Читать книгу Description des courants magnétiques - Gilles-Augustin Bazin - Страница 4
DESCRIPTION DES COURANTS MAGNÉTIQUES.
ОглавлениеUOIQUE l’Aiman soit un des objets de la Physique les plus connus; Quoique par la singularité de ses effets,& pour ses utilités, il fasse depuis plusieurs siécles l’étude des plus grands Philosophes, il n’est pas moins constant qu’il est toujours un des Phénomènes de la nature dont les causes sont encore les plus enveloppées de ténébres. Nous n’en jouissons que comme les aveugles jouissent de la chaleur du Soleil. On croit communément que la nature a des mysteres dont la connoissance nous est interdite pour jamais. Il est vrai qu’il y en a dont la profondeur semble s’opposer à nos esperances; mais qui peut les assigner? En un mot nous n’avons point de certitude que le sujet dont j’ai entrepris de parler, soit de ceux que nous sommes condamnés à ignorer. Il paroît seulement, par les efforts de tant de sçavants hommes qui s’y sont appliqués,&par le peu de progrès qu’ils y ont faits, que l’on ne peut esperer que du tems&de la succession de leurs travaux, de voir dissiper peu à peu les ombres qui nous le couvrent; que ce ne sera qu’à pas lents que l’on y parviendra. Ce seroit donc une chose utile pour la Physique de faire un pas de plus dans cette sombre carriere,&d’y porter une lumiere propre à en éclairer le chemin. C’est ce que je crois avoir fait par le moyen des coupes des Tourbillons magnétiques dont je donne les desseins,&qui fixent à la vue le cours d’un fluide que l’on avoit jusqu’à présent plutôt imaginé que bien vû.
On sçait depuis long-tems par une expérience souvent répetée, que si l’on jette de la limaille de fer sur une feuille de papier,&que l’on passe dessous le papier une pierre d’aiman, l’on peut voir differents contours que la matiere magnétique fait prendre à la limaille. Il y a de quoi s’étonner que l’on n’ait pas poussé cette expérience jusqu’où elle pouvoit aller, en la faisant mieux que l’on ne la fait ordinairement; ce qui n’étoit pourtant point difficile, comme je le ferai voir bientôt; elle ouvroit un beau chemin pour nous conduire à une plus parfaite connoissance du courant de la matiere magnétique, sans laquelle on ne peut avoir une véritable Théorie des Phénomènes de l’aiman.
Le grand&important usage que l’on fait tous les jours de cette Pierre admirable pour nous faire connoître les Poles du monde, dans l’obscurité même de la nuit la plus profonde, paroît a bien des personnes devoir suffire pour contenter nos desirs. Cela suffit effectivement au marchand&au navigateur, qui n’ont d’autre ambition que celle daller chercher les trésors des Indes: Mais le Philosophe qui met la sienne à considérer la nature,&à tâcher de connoître les ressorts par lesquels elle opere ses merveilles, abandonne au Pilote le Timon du Vaisseau,& s’attache à étudier cette aiguille qui le conduit,& qu’une vertu invisible dirige constamment du Nord au Midy lorsqu’elle n’est point détournée par quelqu’obstacle: il cherche ce que c’est que cette vertu secrete, d’où elle vient, quelle route elle tient dans sa course, d’où elle tire cette force étonnante qui lui fait soutenir des poids d’une pesanteur considérable: il espere en découvrir la source,&peut-être lui trouver des usages inconnus jusqu’à présent: Car la nature féconde dans ses opérations est œconome dans ses moyens, un seul lui suffit souvent pour operer bien des merveilles de genres differents. Le même air qui nous fait respirer, nous fait passer les Mers. C’est une chose présentement décidée, que tout ce qui appartient à l’Histoire naturelle, tout inutile qu’il puisse paroître au commun des hommes, est digne des recherches de la Philosophie, dont l’étude est de nous élever a la connoissance de l’Etre Suprême par celle de ses ouvrages,&de tâcher de rencontrer de ces choses utiles pour l’usage de la vie, que la nature ne découvre qu’à ceux qui l’interrogent par l’étude& les expériences. C’est à de pareilles tentatives, que nous devons la perfection des arts.
Après m’être instruit autant que j’ai pu de ce que l’on a écrit sur l’aiman&ses vertus, il m’arriva ce qui est arrivé à tant d’autres; ce fut d’être saisi de la demangeaison de former un systême; j’en fis un qui étoit (comme ils sont tous) un composé de ce que la nature veut bien nous laisser voir, suppléé par l’imagination. Je le communiquai à une personne bien connuë,&très versée dans ces matieres, qui me fit des objections qui renverserent bientôt la plus grande partie de mes idées. Ces idées étoient cependant toutes fondées sur le courant de la matiere magnétique, tel à peu près qu’il est exposé dans nos Livres de Physique. Je reconnus alors que cette partie de la Théorie de l’Aiman étoit encore bien imparfaite,&avoit besoin d’être éclairée par plus d’une expérience. Je sentis que la meilleure seroit de rendre visible cette matiere subtille, qui sans se faire voir, agitte le fer&l’aiman suivant des loix certaines; ou, ce qui est équivalent, de lui faire tracer sous nos yeux en caracteres lisibles son cours& toutes ses infléxions; l’ancienne expérience, dont j’ai parlé, de faire mouvoir la limaille de fer sur une feuille de papier par le moyen d’une pierre d’aiman que l’on proméne par dessous, m’en montroit la possibilité. On voit dans les Memoires de l’Academie que Mr. de la Hire faisoit grand usage de cette maniere de connoître les effets de l’aiman; mais il ne nous en a donné que peu de figures, qui laissent bien des choses à desirer. Mr. Musschenbroek a été plus loin dans cette façon d’observer. Nous trouvons dans sa Dissertation Physique&expérimentale sur l’Aiman, six ou sept figures qui représentent en petit&à peu près le cours du flux magnétique dans quelques circonstances. Mais en général toutes ces expériences, qui n’ont point été faites comme elles auroient dû l’être, me firent concevoir qu’en corrigeant cette méthode,&la conduisant plus loin&dans un plus grand détail, on pourroit la varier de tant de façons, &voir le flux magnétique sous tant d’aspects differents, que l’on arriveroit peut-être à connoître avec plus de certitude le cours&la nature de ce fluide; ou qu’en tout cas je le ferois voir dans des tableaux fideles&en grand, sur lesquels on pourroit asseoir un jugement plus assuré,&réformer ceux que l’empressement de juger a fait imaginer.
Les premieres expériences que je fis sur cela me réussirent avec plus de facilité que je ne m’y attendois. Les personnes à qui je les montrai, virent avec plaisir le fluide magnétique arranger lui-même,& sans le secours de la main, la poudre ferrugineuse de vingt manieres differentes, suivant les differentes positions que je donnois à plusieurs aimans approchés les uns des autres, où mis en opposition. En me servant, comme j’ai fait, de limaille d’acier passée au tamis fin, cette poudre dessinoit sur le papier toutes les routes du flux magnétique avec une régularité, une netteté&une précision admirables. Je me suis servi quelquefois de cette poudre d’acier que l’on vend dans les Pharmacies,&dont les Médecins ordonnent l’usage pour plusieurs maladies, après l’avoir fait sécher au feu; Alors on auroit cru voir l’ouvrage du burin le plus délicat. Enfin ces expériences m’ont montré des Tourbillons de matiere magnétique peu connus; elles m’ont fait voir ce qui arrive à ce fluide, soit à la rencontre de deux Poles opposés, soit lorsque deux Poles semblables s’approchent; comment il embrasse,&saisit le fer que l’on lui présente: pourquoi dans certaines circonstances il attire,&que dans d’autres il repousse; comment-il paroît décrire dans un cercle une partie de ceux de notre Sphère, un Pole artique, un Pole antartique, un Equateur: Il est agréable de voir de ses yeux les traces d’une puissance que l’on soupçonnoit se soustraire à nos recherches.
Le succès de mes expériences ayant répondu à mon attente, j’ai cru que ce seroit rendre service aux amateurs de cette partie de la Physique, que de leur en faire part. C’est ce que je me suis proposé dans cet écrit. Je dirai d’abord de quelle façon je les exécute: je rendrai compte ensuite de l’effet qu’elles produisent, ce que l’on comprendra facilement au moyen des Planches que j’ai fait graver, qui les représentent toutes fidellement,&des explications qui les précedent. Je terminerai enfin ce petit ouvrage par quelques réflexions sur la matiere magnétique.
UNE Pierre d’aiman armée, telle que l’on les a communément, est fort mal disposée pour recevoir toutes les differentes situations dans lesquelles je voulois mettre plusieurs aimans en opposition. Pour éviter cet inconvénient, j’ai fait faire un nombre de lames d’acier de figures régulieres, telles que l’on peut les voir dans les Planches: Je leur ai donné peu d’épaisseur, quelquefois une demie ligne, quelquefois une ligne ou deux. Après les avoir aimantées, je les mettois sur ma table dans la situation ou je les voulois, &posant dessus une feuille de papier blanc, je semois sur le papier de la limaille fine d’acier, ou de fer; mais pour la semer plus régulierement je la faisois passer par un petit tamis de soye. Pendant que cette poudre tombe on la voit déja s’arranger elle-même,& pour achever de lui faire prendre toute la perfection du dessein que le flux magnétique peut lui donner, il faut frapper fous la table des petits coups avec une clef, ou un petit marteau. Ces petits coups qui font sauter les paillettes ferrugineuses, les dégagent des rugosités du papier, les mettent en l’air, où elles reçoivent plus facilement l’impression du flux magnétique, qui les poulie&les place ou il lui convient qu’elles soient. Voilà tout ce qu’il est nécessaire de sçavoir pour parvenir à faire les expériences dont je vais rendre compte,&qui sont dessinées d’après nature dans les Planches suivantes. Comme elles sont exactement des coupes des tourbillons magnétiques, je pense que c’est ce que l’on pouvoit faire de mieux pour en donner des idées vraies, ausquelles l’imagination qui nous trompe si souvent,&la vraisemblance qui n’est pas toujours la vérité, n’ont aucune part.