Читать книгу L'archéologie égyptienne - Г. Масперо - Страница 3
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L'ARCHITECTURE CIVILE ET MILITAIRE L'attention des archéologues qui ont visité l'Égypte a été si fortement attirée par les temples et par les tombeaux que nul d'entre eux ne s'est attaché à relever avec soin ce qui reste des habitations privées et des constructions militaires. Peu de pays pourtant ont conservé autant de débris de leur architecture civile. Sans parler des villes d'époque romaine ou byzantine, qui survivent presque intactes à Kouft, à Kom-Ombo, à El-Agandiyéh, une moitié an moins de la Thèbes antique subsiste à l'est et an sud de Karnak. L'emplacement de Memphis est semé de buttes qui atteignent 15 et 20 mètres de hauteur, et dont le noyau est formé par des maisons en bon état. A Tell-el-Maskhoutah, les greniers de Pithom sont encore debout; à Sân, à Tell-Basta, la cité saïte et ptolémaïque renferme des quartiers dont on pourrait lever le plan. Je ne parle ici que des plus connues; mais combien de localités échappent à la curiosité des voyageurs, où l'on rencontre des ruines d'habitations privées remontant à l'époque des Ramessides, et plus haut peut-être! Quant aux forteresses, le seul village d'Abydos n'en a-t-il pas deux, dont une est au moins contemporaine de la VIe dynastie? Les remparts d'El-Kab, de Kom-el-Ahmar, d'El-Hibèh, de Dakkèh, même une partie de ceux de Thèbes, sont debout et attendent l'architecte qui daignera les étudier sérieusement. l.--LES MAISONS. Le sol de l'Égypte, lavé sans cesse par l'inondation, est un limon noir, compact, homogène, qui acquiert en se séchant la dureté de la pierre: les fellahs l'ont employé de tout temps à construire leur maison. Chez les plus pauvres, ce n'est guère qu'un amas de terre façonné grossièrement. On entoure un espace rectangulaire, de 2 ou 3 mètres de large sur 4 ou 5 de long, d'un clayonnage en nervures de palmier, qu'on enduit intérieurement et extérieurement d'une couche de limon; comme ce pisé se crevasse en perdant son eau, on bouche les fissures et on étend des couches nouvelles, jusqu'à ce que l'ensemble ait de 10 à 30 centimètres d'épaisseur, puis on étend au-dessus de la chambre d'autres nervures de palmier mêlées de paille, et on recouvre le tout d'un lit mince de terre battue. La hauteur est variable: le plus souvent, le plafond est très bas, et on ne doit pas se lever trop brusquement de peur de le défoncer d'un coup de tête; ailleurs, il est à 2 mètres du sol ou même plus. Aucune fenêtre, aucune lucarne où pénètrent l'air et la lumière; parfois un trou, pratiqué au milieu du plafond, laisse sortir la fumée du foyer; mais c'est là un raffinement que tout le monde ne connaît pas. Il n'est pas toujours facile de distinguer au premier coup d'oeil celles de ces cabanes qui sont en pisé et celles qui sont en briques crues. La brique égyptienne commune n'est guère que le limon, mêlé avec un peu de sable et de paille hachée, puis façonné en tablettes oblongues et durci au soleil. Un premier manoeuvre piochait vigoureusement à l'endroit où l'on voulait bâtir; d'autres emportaient les mottes et les accumulaient en tas, tandis que d'autres les pétrissaient avec les pieds et les réduisaient en masse homogène. La pâte suffisamment triturée, le maître ouvrier la coulait dans des moules en bois dur, qu'un aide emportait et s'en allait décharger sur l'aire à sécher, où il les rangeait en damier, à petite distance l'une de l'autre (Fig.1). Les entrepreneurs soigneux les laissent au soleil une demi-journée ou même une journée entière, puis les disposent en monceaux de manière que l'air circule librement, et ne les emploient qu'au bout d'une semaine ou deux; les autres se contentent de quelques heures d'exposition au soleil et s'en servent humides encore. Malgré cette négligence, le |
limon est tellement tenace qu'il ne perd pas aisément sa forme: la face tournée an dehors a beau se désagréger sous les influences atmosphériques, si l'on pénètre dans le mur même, on trouve la plupart des briques intactes et séparables les unes des autres. Un bon ouvrier moderne en moule un millier par jour sans se fatiguer; après une semaine d'entraînement, il peut monter à 1,200, à 1,500, voire à 1,800. Les ouvriers anciens, dont l'outillage ne différait pas de l'outillage actuel, devaient obtenir des résultats aussi satisfaisants. Le module qu'ils adoptaient généralement est de 0m,22, × 0m,11, × 0m,14 pour les briques de taille moyenne, 0m,38, × 0m,18, × 0m,14 pour les briques de grande taille; mais on rencontre assez souvent dans les ruines des modules moindres ou plus forts. La brique des ateliers royaux était frappée quelquefois aux cartouches du souverain régnant; celle des usines privées a sur le plat un ou plusieurs signes conventionnels tracés à l'encre rouge, l'empreinte des doigts du mouleur, le cachet d'un fabricant. Le plus grand nombre n'a point de marque qui les distingue. La brique cuite n'a pas été souvent employée avant l'époque romaine, non plus que la tuile plate ou arrondie. La brique émaillée paraît avoir été à la mode dans le Delta. Le plus beau spécimen que j'en aie vu, celui qui est conservé au musée de Boulaq, porte à l'encre noire les noms de Ramsès III; l'émail en est vert, mais d'autres fragments sont colorés en bleu, en rouge, en jaune ou en blanc. La nature du sol ne permet pas de descendre beaucoup les fondations: c'est d'abord une couche de terre rapportée, qui n'a d'épaisseur que sur l'emplacement des grandes villes, puis un humus fort |
dense, coupé de minces veines de sable, puis, à partir du niveau des infiltrations, des boues plus ou moins liquides, selon la saison. Aujourd'hui, les maçons indigènes se contentent d'écarter les terres rapportées et jettent les fondations dès qu'ils touchent le sol vierge; si celui-ci est trop loin, ils s'arrêtent à un mètre environ de la surface. Les vieux Égyptiens en agissaient de même: je n'ai rencontré aucune maison antique dont les fondations fussent à plus de 1m,20, encore une pareille profondeur est-elle l'exception, et n'a-t-on pas dépassé 0m,60 dans la plupart des cas. Souvent, on ne se fatiguait pas à creuser des tranchées: on nivelait l'aire à couvrir, et, probablement après l'avoir arrosée largement pour augmenter la consistance du terrain, on posait les premières briques à même. La maison terminée, les déchets de mortier, les briques cassées, tous les rebuts du travail |
accumulés formaient une couche de 20 à 30 centimètres: la partie du mur enterrée de la sorte tenait lieu de fondations. Quand la maison à bâtir devait s'élever sur l'emplacement d'une maison antérieure, écroulée de vétusté ou détruite par un accident quelconque, on ne prenait pas la peine d'abattre les murs jusqu'au ras de terre. On égalisait la surface des décombres et on construisait à quelques pieds plus haut que précédemment: aussi chaque ville est-elle assise sur une ou plusieurs buttes artificielles, dont les sommets dominent parfois de 20 ou 30 mètres la campagne environnante. Les historiens grecs attribuaient ce phénomène d'exhaussement à la sagesse des rois, de Sésostris en particulier, qui avaient voulu mettre les cités à l'abri des eaux, et les modernes ont cru reconnaître le procédé employé à cet effet: on construisait des murs massifs de brique, entre-croisés en damier, on comblait les intervalles avec des terres de déblayement, et on élevait les maisons sur ce patin gigantesque. Partout où j'ai fait des fouilles, à Thèbes spécialement, je n'ai rien vu qui |
répondît à cette description; les murs entrecoupés qu'on rencontre sous les débris des maisons |
relativement modernes ne sont que des restes de maisons antérieures, qui reposaient elles-mêmes sur les restes de maisons plus vieilles encore. Le peu de profondeur des fondations n'empêchait pas les maçons de monter hardiment la bâtisse: j'ai noté dans les ruines de Memphis des pans encore debout de 10 et 12 mètres de haut. On ne prenait alors d'autre précaution que d'élargir la base des murs et de voûter les étages (Fig.2). L'épaisseur ordinaire était de 0m,40 environ pour une maison basse, mais pour une maison à plusieurs étages, on allait jusqu'à 1 mètre ou 1m,25; des poutres, couchées dans la maçonnerie d'espace en espace, la liaient et la consolidaient. Souvent aussi on bâtissait le rez-de-chaussée en |
moellons bien appareillés et on reléguait la brique aux étages supérieurs. Le calcaire de la montagne voisine est la seule pierre dont on se soit servi régulièrement en pareil cas. Les fragments de grès, de granit ou d'albâtre qui y sont mêlés, proviennent généralement d'un temple ruiné: les Égyptiens d'alors n'avaient pas plus scrupule que ceux d'aujourd'hui à dépecer leurs monuments dès qu'on cessait de les surveiller. Les petites gens vivaient dans de vraies huttes qui, pour être bâties en briques, ne valaient guère mieux que les cabanes des fellahs. A Karnak, dans la ville pharaonique, à Kom-Ombo, dans la ville romaine, à Médinét-Habou, dans la ville copte, les maisons de ce genre ont rarement plus de 4 ou 5 mètres de façade; elles se composent d'un rez-de-chaussée que surmontent parfois quelques chambres d'habitation. Les gens aisés, marchands, employés secondaires, chefs d'ateliers, étaient logés plus au large. Leurs maisons étaient souvent séparées de la rue par une cour étroite: un grand couloir s'ouvrait au fond, le long duquel les chambres étaient rangées (Fig.3). Plus souvent, la cour était garnie de chambres sur trois côtés (Fig.4); plus souvent encore la maison présentait sa façade à la rue. |
C'était alors un haut mur peint ou blanchi à la chaux, surmonté d'une corniche, et sans ouverture que la porte, ou percé irrégulièrement de quelques fenêtres (Fig.5). La porte était souvent de pierre, même dans les maisons sans prétentions. Les jambages sont en saillie légère sur la paroi, et le linteau est supporté d'une gorge peinte ou sculptée. L'entrée franchie, on passait successivement dans deux petites pièces sombres, dont la dernière prend jour sur la cour centrale (Fig.6). Le rez-de-chaussée servait ordinairement d'étable pour les baudets ou pour les bestiaux, de magasins pour le blé et pour les provisions, de cellier et de cuisine. Partout où les étages supérieurs subsistent encore, ils reproduisent presque sans modifications la distribution du rez-de-chaussée. On y arrivait par un escalier extérieur, étroit et raide, coupé à des intervalles très rapprochés par de petits paliers carrés. Les pièces étaient oblongues et ne recevaient de lumière et d'air que par la porte: |
lorsqu'on se décidait à percer des fenêtres sur la rue, c'étaient des soupiraux placés presque à la |
hauteur du plafond, sans régularité ni symétrie, garnis d'une sorte de grille en bois à barreaux espacés, et fermés par un volet plein. Les planchers étaient briquetés ou dallés, plus souvent formés d'une couche de terre battue. Les murs étaient blanchis à la chaux, quelquefois peints de couleurs vives. Le toit était plat et fait probablement comme aujourd'hui de branches de palmiers serrées l'une contre l'autre, et couvertes d'un enduit de terre assez épais pour résister à la pluie. Parfois il n'était surmonté que d'un ou deux de ces ventilateurs en bois qu'on rencontre encore si fréquemment en Égypte; d'ordinaire, on y élevait une ou deux pièces isolées, servant de buanderie ou de dortoir pour les esclaves ou les |
gardiens. La terrasse et la cour jouaient un grand rôle dans la vie domestique des anciens Égyptiens; les femmes y préparaient le pain (Fig.7), y cuisinaient, y causaient à l'air libre; la famille entière y dormait l'été, protégée par des filets contre les attaques des moustiques. Les hôtels des riches et des seigneurs couvraient une surface considérable: ils étaient situés le plus souvent au milieu d'un jardin ou d'une cour plantée, et présentaient à la rue, ainsi que les maisons bourgeoises, des murs nus, crénelés comme ceux d'une forteresse (Fig.8). La vie domestique était cachée et comme repliée sur elle-même: on sacrifiait le plaisir de voir les passants à l'avantage de n'être pas aperçu du dehors. La porte seule annonçait quelquefois l'importance de la famille qui se dissimulait derrière l'enceinte. Elle était précédée d'un perron de deux ou trois marches, ou d'un portique à colonnes (Fig.9) orné de |
statues (Fig.10), qui lui donnaient l'aspect monumental; parfois c'était un pylône analogue à celui qui annonçait l'entrée des temples. L'intérieur formait comme une petite ville, divisée en quartiers par des murs irréguliers: la maison d'habitation au fond, les greniers, les étables, les communs, répartis aux différents endroits de l'enclos, selon des règles qui nous échappent encore. Les détails de l'agencement devaient varier à l'infini; pour donner une idée de ce qu'était l'hôtel d'un grand seigneur égyptien, |
moitié palais, moitié villa, je ne puis mieux faire que de reproduire deux des plans nombreux que nous ont conservés les tombeaux de la XVIIIe dynastie. |
Le premier représente une maison thébaine (Fig.11-12). Le clos est carré entouré d'un mur crénelé. La porte principale s'ouvre sur une route bordée d'arbres, qui longe un canal ou un bras du Nil. |
Le jardin est divisé en compartiments symétriques par des murs bas en pierres sèches, analogues à ceux qu'on voit encore dans les grands jardins d'Akhmîm ou de Girgéh; au centre, une vaste treille disposée disposée sur quatre rangs de colonnettes; à droite et à gauche, quatre pièces d'eau peuplées de canards et d'oies, deux pépinières, deux kiosques à jour, et des allées de sycomores, de dattiers et de palmiers-doums; dans le fond, en face de la porte, une maison à deux étages de petites dimensions, surmontée d'une corniche peinte. Le second plan est emprunté aux hypogées |
de Tell-el-Amarna (Fig.13-14). Il nous montre une maison, située an fond des jardins d'un grand seigneur, Aï, gendre du pharaon Khouniaton et, plus tard, lui-même roi d'Égypte. Un bassin oblong s'étend devant la porte: il est bordé d'un quai en pente douce muni de deux escaliers. Le corps de bâtiment est un rectangle plus large sur la façade que sur les parois latérales. |
Une grande porte s'ouvre au milieu et donne accès dans une cour plantée d'arbres et bordée de magasins remplis de provisions: deux petites cours placées symétriquement dans les angles les plus éloignés servent de cage aux escaliers qui mènent sur la terrasse. Ce premier édifice sert comme d'enveloppe au logis du maître. Les deux façades sont ornées d'un portique de huit colonnes, interrompu au milieu par la baie du pylône. La porte franchie, on débouchait dans une sorte de long couloir central, coupé par deux murs percés de portes, de manière à former trois cours d'enfilade. Celle du centre était bordée de chambres; les deux autres communiquaient à droite et à gauche avec deux cours plus petites, d'où partaient les escaliers qui montent à la terrasse. Ce bâtiment central était |
ce que les textes appellent l'âkhonouti, la demeure intime du roi et des grands seigneurs, où la famille et les amis les plus proches avaient seuls le droit de pénétrer. Le nombre des étages, la disposition de la façade différaient selon le caprice du propriétaire. Le plus souvent la façade était |
unie; parfois elle était divisée en trois corps, et le corps du milieu était en saillie. Les deux ailes sont alors ornées d'un portique à chaque étage (Fig.15), ou surmontées d'une galerie à jour (Fig.16); le pavillon central a quelquefois l'aspect d'une tour qui domine le reste de la construction (Fig.17). Les façades sont décorées assez souvent de ces longues colonnettes en bois peint qui ne portent rien et servent seulement à égayer l'aspect un peu sévère de l'édifice. La distribution intérieure est |
peu connue; comme dans les maisons bourgeoises, les chambres à coucher étaient probablement petites et mal éclairées; mais, en revanche, les salles de réception devaient avoir à peu près les dimensions adoptées aujourd'hui encore en Égypte, dans les maisons arabes. L'ornementation des parois ne comportait pas des scènes ou des compositions analogues à celles qu'on rencontre dans |
les tombeaux. Les panneaux étaient passés à la chaux ou revêtus d'une teinte uniforme et bordés d'une bande multicolore. Les plafonds étaient d'ordinaire laissés en blanc; parfois, cependant, ils |
de documents. Les lampes en forme de maisons, qu'on trouve en si grand nombre au Fayoum, montrent qu'au temps des Césars romains, on continuait à bâtir selon les mêmes règles qui avaient eu cours sous les Thoutmos et les Ramsès. Pour l'ancien empire, les renseignements sont peu nombreux et peu clairs. Cependant, on rencontre souvent sur les stèles, dans les hypogées ou dans les cercueils, des dessins qui nous montrent quel aspect avaient les portes (Fig.21), et un sarcophage de la IVe dynastie, celui de Khoutou-Poskhou, est taillé en forme de maison (Fig.22). | étaient décorés d'ornements géométriques dont les principaux motifs étaient répétés dans les tombeaux et nous ont été conservés de la sorte, des méandres entremêlés de rosaces (Fig.18), des carrés multicolores (Fig.19), des têtes de boeuf vues de face, des enroulements, des vols d'oies (Fig.20). Je n'ai parlé que du second empire thébain; c'est en effet l'époque pour laquelle nous avons le plus |
2.--LES FORTERESSES. La plupart des villes et même des bourgs importants étaient murés. C'était une conséquence presque nécessaire de la configuration géographique et de la constitution politique du pays. Contre les Bédouins, il avait fallu barrer le débouché des gorges qui mènent au désert; les grands seigneurs féodaux avaient fortifié, contre leurs voisins et contre le roi, la ville où ils résidaient, et les villages de leur domaine qui commandaient les défilés des montagnes ou les passes resserrées du fleuve. Abydos, El-Kab, Semnéh possèdent les forteresses les plus anciennes. Abydos avait un sanctuaire d'Osiris et s'élevait à l'entrée d'une des routes qui conduisent aux Oasis. La renommée du temple y attirait les pèlerins, la situation de la ville y amenait les marchands, la prospérité que lui valait l'affluence des uns et des autres l'exposait aux incursions des Libyens: |
elle a, aujourd'hui encore, deux forts presque intacts. Le plus vieux est comme le noyau du monticule que les Arabes appellent le Kom-es-soultân, mais l'intérieur seul en a été déblayé jusqu'à 3 ou 4 mètres au-dessus du sol antique; le tracé extérieur des murs n'a pas été dégagé des décombres et du sable qui l'entourent. Dans l'état actuel, c'est un parallélogramme en briques crues de 125 mètres de long sur 68 mètres de large. Le plus grand axe en est tendu du sud au nord. La porte principale s'ouvre dans le mur ouest, non loin de l'angle nord-ouest; mais deux portes de moindre importance paraissent avoir été ménagées dans le front sud et dans celui de l'est. Les murailles ont perdu quelque peu de leur élévation; elles mesurent pourtant de 7 à 11 mètres de haut et sont larges d'environ 2 mètres au sommet. Elles ne sont pas bâties d'une seule venue, mais se partagent en grands panneaux verticaux, facilement reconnaissables à la disposition des matériaux. Dans le premier, tous les lits de briques sont rigoureusement horizontaux; dans le second, ils sont légèrement concaves et forment un arc renversé, très ouvert, dont l'extrados s'appuie sur le sol; l'alternance des deux procédés se reproduit régulièrement. La raison de cette disposition est obscure: on dit que les édifices ainsi construits résistent mieux aux tremblements de terre. Quoi qu'il en soit, elle est fort ancienne, car, dès la Ve dynastie, les familles nobles d'Abydos envahirent l'enceinte et l'emplirent de leurs tombeaux an point de lui enlever toute valeur stratégique. Une seconde forteresse, édifiée à quelque cent mètres au sud-est, remplaça celle du Kom-es-soultân vers la XVIIIe dynastie, mais faillit avoir le même sort sous les |
Ramessides; la décadence subite de la ville l'a seule protégée contre l'encombrement. Les Égyptiens des premiers temps ne possédaient aucun engin capable de faire impression sur des murs massifs. Ils n'avaient que trois moyens pour enlever de vive force une place fermée: l'escalade, la sape, le |
bris des portes. Le tracé imposé par leurs ingénieurs au second fort est des mieux calculés pour résister efficacement à ces trois attaques (Fig.23). Il se compose de longs côtés en ligne droite, sans tours ni saillants d'aucune sorte, mesurant 131m,30 sur les fronts est et ouest, 78 mètres sur les fronts nord et sud. Les fondations portent directement sur le sable et ne descendent nulle part plus has que 0m,30. Le mur (Fig.24) est en briques crues, disposées par assises horizontales; il est légèrement incliné en arrière, plein, sans archères ni meurtrières, décoré à l'extérieur de longues rainures prismatiques, semblables à celles qu'on voit sur les stèles de l'ancien Empire. Dans l'état actuel, il domine la plaine de 11 mètres; complet, il ne devait guère monter à plus de 12 mètres, ce qui suffisait amplement pour mettre la garnison à l'abri d'une escalade par échelle portative à dos d'homme. L'épaisseur est d'environ 6 mètres à la base, d'environ 5 mètres au sommet. La crête est |
partout détruite, mais les représentations figurées (Fig.25) nous montrent qu'elle était couronnée d'une corniche continue, très saillante, garnie extérieurement d'un parapet mince, assez bas, crénelé |
à merlons arrondis, rarement quadrangulaires. Le chemin de ronde, même diminué de l'épaisseur du parapet, devait atteindre encore 4 mètres ou 4 m,50. Il courait sans interruption le long des quatre fronts; on y montait par des escaliers étroits, pratiqués dans la maçonnerie et détruits aujourd'hui. Point de fossé: pour défendre le pied du mur contre la pioche des sapeurs, on a tracé, à 3 mètres en avant, une chemise crénelée haute de 5 mètres ou environ. Toutes ces précautions étaient suffisantes contre la sape et l'escalade, mais les portes restaient comme autant de brèches béantes dans l'enceinte; c'était le point faible sur lequel l'attaque et la défense concentraient leurs efforts. Le fort d'Abydos avait deux portes, dont la principale était située dans un massif épais, à l'extrémité orientale du front est (Fig.26). Une coupure étroite A, barrée par de solides battants de bois, en marquait la place dans l'avant-mur. Par derrière, s'étendait une petite place d'armes B, à demi creusée dans l'épaisseur du mur, au fond de laquelle était pratiquée une |
seconde porte C, aussi resserrée que la première. Quand l'assaillant l'avait forcée sous la pluie de projectiles que les défenseurs, postés au haut des murailles, faisaient pleuvoir sur lui de face et des deux côtés, il n'était pas encore au coeur de la place; il traversait une cour oblongue D, resserrée entre les murs extérieurs et entre deux contreforts qui s'en détachaient à angle droit, et s'en allait briser à découvert une dernière poterne E, placée à dessein dans le recoin le plus incommode. Le principe qui présidait à la construction des portes était partout le même, mais les dispositions variaient au gré de l'ingénieur. A la porte |
sud-est d'Abydos (Fig.27), la place d'armes située entre les deux enceintes a été supprimée, et la cour est tout entière dans l'épaisseur du mur; à Kom-el-Ahmar, en face d'El-Kab (Fig.28), le massif de briques, an milieu duquel la porte est percée, fait saillie sur le front de défense. Des poternes, réservées en différents endroits, facilitaient les mouvements de la garnison et lui permettaient de multiplier les sorties. |
Le même tracé qu'on employait pour les forts isolés prévalait également pour les villes. Partout, à Héliopolis, à Sân, à Saïs, à Thèbes, ce sont des murs droits, sans tours ni bastions, formant des |
carrés ou des parallélogrammes allongés, sans fossés ni avancées; l'épaisseur des murs, qui varie entre 10 et 20 mètres, rendait ces précautions inutiles. Les portes, au moins les principales, avaient des jambages et un linteau en pierre, décorés de tableaux et de légendes; témoin celle d'Ombos, que Champollion vit encore en place et qui date du règne de Thoutmos III. La plus vieille et la mieux conservée des villes fortes d'Égypte, celle d'El-Kab, remonte probablement jusqu'à l'ancien Empire (Fig.29). Le Nil en a détruit une partie depuis quelques années; au commencement du siècle, elle formait un quadrilatère irrégulier, dont les grands côtés mesuraient 640 mètres et les petits |
environ un quart en moins. Le front sud présente la même disposition qu'au Kom-es-soultân, des panneaux où les lits de briques sont horizontaux, alternant avec d'autres panneaux où ils sont concaves. Sur les fronts nord et ouest, les lits sont ondulés régulièrement et sans interruption d'un bout à l'autre. L'épaisseur est de 11m,50, la hauteur moyenne de 9 mètres; des rampes larges et commodes mènent an chemin de ronde. Les portes sont placées irrégulièrement, une sur chacune des faces nord, est et ouest; la face méridionale n'en avait point. Elles sont trop mal conservées pour qu'on en reconnaisse le plan. L'enceinte renfermait une population considérable, mais inégalement répartie; le gros était concentré au nord et à l'ouest, où les fouilles ont découvert les restes d'un grand nombre de maisons. Les temples étaient rassemblés dans une enceinte carrée, qui avait le même centre que la première; c'était comme un réduit, où la garnison pouvait résister, longtemps après que le reste de la ville était aux mains des ennemis. |
Le tracé à angle droit, excellent en plaine, n'était pas souvent applicable en pays accidenté; lorsque le point à fortifier était sur une colline, les ingénieurs égyptiens savaient adapter la ligne de défense au relief du terrain. A Kom-Ombo (Fig.30), les murs suivent exactement le contour de la butte isolée sur laquelle la ville était perchée, et présentaient à l'Orient un front hérissé de saillies irrégulières, dont le dessin rappelle grossièrement celui de nos bastions. A Koumméh et à Semnéh, en Nubie, à l'endroit où le Nil s'échappe des rochers de la seconde cataracte, les dispositions sont plus ingénieuses et témoignent d'une |
véritable habileté. Le roi Ousirtasen III avait fixé en cet endroit la frontière de l'Égypte; les forteresses qu'il y construisit devaient barrer la voie d'eau aux flottes des Nègres voisins. A Koumméh, sur la rive droite, la position était naturellement très forte (Fig.31). Sur une éminence bordée de rochers abrupts, on dessina un carré irrégulier de 60 mètres environ de côté; deux contreforts allongés dominent, l'un, an nord, les sentiers qui conduisent à la porte, l'autre, au sud, le cours du fleuve. L'avant-mur s'élève à 4 mètres en avant et suit fidèlement le mur principal, sauf en deux points, aux angles nord-ouest et sud-est, où il présente deux saillies en forme de bastion. Sur l'autre rive, à Semnéh, la position était moins bonne; le côté oriental était protégé par une ceinture de rochers qui descend à pic jusqu'au fleuve, mais les trois |
autres faces étaient à peu près nues (Fig.32). Un mur droit, haut de 15 mètres environ, fut établi le long du Nil; an contraire, les murs tournés vers la plaine montèrent jusqu'à la hauteur de 25 mètres et se hérissèrent de contreforts, longs de 15 mètres, épais de 9 mètres à la base et de 4 mètres au sommet et disposés à intervalles irréguliers selon les besoins de la défense. Ces éperons, non garnis de parapets, tenaient lieu de tours: ils augmentaient la force du tracé, défendaient l'accès du chemin de ronde et battaient en flanc les soldats qui auraient voulu tenter une attaque de haute main contre l'enceinte continue. L'intervalle qui les sépare est calculé de manière que les archers puissent balayer de leurs flèches tout le terrain compris entre eux. Courtines et saillants sont en briques crues entremêlées de poutres couchées horizontalement dans la maçonnerie; la surface extérieure en est formée de deux parties, l'une à peu près verticale, |
l'autre inclinée de 160 degrés environ sur la première, ce qui rendait l'escalade sinon impossible, au moins fort difficile. Intérieurement tout l'espace compris dans l'enceinte avait été haussé presque jusqu'au niveau du chemin de ronde, en manière de terre-plein (Fig.33). Au dehors, l'avant-mur en pierres sèches était séparé du corps de la place par un fossé de 30 à 40 mètres de large; il épousait assez exactement le contour général et dominait la plaine de 2 ou 3 mètres, selon les endroits; vers le nord, il était coupé par le chemin tournant qui descend en plaine. Ces dispositions, si habiles qu'elles fussent, n'empêchèrent point la place de succomber; une large brèche pratiquée an sud, entre les deux saillants les plus rapprochés du fleuve, marque le point d'attaque choisi par l'ennemi. Les grandes guerres entreprises en Asie sous la XVIIIe dynastie révélèrent aux Égyptiens des formes nouvelles de fortifications. Les nomades de la Syrie méridionale avaient des fortins où ils se réfugiaient sous la menace de l'invasion (Fig.34). Les villes cananéennes et hittites, Ascalon, Dapour, Mérom, étaient entourées de murailles puissantes, le plus souvent en pierre et flanquées de tours (Fig.35); celles d'entre elles qui s'élevaient en plaine, comme Qodshou, étaient enveloppées d'un double fossé rempli d'eau (Fig.36). Les Pharaons |
transportèrent dans la vallée du Nil les types nouveaux, dont ils avaient éprouvé l'efficacité dans leurs campagnes. Dès les commencements de la XIXe dynastie, la frontière orientale du Delta, la plus faible de toutes, était couverte d'une ligne de forts analogues aux forts cananéens; non contents de prendre la chose, les Égyptiens avaient pris le mot et donnaient à ces tours de garde le nom sémitique de magadîlou. La brique ne parut plus dès lors assez solide, au moins pour les villes exposées aux incursions des peuplades asiatiques, et les murs d'Héliopolis, ceux de Memphis même, se revêtirent de pierre. Rien ne nous est resté jusqu'à présent de ces forteresses nouvelles, et nous en serions réduits à nous figurer, d'après les peintures, l'aspect qu'elles pouvaient avoir, si un caprice royal ne nous en avait laissé un modèle dans un des endroits où on s'attendait le moins à le rencontrer, dans la nécropole de Thèbes. Quand Ramsès III établit son temple funéraire (Fig.37 et 38), il voulut l'envelopper d'une enceinte à l'apparence militaire, en souvenir de ses victoires syriennes. Un avant-mur en pierre, crénelé, haut de 4 mètres en moyenne, court le long du flanc est; la porte est pratiquée an milieu, sous la protection d'un gros bastion quadrangulaire. Elle était large de 1 mètre, et flanquée de deux petits corps de garde oblongs, dont les terrasses s'élèvent d'environ 1m,50 au-dessus du rempart. Dès qu'on l'a franchie, on se trouve devant un véritable |
Migdol: deux corps de logis, embrassant une cour qui va se rétrécissant par ressauts, et réunis par un bâtiment à deux étages, percé d'une porte longue. Les faces orientales des tours sont assises sur un soubassement incliné en talus, haut de 5 mètres environ. Il était à deux fins: d'abord il augmentait la force de résistance du mur à l'endroit où on pouvait le saper, ensuite les projectiles qu'on jetait d'en haut, ricochant avec force sur l'inclinaison du plan, tenaient l'assaillant à distance. La hauteur totale est de 22 mètres, et la largeur de 25 mètres sur le devant; les portions situées sur le derrière, à droite et à gauche de la porte, out été détruites dès l'antiquité. Les détails de l'ornementation sont adaptés au caractère moitié religieux, moitié triomphal de l'édifice; il n'est pas probable que les forteresses réelles fussent décorées de consoles et de bas-reliefs analogues à ceux qu'on voit sur les côtés de la place d'armes. Tel qu'il est, le pavillon de Médinét-Habou est un exemple unique des perfectionnements que les Pharaons conquérants avaient apportés à l'architecture militaire. |
Passé le règne de Ramsès III, les documents nous font presque entièrement défaut. Vers la fin du XIe siècle avant notre ère, les grands prêtres d'Ammon réparèrent les murs de Thèbes, de Gébéléïn et d'El-Hibéh en face de Feshn. Le morcellement du pays sous les successeurs de Sheshonq obligea les princes des nomes à augmenter le nombre des places fortes; la campagne de Piónkhi, sur les bords du Nil, est une suite de sièges heureux. Rien, toutefois, ne nous autorise à penser que l'art de la fortification ait fait alors des progrès sensibles: quand les Pharaons grecs se substituèrent aux indigènes, ils le trouvèrent probablement tel que l'avaient constitué les ingénieurs de la XIXe et de la XXe dynastie. 3.--LES TRAVAUX D'UTILITÉ PUBLIQUE. Un réseau permanent de routes est inutile dans un pays comme l'Égypte; le Nil y est le chemin naturel du commerce, et des sentiers courant entre les champs suffisent à la circulation des hommes, à la menée des bestiaux, au transport des denrées de village à village. Des bacs payants pour passer d'une rive à l'autre du fleuve, des gués partout où le peu de profondeur des eaux le |
permettait, des levées de terre jetées à demeure en travers des canaux, complétaient le système. Les ponts étaient rares; on n'en connaît jusqu'à présent qu'un seul sur le territoire égyptien, encore ne sait-on s'il était long ou court, en pierre ou en bois, supporté d'arches ou lancé d'une volée. Il franchissait, sous les murs mêmes de Zarou, le canal qui séparait le front oriental du Delta des régions désertes de l'Arabie Pétrée; une enceinte fortifiée en couvrait le débouché du côté de l'Asie (Fig.39). L'entretien des voies de communication, qui coûte si cher aux peuples modernes, entrait donc pour une très petite part dans la dépense des Pharaons; trois grands services restaient seuls à leur charge, celui des entrepôts, celui des irrigations, celui des mines et carrières. Les impôts étaient perçus et les traitements des fonctionnaires payés en nature. On distribuait chaque mois aux ouvriers du blé, de l'huile et du vin, de quoi nourrir leur famille, et, du haut en has de l'échelle hiérarchique, chacun recevait en échange de son travail des bestiaux, des étoffes, des objets manufacturés, certaines quantités de cuivre ou de métaux précieux. Les employés du fisc |
devaient donc avoir à leur disposition de vastes magasins où serrer les parties rentrées de l'impôt. Chaque catégorie avait son quartier distinct, clos de murs et fourni de gardiens vigilants, larges étables pour les bêtes, celliers où les amphores étaient empilées en couches régulières ou pendues en ligne le long des murs, avec la date de la récolte écrite sur la panse (Fig.40), greniers en forme de four, où le grain était versé par une lucarne pratiquée dans le haut et sortait par une trappe ménagée près du sol (Fig.41). A Toukou, la Pithom de M. Naville, ce sont des chambres rectangulaires (Fig.42), de taille différente, jadis parquetées et sans communication l'une avec l'autre: le blé, introduit par le toit, suivait, pour ressortir, le chemin qu'il |
avait pris pour entrer. Au Ramesséum de Thèbes, des milliers d'ostraca et de tampons de jarres ramassés sur les lieux prouvent que les ruines en briques situées immédiatement derrière le temple renfermaient les celliers du dieu; les chambres sont de longs couloirs voûtés, accolés l'un à l'autre et surmontés autrefois d'une plate-forme unie (Fig.43). Philae, Ombos, Daphnae, la plupart des villes frontières du Delta possèdent des entrepôts de ce genre, et l'on en découvrira bien d'autres le jour où l'on s'avisera de les chercher sérieusement. Le régime des eaux ne s'est pas modifié sensiblement depuis l'antiquité. Quelques canaux ont été creusés, un plus grand nombre se sont bouchés par la négligence des maîtres du pays; mais les tracés et les méthodes de percement sont demeurés les mêmes. Elles n'exigent point de travaux d'art considérables. Partout où j'ai pu étudier les vestiges de canaux anciens, je n'ai relevé aucune trace de maçonnerie aux prises d'eau ou sur les points faibles du parcours. Ce sont de simples fossés à pic, larges de 6 à 20 mètres; les terres extraites pendant l'opération étaient rejetées à droite et à gauche, et formaient, au-dessus de la berge, des talus irréguliers de 2 à 4 mètres de haut. Ils marchent en ligne droite, mais sans obstination; le moindre mouvement de terrain les décide à dévier et à décrire des courbes immenses. Des digues, tirées capricieusement de la montagne au Nil, les coupent d'espace en espace et divisent la vallée en bassins, ou l'eau séjourne pendant les mois d'inondation. Elles sont d'ordinaire en terre, quelquefois en briques cuites, comme dans la province de Girgéh, très rarement en pierre de taille, |
comme cette digue de Koshéish que Mini construisit au début des temps, afin de détourner à l'orient la branche principale du Nil, et d'assainir l'emplacement où il fonda Memphis. Le réseau avait son origine près du Gebel-Silsiléh, et courait jusqu'à la mer sans s'écarter du fleuve, si ce n'est une fois près de Béni-Souef, pour jeter un de ses bras dans la direction du Fayoum. Il franchissait la montagne près d'Illahoun, par une gorge étroite et sinueuse, approfondie peut-être à main d'homme, et se ramifiant en patte d'oie; les eaux, après avoir arrosé le canton, s'écoulaient, les plus proches dans le Nil, par la route même qui les avait amenées; les autres, dans plusieurs lacs sans issue, dont le plus grand s'appelle aujourd'hui Birkét-Qéroun. S'il fallait en croire Hérodote, les choses ne se seraient point passées aussi simplement. Le roi Moeris aurait voulu établir au Fayoum un réservoir destiné à corriger les irrégularités de l'inondation; on l'appelait, d'après lui, le lac Moeris. La crue était-elle insuffisante? L'eau, emmagasinée dans ce bassin, puis relâchée au fur et à mesure que le besoin s'en faisait sentir, maintenait le niveau à hauteur convenable sur toute la moyenne Egypte et sur les régions occidentales du Delta. L'année d'après, si la crue s'annonçait trop forte, le Moeris en recevait le surplus et le gardait jusqu'au moment où le fleuve commençait à baisser. Deux pyramides, couronnées chacune d'un colosse assis, représentant le roi fondateur et sa femme, se dressaient au milieu du lac. Voilà le récit d'Hérodote: il a singulièrement embarrassé les ingénieurs et les géographes. Comment en effet trouver dans le Fayoum un emplacement convenable pour un bassin qui n'avait pas moins de quatre-vingt-dix milles de pourtour? La théorie la plus accréditée de nos jours est celle de Linant, d'après laquelle le Moeris aurait occupé une dépression de terrain le long de la chaîne libyque, entre Illahoun et Médinéh; mais les explorations les plus récentes ont montré que les digues assignées pour limites à ce prétendu réservoir sont modernes et n'ont peut-être pas deux siècles de durée. Je ne crois plus à l'existence du Moeris. Si Hérodote a jamais visité le Fayoum, cela a dû être pendant l'été, au temps du haut Nil, quand le pays entier offre l'aspect d'une véritable mer. Il a pris pour la berge d'un lac permanent les levées qui divisent les bassins et font communiquer les villes entre elles. Son récit, répété par les écrivains anciens, a été accepté par nos contemporains, et l'Egypte, qui n'en pouvait mais, a été gratifiée après coup d'une oeuvre gigantesque, dont l'exécution aurait été le vrai titre de gloire de ses ingénieurs, si elle avait jamais existé. Les seuls travaux qu'ils aient entrepris en ce genre ont de moindres prétentions; ce sont des barrages en pierre élevés à l'entrée de plusieurs des Ouadys qui descendent des montagnes jusque dans la vallée. L'un des plus importants a été signalé en 1885 par le docteur Schweinfurth, à sept kilomètres au sud-est des bains d'Hélouan, au débouché de l'Ouady |
Guerraouî (Fig.44). Il servait à deux fins, d'abord à emmagasiner de l'eau pour les ouvriers qui exploitaient les carrières d'albâtre cristallin d'où sont sortis les blocs les plus grands des pyramides de Gizéh, puis à retenir les torrents qui se forment parfois dans le désert à la suite des pluies de l'hiver et du printemps. Le ravin qu'il fermait a soixante-six mètres de large et douze ou quinze, mètres de hauteur moyenne. Trois couches successives d'une épaisseur totale de quarante-cinq mètres avaient été jugées suffisantes: en aval, une masse d'argile et de débris tirés des berges (A), puis un amas de gros blocs calcaires, enfin un mur de pierre de taille, dont les assises, disposées en retraite l'une sur l'autre, simulaient une sorte d'escalier monumental (B). Trente-deux degrés subsistent encore, sur trente-cinq qu'il y avait primitivement, et un quart environ du barrage s'est maintenu dans le voisinage de chacune des berges; le torrent a balayé la partie du milieu (Fig.45). Une digue analogue avait transformé le fond de l'Ouady Gennéh en un petit lac ou les mineurs du Sinaï venaient s'approvisionner d'eau. La plupart des localités d'où l'Égypte tirait ses métaux et ses pierres de choix étaient d'accès malaisé et n'auraient été d'aucun profit, si on n'avait eu soin d'en faciliter les avenues et d'en rendre le séjour moins |
insupportable par des travaux de ce genre. Pour aller chercher le diorite et le granit gris de l'Ouady Hammamât, les Pharaons avaient jalonné la route de citernes taillées dans le roc. Quelques maigres sources, captées habilement et recueillies dans des réservoirs, avaient permis d'établir des villages entiers d'ouvriers aux carrières et aux mines d'or ou d'émeraude des bords de la mer Rouge; des centaines d'engagés volontaires, d'esclaves ou de criminels condamnés par les tribunaux y vivaient misérablement, sous le bâton d'une dizaine de chefs de corvée, et sous la surveillance brutale d'une |
compagnie de soldats mercenaires, libyens ou nègres. La moindre révolution en Egypte, une guerre malheureuse, un changement de règne troublé, compromettait l'existence factice de ces établissements: les ouvriers désertaient, les Bédouins harcelaient la colonie, les garde-chiourme s'impatientaient et rentraient dans la vallée du Nil, et l'exploitation cessait de se faire régulièrement. |
Aussi, les pierres de choix qu'on ne trouvait qu'au désert, le diorite, le basalte, le granit noir, le porphyre, les brèches vertes ou jaunes, n'étaient-elles pas d'usage fréquent en architecture; comme il fallait mettre sur pied, pour les avoir, de véritables expéditions de soldats et d'ouvriers, on les réservait aux sarcophages et aux statues de prix. Les carrières de calcaire, de grès, d'albâtre, de granit rose, qui ont fourni les matériaux des temples et des monuments funéraires, étaient toutes dans la vallée et d'abord facile. Quand la veine qu'on avait résolu d'attaquer courait dans une des couches basses de la montagne, on y creusait des couloirs et des chambres qui s'enfoncent parfois assez loin. Des piliers carrés, ménagés d'espace en espace, soutenaient le plafond, et des stèles, gravées aux endroits les plus apparents, apprenaient à la postérité le nom du roi et des ingénieurs qui avaient commencé ou repris les travaux. Plusieurs de ces carrières épuisées ou abandonnées ont été transformées en chapelles; ainsi le Spéos-Artemidos, que Thoutmos III et Séti Ier consacrèrent à la déesse locale Pakhit. |
Les plus importantes de celles qui donnaient le calcaire sont à Tourah et à Massarah, presque en face de Memphis. La pierre en était très recherchée des sculpteurs et des architectes; elle se prête merveilleusement à toutes les délicatesses du ciseau, durcit à l'air et se revêt d'une patine dont les tons crémeux reposent l'oeil. Les gisements de grès les plus vastes étaient à Silsilis (Fig.46), et on les exploitait à ciel ouvert. Ils offrent des escarpements de quinze à seize mètres, quelquefois dressés à pic dans toute leur hauteur, quelquefois divisés en étages où l'on arrive au moyen d'escaliers à peine assez larges pour un seul homme. Les parois en sont couvertes de stries parallèles, tantôt horizontales, tantôt inclinées alternativement de gauche à droite ou de droite à gauche, de manière à former des lignes de chevrons très obtus, et serrées, comme en un cadre rectangulaire, entre des rainures larges de trois ou quatre |
centimètres, longues de deux ou même de trois mètres; ce sont les cicatrices de l'outil antique, et elles nous montrent comment les Égyptiens s'y prenaient pour détacher les blocs. On les dessinait |
sur place à l'encre rouge, quelquefois en la forme qu'ils devaient avoir dans l'édifice projeté; les membres de la commission d'Égypte copièrent dans les carrières du Gebel Abou-Fôdah les épures et la mise au carreau de plusieurs chapiteaux, un lotiforme, les autres à tête d'Hathor (Fig.47). Ce premier travail achevé, on séparait les faces verticales à l'aide d'un long ciseau en fer qu'on enfonçait perpendiculairement ou obliquement à grands coups de maillet; pour détacher les faces horizontales, on se servait uniquement de coins en bois ou en bronze, disposés dans le sens des couches de la montagne. Les blocs recevaient souvent une première façon sur le lit; on voit à Syène un obélisque de granit, à Tehnéh des fûts de colonne à demi dégagés. Le transport s'opérait de diverses manières. A Syène, à Silsilis, au Gebel Sheikh Haridi, au Gebel Abou-Fôdah, les carrières sont baignées littéralement par les flots du Nil et la pierre descend presque directement de sa place aux chalands. A Kasr-es-Sayad, à Tourah, dans les localités éloignées de la rive, des canaux creusés exprès amenaient les barques jusqu'au pied de la montagne. Où l'on devait renoncer au transport par eau, la pierre était chargée sur des traîneaux tirés par des boeufs (Fig.48), ou cheminait jusqu'à destination à bras d'homme et sur des rouleaux. |
CHAPITRE IITable des matières |
L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE La brique fait presque tous les frais de l'architecture civile et militaire; elle ne joue qu'un rôle secondaire dans l'architecture religieuse. Les Pharaons avaient l'ambition d'élever aux dieux des demeures éternelles, et la pierre seule leur paraissait assez durable pour résister aux attaques des hommes et du temps. I.--MATÉRIAUX ET ÉLÉMENTS DE LA CONSTRUCTION. C'est un préjugé de croire que les Egyptiens ne mettaient en oeuvre que des blocs de dimensions considérables. La grosseur de leurs matériaux variait beaucoup selon l'usage auquel ils les destinaient. Les architraves, les fûts de colonnes, les linteaux et les montants de porte atteignaient quelquefois des dimensions considérables. Les architraves les plus longues que l'on connaisse, celles qui recouvrent l'allée centrale de la salle hypostyle à Karnak, ont en moyenne 9m, 20; elles représentent chacune une masse de 31 mètres cubes et un poids de 65,000 kilogrammes environ. D'ordinaire, les blocs ne sont pas beaucoup plus forts que ceux dont on se sert aujourd'hui en France; la hauteur en est de 0m,80 à 1m,20, la longueur de 1 mètre à 2m,50, l'épaisseur de 0m,50 à 1m,80. Quelques temples sont en une seule sorte de pierre; le plus souvent, les matériaux d'espèce différente sont juxtaposés à proportions inégales. Ainsi, le gros oeuvre des temples d'Abydos est un calcaire très fin; les colonnes, les architraves, les montants et les linteaux des portes, toutes les parties où l'on craignait que le calcaire n'eût pas une force de résistance suffisante, sont en grès dans l'édifice de Séti Ier, en grès, en granit ou en albâtre dans celui de Ramsès II. A Karnak, à Louxor, à Tanis, à Memphis, on remarque des mélanges analogues; au Ramesséum et dans quelques temples de Nubie, les colonnes reposent sur des massifs de briques crues. La pierre à pied d'oeuvre, les ouvriers la taillaient avec plus ou moins de soin, selon qu'elle devait occuper telle ou telle position. Quand les murs étaient de médiocre épaisseur, comme c'est généralement le cas des murs de refend, on la parait exactement sur toutes les faces. Lorsqu'ils étaient épais, les blocs du noyau étaient dégrossis de manière à rappeler le plus possible la forme cubique et à s'empiler les uns sur les autres sans trop de difficulté, sauf à combler les vides avec des éclats plus petits, du caillou, du ciment; on coupait ceux du parement avec soin sur la face destinée à être vue, on dressait les joints aux deux tiers ou aux trois quarts de la longueur, et on piquait simplement le reste de la queue. Les pièces les plus fortes étaient réservées aux parties basses des édifices, et cette précaution était d'autant plus nécessaire que les architectes d'époque pharaonique ne descendaient pas les fondations des temples beaucoup plus qu'ils ne faisaient celles des maisons. A Karnak, elles ne s'enfoncent guère qu'à 2 ou 3 mètres; à Louxor, dans la partie qui borde le fleuve, trois assises d'environ 0m,80 de haut chacune forment un patin gigantesque sur lequel reposent les murs; au Ramesséum, la couche de briques sèches sur laquelle pose la colonnade ne paraît pas avoir plus de 2 mètres; ce sont là des profondeurs insignifiantes, mais l'expérience des siècles a prouvé qu'elles suffisaient. L'humus compact et dur qui compose partout le sol de la vallée subit chaque année, au moment du retrait des eaux, une contraction qui le rend à peu près incompressible; le poids des maçonneries, augmentant graduellement au cours de la construction, lui fait bientôt atteindre le maximum de tassement et achève d'assurer à l'édifice une assiette solide. Partout où j'ai mis au jour le pied des murs, j'ai constaté qu'ils n'avaient pas bougé. Le système de construction des anciens Égyptiens ressemble par bien des points à celui des Grecs. Les pierres y sont souvent posées à joint vif, sans lien d'aucune sorte, et le maçon se fie au poids propre des matériaux pour les tenir en place. Parfois elles sont attachées par des crampons en métal, ou, comme dans le temple de Séti Ier à Abydos, par des queues d'aronde en bois de sycomore au cartouche du roi fondateur. D'ordinaire, elles sont comme soudées les unes aux autres par des couches de mortier plus ou moins épaisses. Tous les mortiers dont j'ai recueilli les échantillons sont jusqu'à présent de trois sortes: les uns, blancs et réduits aisément en poudre impalpable, ne contiennent que de la chaux; les autres, gris et rudes au toucher, sont mêlés de chaux et de sable; les autres doivent leur aspect rougeâtre à la poudre de brique pilée dont ils sont pénétrés. Grâce à l'emploi judicieux de ces procédés divers, les Égyptiens ont su, quand ils le voulaient, appareiller aussi bien que les Grecs des assises régulières, à blocs égaux, à joints verticaux symétriquement alternés; s'ils ne l'ont pas toujours fait, cela tient surtout à l'imperfection des moyens mécaniques dont ils disposaient. Les murs d'enceinte, les murs de refend, ceux des façades secondaires étaient perpendiculaires au sol; on se servait pour élever les matériaux d'une chèvre grossière plantée sur la crête. Les murs des pylônes, ceux des façades principales, parfois même ceux des façades secondaires étaient en talus, selon des pentes variables au gré de l'architecte; on établissait pour les construire des plans inclinés, dont les rampes s'allongeaient à mesure que montait le monument. Les deux méthodes étaient également dangereuses; si soigneusement qu'on enveloppât les blocs, ils couraient le risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles, ou même de se briser en éclats. Il fallait presque toujours les retoucher, et le désir d'avoir le moins de déchet possible portait l'ouvrier à leur prêter des coupes anormales (Fig.49). On retaillait en biseau une des faces latérales, et le joint, au lieu d'être vertical, s'inclinait sur le lit. Si la pierre n'avait plus la hauteur ou la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen soigneusement qu'on enveloppât les blocs, ils couraient le risque de perdre en chemin leurs arêtes et leurs angles, |
ou même de se briser en éclats. Il fallait presque toujours les retoucher, et le désir d'avoir le moins de déchet possible portait l'ouvrier à leur prêter des coupes anormales (Fig.49). On retaillait en biseau une des faces latérales, et le joint, au lieu d'être vertical, s'inclinait sur le lit. Si la pierre n'avait plus la hauteur ou la largeur voulue, on rachetait la différence au moyen d'une dalle complémentaire. Parfois même, on laissait subsister une saillie, qui s'emboîtait, pour ainsi dire, dans un creux correspondant, ménagé à l'assise supérieure ou inférieure. Ce qui n'était d'abord qu'accident devenait bientôt négligence. Les maçons, qui avaient hissé par inadvertance un bloc trop gros, ne se souciaient pas de le redescendre, et se tiraient d'affaire avec l'un des expédients dont je viens |
de parler. L'architecte ne surveillait pas assez attentivement la taille et la pose des pierres. Il souffrait que les assises n'eussent pas toutes la même hauteur, et que les joints verticaux de deux ou trois d'entre elles fussent dans un même prolongement. Le gros oeuvre achevé, on ravalait la pierre, on reprenait les joints, on les noyait sous une couche de ciment ou de stuc, coloré à la teinte de l'ensemble, et qui dissimulait les fautes du premier travail. Les murs ne se terminent presque jamais en arête vive. Ils sont comme cernés d'un tore autour duquel court un ruban sculpté, et couronnés soit de la gorge évasée que surmonte une bande plate (Fig.50), soit, comme à Semnéh, d'une corniche carrée, soit, comme à Médinét-Habou, d'une ligne de créneaux. Ainsi encadrés, on dirait autant de panneaux unis, levés chacun sur un |
seul bloc, sans saillies et presque sans ouvertures. Les fenêtres, toujours très rares, ne sont que de simples soupiraux, destinés à éclairer des escaliers comme au second pylône d'Harmhabi, à Karnak, ou à recevoir des pièces de charpente décorative les jours de fête. Les portes ne présentent que peu de relief sur le corps de l'édifice (Fig.51), sauf le cas où le linteau est surhaussé de la gorge et de la plate-bande. Seul, le pavillon de Médinét-Habou possède des fenêtres réelles; mais il était construit sur le plan d'une forteresse et ne doit être rangé qu'à titre d'exception parmi les monuments religieux. Le sol des cours et des salles était revêtu de dalles rectangulaires assez régulièrement ajustées, sauf dans l'intervalle des colonnes où, désespérant de raccorder à l'ensemble les lignes courbes de la base, les architectes ont accumulé des fragments de petite dimension sans ordre ni méthode (Fig.52). Au contraire de ce qu'ils pratiquaient pour les maisons, ils n'ont presque jamais employé la voûte dans les temples. On ne la rencontre guère qu'à Déir-el-Baharî et dans les sept sanctuaires parallèles d'Abydos, encore est-elle obtenue par encorbellement. La courbe en est dessinée dans trois ou quatre assises horizontales, placées en porte à faux l'une au-dessus de l'autre, puis évidées au ciseau, suivant une ligne continue (Fig.53). La couverture ordinaire consiste en dalles plates juxtaposées. Quand les vides entre les murs ne sont pas trop considérables, elle les franchit d'une seule volée; sinon, on l'étayait de supports d'autant plus multipliés que l'espace à couvrir est plus étendu. Ils étaient alors reliés par d'immenses poutres en pierre, les architraves, sur lesquelles s'appuient les dalles dont le toit se compose. Les supports sont de deux types différents: le pilier et la colonne. On en connaît d'un seul bloc. Les piliers du temple du Sphinx, les plus anciens qui aient été découverts jusqu'à présent, ont 5 mètres de hauteur sur 1m,40 de côté. Des colonnes en granit rose, éparses au milieu des ruines d'Alexandrie, de Bubaste, de Memphis, et qui |
remontent aux règnes d'Harmhabi et de Ramsès II, mesurent 6 et 8 mètres d'une même venue. Ce n'est là qu'une exception. Colonnes et piliers sont bâtis en assises souvent inégales et irrégulières, comme celles des murailles environnantes. Les grandes colonnes de Louxor ne sont pleines qu'au tiers du diamètre: elles ont un noyau de ciment jaunâtre, qui n'a plus de consistance et tombe en poudre sous les doigts. Le chapiteau de la colonne de Taharqou, à Karnak, contient trois assises hautes chacune d'environ 0m,123. La dernière, la plus saillante, se compose de vingt-six pierres, dont les joints verticaux tendent au centre, et qui ne sont maintenues en place que par le poids du dé superposé. Les mêmes négligences que nous avons |
signalées dans l'appareil des murs, on les retrouve toutes dans celui des colonnes. Le pilier quadrangulaire, à côtés parallèles ou légèrement inclinés, le plus souvent sans base ni chapiteau, est fréquent dans les tombes de l'ancien Empire. Il apparaît encore à Médinét-Habou, dans le temple de Thoutmos III, ou à Karnak, dans ce qu'on appelle le promenoir. Les faces en sont souvent habillées de tableaux peints ou de légendes, et la face extérieure reçoit un motif spécial de décoration: des tiges de lotus ou de papyrus en saillie, sur les piliers-stèles de Karnak, une tête d'Hathor coiffée du sistre, au petit spéos d'Ibsamboul (Fig.54), une figure debout, Osiris dans la première cour de Médinét-Habou, Bîsou à Dendérah et au Gebel-Barkal. A Karnak, dans l'édifice construit probablement par Harmhabi avec les débris d'un sanctuaire d'Amenhotpou II, le pilier est surmonté d'une gorge qu'un mince abaque séparé de l'architrave (Fig.55). Abattant les quatre angles, on le transforme en un prisme octogonal; puis, abattant les huit angles nouveaux, en un prisme à seize pans. C'est le type de certains piliers des tombeaux d'Assouân et de Beni-Hassan; du promenoir de Thoutmos III, à Karnak (Fig.56), et des chapelles de Déir-el-Baharî. A côté de ces formes régulièrement déduites on en remarque dont la dérivation est irrégulière, à six pans, à douze, à quinze, à vingt, ou qui aboutissent presque au cercle parfait. Les piliers du portique d'Osiris à Abydos sont au terme de la série; le corps en offre une section curviligne à peine interrompue par une bande lisse aux deux extrémités |
d'un même diamètre. Le plus souvent les pans se creusent légèrement en cannelures; parfois, comme à Kalabshéh, les cannelures sont divisées en quatre groupes de cinq par autant de bandes (Fig.57). Le pilier polygonal a toujours un socle large et bas, arrondi en disque. A El-Kab, il porte une tête d'Hathor appliquée à la face antérieure (Fig.58). Presque partout ailleurs, il est surmonté d'un simple tailloir carré qui le réunit à l'architrave. Ainsi constitué, il présente un air de famille avec la colonne dorique, et l'on comprend que Jomard et Champollion ont pu lui donner, dans l'enthousiasme de la découverte, le nom peu justifié de dorique primitif. La colonne ne repose pas immédiatement sur le sol. Elle est toujours pourvue d'un socle analogue à celui du pilier polygonal, au profil tantôt droit, tantôt légèrement arrondi, nu ou sans autre ornement qu'une ligne d'hiéroglyphes. Les formes principales se ramènent à trois types: 1° la colonne à chapiteau en campane; 2° la colonne à chapiteau en bouton de lotus; 3° la colonne hathorique. 1° Colonne à chapiteau campaniforme.--D'ordinaire, le fût est lisse ou simplement gravé d'écriture et de bas-reliefs. Quelquefois pourtant, ainsi à Médamout, il est composé de six grandes et de six petites colonnettes alternées. Aux temps pharaoniques, il s'arrondit, par le bas, en bulbe décoré de triangles curvilignes enchevêtrés, simulant de larges feuilles; la courbe est alors calculée de telle sorte que le diamètre inférieur soit sensiblement égal au diamètre supérieur. A l'époque ptolémaïque, le bulbe disparaît souvent, probablement sous l'influence des idées grecques: les colonnes qui bordent la première cour du temple d'Edfou s'enlèvent d'aplomb sur leur socle. Le fût subit toujours une diminution de la base au sommet. Il se termine par trois ou cinq plates-bandes superposées. A Médamout, où il est fasciculé, l'architecte a pensé sans doute qu'une seule attache au sommet paraîtrait insuffisante à maintenir les douze colonnettes, et il a indiqué deux autres anneaux de plates-bandes à intervalles réguliers. Le chapiteau, évasé en forme de cloche, est garni à la naissance d'une rangée de feuilles, |
semblables à celles de la base, et sur lesquelles s'implantent des tiges de lotus et de papyrus en fleurs et en boutons. La hauteur et la saillie sur le nu de la colonne varient au gré de l'architecte. |
A Louxor, les campanes ont 3m,50 de diamètre à la gorge, 5m,50 à la partie supérieure, et une hauteur de 3m,50; à Karnak, dans la salle hypostyle, la hauteur est de 3m,75 et le plus grand diamètre de 21 pieds. Un de cubique surmonte le tout. Il est assez peu élevé et presque entièrement masqué par la courbure du chapiteau; rarement, comme au petit temple de Dendérah, il s'élève et reçoit sur chaque face une figure du dieu Bîsou (Fig.59). |
La colonne à chapiteau campaniforme (Fig.60) se rencontre de préférence dans la travée centrale des salles hypostyles, à Karnak, au Ramesséum, à Louxor; mais elle n'est pas restreinte à cet emploi, et on la voit dans les portiques, à Médinét-Habou, à Edfou, à Philae. Le promenoir de Thoutmos III, à Karnak, en renferme une variété des plus curieuses (Fig.61): la campane est retournée, et la partie amincie du fût s'enfonce dans le socle, tandis que la partie la plus large se soude à l'évasement du chapiteau. Cet arrangement disgracieux n'eut pas de succès; on n'en trouve aucune trace hors du promenoir. D'autres innovations furent plus heureuses, celles surtout qui permirent aux artistes de grouper autour de la campane des éléments empruntés à la flore du pays. C'est d'abord, à Soleb, à Sesébî, à Bubaste, à Memphis, une bordure de palmes plantées droites sur les bandes plates et dont la tête se courbe sous le poids de l'abaque (Fig.62). Plus tard, aux approches de l'époque ptolémaïque, des régimes de dattes (Fig.63) et des lotus entr'ouverts vinrent s'ajouter aux branches de palmier. Sous les Ptolémées et sous les Césars, le chapiteau finit par devenir une véritable corbeille de fleurs et de feuilles étalées régulièrement et peintes des couleurs les plus vives (Fig.64). A Edfou, à Ombos, à Philae, on dirait que le constructeur s'est juré de ne pas répéter deux fois une même coupe de chapiteau d'un même côté du portique. 2° Colonne à chapiteau lotiforme.--Elle représentait peut-être à l'origine un faisceau de tiges de lotus dont les boutons, serrés au cou par un lien, se réunissent en bouquet pour former le chapiteau. La colonne de Beni-Hassan comporte quatre tiges arrondies (Fig.65). Celles du labyrinthe, celles du promenoir de Thoutmos III, celles de Médamout en ont huit qui présentent à la surface une arête saillante (Fig.66). Le pied est bulbeux et paré de feuilles triangulaires. La gorge est entourée de trois ou de cinq anneaux. Une moulure, composée de trois bandes verticales accolées, descend du dernier de ces anneaux dans l'intervalle de deux tiges; c'est |
comme une frange qui garnit le haut de la colonne. Une surface aussi accidentée ne prêtait guère à la décoration hiéroglyphique; aussi en arriva-t-on progressivement à supprimer toutes les saillies et à lisser le pourtour du fût. Dans la salle hypostyle de Gournah, il est divisé en trois segments: celui du milieu est uni et chargé de sculptures, celui du haut et celui du bas sont encore fasciculés. Au temple de Khonsou, dans les bas côtés de la salle hypostyle de Karnak, sous le portique de Médinét-Habou, le fût est entièrement lisse; seulement la frange subsiste sous les anneaux, et une arête légère ménagée de trois en trois bandes rappelle l'existence des tiges (Fig.67). Le chapiteau se dégrade de la même manière. A Beni-Hassan, il est fasciculé nettement dans toute sa hauteur. Au promenoir de Thoutmos III, à Louxor, à Médamout, un cercle de petites feuilles pointues et de cannelures règne autour de la base et amoindrit l'effet: ce n'est plus guère qu'un cône tronqué et côtelé. Dans la salle hypostyle de Karnak, à Abydos, au Ramesséum, à Médinét-Habou, des ornements de nature diverse, feuilles triangulaires, légendes hiéroglyphiques, bandes de cartouches flanqués d'uraeus, remplacent les côtes et se partagent l'espace conquis. L'abaque ne se dissimule pas comme dans la colonne campaniforme: il déborde hardiment et reçoit la légende du roi fondateur. |
3º La colonne hathorique.--On en a des exemples aux temps anciens, dans le temple de Déir-el-Baharî; mais c'est par les monuments d'époque ptolémaïque, par Contra-Latopolis, par Philae, par Dendérah surtout, qu'on la connaît le mieux. Le fût et la base ne présentent aucun caractère spécial: c'est le fût et la base de la colonne campaniforme. Le chapiteau a deux étages. Au plus bas, un bloc carré, sur chaque face duquel une tête de femme, à oreilles pointues de génisse, se détache, en haut relief; la coiffure, maintenue sur le front par trois bandelettes verticales, passe derrière les oreilles et tombe le long du cou. Chaque tête porte une corniche cannelée, sur laquelle s'élève un naos encadré entre deux volutes; un mince dé carré couronne le tout (Fig.68). La colonne a donc pour chapiteau quatre têtes d'Hathor. Aperçue de loin, elle rappelle immédiatement à l'esprit un des sistres que les bas-reliefs nous montrent entre les mains des reines et des déesses. C'est un sistre en effet, mais où les proportions normales des diverses parties ne sont pas observées: le manche est gigantesque, tandis que la moitié supérieure de l'instrument est réduite outre mesure. Ce motif plut tellement qu'on n'hésita pas à le combiner |
avec des éléments empruntés à d'autres ordres. Les quatre têtes d'Hathor, mises par-dessus un chapiteau campaniforme, fournirent le type composite que Nectanébo employa au pavillon de Philae (Fig.69). Je ne saurais dire que le mélange soit très satisfaisant: vue en place, la colonne est moins disgracieuse qu'on ne serait tenté de le croire d'après les gravures. Les supports ne sont pas soumis à des règles fixes de proportions et d'agencement. L'architecte pouvait attribuer, si cela lui plaisait, une hauteur égale à des supports de diamètre très différent, et en dessiner chacun des éléments à l'échelle qui lui convenait le mieux, sans autre souci que d'une certaine harmonie générale: les dimensions du chapiteau n'étaient pas en rapport immuable avec celles du fût, et la hauteur du fût ne dépendait nullement du diamètre de la colonne. A Karnak, les colonnes campaniformes de la salle hypostyle ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, un peu moins de 17 pour le fût, 3 m 57 de diamètre inférieur; à Louxor, 3 m 50 pour le chapiteau, 15 pour le fût, 3 m 45 au bulbe; au Ramesséum, 11 mètres pour le chapiteau et pour le fût et 2 mètres au bulbe. L'étude des colonnes lotiformes nous amène à des résultats semblables. A Karnak, sur les bas côtés de la salle hypostyle, elles ont 3 mètres de haut pour le chapiteau, 10 pour le fût, 2 m 08 de diamètre sur le socle; au Ramesséum, 1m,70 pour le chapiteau, 7m,50 pour le fût, 1m,78 de diamètre sur le socle. |
Même irrégularité dans la disposition des architraves: rien n'en détermine l'élévation que le caprice du maître ou les nécessités de la construction. Même irrégularité dans les entre-colonnements: non seulement la largeur en diffère beaucoup de temple à temple et de chambre à chambre, mais parfois, comme dans la première cour de Médinét-Habou, ils sont inégaux pour un même portique. Voilà pour les types employés séparément. Quand on les associait dans un seul édifice, on ne s'astreignait pas à leur donner des proportions fixes par rapport l'un à l'autre. Dans la salle hypostyle de Karnak les colonnes à campanes soutiennent la travée la plus haute, et les colonnes en bouton de lotus sont reléguées aux bas côtés (Fig.70). Il y a des salles du temple de Khonsou, où c'est la colonne lotiforme qui est la plus élevée, d'autres où c'est la colonne campaniforme. A Médamout, lotiformes et campaniformes ont partout la même hauteur dans ce qui subsiste de l'édifice. L'Égypte n'a jamais eu d'ordres définis comme en a possédé la Grèce. Elle a essayé toutes les combinaisons auxquelles se prêtaient les éléments de la colonne, sans jamais en chiffrer aucune avec assez de précision pour qu'étant donné un des membres, on puisse en déduire, même approximativement, les dimensions de tous les autres. 2.--LE TEMPLE. La plupart des sanctuaires célèbres, Dendérah, Edfou, Abydos, avaient été fondés avant Minì par les serviteurs d'Hor; mais, vieillis ou ruinés au cours des âges, ils avaient été restaurés, remaniés, reconstruits l'un après l'autre sur des devis nouveaux. Nul débris ne nous est resté de l'appareil primitif pour nous montrer ce que l'architecture égyptienne était à ses commencements. Les temples funéraires bâtis par les rois de la IVe dynastie ont laissé plus de traces. Celui de la seconde pyramide, à Gizéh, était assez bien conservé encore dans les premières années du XVIIIe siècle, pour que de Maillet y ait vu quatre gros piliers debout. La destruction est à peu près complète aujourd'hui; mais cette perte a été compensée, vers 1853, par la découverte d'un temple situé à |