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LES MAÎTRES EN FAIT D'ARMES
III
– Les trois Philippe. —

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L'unique fenêtre de la salle basse du cabaret de la Pomme-d'Adam donnait sur une sorte de glacis planté de hêtres, qui aboutissait aux douves de Caylus. Un chemin charretier traversait le bois et aboutissait à un pont de planches jeté sur les fossés, qui étaient très-profonds et très-larges.

Ils faisaient le tour du château de trois côtés, et s'ouvraient sur le vide au-dessus du Hachaz.

Depuis qu'on avait abattu les murs destinés à retenir l'eau, le desséchement s'était opéré de lui-même, et le sol des douves donnait par année deux magnifiques récoltes de foin destiné aux écuries du maître.

La seconde récolte venait d'être coupée. De l'endroit où se tenaient nos huit estafiers, on pouvait voir les faneurs qui mettaient le foin en bottes sous le pont.

A part l'eau qui manquait, les douves étaient restées intactes. Leur bord intérieur se relevait en pente roide jusqu'au glacis.

Il n'y avait qu'une seule brèche, pratiquée pour donner passage aux charrettes de foin. Elle aboutissait à ce chemin qui passait devant la fenêtre du cabaret.

Du rez-de-chaussée du château au fond de la douve, le rempart était percé de nombreuses meurtrières; mais il n'y avait qu'une ouverture capable de donner passage à une créature humaine: c'était une fenêtre basse située juste sous le pont fixe qui avait remplacé depuis longtemps le pont-levis.

Cette fenêtre était fermée d'une grille et de forts contrevents. Elle donnait de l'air et du jour à l'étuve de Caylus, grande salle souterraine qui gardait des restes de magnificence.

On sait que le moyen âge, dans le Midi principalement, avait poussé très-loin le luxe des bains.

Trois heures venaient de sonner à l'horloge du donjon.

Ce terrible matamore qu'on appelait le beau Lagardère n'était pas là en définitive, et ce n'était pas lui qu'on attendait; aussi, nos maîtres en fait d'armes, après le premier saisissement passé, reprirent bien vite leur forfanterie.

– Eh bien, s'écria Saldagne, je vais te dire une chose, ami Cocardasse. Je donnerais dix pistoles pour le voir, ton chevalier de Lagardère.

– L'épée à la main? demanda le Gascon après avoir bu un large trait et fait claquer sa langue. Eh bien, ce jour-là, mon bon, ajouta-t-il gravement, sois en état de grâce, et mets-toi à la garde de Dieu!

Saldagne posa son feutre de travers. On ne s'était encore distribué aucun horion: c'était merveille. La danse allait peut-être commencer, lorsque Staupitz, qui était à la fenêtre, s'écria:

– La paix, enfants! voici M. de Peyrolles, le factotum du prince de Gonzague.

Celui-ci arriva, en effet, par le glacis; il était à cheval.

– Nous avons trop parlé, dit précipitamment Passepoil, et nous n'avons rien dit… Nevers et sa botte secrète valent de l'or, mes compagnons, voilà ce qu'il faut que vous sachiez. Avez-vous envie de faire d'un coup votre fortune?

Pas n'est besoin de dire la réponse des compagnons de Passepoil.

Celui-ci poursuivit:

– Si vous voulez cela, laissez agir maître Cocardasse et moi… Quoi que nous disions à ce Peyrolles, appuyez-nous.

– C'est entendu! s'écria-t-on en chœur.

– Au moins, acheva frère Passepoil en se rasseyant, ceux qui n'auront pas ce soir le cuir troué par l'épée de Nevers pourront faire dire des messes à l'intention des défunts.

Peyrolles entrait.

Passepoil ôta le premier son bonnet de laine bien révérencieusement. Les autres saluèrent à l'avenant.

Peyrolles avait un gros sac d'argent sous le bras.

Il le jeta bruyamment sur la table en disant:

– Tenez, mes braves, voici votre pâture!

Puis, les comptant de l'œil:

– A la bonne heure, reprit-il, nous voilà tous au grand complet!.. Je vais vous dire en peu de mots ce que vous avez à faire.

– Nous écoutons, mon bon monsieur de Peyrolles, repartit Cocardasse en mettant ses deux coudes sur la table; eh donc!

Les autres répétèrent:

– Nous écoutons.

Peyrolles prit une pose d'orateur.

– Ce soir, dit-il, vers huit heures, un homme viendra par ce chemin que vous voyez ici, juste sous la fenêtre. Il sera à cheval, il attachera sa monture aux piliers du pont, après avoir franchi la lèvre du fossé… Regardez, là, sous le pont, apercevez-vous une croisée basse, fermée par des contrevents de chêne?..

– Parfaitement, mon bon monsieur de Peyrolles, répondit Cocardasse; a pas pur!.. nous ne sommes pas des aveugles!

– L'homme s'approchera de la fenêtre…

– Et à ce moment-là nous l'accosterons?..

– Poliment! interrompit Peyrolles avec un sourire sinistre; et votre argent sera gagné.

– Capédébiou! s'écria Cocardasse, ce bon M. de Peyrolles, il a toujours le mot pour rire!

– Est-ce entendu?

– Assurément; mais vous ne nous quittez pas encore, je suppose?

– Mes bons amis, je suis pressé, dit Peyrolles en faisant déjà un mouvement de retraite.

– Comment! s'écria le Gascon, sans nous dire le nom de celui que nous devons… accoster?

– Ce nom ne vous regarde pas.

Cocardasse cligna de l'œil; tout aussitôt un murmure mécontent s'éleva du groupe des estafiers. Passepoil surtout se déclara formalisé.

– Sans même nous avoir appris, poursuivit Cocardasse, quel est l'honnête seigneur pour qui nous allons travailler?

Peyrolles s'arrêta pour le regarder. Son long visage eut une expression d'inquiétude.

– Que vous importe? dit-il, essayant de prendre un ton de hauteur.

– Cela nous importe beaucoup, mon bon monsieur de Peyrolles.

– Puisque vous êtes bien payés?..

– Peut-être que nous ne nous trouvons pas assez bien payés, mon bon monsieur de Peyrolles.

– Qu'est-ce à dire, l'ami?..

Cocardasse se leva; tous les autres l'imitèrent.

– Capédébiou! mon mignon, dit-il en changeant de ton brusquement, parlons franc… Nous sommes tous ici prévôts d'armes et, par conséquent, gentilshommes… Nos rapières.

Et il frappa sur la sienne qu'il n'avait point quittée.

– Nos rapières veulent savoir ce qu'elles font!

– Voilà! ponctua frère Passepoil, qui offrit courtoisement une escabelle au confident de Philippe de Gonzague.

Les estafiers approuvèrent chaudement du bonnet.

Peyrolles parut hésiter un instant.

– Mes braves, dit-il, puisque vous avez si bonne envie de savoir, vous auriez bien pu deviner… A qui appartient ce château?

– A M. le marquis de Caylus, sandiéou! un bon seigneur chez qui les femmes ne vieillissent pas… à Caylus-Verrous, le château… Après?

– Parbleu! la belle finesse! fit bonnement Peyrolles; vous travaillez pour M. le marquis de Caylus.

Le Bossu, Volume 1

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