Читать книгу Le meunier d'Angibault - George Sand - Страница 14

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Marcelle chemina fort commodément sur la robuste et pacifique Sophie. Le petit Édouard, qu'elle tenait bien serré devant elle, «goûtait fort cette façon d'aller,» comme dit le bon La Fontaine. Il talonnait de ses deux petits pieds l'encolure de la bête, qui ne le sentait pas et n'en allait pas plus vite. Elle marchait comme un vrai cheval de meunier, sans avoir besoin d'être guidée, connaissant son chemin par coeur, et se dirigeant dans l'obscurité, à travers l'eau et les pierres, sans jamais se tromper ni faire un faux pas. A la requête de Marcelle, qui craignait, pour son vieux serviteur, une nuit passée à la belle étoile, le meunier fit retentir sa voix tonnante à plusieurs reprises, et Lapierre, qui s'était égaré dans un taillis voisin, et tournait, depuis une demi-heure, dans l'espace d'un arpent, vint bientôt rejoindre la petite caravane.

Au bout d'une heure de marche le bruit d'une écluse se fit entendre, et les premières blancheurs de la lune éclairèrent le toit couvert de pampre du moulin, et les bords argentés de la rivière, jonchés de menthe et de saponaire.

Marcelle sauta légèrement sur ce tapis parfumé, après avoir remis dans les bras du meunier l'enfant, qui, tout joyeux et tout fier de son voyage équestre, lui jeta ses petits bras autour du cou, en lui disant:

—Bonjour, alochon.

Ainsi que le Grand-Louis l'avait annoncé, sa vieille mère se releva sans humeur, et avec l'aide d'une petite servante de quatorze à quinze ans, les lits furent bientôt prêts. Madame de Blanchemont avait plus besoin de repos que de souper: elle empêcha la vieille meunière de lui servir autre chose qu'une tasse de lait, et, brisée de fatigue, elle s'endormit avec son enfant attaché à son flanc maternel, dans un lit de plume, appelé couette, d'une hauteur démesurée et d'un moelleux recherché. Ces lits, dont tout le défaut est d'être trop chauds et trop doux, composent, avec une paillasse rebondie, tout le coucher des habitants aisés ou misérables d'un pays où les oies abondent, et où les hivers sont très-froids.

Fatigué d'un long voyage de quatre-vingts lieues fait très rapidement, et surtout de la course en patache qui en avait été pour ainsi dire le bouquet, la belle Parisienne eût volontiers dormi la grasse matinée; mais à peine l'aube eut-elle paru, que le chant des coqs, le tic-tac du moulin, la grosse voix du meunier et tous les bruits du travail rustique la forcèrent de renoncer à un plus long repos. D'ailleurs, Edouard qui n'était pas fatigué le moins du monde et que l'air de la campagne stimulait déjà, commençait à gambader sur son lit. Malgré tout le tapage du dehors, Suzette, couchée dans la même chambre, dormait si profondément, que Marcelle se fit conscience de la réveiller. Commençant donc le genre de vie nouveau qu'elle avait résolu d'embrasser, elle se leva et s'habilla sans l'aide de sa femme de chambre, fit elle-même avec un plaisir extrême la toilette de son fils, et sortit pour aller souhaiter le bonjour à ses hôtes. Elle ne trouva que le garçon de moulin et la petite servante, qui lui dirent que le maître et la maîtresse venaient d'aller au bout du pré pour s'occuper du déjeuner. Curieuse de savoir en quoi consistaient ces préparatifs, Marcelle franchit le pont rustique qui servait en même temps de pelle au réservoir du moulin, et laissant sur sa droite une belle plantation de jeunes peupliers, elle traversa la prairie en longeant le cours de la rivière, ou plutôt du ruisseau, qui, toujours plein jusqu'aux bords et rasant l'herbe fleurie, n'a guère en cet endroit plus de dix pieds de large. Ce mince cours d'eau est pourtant d'une grande force, et aux abords du moulin il forme un bassin assez considérable, immobile, profond et uni comme une glace, où se reflètent les vieux saules et les toits moussus de l'habitation. Marcelle contempla ce site paisible et charmant, qui parlait à son coeur sans qu'elle sût pourquoi. Elle en avait vu de plus beaux; mais il est des lieux qui nous disposent à je ne sais quel attendrissement invincible, et où il semble que la destinée nous attire pour nous y faire accepter des joies, des tristesses ou des devoirs.


Le meunier d'Angibault

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