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LETTRE D’ALEXANDRE DUMAS
ОглавлениеMerci, mon cher La Landelle,
Vous lancez sous la forme d’un remercîment le prospectus de mes trente mille autographes.
Pourquoi l’idée m’en est-elle venue si tard?
J’aurais pu, en mettant un prix infime à quelques lignes de ma main, en exploitant une popularité que je dois plutôt à mon cœur qu’à mon esprit, j’aurais pu soulager une foule d’infortunes devant lesquelles j’ai été obligé de rester muet ou impuissant. Tout en travaillant dix ou douze heures par jour, et justement parce que je travaille dix ou douze heures par jour, il y a bien des moments perdus dans ma vie. Ces moments sont ceux où le cerveau, lassé de produire, a besoin d’un repos momentané. Eh bien! pendant ce repos du cerveau, la main peut continuer d’agir; elle peut tracer machinalement et sans intéresser l’intelligence à cette opération, une ligne sur un papier, vers, sentence ou maxime, —répéter cette ligne mille fois. Supposez mille amateurs d’autographes qui paient cette ligne vingt-cinq centimes, voilà deux cent cinquante francs gagnés au profit des dix premiers pauvres diables qui viendront me demander l’aumône.
Comprenez-vous mon orgueil, cher ami, si quatre cent mille autographes de moi se vendent vingt-cinq centimes, et ma satisfaction si, pendant les quelques années qui me restent encore à vivre, je puis me donner ce plaisir princier de faire pour cent mille francs d’aumônes?
Quel malheur, comme je vous le disais au commencement de cette lettre, que l’idée ne m’en soit pas venue plus tôt! J’eusse fait un million d’autographes; mais que Dieu m’accorde le temps d’en faire quatre cent mille et je m’en consolerai.
A cent par jour, il me faut onze ans pour cela.
Avis aux amateurs d’autographes. J’ai, à partir du 24 juillet prochain, date anniversaire de ma naissance, cent autographes par jour à leur disposition.
Bien à vous et surtout toujours à vous,
ALEXANDRE DUMAS.
20 juin.