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Narration.

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Pendant que M. Comtois regrettait de ne pouvoir être philosophe, son maître se promenait. Il revenait, à l'entrée de la nuit, en compagnie d'un garde-chasse qu'il avait rencontré et qui lui était fort utile pour retrouver le chemin du manoir de Mauzères, lorsqu'en passant au bas d'un petit coteau couvert de vignes, il remarqua une faible lueur qui blanchissait ce court horizon.

—Est-ce la lune qui se lève? demanda-t-il à son guide.

Le guide sourit.

—Je ne crois pas, dit-il, que la lune se lève du côté où le soleil se couche.

—C'est juste, dit d'Argères en riant tout à fait de son inattention. Qu'est-ce donc que cette clarté?

—Ce n'est rien. C'est une maison qui est par là tout juste au revers du coteau. C'est la maison de la Désolade.

La Désolade? Voilà un nom bien triste.

—Dame! c'est un nom qu'on lui a laissé comme ça dans le pays, à cause de la pauvre dame qui y reste. C'est une jeune femme très-jolie, ma foi, qui a perdu son mari après six mois de mariage et qui ne peut pas se consoler. Elle est malade et comme égarée par moments. On a même peur qu'elle ne devienne folle tout à fait.

—Attendez! reprit d'Argères, qui, en suivant son guide sur le sentier, s'était un peu rapproché de la demeure invisible, je crois que j'entends de la musique.

Ils s'arrêtèrent et firent silence. Une voix de femme et un piano sonore faisaient entendre quelques sons, emportés à chaque instant par la brise. Dans les membres de phrase qui parvinrent à l'oreille exercée de d'Argères, il reconnut l'air admirable du gondolier dans Otello:

Nessun maggior dolore, etc.

«Il n'est pas de plus grande douleur que de se rappeler le temps heureux dans l'infortune.»

D'Argères, avec son air insouciant et son besoin momentané d'oublier l'art, était artiste de la tête aux pieds. Il fut vivement impressionné par ces trois circonstances: le nom de Désolade donné à la maison ou à la personne qui l'habitait, le choix de la chanson, et la voix, l'accent de la chanteuse, qui, soit en réalité, soit par l'effet de la distance, exprimaient avec un charme infini la plainte d'une âme brisée. Un moment il faillit laisser là son guide et courir vers cette maison, vers cette plainte, vers cette femme; mais il fut retenu par la crainte de voir une folle. Il avait, pour le spectacle de l'aliénation, cette peur douloureuse qu'éprouvent les imaginations vives.

D'ailleurs, il était harassé de fatigue, il mourait de faim.

—Et, après tout, se dit-il, je n'ai plus dix-huit ans pour rêver l'honneur, souvent trop facile, de consoler une veuve inconsolable.

Il retourna donc au manoir très-philosophiquement. Néanmoins, il ne se sentit plus disposé à interroger le garde-chasse. Il lui semblait que la prose de ce bonhomme ferait envoler la rapide impression poétique qu'il venait de recueillir.

Adriani

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