu son ouvrage, n’y ont rien relevé de répréhensible et y ont puisé, au contraire, une réconfortante et salutaire émotion. Ces mêmes personnes, assises coude à coude devant la rampe, n’auraient-elles pas été affectées différemment? La scène imprime aux mots, aux gestes et aux visages un relief inattendu. Le lecteur réfléchit, il analyse et contrôle ses sensations; l’auditeur s’y abandonne, il ne réagit pas et suit l’irrésistible impulsion du premier mouvement. C’est ainsi que se constitue autour des ouvrages dramatiques cette atmosphère qui décide de leur sort. L’atmosphère ne fut point favorable à La Kommandantur. Nous éprouvions une gêne indéfinissable: le malaise de contempler, en témoins curieux et non exposés, des misères actuellement subies; nous avions la petite honte de notre sécurité et de notre amusement; nous avions enfin le sentiment que le réalisme de ces tableaux nous attristait sans utilité, sans profit moral, nous remuait sans nous ennoblir. La tentative nous semblait, non pas irrespectueuse, blessante ou inintéressante, mais prématurée. Nous rendions pleine justice à M. Fonson, nous eussions voulu lui apporter notre adhésion entière. Tout le monde, en cette aventure, a été de bonne foi...»

Adolphe BRISSON.

Je suis persuadé, en effet, que presque tout le monde, en cette aventure, a été de bonne foi.

Quant à moi, j’ai la conviction d’avoir fait œuvre patriotique et saine en écrivant «La Kommandantur» qui est un cri d’admiration pour mes compatriotes restés fiers et indomptés sous la botte allemande. Ce cri, je ne l’ai pas poussé «en témoin curieux, et non exposé, des misères actuellement subies», mais en acteur qui a souffert, parmi ses concitoyens, toutes les avanies, toutes les cruautés d’un ennemi implacable.

Au reste, le public jugera, et c’est bien humblement, mais sans que je m’adresse le moindre reproche et sans que m’émeuve la moindre inquiétude de conscience, que je soumets cette œuvre à son jugement.

JEAN-FRANÇOIS FONSON.

Paris, le 5 janvier 1917.

La Kommandantur

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