Читать книгу Lélia - George Sand - Страница 8

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II

Lélia, j’ai peur de vous. Plus je vous vois, et moins je vous devine. Vous me ballottez sur une mer d’inquiétudes et de doutes. Vous semblez vous faire un jeu de mes angoisses. Vous m’élevez au ciel, et vous me foulez aux pieds. Vous m’emportez avec vous dans les nuées radieuses, et puis vous me précipitez dans le noir chaos! Ma faible raison succombe à de telles épreuves. Épargnez-moi, Lélia!

Hier, quand nous nous promenions sur la montagne, vous étiez si grande, si sublime, que j’aurais voulu m’agenouiller devant vous et baiser la trace embaumée du vos pas. Quand le Christ fut transfiguré dans une nuée d’or et sembla nager aux yeux de ses apôtres dans un fluide embrasé, ils se prosternèrent et dirent: „Seigneur, vous êtes bien le fils de Dieu! Et puis, quand la nuée se fut évanouie et que le prophète descendit la montagne avec ses compagnons, ils se demandèrent sans doute avec inquiétude: „Cet homme qui marche avec nous, qui parle comme nous, qui va souper avec nous, est-il donc le même que nous venons de voir enveloppé de voiles de feu et tout rayonnant de l’esprit du Seigneur? Ainsi fais-je avec vous, Lélia! A chaque instant vous vous transfigurez devant moi, et puis vous dépouillez la divinité pour redevenir mon égale, et alors je me demande avec effroi si vous n’êtes point quelque puissance céleste, quelque prophète nouveau, le Verbe incarné encore une fois sous une forme humaine, et si vous agissez ainsi pour éprouver notre foi et connaître parmi nous les vrais fidèles!

Mais le Christ! cette grande pensée personnifiée, ce type sublime de l’âme immatérielle, il était toujours au-dessus de la nature humaine qu’il avait revêtue. Il avait beau redevenir homme, il ne pouvait se cacher si bien qu’il ne fût toujours le premier entre les hommes. Vous, Lélia, ce qui m’effraie, c’est que, quand vous descendez de vos gloires, vous n’êtes plus même à notre niveau, vous tombez au-dessous de nous-mêmes, et vous semblez ne plus chercher à nous dominer que par la perversité de votre cœur. Par exemple, qu’est-ce donc que cette haine profonde, cuisante, inextinguible, que vous avez pour notre race? Peut-on aimer Dieu comme vous faites, et détester si cruellement ses œuvres? Comment accorder ce mélange de foi sublime et d’impiété endurcie, ces élans vers le ciel, et ce pacte avec l’enfer? Encore une fois, d’où venez-vous, Lélia? Quelle mission de salut ou de vengeance accomplissez-vous sur la terre?

Hier, à l’heure où le soleil descendait derrière le glacier, noyé dans des vapeurs d’un rose bleuâtre, alors que l’air tiède d’un beau soir d’hiver glissait dans vos cheveux, et que la cloche de l’église jetait ses notes mélancoliques aux échos de la vallée; alors, Lélia, je vous le dis, vous étiez vraiment la fille du ciel. Les molles clartés du couchant venaient mourir sur vous et vous entouraient d’un reflet magique. Vos yeux, levés vers la voûte bleue, où se montraient à peine quelques étoiles timides, brillaient d’un feu sacré. Moi, poète des bois et des vallées, j’écoutais le murmure mystérieux des eaux, je regardais les molles ondulations des pins faiblement agités, je respirais le suave parfum des violettes sauvages qui, au premier jour tiède qui se présente, au premier rayon ce soleil pâle qui les convie, ouvrent leurs calices d’azur sous la mousse desséchée. Mais vous, vous ne songiez point à tout cela; ni les fleurs, ni les forêts, ni le torrent, n’appelaient vos regards. Nul objet sur la terre n’éveillait vos sensations, vous étiez toute au ciel. Et quand je vous montrai le spectacle enchanté qui s’étendait sous nos pieds, vous me dîtes, en élevant la main vers la voûte éthérée: „Regardez cela!„ O Lélia! vous soupiriez après votre patrie, n’est-ce pas? vous demandiez à Dieu pourquoi il vous oubliait si longtemps parmi nous, pourquoi il ne vous rendait pas vos ailes blanches pour monter à lui?

Mais, hélas! quand le froid qui commençait à souffler sur la bruyère nous eut forcés de chercher un abri dans la ville; quand, attiré par les vibrations de cette cloche, je vous priai d’entrer dans l’église avec moi et d’assister à la prière du soir, pourquoi, Lélia, ne m’avez-vous pas quitté? Pourquoi, vous qui pouvez certainement des choses plus difficiles, n’avez-vous pas fait descendre d’en haut un nuage pour me voiler votre face? Hélas! pourquoi vous ai-je vue ainsi, debout, le sourcil froncé, l’air hautain, le cœur sec? Pourquoi ne vous êtes-vous pas agenouillée sur les dalles moins froides que vous? Pourquoi n’avez-vous pas croisé vos mains sur ce sein de femme que la présence de Dieu aurait dû remplir d’attendrissement ou de terreur? Pourquoi ce calme superbe et ce mépris apparent pour les rites de notre culte? N’adorez-vous pas le vrai Dieu, Lélia? Venez-vous des contrées brûlantes où l’on sacrifie à Brama, ou des bords de ces grands fleuves sans nom où l’homme implore, dit-on, l’esprit du mal? car nous ne savons ni votre famille, ni les climats qui vous ont vue naître. Nul ne le sait, et le mystère qui vous environne nous rend superstitieux malgré nous!

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Lélia

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