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I
LA LÉGENDE DES HOMMES VOLANTS
ОглавлениеDédale et Icare. — La flèche d'Abaris. — La colombe volante d'Archytas. — Roger Bacon. — Dante de Pérouse. — Appareil volant de Besnier. — Les poètes et les romanciers. — Cyrano de Bergerac. — Pierre Wilkins. — Rétif de la Bretonne. — M. de la Folie.
Il est certain que dans tous les temps, les hommes de hardiesse qui, dès les premiers âges du monde, avaient le sentiment de l'exploration, le goût des voyages, le désir de parcourir les mers et de s'éloigner du rivage sur des barques plus ou moins primitives, ont dû se demander s'il ne serait pas possible d'imiter l'oiseau et de quitter la terre en s'élevant dans l'atmosphère. Les légendes de l'antiquité abondent en récits de tentatives de ce genre. Ovide a retracé notamment les aventures de Dédale qui, pour fuir la colère de Minos, roi de Crète, fabriqua des ailes qui lui permirent de se sauver de l'île où il était prisonnier avec son fils Icare. Dédale réussit à s'évader, mais Icare ayant volé trop haut, la cire qui liait ses ailes se fondit au soleil, et il tomba dans la mer.
Des histoires analogues se retrouvent dans des temps plus reculés encore. Dans le tome Ier des Religions de l'Inde[1], on lit: «Hanouman monta sur le sommet d'une colline et, après avoir pris les conseils du sage Jambaranta, il s'élança dans les airs et alla tomber dans le Lanka, ainsi qu'il l'avait espéré.» La Bible rapporte que le prophète Élie fut enlevé par un char de feu.
Dans la Salle des dieux, au musée égyptien du Louvre, il existe une petite plaque de bronze d'une haute antiquité, où l'on voit en relief un homme volant les deux ailes étendues (fig. 1). Il est vrai que l'on s'accorde à considérer cette pièce comme une composition symbolique plutôt que comme la représentation d'un appareil d'aviation.
Fig. 1.—Bronze égyptien représentant un homme volant.
Abaris, d'après les récits de Diodore de Sicile, aurait fait le tour de la Terre, assis sur une flèche d'or. L'oracle du temple d'Hiéropolis se serait élevé dans les airs. Sous Néron, Simon le Magicien aurait aussi connu le moyen de voler dans l'espace. Les Capnobates, peuple de l'Asie Mineure, dont le nom signifie marcheurs par la fumée, auraient trouvé le moyen de s'élever à l'aide de l'air raréfié par le feu.
Reproduire avec détails des fables de ce genre, n'aurait qu'un intérêt purement mythologique. Là n'est pas notre but; nous voulons passer en revue les expériences qui ont pu être faites, et les idées rationnelles qui ont pu être émises au sujet de la navigation aérienne avant les Montgolfier. Sans chercher des documents dans les traités d'aérostation écrits depuis un siècle et qui, la plupart du temps, se recopient les uns les autres, je me suis efforcé de remonter aux sources originales afin d'offrir au lecteur des renseignements inédits, sûrs et précis.
Le premier document que les historiens spéciaux aient signalé au sujet des appareils de vol mécanique, est relatif à la colombe volante d'Archytas[2]. On a beaucoup écrit à ce sujet, mais en oubliant trop souvent le texte original. Il n'existe, à notre connaissance, aucun autre texte que celui des Nuits attiques d'Aulu-Gelle. Or, voici ce qu'Aulu-Gelle a écrit, d'après la traduction française de la collection Nisard: «Les plus illustres des auteurs grecs, et, entre autres, le philosophe Favorinus, qui a recueilli avec tant de soins les vieux souvenirs, ont raconté du ton le plus affirmatif qu'une colombe de bois, faite par Archytas à l'aide de la mécanique, s'envolait; sans doute elle se soutenait au moyen de l'équilibre, et l'air qu'elle renfermait secrètement la faisait mouvoir[3].»
Voilà tout ce que l'histoire a laissé; cette phrase laconique n'autorise en aucune façon les affirmations qui ont été publiées postérieurement par des écrivains trop crédules. Dans plusieurs autres auteurs, Cassiodore, Michel Glycas, etc., on trouve des histoires vagues d'oiseaux artificiels qui volaient et qui chantaient. Il semble à peu près certain qu'il s'agit de contes imaginaires, bien plutôt que de faits réels.
Il n'en est pas moins vrai que des appareils d'aviation ont été expérimentés depuis des temps très reculés.
Au onzième siècle, Olivier de Malmesbury, savant bénédictin anglais, entreprit de voler en s'élevant du haut d'une tour, mais les ailes qu'il avait attachées à ses bras et à ses pieds n'ayant pu le porter, il se cassa les jambes en tombant, et mourut à Malmesbury en 1060[4].
Au douzième siècle, un Sarrasin, qui passa d'abord pour magicien, fit, d'après la légende, une tentative de vol aérien à Constantinople, sous le règne d'Emmanuel Comnène. Il était monté sur le haut de la tour de l'hippodrome. Il était debout, vêtu d'une robe blanche fort longue et fort large, dont les pans, retroussés avec de l'osier, lui devaient servir de voile pour recevoir le vent. Il s'éleva comme un oiseau, mais son vol fut aussi infortuné que celui d'Icare. Il se brisa les os[5].
Au treizième siècle, le moine anglais Roger Bacon a affirmé, dans son livre: De mirabili potestate artis et naturæ, que l'homme pourrait un jour voler dans l'atmosphère; mais il ne donne aucune indication sur un mécanisme quelconque, et il se contente d'une simple prophétie:
«On fabriquera des instruments pour voler, au moyen desquels l'homme assis fera mouvoir quelque ressort qui mettra en branle des ailes artificielles comme celles des oiseaux.» Et rien de plus. Une hypothèse exprimée de cette manière, ne permet assurément pas de compter Roger Bacon au nombre des précurseurs des Montgolfier.
Au quinzième siècle, Jean Muller, dit Regiomontanus, aurait construit une mouche de métal qui se soutenait dans l'air, et un aigle de fer qui serait allé au-devant de l'empereur Frédéric IV et aurait volé sur un parcours de mille pas aux environs de Nuremberg. Ces récits sont peu vraisemblables.
On a encore souvent parlé de Dante de Pérouse qui, au quatorzième siècle, aurait réussi à construire des ailes artificielles au moyen desquelles il se serait élevé et aurait franchi le lac Trasimène.
Ce récit a été mentionné par Henri Paulrau dans son Dictionnaire de physique, en 1789. Je suis arrivé à me procurer un livre plus ancien, daté de 1678, et qui rapporte le même récit. Ce livre est intitulé: Athenæum Augustum in quo Perusinorum scripta publice exponientur. Il donne (p. 168) une courte biographie de Baptista Dantius Perusinus, et il affirme que l'expérience dont nous venons de parler a eu lieu; mais on ne trouve aucun détail du mécanisme, ce qui ferait supposer que l'auteur reproduit un simple récit légendaire encore inspiré de celui d'Icare.
La tradition rapporte que sous Louis XIV un nommé Allard, danseur de corde, annonça qu'il ferait une expérience de vol, à Saint-Germain, en présence du roi. Il devait partir de la terrasse pour descendre dans les bois du Vésinet. L'expérience eut lieu, paraît-il, mais Allard tomba au pied même de la terrasse, et se blessa grièvement.
Il fut question en 1678 d'un appareil volant construit par un nommé Besnier. Les aviateurs ont souvent mentionné ce fait; j'ai pu me procurer encore le document original où il est signalé. C'est le Journal des sçavans du 12 décembre 1678; voici in extenso ce qui est dit de l'expérience de Besnier avec la reproduction de la figure (fig. 2).