Читать книгу Les beaux messieurs de Bois-Doré - George Sand - Страница 9

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Il avait pris d'autant mieux son parti d'être joué et berné par les dames, qu'il ne s'en était jamais aperçu. Il se savait beau, libéral et brave; ses aventures étaient courtes mais nombreuses; son cœur avait besoin de plus d'amitié que d'emportement, et, par sa discrétion et sa douceur de mœurs, il avait mérité de rester l'ami de tout le monde. Il s'était donc trouvé heureux sans se tracasser pour être adoré, et, franchement, il avait aimé un peu toutes les belles sans en adorer aucune.

On l'eût bien accusé d'égoïsme si le reproche eût été facile à concilier avec celui qu'on lui faisait d'être trop bon et trop humain. Il était bien un peu la caricature du bon Henri, que plusieurs traitaient d'ingrat et de traître, et que tous aimaient quand même, après l'avoir fréquenté.

Mais le temps avait marché, et c'était encore là une chose dont messire de Bois-Doré n'avait pas daigné s'apercevoir. Son corps souple s'était durci et roidi, sa belle jambe s'était séchée, son noble front s'était dégarni, son grand œil s'était entouré de rides comme le soleil de rayons, et, de toute sa jeunesse envolée, il n'avait conservé que des dents, un peu longues, mais encore blanches et bien rangées, avec lesquelles il affectait de casser des noisettes au dessert, pour que l'on y fit attention. On disait même, chez ses voisins, qu'il était fort contrarié si l'on oubliait d'en mettre pour lui sur la table.

Quand nous disons que M. de Bois-Doré ne s'était pas aperçu des outrages du temps, c'est une façon d'exprimer le contentement qu'il avait encore de lui-même; car il est certain qu'il se vit vieillir et qu'il combattait l'effet des ans avec une vaillante obstination. Je crois que la plus grande énergie dont il se sentit capable fut employée à cette bataille.

Lorsqu'il vit ses cheveux blanchir et s'en aller, il fit exprès le voyage de Paris pour se commander une perruque chez le meilleur faiseur. Déjà la perruquerie devenait un art; mais les chercheurs de détails nous ont appris que, pour avoir des raies de tête en soie blanche avec cheveux implantés un par un, il fallait dépenser au moins soixante pistoles.

M. de Bois-Doré ne s'arrêta pas devant cette bagatelle, lui qui était riche désormais et qui mettait fort bien douze à quinze cents francs de notre monnaie à un habillement de demi-toilette, cinq à six mille à un habit de gala. Il courut essayer des perruques: d'abord il s'éprit d'une blonde crinière qui lui allait merveilleusement bien au dire du perruquier.

Bois-Doré, qui ne s'était jamais vu blond, commençait à le croire, lorsqu'il en essaya une châtain qui, toujours au dire du vendeur, lui allait tout aussi bien. Les deux étaient du même prix; mais Bois-Doré en essaya une troisième qui coûtait dix écus de plus et qui jeta le marchand dans l'enthousiasme: celle-là était véritablement la seule qui fit ressortir les avantages de M. le marquis.

Bois-Doré se souvint du temps où les dames disaient qu'il était rare de voir une chevelure aussi noire que la sienne avec une peau aussi blanche.

—Ce perruquier doit avoir raison, pensa-t-il.

Et, pourtant, il s'étonna quelques instants devant la glace, de voir que cette crinière sombre lui donnait l'air dur et violent.

—C'est surprenant, se dit-il, comme cela me change! Cependant, c'est ma couleur naturelle. J'avais, dans ma jeunesse, l'air aussi doux que je l'ai encore. Mes épais cheveux noirs ne me donnaient pas cette mine de mauvais garçon.

Il ne lui vint pas à l'idée que tout est en parfaite harmonie dans les opérations de la nature, soit qu'elle nous fasse, soit qu'elle nous défasse, et qu'avec ses cheveux gris il avait la mine qu'il devait avoir.

Mais le perruquier lui répéta tant de fois qu'il ne paraissait plus que trente ans avec cette belle perruque, qu'il la lui acheta et lui en commanda sur-le-champ une seconde, par économie, disait-il, afin de ménager la première.

Néanmoins, il se ravisa le lendemain. Il se trouvait plus vieux qu'auparavant avec cette tête de jeune homme, et c'était l'avis de tous ceux qu'il avait consultés.

Le perruquier lui expliqua qu'il fallait mettre d'accord les cheveux, les sourcils et la barbe, et il lui vendit la teinture. Mais alors Bois-Doré se trouva si blême au milieu de ces taches d'encre, qu'il fallut encore lui expliquer que le fard était nécessaire.

—Il paraît, dit-il, que quand on commence à user d'artifice, il n'est plus possible de s'arrêter?

—C'est la coutume, répondit le rajeunisseur; choisissez d'être ou de paraître.

—Mais je suis donc vieux?

—Non, puisque vous pouvez encore paraître jeune moyennant mes recettes.

Depuis ce jour, Bois-Doré porta perruque; sourcils, moustaches et barbe peints et cirés; badigeon sur le museau, rouge sur les joues, poudres odorantes dans tous les plis de ses rides; en outre, essences et sachets de senteur sur toute sa personne: si bien que, quand il sortait de sa chambre, on le sentait jusque dans la basse-cour, et que, s'il passait seulement devant le chenil, tous ses chiens courants éternuaient et grimaçaient pendant une heure.

Quand il eut bien réussi à faire, d'un beau vieillard qu'il était, une vieille marionnette burlesque, il s'avisa encore de gâter son port, qui avait la dignité de son âge, en faisant barder de doubles lames d'acier ses pourpoints et ses hauts-de-chausses, et en se tenant si droit, que, chaque soir, il se mettait au lit avec une courbature.

Il en serait mort, si, heureusement pour lui, la mode n'eût changé.

Les rigides pourpoints serrés de Henri IV s'élargirent en casaque légère sur la poitrine des jeunes favoris de Louis XIII. Les braies en cerceau firent place à la culotte large et flottante, obéissant à toutes les inflexions du corps.

Bois-Doré eut quelque peine à admettre ces innovations, et à se séparer de ses inflexibles fraises godronnées, pour se mettre un peu plus à l'aise dans les rotondes légères. Il regretta fort les passements; mais, peu à peu, les rubans et les dentelles le séduisirent, et, après un court voyage qu'il fit à Paris, on le vit revenir habillé à la mode des jeunes gens du bel air, et affecter leur désinvolture nonchalante et brisée, s'étendant sur les fauteuils, prenant des poses lasses, se relevant en trois temps quand il était assis; en un mot, faisant, avec sa haute taille et ses traits accentués, ce personnage de petit marquis fadasse, que, trente ans plus tard, Molière trouva complet dans son ridicule et mur pour la satire.

Cette manière d'être aida Bois-Doré à cacher la pesanteur réelle de ses années sous un déguisement qui faisait de lui une sorte de fantôme comique.

D'Alvimar le trouva même effrayant à première vue. Il ne comprenait rien à cette profusion de boucles d'ébène sur cette face ridée, à ces gros sourcils terribles sur des yeux si doux, à ce fard éclatant qui avait l'air d'un masque follement posé sur une figure respectable et bienveillante.

Quant au costume, il était, par sa recherche, par la quantité de galons, de broderies, de rosettes et de panaches, on ne peut plus ridicule en plein jour, à la campagne, outre que les couleurs tendres et pâles, que notre marquis affectionnait, juraient davantage avec l'aspect léonin de sa moustache hérissée et de sa crinière d'emprunt.

Mais l'accueil que lui fit le vieux gentilhomme détruisit agréablement, chez d'Alvimar, l'effet rébarbatif de cette mascarade.

M. de Beuvre s'était levé pour présenter l'ami de Guillaume au marquis, et pour lui rappeler qu'il était chargé de lui pour plusieurs jours.

—C'est un plaisir et un honneur que je réclamerais pour moi-même, dit M. de Beuvre, si j'étais dans ma propre maison; mais je ne dois pas oublier que je suis chez ma fille, et, d'ailleurs, cette maison est moins riche et moins ornée que la vôtre mon cher Sylvain, et nous ne voulons pas priver M. de Villareal des douceurs qui l'y attendent.

—J'accepte l'hyperbole, répondit Bois-Doré, si elle peut éblouir M. de Villareal au point de le faire rester longtemps sous ma garde.

Et, ouvrant ses deux grands bras couverts de manchettes jusqu'aux coudes, il embrassa le prétendu Villareal en lui disant avec un bon rire qui montrait ses grandes dents blanches:

—Fussiez-vous le diable, monsieur, du moment que vous m'êtes confié, vous devenez pour moi comme un frère.

Il se garda bien de dire «comme un fils.» Il eût craint de révéler le chiffre de ses années, chiffre qu'il croyait mystérieux, depuis qu'il l'avait oublié lui-même.

Villareal d'Alvimar se fût bien passé de cette accolade, de la part d'un catholique de si fraîche date, d'autant plus que les parfums dont le marquis était imprégné lui ôtèrent le peu d'appétit qu'il avait, et qu'après l'avoir embrassé, il lui serra vigoureusement les mains entre ses doigts secs, armés de bagues énormes. Mais d'Alvimar devait songer avant tout à sa propre sûreté, et il sentit, à l'accent cordial et résolu de M. Sylvain, qu'il était réellement placé en des mains loyales et dévouées.

Il prit donc son parti de reconnaître la double hospitalité dont il était l'objet, en se montrant sous son meilleur jour, et, lorsqu'il sortit de table, les deux vieux gentilshommes étaient enchantés de lui.

Il eût pourtant bien souhaité de prendre quelque repos; mais le châtelain le provoqua aux échecs et ensuite au billard avec Bois-Doré, qui se fit battre.

D'Alvimar aimait le jeu et n'était pas indifférent au gain de quelques écus d'or.

Les heures s'écoulaient dans une intimité pour ainsi dire escomptée, puisque ces amusements n'amenèrent aucun entretien assez suivi pour mettre ces trois personnes à même de se connaître.

Madame de Beuvre, qui s'était retirée après le repas, reparut vers quatre heures, au moment où elle vit faire dans le préau les préparatifs du départ de ses hôtes.

Elle leur proposa de prendre l'air dans les jardins avant de se séparer.

Les beaux messieurs de Bois-Doré

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