Читать книгу Mes Origines; Mémoires et Récits de Frédéric Mistral - Frédéric Mistral - Страница 8

LES ROIS MAGES

Оглавление

Table des matières

A la rencontre des Rois. -- La crèche. -- Les sornettes

maternelles. -- Dame Renaude. -- Les hantises de la nuit. -- Le

cheval de Cambaud. -- Les Sorciers. -- Les Matagots. --L'Esprit

Fantastique.

-- C'est demain la fête des Rois; si vous voulez les voir arriver,

allez vite, petits, à leur rencontre, et portez-leur quelques

offrandes.

Voilà, de notre temps, la veille du jour des Rois, ce que nous

disaient nos mères.

Et en avant! Toute la marmaille, les enfants du village, nous

partions enthousiastes au-devant des Rois Mages, qui venaient à

Maillane, avec leurs pages, leurs chameaux et toute leur suite, pour

adorer l'Enfant Jésus.

-- Où allez-vous, petits?

-- Nous allons au-devant des Rois.

Et ainsi, tous ensemble, mioches ébouriffés et blondines fillettes,

en béguins et petits sabots, nous partions sur le Chemin d'Arles, le

coeur tressailli de joie, les yeux pleins de visions, et nous

portions à la main, comme on nous l'avait dit, des galettes pour les

Rois, des figues sèches pour les pages, avec du foin pour les

chameaux.

Jours croissants,

Jours cuisants.

La bise sifflait, c'est vous dire qu'il faisait froid. Le soleil

descendait, blafard, devers le Rhône. Les ruisseaux étaient gelés.

L'herbe des bords était brouie. Des saules défeuillés, les branches

rougeoyaient. Le rouge-gorge, le troglodyte, sautillaient,

frémissants, familiers, de branche en branche... Et l'on ne voyait

personne aux champs, à part quelque pauvre veuve qui rechargeait sur

la tête son tablier plein de bois sec, ou quelque vieux dépenaillé

qui cherchait des escargots au pied d'une haie morte.

-- Où allez-vous si tard, petits?

-- Nous allons au-devant des Rois!

Et la tête en arrière, fiers comme jeune coqs, en riant, en chantant,

en courant à cloche-pied ou en faisant des glissades, nous allions

devant nous sur le chemin blanchâtre, balayé par le vent.

Puis, le jour déclinait. Le clocher de Maillane disparaissait

derrière les arbres, derrière les grands cyprès aux pointes noires;

et la campagne, vaste et nue, s'épandait au lointain... Nous

portions nos regards si loin que nous pouvions, à perte de vue, mais

en vain! Rien ne se montrait à nous, hormis quelque faisceau

d'épines emporté dans les chaumes par le vent. Comme les soirs

d'hiver et de janvier, tout était triste, souffreteux et muet.

Quelquefois, cependant, nous rencontrions un berger qui, plié dans sa

cape, venait de faire paître ses brebis.

-- Mais où allez-vous, enfants si tard?

-- Nous allons au-devant des Rois... Ne pourriez-vous pas nous dire

s'ils sont encore bien loin?

-- Ah! oui, les Rois? c'est vrai... Ils sont là derrière qui

viennent; vous allez bientôt les voir.

Et de courir, et de courir, à la rencontre des Rois avec nos gâteaux,

nos petites galettes, et les poignées de foin pour les chameaux.

Puis, le jour défaillait. Le soleil, obstrué par un nuage énorme,

s'évanouissait peu à peu. Les babils folâtres calmaient un brin. La

bise fraîchissait et les plus courageux marchaient en retenant.

Tout à coup:

-- Les voilà!

Un cri de joie folle partait de toutes les bouches... et la

magnificence de la pompe royale éblouissait nos yeux. Un

rejaillissement, un triomphe de couleurs splendides, fastueuses,

enflammait, embrasait la zone du couchant; de gros lambeaux de

pourpre flamboyaient; et d'or et de rubis, une demi-couronne, dardant

un cercle de long rayons au ciel, illuminait l'horizon.

-- Les Rois! les Rois! voyez leur couronne! voyez leurs manteaux!

voyez leurs drapeaux! et leur cavalerie et les chameaux qui viennent!

Et nous demeurions ébaubis... Mais bientôt cette splendeur, mais

bientôt cette gloire, dernière échappée du soleil couchant, se

fondait, s'éteignait peu à peu dans les nues; et, penauds, bouche

béante, dans la campagne sombre, nous nous trouvions tout seuls:

-- Où ont passé les Rois?

-- Derrière la montagne.

La chevêche miaulait. La peur nous saisissait; et, dans le

crépuscule, nous retournions confus, en grignotant les gâteaux, les

galettes et les figues, que nous apportions pour les Rois.

Et quand nous arrivions, ensuite, à nos maisons:

-- Eh bien! les avez-vous vu? nos mères nous disaient.

-- Non, ils ont passé en delà, de l'autre côté de la montagne.

-- Mais quel chemin avez-vous pris?

-- Le Chemin Arlatan...

-- Ah! mes pauvres agneaux! Les Rois ne viennent pas de là. C'est

du Levant qu'ils viennent. Pardi, il vous fallait prendre le vieux

Chemin de Rome... Ah! comme c'était beau, si vous aviez vu, si vous

aviez vu, lorsqu'ils sont entrés dans Maillane! Les tambours, les

trompettes, les pages, les chameaux, quel vacarme, bon Dieu!...

Maintenant, ils sont à l'église, où ils font leur adoration. Après

souper, vous irez les voir.

Nous soupions vite, -- moi, chez ma mère-grand Nanan; puis, nous

courions à l'église... Et, dans l'église pleine, dès notre entrée,

l'orgue, accompagnant le chant de tout le peuple, entamait,

lentement, puis déployait, formidable, le superbe noël:

Ce matin, J'ai rencontré le train De trois grands Rois qui allaient en voyage, Ce matin, J'ai rencontré le train De trois grands Rois dessus le grand chemin.

Nous autres, affolés, nous nous faufilions, entre les jupons des

femmes, jusques à la chapelle de la Nativité, et là, suspendue sur

l'autel, nous voyions la Belle Étoile! nous voyions les trois Rois

Mages, en manteaux rouge, jaune, et bleu, qui saluaient l'Enfant

Jésus: le roi Gaspard avec sa cassette d'or, le roi Melchior avec son

encensoir et le roi Balthazar avec son vase de myrrhe! Nous

admirions les charmants pages portant la queue de leurs manteaux

traînants; puis, les chameaux bossus qui élevaient la tête sur l'âne

et le boeuf; la Sainte Vierge et saint Joseph; puis, tout autour, sur

une petite montagne en papier barbouillé, les bergers, les bergères,

qui apportaient des fouaces, des paniers d'oeufs, des langes; le

meunier, chargé d'un sac de farine; la bonne vieille qui filait;

l'ébahi qui admirait; le gagne-petit qui remoulait; l'hôtelier ahuri

qui ouvrait sa fenêtre, et, bref, tous les santons qui figurent à la Crèche. Mais c'était le Roi Maure que nous regardions le plus.

Maintes fois, depuis lors, il m'est arrivé, quand viennent les Rois,

d'aller me promener, à la chute du jour, dans le Chemin d'Arles. Le

rouge-gorge et le troglodyte continuent d'y voleter le long des haies

d'aubépine. Toujours quelque pauvre vieux y cherche, comme jadis,

des escargots dans l'herbe et la chevêche toujours y miaule; mais,

dans les nuées du couchant, je n'y vois plus la gloire, ni la

couronne des vieux Rois.

-- Où ont passé les Rois?

-- Derrière la montagne.

Hélas! mélancolie, tristesse des choses vues, autrefois dans la

jeunesse! Si grand, si beau que fût le paysage connu, quand nous

voulons le revoir, quand nous voulons y retourner, il y manque

toujours, toujours quelqu'un ou quelque chose!

Oh! vers les plaines de froment Laissez-moi me perdre pensif, Dans les grands blés pleins de ponceaux Où, petit gars, je me perdais! Quelqu'un me cherche, de touffe en touffe, En récitant son angélus; Et, chantantes, les alouettes, Moi, je les suis dans le soleil... Ah! pauvre mère, beau coeur aimant, Je ne t'entendrai plus, criant mon nom!

(Iles d'Or).

Qui me rendra le délice, le bonheur idéal de mon âme ignorante,

quand, telle qu'une fleur, elle s'ouvrait toute neuve, aux chansons,

aux sornettes, aux complaintes, aux fabliaux, que ma mère en filant,

cependant que j'étais blotti sur ses genoux, me disait, me chantait,

en douce langue de Provence: le Pater des Calendes, Marie-Madeleine la Pauvre Pécheresse, le Mousse de Marseille, la Porcheronne, le Mauvais Riche, et tant d'autres récits, légendes et croyances de notre race provençale, qui bercèrent mon jeune âge d'un balancement de rêves et de poésie émue! Après le lait que m'avait donné son sein, elle me nourrissait, la sainte femme, ainsi avec le miel des traditions et du bon Dieu.

Aujourd'hui, avec l'étroitesse du système brutal qui ne veut plus

tenir compte des ailes de l'enfance, des instincts angéliques de

l'imagination naissante, de son besoin de merveilleux, -- qui fait

les saints et les héros, les poètes et les artistes, -- aujourd'hui,

dès que l'enfant naît, avec la science nue et crue on lui dessèche

coeur et âme... Eh! pauvres lunatiques! avec l'âge et l'école,

surtout l'école de la vie vécue, on ne l'apprend que trop tôt, la

réalité mesquine et la désillusion analytique, scientifique, de tout

ce qui nous enchanta.

Si, à vingt ou trente ans, lorsque l'amour nous prend pour une belle

fille rayonnante de jeunesse, quelque fâcheux anatomiste venait nous

tenir ce propos:

-- Veux-tu savoir le vrai de cette créature qui a tant d'attrait pour

toi? Si la chair lui tombait, tu verrais un squelette!

Ne croyez-vous pas qu'à l'instant nous l'enverrions faire paître?

Eh! Dieu! s'il fallait toujours creuser le puits de vérité autant

vaudrait, ma foi, retourner au moyen âge qui, partant du contraire de

la science moderne, en était arrivé au même résultat, en représentant

la vie par la Danse macabre.

Bref, pour donner idée des imaginations, hantises, peurs et spectres

qu'autour de mon enfance j'avais vu lutiner, j'ai mis en scène

quelque part une croyante de ce temps, que j'ai connue, la vieille

Renaude, et m'est avis qu'à ce sujet ce morceau-là viendra à point.

La vieille Renaude est au soleil, assise sur un billot, devant sa

maisonnette. Elle est flétrie, ratatinée et ridée, la pauvre femme,

comme une figure pendante. Chassant de temps en temps les mouches qui

se posent sur son nez, elle boit le soleil, s'assoupit et puis

sommeille.

-- Eh bien! tante Renaude, par là, au bon soleil, vous faites un

petit somme?

-- Ho! tiens, que veux-tu faire? Je suis là, à dire vrai, sans

dormir ni veiller... Je rêvasse, je dis des patenôtres. Mais, puis en

priant Dieu, on finit par s'assoupir... Oh! la mauvaise chose, quand

on ne peut plus travailler! Le temps vous dure comme aux chiens.

-- Vous attraperez un rhume, à ce grand soleil-là, avec la

réverbération.

-- Allons donc, moi un rhume! Ne vois-tu pas que je suis sèche,

hélas! comme amadou. Si l'on me faisait bouillir, je ne fournirais

pas, peut-être, une maille d'huile.

-- A votre place, moi, je m'en irais un peu voir les commères de

votre âge, tout doucement. Cela vous ferait passer le temps.

-- Allons donc, bonne gens! Les commères de mon âge? bientôt il n'en

restera plus... Qui y a-t-il encore, voyons? La pauvre Geneviève

sourde comme une charrue; la vieille Patantane, qui radote; Catherine

du Four, qui ne fait jamais que geindre... J'ai bien assez de mes

peines à moi: autant vaut demeurer seule.

-- Que n'allez-vous au lavoir? Vous bavarderiez un moment avec les

lavandières.

-- Allons donc, les lavandières! des péronnelles, qui, tout le jour,

frappent à tort et à travers sur les uns et sur les autres. Elles ne

disent rien que des choses ennuyeuses. Elles se moquent de tout le

monde; puis, elles rient comme des niaises. Quelque jour, le bon Dieu

les punira par un exemple... Oh! non, non, ce n'est pas comme de

notre temps.

-- Et de quoi parliez-vous, dans votre temps?

-- dans notre temps? L'on disait des histoires, des contes, des

sornettes, que l'on se délectait d'entendre: la Bête des Sept Têtes,

Jean Cherche-la-Peur, le Grand Corps sans Ame...

Rien qu'une de ces histoires durait, parfois, trois ou quatre

veillées.

Mes Origines; Mémoires et Récits de Frédéric Mistral

Подняться наверх